Vivre sans drogues (1). Ange du matin

J’étais à la salle de bain, en train de me couper les ongles des pieds, quand on sonna à la porte. Adela sortit de la chambre et me fit signe de ne pas ouvrir. Je ne l’écoutai pas. Je descendis les marches. En arrivant à la dernière, mon regard s’arrêta sur mes deux gros orteils, noirs de poussière. En levant la jambe droite, je remarquai le trait foncé qui longeait la doublure de mon pyjama.
— À tous les coups c’est la señito qu’on m’a recommandée pour le ménage — dis-je à voix haute, plus pour moi que pour Adela.
En traversant le séjour, je jetai un coup d’œil sur l’horloge accroché au mur : huit heures et demie. Il me restait une heure pour arriver au laboratoire. Quand je tirai le deuxième verrou, j’entendis la voix de Rodrigo de l’autre côté de la porte.
— Magne-toi, secos.
Le métal froid de la poignée tourna entre mes doigts. En me retournant vers l’intérieur de la maison, je dis :
— C’est Rodrigo.
— Ben voyons — répondit-il, encore dehors.
Quand il fut devant moi, je vis que lui aussi tenait la poignée, comme s’il m’aidait à déplacer la porte. Il rentra et sans me regarder, s’installa sur le canapé. Il étala les bras le long du dossier.

— Avec qui tu parlais ?
—...Tout seul.
Il portait l’uniforme de Teléfonos de Mexico et des bottes noires à semelle de caoutchouc. De sa ceinture pendaient des objets noirs et chromés. Avec la main droite il froissait et défroissait une poignée de petits papiers. Avec la main gauche, alternativement, il arrangeait sa touffe de cheveux raides et lissait sa petite moustache de général en pleine révolte. Me rappelant mon aspect ridicule en pyjama, je baissai le regard. Par terre, je rencontrai de nouveau une paire de gros orteils crasseux.
— Ils t’ont envoyé dans le coin ?
— Oui. Ils m’ont donné six lignes à réparer et une réinstallation. J’ai déjà fait la première. Je crois qu’aujourd’hui, je vais finir vite.
Sans cesser de lisser sa moustache, il dirigea son regard vers l’escalier. Il y eut un silence. Je me rendis compte que c’était à moi d’entamer la conversation. Mais rien ne me venait à l’esprit.
— Comment va Adela ?
— Bien. Elle est partie tôt. Elle a dit qu’elle devait aller chez des instits pour encaisser de l’argent d’Avon. Toi, tu lui en dois, non ?
— Ouais. Pour des déodorants.
— Et elle n’est pas venue ?
— Non, tu penses — dis-je en m’essuyant les mains moites sur le pantalon du pyjama. Si tôt ?... Non, pas maintenant. Peut-être dans l’après-midi.
— Peut-être. C’est fou comme elle devient lève-tôt celle-là. Il regarda de nouveau en direction de l’escalier. — Elle qui avait tant la flemme de se lever.
Puis il se concentra sur la poussière accumulée sur ses bottes.
— C’est sûr qu’elle viendra te voir aujourd’hui, parce que... Bon, je ne sais pas si elle t’en a parlé : on va faire un barbecue et on veut que tu nous prêtes ton gril.
Je lui tournai le dos et marchai vers la cuisine.
— Ah, d’accord... Non, elle ne m’a rien dit.
Je branchai la cafetière. Puis j’étudiai mon visage sur la vitre de l’armoire. On aurait dit mon reflet de tous les jours, mais je ne pouvais pas en être sûr parce que, comme ils disent, on ne se connaît pas bien soi-même. En plus la vitre était pleine de poussière et de crasse.

Je m’appuyai contre l’encadrement de la porte de la cuisine et regardai en direction du canapé. Rodrigo analysait attentivement le bout de ses bottes.
— Tu veux un café ? Moi je vais bientôt partir au travail.
Avant de me répondre, il sortit de sa poche un bout de chiffon et nettoya ses deux bottes. Comme si je l’imitais, je retournai à la cuisine et frottai la petite vitre de l’armoire ? avec la manche de mon pyjama.
— Non, secos, t’embête pas. Je suis juste venu faire un tour aux chiottes.
Je me retournai, surpris et paniqué. Je pus voir comment Rodrigo remettait le chiffon dans sa poche en virevoltant doucement le poignet.
— Ah merde...
— Quoi ? ... T’es occupé ?
Il le dit avec l’expression et le ton de voix de celui qui a vraiment peur d’importuner. Il ne me regardait toujours pas dans les yeux.
— Non, non. Pas du tout. C’est juste que j’étais en train de me couper les ongles, et j’en ai laissé plein par terre. Laisse-moi le temps d’aller nettoyer.
— Pour quoi faire ? — répondit-il, se dirigeant vers l’escalier. J’y vais juste pour chier. Moi aussi faut que je retourne au boulot.
Je préférai rester au rez-de-chaussée.
Amortis par les semelles en caoutchouc, j’entendis ses pas sur les marches. Je perçus le moment où il ouvrait la porte de la chambre puis celle du placard. Ce n’est qu’après cette inspection qu’il entra dans les toilettes. Pendant quelques minutes, les seuls bruits de la maison furent ses raclements de gorge sporadiques, quelques pets, et le tintement de sa ceinture qui frôlait le carrelage. Enfin, le glougloutement de la chasse d’eau.
Le bruit sourd des bottes se rapprocha en descendant les marches. Rodrigo alla jusqu’au canapé. Il ramassa, en se penchant, ses petits papiers. Pour la première fois depuis tout ce temps, il me fixa avec un regard que je ne lui connaissais pas. Un regard sec.
— Alors ? demanda-t-il, se tournant vers la porte.
— Alors quoi ?
— Le gril, secos. Tu vas nous le prêter ?
— Ah, oui. Là, il est rangé quelque part, je ne sais même pas où il est. Mais demain à midi, je te l’apporte.
— Ou sinon je peux passer demain matin très tôt. Je peux prendre un moment avant de commencer le boulot.
Une fois de plus, il fixa les yeux sur moi, avec cette espèce de lueur vague. Je fis demi-tour et face à l’horloge je dis :
— Neuf heures moins dix.
— Hou, il se fait tard — il s’approcha et me tapota l’épaule. Ok ça roule, on se tient au courant.
Je pensais l’accompagner jusqu’à la porte, mais je ne réussis qu’à contempler de nouveau les aiguilles de la montre. J’entendis le clic de la serrure. Je ne sais pas combien de temps je restai là, à réfléchir à la façon si... élégante. Oui, la façon si élégante qu’avait Rodrigo de se nettoyer les bottes. Comme si le bleu de travail de Teléfonos de Mexico et l’envie de chier n’étaient rien comparés à cette fraîcheur, à cette virtuosité au moment de décrire une virevolte du poignet, et ce petit chiffon si solennel bien qu’il croupisse sous la crasse.

Adela descendit, et se planta devant moi avec le maquillage défait et les cheveux emmêlés, pleins de toiles d’araignées. Elle se frottait une petite égratignure dont le sang sillonnait sa joue. Elle me dit que j’étais un enculé, que j’avais ouvert la porte exprès pour l’humilier, qu’elle ne voulait plus jamais me revoir. Je voulus lui demander où elle s’était cachée mais elle ne me laissa pas le temps : en claquant la porte, elle partit derrière son mari.

Traduit par Alba Escalón

Estaba en el baño, cortándome las uñas de los pies, cuando sonó el timbre. Adela salió de la recámara y me pidió a señas que no abriera. No le hice caso. Bajé los escalones. Al llegar al último detuve la vista en mis dedos gordos ennegrecidos por el polvo. Alzando el pie derecho, pude apreciar la raya oscura que marcaba el dobladillo de mi piyama.

–De seguro es la señito que me recomendaron para el aseo –dije en voz alta, aunque más bien para mí que para Adela.
Al cruzar la sala, eché un vistazo al reloj de pared: las ocho y media. Me quedaba una hora para llegar al laboratorio. Cuando corría el segundo cerrojo, escuché la voz de Rodrigo al otro lado de la puerta.

–Órale, flaco.
El metal frío de la perilla giró entre mis dedos. Me volví hacia el interior de la casa y dije:

–Es Rodrigo.
–Pues claro –respondió él, todavía afuera.
Cuando lo tuve frente a mí noté que también sostenía la perilla, como si me ayudara a desplazar la puerta. Entró a la casa y, sin mirarme, se instaló en el sofá. Echó los brazos a lo largo del respaldo.

–¿Con quién hablabas?
–... Solo.
Traía puesto el uniforme de Telmex y unas botas negras con suela de goma. De su cinturón pendían objetos negros y cromados. Con la mano derecha, arrugaba y desarrugaba un montoncito de papeletas. Con la izquierda, alternativamente, se acomodaba el copete lacio o se atusaba su bigotito de general alzado en armas. Recordé mi ridículo aspecto en piyama y bajé la vista. En el piso me topé nuevamente con un par de dedos gordos mugrosos.

–¿Te tocó este rumbo?
–Sí. Me dieron seis líneas de reparación y una reinstalación. Ya me eché la primera. Se me hace que hoy acabo pronto.
Sin dejar de atusarse el bigote, miró hacia las escaleras. Se hizo un silencio. Me di cuenta que era yo quien debía iniciar la plática. Pero no se me ocurría nada.

–¿Cómo está Adela?
–Bien. Salió temprano. Dijo que iba a donde unas maestras, a cobrar lo del Avon. Tú le debes, ¿no?
–Ajá. Unos desodorantes.
–¿Y no ha venido?
–No, cómo crees –dije, secándome el sudor de las manos en el pantalón de la piyama–. ¿Tan temprano?... No, ahorita no. A lo mejor en la tarde.
–A lo mejor. Pero ya ves cómo se me está volviendo madrugadora la vieja –miró de nuevo hacia las escaleras–. Con lo huevona que era para levantarse.
Luego se concentró en el polvo acumulado en sus botas.
–Seguro que te busca hoy porque... Bueno, no sé si te comentó: vamos a hacer una carne asada y queremos que nos prestes tu parrilla.

Le di la espalda y caminé hacia la cocina.
–Ah, órale... No me dijo nada.
Enchufé la cafetera. Luego estudié mi rostro en el cristal del trastero. Parecía mi misma imagen de todos los días, pero no podría asegurarlo porque, como luego dicen, uno nunca llega a conocerse lo suficiente. Además el cristal estaba lleno de polvo y cochambre.

Me recargué en el umbral de la cocina y miré hacia el sofá. Rodrigo estudiaba detenidamente la punta de sus botas.

–¿Quieres un café? Yo ya casi me estoy yendo al trabajo.
Antes de responderme sacó del bolsillo un trozo de franela y se limpió ambos empeines. Como si lo imitara, regresé a la cocina y pasé la manga de mi piyama por el cristalito del trastero.

–No, flaco. Ni te molestes. Nomás vine a usar tu baño.
Me volví, entre sorprendido y nervioso. Alcancé a ver cómo, con un suave giro de muñeca, Rodrigo devolvía el trozo de franela al bolsillo.
–Híjole...
–¿Qué?... ¿Estás ocupado?
Lo dijo con la expresión y el tono de voz de quien deveras teme ser inoportuno. Seguía sin mirarme a los ojos.
–No, no. Cómo crees. Nomás que estaba cortándome las uñas y dejé un montón de costras regadas por el piso. Dame chance de limpiar.
–¿Para qué? –replicó, encaminándose a las escaleras–. Si nomás voy a cagar. Yo también tengo que volver a la chamba.
Preferí quedarme en la planta baja.
Amortiguados por las suelas de goma, escuché sus pasos sobre los escalones. Percibí cómo abría la puerta de la recámara y luego la del clóset. Sólo después de esta inspección se metió al baño. Durante unos minutos, los únicos ruidos de la casa fueron sus espaciados carraspeos, algunos pedos y el tintineo del cinturón al rozar el piso de mosaico. Por último el agua del inodoro corrió gorgoteando.

El rumor sordo de las botas se aproximó escaleras abajo. Rodrigo fue hasta el sofá. Encorvándose, recogió sus arrugadas papeletas. Por primera vez en todo aquel rato, clavó su vista en mí con una mirada que yo no le conocía. Una mirada seca.
–¿Entonces, qué? –preguntó, volviendo el rostro hacia la puerta.
–¿De qué cosa?
–La parrilla, flaco. ¿Nos la vas a prestar?
–Ah. Sí. Ahorita la tengo arrumbada, no sé ni dónde está. Pero mañana a mediodía paso a dejártela.
–O igual y yo me doy una vuelta tempranito. Me tomo un rato al empezar la chamba.

Otra vez su mirada se clavó en mí con esa especie de resolana baldía.
Di media vuelta y, de cara al reloj, dije:
–Diez para las nueve.
–Sí. Ya se te está haciendo tarde –se acercó y me palmeó el hombro–. Sale pues: ahí quedamos pendientes.
Pensé acompañarlo a la puerta, pero sólo atiné a seguir contemplando las manecillas. Escuché el clic de la cerradura. No sé cuánto tiempo estuve así, pensando en el modo tan... elegante. Sí: el modo tan elegante que tenía Rodrigo de limpiarse las botas. Como si el overol de Telmex y las ganas de cagar no fueran nada en comparación con esa pulcritud, la maestría para trazar el giro de la muñeca, el trapito de franela tan ceremonioso aunque estuviera pudriéndose de mugre.

Adela bajó y se plantó frente a mí con el maquillaje deshecho y el cabello enredado, lleno de telarañas. Se acariciaba un rasguñito sangrante que le surcaba la mejilla. Me dijo que era un ojete, que había abierto la puerta adrede para humillarla, que no quería verme nunca más. Quise preguntarle dónde se había escondido, pero no me dio oportunidad: dando un portazo, salió detrás de su marido.

Par Julián Herbert

Julián Herbert (Acapulco, 1971) Romancier, poète et essayiste résidant à Coahuila. Il a reçu le Prix National de Littérature Gilberto Owen, le Prix de la Nouvelle Juan José Arreola ainsi que le Prix de la Nouvelle Agustin Yañez. Membre du Système National de Créateurs d’Art, il a également été chanteur et compositeur dans deux groupes de rock : Madrastras) et Los Tigres de Borges. Il a publié les recueils de poèmes El nombre de la casa (1999), La resistencia (2003) et Kubla Khan (2005), le roman intitulé Un mundo infiel (2004), le recueil de nouvelles Cocaína (Manual de usuario) (2006) et une série d’essais compilés dans Corazón de boina verde (2007). Actuellement, il fait des expériences en vidéopoésie et réalise des installations typographiques. Il est coordinateur du collectif d’art interdisciplinaire « Taller de la Caballeriza ». Cocaína (Manual de usuario) a été publié originèlement en 2006 par les éditions Almuzara. Une édition de poche vient d’être publiée ce mois de mars 2009 par Mondadori dans la collection Debolsillo (112 p.).

Alba Escalón (Mexico, 1980) Traductrice diplômée en traduction littéraire à l’Institut Supérieur des Traducteurs et Interprètes de Bruxelles, elle a traduit en français Los Días de la Selva de Mario Payeras et Síncopes de Alan Mills (publié en édition trilingue au Brésil par la maison d’édition Demonio Negro, 2009). Actuellement, elle vit à Mexico où elle traduit Inquietud teórica y estrategia proyectual en la obra de ocho arquitectos contemporáneos de Rafael Moneo pour les Éditions Parenthèses, Marseille.

Les photographies appartiennent à la série Frontières
de Pia Elizondo.