Le Fumeur

À Federico Campbell

Je fumais des cigarettes sales dans les recoins du siècle
et je voyais passer des chevaux bleus entre les tissus
que les femmes portaient avec une froideur exaspérante

Des rayons verts envahissaient mes livres et personne ne me lisait
car j’étais entouré par le halo d’un lointain iridescent
d’où se détachaient rapidement des voix amères

Les rayons s’enterraient comme des insectes vertigineux
entre les livres insectes longilignes de sobre phosphorescence
minimes bestioles encastrées dans un cauchemar ininterrompu

Des voix fredonnaient qui ressemblaient à des verres
l’eau scintillait comme l’effet l’écho de ces voix
comme si l’eau des voix avait envie de dialoguer

Quelques voix étaient amères et d’autres moins mais sonnaient
comme des frôlements de couteaux contre des tableaux scolaires
des voix aiguës qui étaient des frôlements haïssables

Parler de haïr peut sonner comme l’une de ces voix
je peux toutefois jurer sur n’importe quelle Bible ou Coran
que j’ai déjà éprouvé pareils sentiments

Les verbes à l’infinitif d’après quelques Messieurs-je-sais-tout
ne doivent pas être utilisés comme substantifs pourtant je parle
du haïr comme d’autres le font avec la douleur — un substantif

En questions grammaticales je ne m’y connais guère
bien que je sois écrivain mais je suis écrivain non grammairien
ces histoires ne me préoccupaient pas autrefois — pas plus aujourd’hui

Ce qui me préoccupe est ce qui est arrivé récemment
au paysage labyrinthique qu’est mon esprit
ni plus ni moins labyrinthique que l’esprit des autres

L’esprit est un produit impressionnant du hasard et de la nécessité
titre d’un livre qui n’a pas pu me convaincre
un livre français et embrouillé mais clair en même temps

On y affirme que l’esprit surgit dans l’univers
pour que celui-ci puisse se connaître moi j’en sais rien
cependant mon esprit était alors bien plus labyrinthique qu’aujourd’hui

Je ne percevais presque aucun univers près de moi
non le genre d’univers qui doivent eux-mêmes se connaître
je n’ai pas connu alors ce type d’univers

J’étais un peu désemparé au milieu de la fumée
de mes cigarettes et du furieux trot ou galop
des chevaux bleus qui parvinrent à m’obséder



C’est vrai qu’en plus de fumer je buvais de l’alcool
ce qui m’emplissait la tête d’une fascination
pour la mort et les décompositions de la folie

Le son et les couleurs se mêlaient comme l’eau d’une rivière
aux lumières d’un crépuscule fait des angoissants tableaux
et tonalités d’un long et minutieux roman du dix-neuvième

Je possédais une sensibilité exacerbée face aux couleurs
et au milieu des sons qui m’entouraient comme un cirque aural
et me blessaient d’une douceur tragique


Je lisais les mots champán et cognac dans les pages de Vallejo
mais ce que je ressentais était un houlement une noirceur
qui me traversait de part en part comme une lance byzantine

L’alcool portait dans sa main des sorcières vertes
et parsemait des polyèdres en flammes et les encastrait
par-dessous les paupières avec une rage condensée

Une furie de guerriers insomniaques montait faiblement
par mon système nerveux et m’ensanglantait
et me circuitait de plaies qui étaient des prismes

Tout ça entourait mon thorax avec des inflammations
avec des bubes ducales de sybarite avec des témoignages
repus de manger et boire avec des bagues de chair à vif

Des plaines d’alcool et de fumée documentaient
de longues batailles où soudain perçaient les visages
de samouraïs-crabes tout était si déconcertant


Il s’agissait d’une légende des côtes japonaises
et aussi un phénomène appelé sélection artificielle
mais pour moi c’étaient des visions vicieuses de vers et crustacés


Puis ce n’étaient plus des samouraïs mais des celtes musclés
des brutes vikings avec torches et haches dans les hameaux
de mes obligations quotidiennes hameaux en pénombre

Ces vers bleus étaient tout sauf sympathiques
ils sortaient directement des entrailles fumantes et cristallines
du mezcal et me laissaient effarouché et maltraité

Le mezcal raclait méchamment ma gorge de fumeur
avec des rasoirs agressifs faits de transparence
et terre sale moi j’ai une théorie sur ces incidents

Le mezcal renferme dans son tréfonds l’esprit des vers
parfois ces vers sont effectivement là dans la bouteille
les miens étaient bleus et obscures comme la nuit où je buvais

Je devais faire ceci et cela satisfaire en somme travailler
j’y arrivais mais chaque affaire était un Everest
je me brisais la tête et l’âme contre ces pierres noires

Les pierres s’égaraient dans la fumée mais ensuite
retombaient sur ma tête me lapidait la mauvaise conscience
la conscience coupable la conscience d’une dette

J’en avais entendu parler par les mauvaises humeurs de Nietzsche
et par des personnages de fiction qui me visitaient comme des fantômes
plus tard j’ai découvert le mot Procrastination chez Proust

Le théâtre des mes procrastinations était la hargneuse fumée
de mes cigarettes fumées avec l’humeur romantique
d’un intellectuel submergé dans son personnage minuscule

La douleur était grande et superflue démesurément individuelle
les grandes couleurs épiques de la tribu des collectivités
n’étaient que théorie et matériau oratoire de la politique égarée

J’aurai dû m’approcher de ces souffrances au moins
pour voir de quoi il était question par simple curiosité
et par intérêt disons scientifique mais j’étais distrait

J’étais trop occupé avec moi-même il faut le dire

rien de grave c’est juste une autre information
perdue entre les rives de nombreuses cigarettes écrasées

Ce n’est pas le moment de se plaindre mais une bave effrayante
me léchait à l’intérieur et me dominait me traînait par terre
avec le soin névrotique d’une nurse d’une gouvernante d’une impératrice

Je sais bien que des fantômes me gardaient me préparaient pour la mort
comme si j’avais été le bébé de la mort comme si mon corps
avait été mouillé et prêt à couler entouré de couteaux

Les hallucinations n’étaient rares mais à chaque fois me donnaient mal au cœur
et me laissaient angoissé craintif je les détestais pour tout ça
même si je ressentais un faible particulier pour ces guerriers

Ces guerriers-là étaient une hallucination festive
mais ils libéraient aussi une substance de danger et fainéantise
par les épines d’obscurité parsemées sur ma route


Ces guerriers étaient les lancinants cauchemars
qui sur les runes volatiles de la soûlerie inscrivaient
les avatars de l’intoxication dans des cryptes hautaines

Le lendemain les runes de ces naufrages
étaient les graphies absolument illisibles vagues
et exaspérantes de systèmes abrutis à jamais épars

Les chevaux bleus entraient et sortaient par la dentelle
de la fumée de mes cigarettes au trot au galop
et se coinçaient entre les invisibles verres alcooliques

Moi j’étais fait d’une argile brusque bordée
par la lenteur de puissantes agonies et je fumais
et buvais sur l’autre rive des nuits du siècle

Mon esprit se fracturait mais immédiatement se recomposait
c’était un noyau dur à ronger pour cet univers
qui voulait se connaître ou avançait sans réfléchir

Moi je ne voulais plus contribuer à cette Tâche
à ces devoirs d’auto-connaissance de l’univers
je me ruais dans les cantinas et personne ne me tirait de là

J’avais déjà lu Bureau de tabac qui est un poème de Pessoa
et soupesais mes rêves masqués avec la balance
de la solitude et d’émouvantes créations verbales


J’avais déjà lu ce que Blake pensait des sentiers de l’excès
et du palais de la sagesse je croyais que me donnaient raison
ses mots et je les répétais comme si j’étais hypnotisé

Blake Vallejo Pessoa étaient des splendides noms de poètes
je ne puis le dénier et en plus ce qu’ils avaient écrit
m’emplissait d’une stupeur admirative qui me bouleverse toujours

Tout ça venait sans doute du désir que j’avais d’écrire moi aussi
pour moi ces noms étaient des objets monumentaux et arides
aussi lointains que les figures sacrées d’étranges sanctuaires

Bien des années plus tard j’ai lu Joseph Roth
sa Légende du Saint Buveur l’absinthe et sa phosphorescence
de glauque sorcière à chaque page et l’église à la fin


L’histoire d’une légende minuscule qui me parlait
avec la même ardeur que l’Ecclésiaste ou le Livre de Job
je signale que je ne suis pas herméneute ni critique littéraire

Je ramassais des pierres dans les rues nocturnes et les rassemblais
sur une étagère de ma bibliothèque à peine je lisais des livres
ce que je lisais vous l’avez deviné c’étaient les pierres

Par malheur je comprenais à peine ce que je lisais
c’était une Lithographie ce que je lisais dans ces durs objets
rugueux et d’un poids admirable mais illisible

C’était inintelligible et j’avais du mal à articuler
ces mots d’autant de syllabes et inintelligible
n’a rien moins que six longues syllabes

Les pierres ne me donnaient pas leur secret écrit
leurs histoires chiffrées de pierres assises sédentaires
leurs romans d’immobilité et de dureté leurs poèmes stoïques

Je m’identifiais aux pierres malgré ma mobilité
je m’agitais sans direction par-ci par-là follement
comme un trapéziste irrégulier asymétrique vagabond


Un trapéziste par tous les airs du cirque du monde
du cirque de l’univers tout empli de lumières et d’ombres
tout épais et soigneusement homicide moi j’avais peur

J’étais un fumeur et un buveur à cette époque et tout
livres recoins du siècle chevaux bleus poèmes quartiers
était filtré par la fumée et des verres par de cisaillantes certitudes

Et ces certitudes étaient des minuits ravagés par la toux
et la salive luciférine parfois l’étaient par le spasme
la convulsion du vomissement et son fouet feutré aux entrailles

Une fois je suis entré dans une église et me suis assis sur un banc
tout au fond j’ai voulu méditer mais j’en étais incapable la veille
j’avais trop bu c’était l’un de mes pires matins à Coyoacan

Mais je veux plutôt dire ici tout ce qui s’est passé
avec toutes ces cigarettes que j’ai fumées dans les recoins
et dans les coins rêchement inondés par la pénombre


La fumée était comme tatouée et forgeait des scènes byzantines
il y avait des guerriers des prêtres des formidables bâtisses
je demeurais alors dans une chambre de bonne mon Byzance privé

Rien n’était assez étranger ni assez familier pour moi tout était
teint par les lumières et les ombres de vie et de mort
couples contradictoires ou couples complémentaires

C’était difficile de penser si dynamiquement par paires
dialectiquement selon les autres car les choses n’étaient pas ainsi
en tout cas j’en avais l’impression et tout était plus emmêlé

La fumée montait jusqu’au toit et remuait et composait
des figures plus réelles que celles entrevues le long des rues
et dessinait des cartes éphémères des nuages laids et petits

Je me souvenais alors de Baudelaire encore un autre nom
un poème en prose où la patrie de je ne sais qui
était les nuages je trouvais ça absurde mais beau

Les nuages que formaient mes cigarettes de fumeur
étaient mesquins et maladroits mais ouvraient la porte
à une espèce de rêverie torve qui m’inquiétait

Des nuages piteux et à l’étroit dans mon Byzance privé
dérivaient par les coins de ma pièce et se brisaient
se cassaient sans sons et je devenais nerveux

Voguer vers Byzance comme Yeats le voulait n’était plus nécessaire
j’y étais déjà c’est-à-dire dans ce bas quartier tailladé
par des négociations et des déplacements-éboueurs

Je dis tout cela sans la moindre intention d’être moraliste
le temps de ces clartés coule toujours par derrière
ou par-dessous peu importe ce que je désire sans mort est là

En tout cas je vois ces jours comme un bouquet de roses noires
de vin et de paquets de cigarettes emplis de tabac et flâneries
et les jours de réveils pénibles j’avais la sensation d’un enfer

Il faut l’expliquer j’ai récemment lu un poème de Bukowski
auteur trop connu qui me déplaisait mais ce poème
me révélait parfaitement ce sentiment de dévastation

Combien de fois je devrais tenter d’écrire de décrire ça
cette brûlure froide à chaque grappe de nerfs même le plus intime
cette huile hérissée à chaque recoin et surtout la peur

Je veux dire en ce sens que la peur était surtout
comme un tissu d’une finesse infinie un noir tissu
un animal un cosmos d’objets ensorcelés

Mon esprit était bourré de miroirs cassés je me reconnaissais
et me méconnaissais avec la musique d’une table Ouija
les morts lançaient contre ma poitrine des substances mélodieuses

Toute cette relation avec l’arrière-monde ou l’inframonde
était une fabulation déchaînée une rêverie
une fièvre d’images énormes et minutieuses

Tout ceci m’exaltait entre la fumée du fumé
et me faisait sentir des choses colossales incontrôlées
c’était une périlleuse vérité qui planait sur ma vie

Les rêveries étaient de brusques flambées de couleur grise
qui me laissaient une sensation de fatigue dans la poitrine
et une série de mots au goût de menthe dans ma bouche

Mais c’était une menthe tachée par mon addiction à la nicotine
non la menthe « à la bouche glacée » lue dans un autre poème
mais une menthe quelconque hors-la-loi anémique et inutile

Je n’aimais pas ce qui arrivait dans ma bouche et essayais
de me rebeller mais personne n’était là pour voir le spectacle
de ma révolte et alors je me tranquillisais

Je profitais de ce que je pense on doit appeler la perversité
ces arômes dans ma bouche maltraitée et sur mes lèvres maladives
et je me demandais quel était le sens de ces parfums maudits

Pourquoi blâmer des parfums et se laisser obséder par des nuages
nuages privés et goûts pervers d’un fumeur
qui se saoulait aux horaires les plus inopportuns



Tout le temps était le temps de l’inopportunité
mes gestes étaient un gaspillage et une déviation
constamment recollés à des formes obscures de l’étonnement

Le temps de fumer croisait le temps de se réveiller
et quand j’étais confus avec ces temps-là
je mettais en danger l’intégrité de mon lit

Mon lit aurait pu brûler facilement
et alors ce que j’appelais le feu du rêve
serait devenu une énorme réalité d’étouffement et douleur

Malgré ça je cherchais avec acharnement des incendies
semblables à ceux des braises de mes cigarettes
mais je ne trouvais sur mon chemin que des cendres

Dans mes recherches je trouvais des bûches minuscules
et des brins mâchées restes de ce qui a été fumé
de ce qui a été oublié et s’en est resté derrière le temps

Les haillons de temps s’entortillaient sur un air de tango
et de suffocation dans la fumée des cigarettes
et avec la blessure de la bouche effeuillée en murmures tristes

La fumée était triste la fumée était une boucherie
de fantômes qui avaient tout sauf la chair
et débordaient ficelles d’ectoplasme et détritus spirituels

La fumée de chaque cigarette était une nouvelle venue de l’arrière-monde
et des scènes de la vie dans un pays bohémien et bambocheur
tout était plutôt oblique tout était aliéné incliné

La fumée s’inclinait sur les profils vampiriques
d’innocentes silhouettes et de physionomies insinuées
avec une âcre inquiétude et l’angoisse d’ignorer qui nous sommes

Chaque cigarette était une soustraction d’identités accumulées
sous chaque tourbillonnement blanc de ces brûlures
se désintégraient des masques comme des orchidées brésiliennes

J’aurais préféré la bénédiction tumultueuse
des eaux aériennes ça un ami le savait bien
il s’appelait Nestor et avait sillonné ces eaux-là

Les eaux aériennes inondaient certaines régions du monde
que je touche parfois et qui m’emplissaient de bénédictions
un pied blessé une bouche énorme des yeux ronds

Blancheurs et négations ou cercles et cartes d’espoir
dans le jeu de chercher et dissimuler s’entretissaient avec les fumées
des cigarettes du fumeur caché dans les recoins


Je ne voulais plus rien chercher tout ce que je voulais
c’était enlever les cigarettes de ma bouche et ne plus boire
j’entendais partout des rires qui rougissaient

Ça n’allait pas être simple de m’arracher cette cigarette constante
abandonner le vaisseau brûler les caravelles
mais je commençais à le faire et les verres se volatilisèrent

Les traces de la fumée s’amoindrirent entre la luminosité
d’autres aurores dans des vêtements désarmés et adorables
j’ouvris les yeux dans d’autres verres d’argent métaphysique

Ouvrir les yeux au milieu de la fumée fut une tâche extravagante
j’y suis arrivé avec un sérieux mémorable je veux dire
mémorable pour moi le temps s’inondait d’éclats liquides

Une ombre passait sur l’eau parmi les arbres
j’essayais de nommer l’ombre mais j’en étais incapable
endormi j’étais réveillé et éveillé je rêvais de cauchemars


Une fois et une autre fois et encore une mon corps se dressait
et retombait comme une bûche instable sur la pointe
de l’épingle du monde une pointe d’éclat et de poison

Je restais toujours le témoin inutile et ballotté
par l’univers et son horrible auto-connaissance
des miroirs du monde de toutes ces choses parsemées

J’ai à raconter tout ceci de mille et mille manières
pour qu’on comprenne que je suis là et ne suis jamais parti
malgré toutes ces infections et la gorge rudoyée

Traduit par Iván Salinas

Por Federico Campbell

Yo fumaba cigarrillos sucios en las esquinas del siglo
y veía pasar caballos azules entre las telas
que las mujeres vestían con una desesperante frialdad


Había rayos verdes entre mis libros y nadie me leía
pues yo estaba rodeado por un halo de iridiscente lejanía
del que se desprendían velozmente voces amargas
Los rayos se metían como insecto vertiginosos
entre los libros insectos longilíneos de sobria fosforescencia
animales diminutos encajados en una continua pesadilla


Sonaban voces que se confundían con vasos
el agua cintilaba con el efecto el eco de esas voces
el agua de las voces parecía querer dialogar

Unas voces eran amargas y otras no lo eran pero sonaban
como roces de cuchillos contra los pizarrones escolares
voces agudas que eran roces voces detestables


Hablar de detestar puede parecer como una de esas voces
pero puedo jurar sobre cualquier Biblia o Corán
que he llegado a tener esos sentimientos


Los verbos en infinitivo según algunos sabelotodos
no deben convertirse en sustantivos pero yo puedo hablar
del detestar como otros hablan del dolor que es un sustantivo

Las cuestiones gramaticales no son mi fuerte
aunque soy escritor pero soy escritor no gramático
estas cosas no me preocupaban entonces ni ahora me preocupan


Lo que me preocupa es lo que ha sucedido últimamente
con ese paisaje laberíntico que es mi mente
que no es más laberíntica que las otras mentes


La mente es un producto impresionante del azar y la necesidad
título de un libro que no acabó de convencerme
un libro francés y enredado pero claro a la vez


Dicen que la mente surgió en el universo
para que éste se conociera yo no lo sé
pero entonces mi mente era más laberíntica que ahora


No veía yo muchos universos a mi alrededor al menos
no del tipo de los universos que deben conocerse a sí mismos
no reconocí entonces esa clase de universos

Estaba yo un poco desconcertado en medio del humo
de mis cigarrillos y del feroz trote o galope
de los caballos azules que llegaron a obsesionarme

Es cierto que además de fumar yo bebía alcohol
y eso me llenaba la cabeza de fascinación
por la muerte y por las descomposiciones de la locura

El sonido y los colores se mezclaban como las aguas de un río
con las luces de un crepúsculo hecho de lienzos angustiosos
y tonalidades de novela decimonónica larga y minuciosa

Yo poseía una sensibilidad exacerbada ante los colores
y en medio de los sonidos que como un circo aural
me circundaban y me herían con una dulzura trágica

Leía las palabras champán y cognac en páginas de Vallejo
pero lo que yo sentía era una encrespadura una negrura
que me cruzaba de parte a parte como una lanza bizantina

El alcohol llevaba en su mano brujas verdes
y hacía volar poliedros de llamas y los encajaba
debajo de los párpados con una rabia concentrada



Una furia de guerreros insomnes ascendía tenuemente
por mi sistema nervioso y me ensangrentaba
y me circuía con llagas que eran prismas

Aquello me enlazaba el tórax con inflamaciones
con bubas ducales de sibarita con hinchados
testimonios de comer y beber con anillos de carne enrojecida



Planicies de alcohol y de humo documentaban
largas batallas en las que asomaban de pronto rostros
de samuráis en cangrejos algo de veras desconcertante

Se trataba de una leyenda de las costas japonesas
y también de un fenómeno llamado selección artificial
pero para mí eran visiones viciosas de gusanos y crustáceos

Luego no eran samuráis sino celtas fornidos
bruscos vikingos con antorchas y hachas entre las aldeas
de mis obligaciones cotidianas aldeas en penumbra


Aquellos gusanos azules eran todos menos simpáticos
salían directamente de las entrañas humosas y cristalinas
del mezcal y me dejaban asustado y maltrecho

El mezcal raspaba malamente mi garganta de fumador
con agresivos rastrillos hechos de transparencia
y de tierra sucia yo tengo una teoría sobre esos incidentes

El mezcal tiene espíritus de gusanos en su interior
a veces esos gusanos están ahí efectivamente en la botella
los míos eran azules y oscuros como la noche en que bebía

Yo debía hacer esto y lo otro cumplir con aquello trabajar
lo conseguía pero cada asunto era un éverest
me rompía la cabeza y el alma contra esas piedras negras

Las piedras se perdían en el humo pero luego
me daban en la cabeza me lapidaba la mala conciencia
la conciencia culpable la conciencia de una deuda


Yo sabía de todo eso por los malos humores de Nietzsche
y por algunos personajes de ficción que se me aparecían
más tarde descubrí la palabra Procrastinación en Proust

El teatro de mis procrastinaciones era el humo feraz
de mis cigarrillos fumados con un talante romántico
de intelectual abismado en su personaje minúsculo

El dolor era grande y superfluo tremendamente individual
los grandes dolores épicos de la tribu de las colectividades
eran pura teoría y material oratorio de la desencaminada política

Hubiera debido acercarme a esos sufrimientos por lo menos
para ver de qué se trataba por mera curiosidad
y por un interés digamos científico pero estaba distraído


Estaba demasiado ocupado conmigo mismo hay que decirlo
no es nada demasiado grave sino sencillamente un dato
que se perdió entre las orillas de tantos cigarrillos aplastados
No es el caso de quejarse pero una baba espeluznante
me lamía por dentro y me dominaba me arrastraba
con un cuidado neurótico de nana de aya de emperatriz

Sé que fantasmas cuidaban de mí me preparaban para la muerte
como si yo fuera el bebé de la muerte como si mi cuerpo
estuviera mojado y fresco para hundirse rodearse de cuchillos

Las alucinaciones no eran frecuentes pero sí me dejaban mareado
me dejaban atemorizado e inseguro no me gustaban por todo eso
pero sentía una especial debilidad por aquellos guerreros

Los guerreros aquellos eran una alucinación festiva
pero también soltaban una sustancia de peligro y desgano
en las espinas de oscuridad que yo encontraba a mi paso

Esos guerreros eran las obsesionantes pesadillas
que en las runas volátiles de la borrachera
escribían en criptas altivas los avatares de la intoxicación

Al día siguiente las runas de esos naufragios
eran absolutamente ilegibles vagas y exasperantes
grafías de entontecidos sistemas para siempre perdidos

Los caballos azules entraban y salían por el encaje
del humo de mis cigarrillos trotando y galopando
pero se atoraban en los invisibles vidrios alcohólicos

Yo estaba hecho de una brusca arcilla bordeada
por la lentitud de poderosas agonías y fumaba
y bebía en la otra orilla de las noches del siglo

Mi mente se fracturaba pero inmediatamente se rehacía
era un hueso duro de roer para ese universo
que deseaba conocerse o que seguía adelante sin pensar

Yo no parecía querer contribuir a esa Tarea
a esas faenas de autoconocimiento del universo
me metía en las cantinas y de ahí nadie me sacaba

Había yo leído Tabaquería que es un poema de Pessoa
y pesaba mis sueños enmascarados con esa balanza
de soledad y de imaginaciones verbales conmovedoras

Había yo leído lo que Blake pensó acerca del camino del exceso
y el palacio de la sabiduría y sentía que eso me justificaba
y repetía esas palabras como si estuviera hipnotizado

Blake Vallejo Pessoa eran espléndidos nombres de poetas
eso yo no lo puedo negar y además lo que habían escrito
me llenaba de un estupor admirado del cual no me he repuesto

Quizá todo se debía a que yo también quería escribir
y para mí esos nombres eran cosas monumentales y áridas
del todo distantes y como figuras sagradas de extraños templos

Muchos años después de todo eso leí a Joseph Roth
su Leyenda del Santo Bebedor el absintio y su fosforescencia
de bruja glauca por todas las páginas y una iglesia al final

La historia de una mínima leyenda que me hablaba
con el mismo fuego que el Eclesiastés o el Libro de Job
aclaro que no soy hermeneuta ni crítico literario

Recogía piedras en las calles nocturnas y las juntaba
en una repisa de mi librero apenas leía los libros
pero naturalmente adivinaron leía las piedras



Lo malo es que apenas entendía lo que leía
era una Litografía lo que leía en esos objetos duros
y rugosos y de peso admirable pero era ilegible


Era ininteligible y me costaba trabajo articular
palabras de tantas silabas e ininteligible
tiene nada menos que seis largas sílabas

Las piedras no me entregaban su secreto escrito
sus historias cifradas de piedras sentadas sedentarias
sus novelas de inmovilidad y dureza sus poemas estoicos

Me identificaba con las piedras a pesar de mi movilidad
pero me movía sin sentido de aquí a allá locamente
como un trapecista irregular asimétrico vagabundo

Un trapecista por los aires del circo del mundo
del circo del universo todo lleno de luces y de sombras
todo espeso y cuidadosamente homicida yo tenía miedo


Yo era un fumador y un bebedor entonces y todo
libros esquinas del siglo caballos azules poemas barrios
estaba filtrado por humo y vasos por navajeras certezas


Y esas certezas eran medianoches arrasadas por la tos
y por una saliva luciferina y a veces por el espasmo
la convulsión del vómito su látigo de fieltro en las entrañas

Una vez entré en una iglesia y me senté en una banca
en la parte trasera y traté de meditar pero no pude la noche anterior
había bebido demasiado fue una triste mañana en Coyoacán

Pero quiero decir aquí más bien lo que ha sucedido
con todos esos cigarillos fumados por mí en las esquinas
y en los rincones inundados ásperamente de penumbra

El humo estaba como tatuado y dejaba ver escenas de Bizancio
había guerreros y sacerdotes y formidables edificios
yo vivía entonces en un cuarto de azotea mi Bizancio privado

Nada era demasiado ajeno ni demasiado familiar
todo estaba teñido por luces y sombras de vida y muerte
pares contradictorios o pares complementarios



Era difícil pensar de esa manera emparejada y dinámica
dialéctica según otros porque las cosas no eran así
o así me lo parecía todo era mucho más enmarañado

El humo subía hasta el techo y se revolvía y formaba
figuras más reales que las que veía por las calles
y dibujaba mapas momentáneos o nubes pequeñas y feas


Recordaba entonces a Baudelaire otro de esos nombres
un poema en prosa donde la patria de no sé quién
son las nubes me pareció absurdo pero hermoso

Las nubes que formaban mis cigarrillos de fumador
eran mezquinas y torpes pero le abrían la puerta
a una especie de torva ensoñación que me inquietaba

Nubes feas y arrinconadas en mi Bizancio privado
iban a la deriva por las esquinas de mi cuarto y se rompían
se quebraban sin sonido y yo me ponía nervioso

Navegar hacia Bizancio como quería Yeats no era necesario
yo estaba ahí es decir en ese barrio bajo tasajeado
por negociaciones y desplazamientos basureros


Digo todo esto sin la menor gana de moralizar
el tiempo de esas claridades sigue fluyendo detrás
o debajo no importa lo que deseo sin muerte está ahí


De todas maneras veo esos días como un ramo de rosas negras
vino y cajetillas repletas de tabaco y vagabundeos
y en las penosas mañanas una sensación de infierno

Hay que explicar esto hace poco leí un poema de Bukowski
autor demasiado famoso que me desagrada pero ese poema
era una noticia perfecta de esa sensación de esa devastación

Varias veces deberé intentar escribir describir esto
esa quemadura fría en cada racimo de nervios hasta el más intimo
ese aceite erizado en todos los rincones y el miedo sobre todo

Quiero decir que el miedo estaba sobre todo
como una tela de infinita delgadez una tela negra
un animal un cosmos de objetos hechizados

Mi mente estaba llena de espejos rotos me reconocía
y me desconocía con una música de tabla ouija
los muertos dejaban caer sobre mi pecho sustancias melodiosas


Toda esa relación con el trasmundo o el inframundo
era una desencadenada fabulación un ensueño
una fiebre de imágenes enormes y minuciosas

Todo eso me exaltaba entre el humo de lo fumado
y me hacía sentir cosas colosales sin control
era una verdad peligrosa y en vilo sobre mi vida


Las ensoñaciones eran bruscas llamaradas de color gris
que dejaban una sensación de cansancio en mi pecho
y una serie de palabras del sabor de la menta en mi boca

Pero era una menta manchada por mi adicción a la nicotina
no era la menta “de boca helada” de otro poema que leí
sino menta forajida anémica una menta ramplona e inútil

No me gustaba que eso sucediera en mi boca y trataba
de rebelarme pero nadie estaba ahí para ver el espectáculo
de mi rebeldía y entonces yo me tranquilizaba

Disfrutaba con lo que supongo debo llamar perversidad
esos sabores en mi boca maltratada y en mis labios enfermizos
y me preguntaba cuál era sentido de esos sabores malditos

Por qué maldecir unos sabores y obsesionarse por esas nubes
nubes privadas y sabores perversos de un fumador
que se emborrachaba en las horas más inoportunas

Todo el tiempo era tiempo de inoportunidad
mis gestos eran un derroche y una desviación
continuamente adheridos a formas hundidas del asombro

El tiempo de fumar se cruzaba con el tiempo de despertar
y cuando me confundía con esos tiempos
ponía en peligro la integridad de mi cama

Mi cama habría podido fácilmente incendiarse
y entonces lo que llamaba yo el fuego del sueño
hubiera tomado una descomunal realidad de agobio y dolor

A pesar de todo buscaba yo con denuedo incendios
semejantes a los de las brasas de mis cigarrillos
y no encontraba a mi paso más que cenizas


En mis buscas hallaba leños diminutos
y hebras masticadas restos de lo que fue fumado
de lo que fue olvidado y se quedó detrás del tiempo


Harapos de tiempo se enredaban con un aire de tango
y de sofocación en el humo de los cigarrillos
y en la herida de la boca deshojada en murmullos tristes

El humo era triste el humo era una carnicería
de fantasmas que tenían todo menos carne
y rebosaban hilachos de ectoplasma desechos espirituales


El humo de cada cigarrillo era noticia de trasmundo
y escenas de la vida en el país bohemio algo trasnochado
más bien todo era oblicuo estaba enajenado inclinado

El humo se inclinaba en los perfiles vampíricos
de siluetas inocentes y de fisonomías insinuadas
con acre desazón la zozobra de no saber quién es uno

Cada cigarrillo era una resta de identidades acumuladas
debajo de cada turbonada blanca de esas quemazones
se deshacían máscaras como orquídeas brasileñas

Hubiera sido mejor la bendición tumultuosa
de las aguas aéreas eso lo sabía bien un amigo
llamado Néstor él había surcado esas aguas

Las aguas aéreas inundan partes del mundo
que a veces toco y con las que me lleno de bendiciones
un pie herido una boca grande unos ojos redondos


Blancuras y negaciones o círculos y esperanzados naipes
en el juego de buscar y disimular se tejían a los humos
de los cigarrillos del fumador escondido en esa esquinas

Ya no quería yo buscar nada lo que quería
era quitarme los cigarrillos de la boca y no beber más
escuchaba risas enrojecidas por todos lados


No iba a ser fácil desprenderme de ese cigarrillo constante
abandonar esa nave quemar esas carabelas
pero empecé a hacerlo y los vasos fueron esfumándose

Las huellas del humo se adelgazaron entre la luminosidad
de otros amaneceres entre ropas inermes y adorables
abrí los ojos en otros vasos recipientes de plata metafísica

Abrir los ojos en medio del humo fue una tarea extravagante
la llevé a cabo con una seriedad memorable quiero decir
memorable para mí el tiempo se inundaba de brillos líquidos

Una sombra pasaba sobre el agua entre los árboles
yo trataba de darle nombre a la sombra pero no podía
dormido estaba despierto y despierto soñaba pesadillas

Una y otra vez una y otra vez mi cuerpo se levantaba
y se caía como un leño inestable sobre la punta
del alfiler del mundo una punta de brillo y de veneno


Yo seguía siendo el testigo inútil y zarandeado
del universo y su horrible autoconocimiento
de los espejos del mundo de todas esas cosas diseminadas

Deberé contar todo esto de mil y una maneras
para que se entienda que sigo aquí que no me he ido
a pesar de tantas infecciones y de la garganta maltratada

Par David Huerta

David HUERTA (Mexico, 1949). Poète, traducteur et essayiste. Il a étudié la Philosophie et la Littérature anglaise et espagnole à l’UNAM (Université nationale autonome de Mexico). Traducteur et éditeur au Fondo de Cultura Economica, il est aussi coordinateur d’ateliers et professeur dans des institutions comme la Casa del Lago, l’UNAM, la Fondation Octavio Paz et la Fundacion para las Letras Mexicanas. Parmi ses recueils de poésie : El jardín de la luz (1972), Versión (1978), Historia (1990), La sombra de los perros (1996), Hacia la superficie (2002) et La calle blanca (2006). Il a reçu le prix de Poésie Carlos Pellicer en 1990 et le prix Xavier Villaurrutiaen 2006 pour la réédition de son livre Versión aux éditions ERA.

Ivan Salinas réalise actuellement un doctorat en littérature comparée à la Sorbonne nouvelle - Paris 3, où il collabore à la revue Trans— de Littérature Générale et Comparée. Il a été photographe (Harmonies primaires) et éditeur (Punto de Partida N° 147). Dans le domaine de la traduction, il a traduit de nombreux poètes et narrateurs francophones, notamment Henri Michaux, Antoine Volodine et Jean-Philippe Toussaint ; actuellement, il prépare l’anthologie El sendero frugal, qui paraîtra cette année dans la collection Hotel Ambosmuntos, de l’auteur Jacques Dupin, de qui la revue Letras libres vient de publier un essai.
Il est aussi l’un des coordinateurs de l’atelier d’écriture en espagnol du « Taller de París » qui a lieu à l’Institut Cervantes.

Traduit avec la collaboration de Pauline Hachette.

Les photographies appartiennent à la série Frontières
de Pia Elizondo.