L’animal sur la pierre

Après la mort de sa mère, la narratrice décide de tout abandonner et de partir en voyage. Petit à petit, son corps devient la scène d’une métamorphose extraordinaire que lui fait perdre physiquement sa condition humaine pour arriver à un stade proche de celui du reptile. Au cours de cette transformation, pendant laquelle sa peau devient squameuse et une queue commence à apparaître à l’extrémité de sa colonne vertébrale, elle rencontre un homme avec qui elle partage une vie interne aussi étrange que la sienne. Dans le fragment que nous présentons, significativement appelé “Mort”, la narratrice raconte le décès de sa mère alors qu’elle change pour la première fois de peau, geste qui la fera entrer dans un mouvement qui sans doute n’aura pas de retour.

Je suis arrivée à destination. Me voilà soulagée.

J’achète le billet de train au guichet de l’aéroport. Je prends un café.

Je dois m’être endormie en m’installant à ma place dans le wagon, parce que je ne me rappelle pas du moment où il a commencé à bouger. Ma mémoire invoque les mains arthritiques d’une vieille femme qui voyageait assise devant moi, elles ressemblaient à celles de ma mère. Elle avait les mains sur le ventre quand elle est morte.

Je la soulevai du lit ; elle était maigre et la température de sa peau annonçait l’approche de la mort. Elle me demanda de l’amener aux toilettes et urina. Le dernier liquide qui sortit de son corps se mélangea à l’eau chlorée des cabinets.

Dans cet écoulement, ma mère se défit de quelque chose de délicat et de vital. Son urine sentait le camphre à cause des médicaments.

La mort était inévitable : douleur, alors. « Ma mère meurt ; ma mère s’accroche au carrelage blanc. Quand elle griffera cette surface lisse, alors elle mourra », criai-je à Mercedes, qui accommodait les oreillers sur le lit.

Ma mère, dans son agonie, dit qu’elle se décollait du sol.

Elle prononça d’autres mots ; des incohérences sur la terre de son cerveau qui commençait à sécher. On avait perdu l’eau et les poissons mouraient : ma mère prenait des bouffées d’air et bougeait la bouche avec lenteur. Elle désira l’exhalation qu’elle ne pouvait concrétiser depuis des mois, elle voulait mourir en respirant.

Quand son corps fut vide — la force de ses muscles diminua soudain — elle mit ses mains sur son ventre, serra les lèvres et quand elle les relâcha, Mercedes et moi entendîmes un léger bruit : sa dernière expression fut un gémissement.

Je vis du coin de l’œil la mort surgissant comme un tonnerre : c’était un éclair argenté sur la nuque de ma mère, bruyant et d’une portée extraordinaire.

Après quelques minutes, sa peau avait changé. Quand cessent les battements du cœur, le visage se déshydrate et devient verdâtre.

Ma sœur mit un oreiller de plus sous sa tête, la couvrit et répéta trois fois : « elle n’ira plus nulle part ».

Dans ce nouvel endroit, il n’existe que moi et dans mon passé, les morts. J’ai trouvé une auberge propre. Je me douche et fais une sieste. En me réveillant, je remarque sans y croire que le contour de mon corps est sur un côté du lit : c’est une peau très fine, où sont gravées mes empreintes digitales et mes rides ; au toucher, elle ressemble à la colle dont je m’enduisais les mains quand j’étais petite. Je regarde mon corps, j’enlève ma chemise pour voir mon torse, je ne comprends pas ce que découvrent mes yeux : je suis enflée, mes pores ont grossi, du moins c’est ce qu’on dirait, et ma couleur de peau est différente. Je regarde à nouveau la peau fine, je la soulève à deux mains, je la palpe. Dans la partie qui recouvrait ma tête, je reconnais les cicatrices de varicelle que j’avais sur le front ; je tripote cette peau parce que je veux m’en souvenir clairement. Cette peau est mon histoire. Elle est entière. Je me suis défait d’elle avec des gestes soigneux.

Je ramasse la peau, et je le mets dans la poubelle des toilettes. Je la regarde là, perdue pour toujours, j’ai envie de pleurer parce que je ne peux le raconter à personne, j’ai les jambes qui tremblent.

Avant de dormir j’ai voulu aller à la plage. Après être restée assise une heure, à regarder la télévision, je range mes affaires dans la valise et je la prends parce que je ne sais pas quand je reviendrai.

Je suis désorientée. Je croyais que la côte était vers le nord, mais cela fait deux heures que je marche et je ne sais pas vers où aller. Je ne veux parler à personne. La possibilité d’engager une conversation avec quelqu’un me terrorise, qu’est-ce que je pourrais bien dire ? J’ai peur pour moi-même. La tristesse occupe ma gorge et si je parle, je pleure. Alors, celui qui m’écoute me demandera ce qu’il m’est arrivé. Ma pensée n’obéit pas, elle fonctionne de façon autonome — c’est comme si quelqu’un parlait en moi — et, même si je marche dans la rue où des faits réels ont lieu, je n’arrive pas à les retenir. Je suis dans un état de grave confusion.

Il y a un moment j’ai cru que j’étais nue, j’ai regardé mon corps et je ne l’ai pas reconnu.

La peau me démange encore. Je regarde mes avant-bras : il ont dégonflé, la taille de mes pores a diminué — du moins c’est ce que je crois, mais dans mes muscles, je ressens une brûlure nouvelle, qui se calme parfois et devient une sensation de froid. Je me gratte sans arrêt, je me gratte aussi les jambes.

J’attends un futur que je ne connais pas, comme celui de tout le monde, mais avec moins de charme. Mon désir de fuir a été vain ou l’issue que j’ai prise — cette chose qu’il m’arrive — était la seule qui restait.

Traduit par Alba Escalón

Tras la muerte de su madre, la narradora decide hacer un viaje para dejarlo todo atrás. Poco a poco, su cuerpo se va convirtiendo en el escenario de una extraña metamorfosis que le hace perder físicamente su condición humana hasta llegar a un estado cercano al de un reptil. Durante esta transformación, en la que piel se vuelve escamosa y comienza a surgirle una cola desde la columna vertebral, se topa con un hombre con quien comparte una vida interna tan extraña como la suya. En el fragmento que presentamos, significativamente llamado “Muerte”, la narradora relata el fallecimiento de su madre mientras cambia por primera vez de piel, gesto por que el que habrá de entrar en un movimiento del que seguramente no habrá retorno.

He llegado a mi destino, estoy aliviada.

Compro el boleto de tren en la taquilla del aeropuerto. Tomo un café.

Debo haberme quedado dormida al ocupar el asiento del vagón porque no recuerdo cuándo comenzó a moverse. Mi memoria invoca las manos artríticas de una mujer anciana que viajaba sentada frente a mí, eran semejantes a las de mi madre. Ella tenía las manos sobre el vientre cuando murió.

La levanté de la cama; estaba delgada y en la temperatura de su piel se preveía la cercanía de la muerte. Me pidió que la llevara al baño y orinó. El último líquido que salió de su cuerpo se mezcló con el agua clorada del excusado.

En ese chorro mi madre se deshizo de algo delicado y vital. Su orina olía a alcanfor por efecto de las medicinas.

La muerte era inevitable: dolor, entonces. “Mi madre muere; mi madre se sujeta de la loza blanca. Resta que arañe esa superficie lisa y entonces morirá”, le grité a Mercedes, que acomodaba las almohadas en la cama.

Mi madre, en la agonía, dijo que se despegaba del suelo.

Pronunció otras palabras; fueron incoherencias en la tierra de su cerebro, que empezaba a secarse. Se había perdido el agua y morían los peces: mi madre tragaba bocanadas de aire y movía la boca con lentitud. Deseó la exhalación que no podía concretar hacía meses, quería morir respirando.

Cuando su cuerpo quedó vacío —el tono de los músculos disminuyó de pronto— puso las manos sobre el vientre, apretó los labios y, al soltarlos, Mercedes y yo escuchamos un sonido leve: su última expresión fue un gemido.

Miré de reojo a la muerte sucediendo como un trueno: era un relámpago plateado en la nuca de mi madre, de terrible alcance y sonido.

Después de unos minutos había cambiado su piel. Cuando los latidos del corazón cesan, el rostro se deshidrata y se vuelve verdoso.

Mi hermana puso una almohada más bajo su cabeza, la cobijó y repitió tres veces: “ya no irá a ninguna parte”.

En este nuevo lugar sólo existo yo y en mi pasado, los muertos. He conseguido un hostal limpio. Me baño y duermo una siesta. Al despertar, observo con incredulidad el contorno de mi cuerpo a un lado de la cama: es un pellejo fino, con mis huellas digitales y las arrugas grabadas; su tacto es similar al del pegamento que, de niña, me ponía sobre las palmas de las manos. Me miro la piel, me quito la camisa para verme el torso, no entiendo lo que descubren mis ojos: estoy hinchada, mis poros son mayores, o eso parece, y el color de mi piel es distinto. Miro de nueva cuenta el pellejo, lo recojo con las dos manos, lo palpo. En la parte que cubría mi cabeza reconozco las cicatrices de la varicela que tuve en la frente; manoseo el pellejo porque quiero recordarlo con claridad. El pellejo es mi historia. La pieza está completa. Me desprendí de él en movimientos cuidadosos.

Recojo el pellejo y lo llevo al basurero del baño. Lo miro allí, perdido para siempre, siento ganas de llorar porque no hay nadie a quien pueda contarle, me tiemblan las piernas.

Antes de dormir quise ir a la orilla del mar. Tras una hora de estar sentada en la cama viendo televisión, guardo mis cosas en la maleta y me la llevo porque no sé cuánto tardaré en volver.

Estoy desorientada. Creí que la costa estaba hacia el norte, pero llevo dos horas caminando y no sé hacia donde ir. No quiero hablar con nadie. La posibilidad de establecer una conversación me aterra ¿qué podría decir? Temo por mí misma. La tristeza ocupa mi garganta y si hablo, lloraré. Entonces, quien me escuche preguntará qué me ha pasado. Mi pensamiento no obedece, funciona de modo independiente —es como si alguien hablara dentro de mí— y, aunque camino por la calle donde suceden hechos reales, no puedo retenerlos. Me encuentro en un estado de confusión sostenida.

Hace un momento pensé que estaba desnuda, miré mi cuerpo y lo desconocí.

La piel me pica todavía. Miro mis antebrazos: se deshincharon, el tamaño de mis poros disminuyó —o eso creo, pero dentro de los músculos siento un ardor nuevo, a veces se calma y se convierte en una sensación de frío. Me rasco sin detenerme, me rasco también las piernas.

Espero un futuro que desconozco, como el de todos pero con menos gracia. Mi ambición de escapar fue vana o la salida que tomé —esto que me pasa— es la que restaba.

Par Daniela Tarazona

Daniela Tarazona (Mexico, 1975). Elle a suivi des cours de doctorat de littérature à l’Université de Salamanque, Espagne (1999-2001). Depuis 2002, elle collabore dans divers suppléments et revues du Mexique et d’Espagne. Elle a travaillé comme éditrice, rédactrice et gestionnaire culturelle. En 2006, elle a obtenu la bourse des Jeunes Créateurs du Fondo Nacional para la Cultura y las Artes. El animal sobre la piedra (Almadia, 2008) est son premier roman.

Alba Escalón (Mexico, 1980) Traductrice diplômée en traduction littéraire à l’Institut Supérieur des Traducteurs et Interprètes de Bruxelles, elle a traduit en français Los Días de la Selva de Mario Payeras et Síncopes de Alan Mills (publié en édition trilingue au Brésil par la maison d’édition Demonio Negro, 2009). Actuellement, elle vit à Mexico où elle traduit Inquietud teórica y estrategia proyectual en la obra de ocho arquitectos contemporáneos de Rafael Moneo pour les Éditions Parenthèses, Marseille.

Les photographies appartiennent à la série Frontières
de Pia Elizondo.