Saison de chasse pour le Lion Noir

Golo est arrivé dans le sélectif petit monde de l’art mexicain comme surgi du néant. Sa personnalité désordonnée et géniale le conduit à un abîme dans lequel l’art, les drogues et le sexe deviennent son nouveau modus vivendi. Le narrateur, son compagnon gay du moment, deviendra son protecteur et connaîtra la difficulté qu’il y a à partager sa vie avec un être qui échappe à toutes les conventions sociales. La narration évolue à la façon du zapping ou plutôt, comme une série de coups de poings s’abattant sur le visage. Dans les courts chapitres que nous présentons, et devant la confusion de son compagnon le narrateur, Golo sort d’une longue période léthargique d’abstinence picturale et réalise ses créations les plus risquées (et peut-être les seules).


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L’indifférence de Golo a fini par me fatiguer. Souvent j’ai pensé à l’envoyer se faire foutre. Lui reprendre les fringues qu’il m’avait volées et le virer de mon appartement à coups de pied au cul avec toutes ses affaires et ses tableaux, comme je l’avais fait avec le mec d’Oaxaca. Pour lui, la vie c’était jouer à Atari et sniffer de la cocaïne. Et baiser. Mais inutile d’en rajouter. Ses activités se réduisaient à cela. À l’occasion, nous assistions en tant que couple à des fêtes privées ou à des réceptions qu’il m’était impossible de manquer par obligation professionnelle. Lui, mettait toute son énergie à avoir l’air farouche, à faire mauvaise figure devant tout le monde. Ça oui, il ne laissait jamais passer une opportunité de tourner en ridicule n’importe lequel de mes amis. Et moi au passage. Il nous accusait indifféremment d’être petit-bourgeois, snobs avec de la bouse à la place du cerveau. Quand quelqu’un le contredisait, Golo lui aboyait dessus. La seule chose pour laquelle il faisait de réels efforts, la chose en laquelle il mettait toute son âme, avec constance, c’était tout gâcher. Et pour ça, oui, il avait du talent.

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Golo aimait me sucer jusqu’à ce que je jouisse dans sa bouche. Je ne l’ai plus laissé faire depuis la fois où il m’a mordu le gland. Il l’a mordu fort, comme si c’était une saucisse. J’ai eu tellement mal que j’ai cru qu’il m’en avait arraché un bout. Golo a dit que c’était un accident. Enfoiré ! Golo aussi aimait dormir sans oreiller et prendre le café serré et sans sucre. Mais ça je m’en fous.

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Si on me le demande je dirais oui : j’ai aimé Golo, ce fils de pute, de toute mon âme. Mais qu’on ne me demande pas pourquoi.


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Golo se réveilla comme un ressort. Il cria si fort que mon cœur sortit presque de ma poitrine. Je savais qu’il parlait en dormant. Mais il ne faisait jamais de cauchemars. Rien ne pouvait le tirer de son sommeil. Il dormait comme une souche au fond d’un bois. Que l’immeuble brûle ou que la terre se fende en deux, il dormait quand même. Cette fois-ci, il se leva d’un bond, trempé de sueur. J’eus peur qu’il n’eût quelque chose de grave. Je lui demandai s’il voulait qu’on aille voir un médecin. Il ne me répondit pas. Il se calmait en même temps qu’il reprenait son souffle. Comme si j’étais un fantôme, il m’ignora et alla chercher ses huiles qui étaient encore dans les cartons depuis le déménagement. Il était béat comme un derviche. Je ne l’avais jamais vu ainsi. Il entra dans la salle de bain et n’en sortit plus pendant huit heures. On était dimanche. Je m’en souviens parce j’étais à la maison tout le temps. En plus si on me le demande, je déteste le dimanche. Si ça avait été un autre jour et que je n’avais pas été si préoccupé par ce qui arrivait à Golo, je l’aurais déjà sorti par la peau du dos pour me laver avant d’aller travailler. Quand il termina, il poussa un cri à mon attention. J’allai voir ce qui se passait. Golo avait peint sur les parois de la baignoire. Ensuite, d’après ce que l’on pouvait en déduire, l’espace lui avait manqué et il avait continué sur les murs. Il avait fini par les lavabos, le miroir, l’armoire à pharmacie et les toilettes. « On a un problème, il n’y a plus de peinture », bredouilla Golo en se grattant la tête devant mon visage effaré quand je mis les pieds dans la salle de bain. « Un problème ? », ajoutai-je avec une fausse ingénuité qui prétendait masquer ma stupeur. « Le seul problème c’est qu’on ne pourra plus jamais pisser ni chier dans cette salle de bain. », conclus-je.

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À partir de ce jour-là Golo ne s’arrêtait pas de peindre un seul instant. Son visage devint sévère comme celui d’un psychopathe. Il était tout le temps en transe. Il peignait avec véhémence comme si sa vie était en jeu. Contrairement à ce qui marquait son habitude, maintenant il ne dormait plus. S’il le faisait, c’était l’après-midi. La tranquillité nocturne le rendait plus productif pour avancer dans ses tableaux. Il ignorait même Martinez quand il venait le chercher. Avant, Golo adorait Martinez, ce gros chat. Il courait au magasin pour lui acheter des chips Doritos, sa nourriture préférée. Mais maintenant, même plus. Ni de Martinez, ni d’Atari. Il ne faisait plus que peindre.


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En une semaine Golo vint au bout de la commande pour sa première exposition individuelle.

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Golo se remit à parler tout seul. Je fis semblant de dormir pendant qu’il dormait et aboyait comme avant. Mais il était évident qu’il le faisait pour attirer mon attention. À la fin je compris son jeu. Certains jours il prétendait monologuer en français ; d’autres, en allemand. Il bredouillait des choses sans cohérence. Mais il le faisait avec solennité, ça oui. Pauvre Golo. J’ai dû lui avoir dit que ma mère avait grandit à Toulouse et que mon père était né à Munich.

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Le délai expira et Golo voulu aller se reposer sur son banc dans le parc. C’était la première fois qu’il voyait le soleil depuis des semaines. Le travail fut achevé selon toutes les clauses du contrat. Je profitai de sa sortie pour appeler Orlando et le faire venir à l’appartement le plus tôt possible. Je le conduisis dans la salle de bain que Golo avait peinte. Ensuite jusqu’au studio où Golo travaillait. Orlando ne réussit pas à dissimuler sa fascination devant la qualité des œuvres. Elles étaient à des milles lieues de ce qu’il pensait recevoir en échange de son argent. « Fais pas chier. Ce connard est un génie. C’est notre Basquiat. Notre Basquiat, qu’est-ce-que je dis… Notre Pollock, putain ! D’où tu l’as sorti ? S’il te baise aussi bien qu’il peint maintenant je comprends pourquoi il vit à tes crochets ».

Traduit par Laure Labat

Golo ha llegado al selectivo mundillo del arte mexicano como surgido de la nada. Su personalidad desordenada y genial lo lleva a un abismo en el que el arte, las drogas y el sexo se convertirán en su modis vivendi. El narrador, su pareja gay en turno, se convertirá en su protector y sufrirá los embates de compartir su vida con un ser que escapa a todas las convenciones sociales. La narración evoluciona a manera del zapping televisivo o, mejor dicho, como una serie de puñetazos en la cara. En los capítulos cortos que presentamos, Golo sale de un largo letargo de abstinencia pictórica y realiza sus creaciones más arriesgadas (y tal vez las únicas), para confusión del narrador principal.


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La indeferencia de Golo terminó por hartarme. Muchas veces pensé en mandarlo a la chingada. Quitarle la ropa que me había robado y sacarlo de mi departamento a patadas con todo y sus lienzos, como hice con el oaxaqueño. Si él no tenía intenciones de ganarse mi respeto, yo tampoco las tendría. Para él todo era jugar Atari e inhalar cocaína. Y coger. Pero eso último está dicho de sobra. A eso se reducían sus actividades. Ocasionalmente asistíamos como pareja a fiestas privadas o a recepciones a las que me era imposible faltar por cuestiones de trabajo. Él apostaba todo su tesón en fingirse huraño, en hacerle mala cara a todo mundo. Pero eso sí, nunca dejaba pasar la oportunidad de poner en ridículo a cualquiera de mis amigos. Y de paso a mí. Nos acusaba indistintamente de ser unos pequeño-burgueses, unos snobs con un mojón de mierda por cerebro. Cuando alguien lo rebatía, Golo ladraba en su cara. En lo único que se esforzaba de veras, la única cosa para la que ponía toda su alma, sin variedad, era en echarlo todo a perder. Para eso sí que tenía talento.

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A Golo le gustaba chuparla hasta que me viniera en su boca. No volví a dejar que lo hiciera desde la vez que me mordió el glande. Lo mordió fuerte, como si fuera una salchicha. Por tanto dolor pensé que me había arrancado un pedazo. Golo dijo que fue un accidente. ¡Cabrón! A Golo también le gustaba dormir sin almohada y el café cargado sin azúcar. Pero eso no me importa.

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Si me lo preguntan, diré que sí. Quise a Golo, ese hijo de la chingada, con toda mi alma. Pero no me pregunten por qué.


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Golo despertó como una catapulta. Pegó un grito tan fuerte que casi se me sale el corazón por la boca. Sabía que conversaba consigo mismo entre sueños. Pero nunca tenía pesadillas. Nada conseguía despertarlo. Dormía como una piedra en el fondo de un estanque. Dormía lo mismo si el edificio se incendiaba que si la tierra se partía en dos. Esa vez se levantó de un salto, bañado en sudor. Me temí que fuera algo grave. Le pregunté si quería que fuéramos a un médico. No me respondió. Se iba tranquilizando conforme recuperaba el aliento. Como si yo fuera un fantasma me pasó de largo y corrió por sus óleos, que permanecían en cajas de cartón desde la mudanza. Estaba arrobado como un derviche. Nunca lo había visto así. Se metió al baño y no salió en ocho horas. Era domingo. Me acuerdo porque estuve en casa todo el tiempo. Además, si me lo preguntan, yo aborrezco los domingos. De haber sido otro el día y de no haber estado tan preocupado por lo que le sucedía a Golo, ya lo habría sacado por los pelos para bañarme antes de ir al trabajo. Cuando terminó, me echó un grito. Fui a ver qué ocurría. Golo había pintado sobre el biombo de la bañera. Luego, por lo que se deducía, el espacio no le alcanzó y siguió con las paredes. Terminó con el lavamanos, el espejo, el botiquín y el escusado. “Tenemos un problema, se acabó la pintura”, farfulló Golo rascándose la cabeza frente a mi cara de estupefacción cuando puse el primer pie en el baño. “¿Un problema?”, añadí con una falsa ingenuidad que pretendía velar mi asombro. “El único problema es que no vamos a poder orinar ni cagar nunca más en este baño”, concluí.

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De ahí en delante Golo no paraba de pintar un solo día. Su rostro se volvió severo, como el de un sicópata. Estaba en trance a todas horas. Pintaba con vehemencia, como si se jugara la vida. Al contrario de lo que marcaban sus hábitos, ahora no dormía. Si lo hacía, era por las tardes. La quietud de la noche le rendía para avanzar en sus cuadros. Incluso ignoraba a Martínez cuando venía a buscarlo. Antes Golo adoraba a Martínez, ese gato gordo. Corría a la tienda a comprarle doritos nachos, su comida favorita. Pero ahora ni eso. Ni Martínez, ni Atari. Sólo pintaba.


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En una semana Golo completó el encargo para su primera exposición individual.

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Golo volvió a hablar solo. Fingí dormir mientras él hablaba y ladraba como antes. Pero era obvio que lo hacía para llamar mi atención. Por fin entendí el juego. Algunos días pretendía monologar en francés. Otros tantos en alemán. Farfullaba sin sentido. Pero lo hacía con solemnidad, eso sí. Pobre Golo. Debí haberle dicho que mi madre se crió en Toulouse y que mi padre nació en Munich.

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Se cumplió el plazo y Golo quiso ir a descansar a su banca del parque. Era la primera vez que le daba el sol en semanas. El trabajo quedó terminado según todas las estipulaciones del contrato. Aproveché su salida para llamar a Orlando y hacerlo venir al departamento lo antes posible. Lo conduje al baño que Golo había pintado. Enseguida hasta el estudio donde Golo trabajaba. Orlando no alcanzó a disimular su fascinación ante a la calidad de las obras. Eran millas por encima de lo que esperaba recibir a cambio de su dinero. “No mames. Este cabrón es un genio. Es nuestro Basquiat. Qué digo nuestro Basquiat... ¡Nuestro Pollock, chingao! ¿De dónde lo sacaste? Si te coge tan bien como pinta ahora entiendo por qué lo tienes arrimado en tu casa.”

Par Tryno Maldonado

Tryno Maldonado (Zacatecas, 1977). Romancier, auteur de nouvelles et éditeur à la maison d’édition Almadía. Finaliste du Prix Herralde de roman avec Temporada de caza para el león negro [Saison de chasse pour le lion noir], il aussi publié le roman Viena roja (Vienne Rouge) et le livre des nouvelles Temas y variaciones. Il a coordonné et édité l’anthologie Grandes hits, vol. 1. Nueva generación de narradores mexicanos (2008). En 2006 la revue colombienne Gatopardo l’a nommé un des meilleurs jeunes écrivains latino-américains.
On peut avoir accès à son site personnel à l’adresse suivante :
http://www.atari2600.blogspot.com

Laure Labat (Bordeaux, 1980) a étudié la littérature hispano-américaines et termine un master « métier du livre et de la traduction » à l’université Michel de Montaigne à Bordeaux. Elle traduit dans le cadre de son mémoire un roman de l’argentine Ana María Shua, El peso de la tentación, et La noche de Balam Mills du poète guatémaltèque Alan Mills. Elle participe également au blog des étudiants de traduction de Bordeaux 3 : http://tradabordo.blogspot.com/.

Les photographies appartiennent à la série Frontières
de Pia Elizondo.