Cabaret provenza

VACHES SACRÉES

Cercles concentriques : en jetant

une pierre dans l’eau on perd une pierre

mais on obtient un mandala.

***

Sumi-e

Une pierre sur une autre pierre : c’est ainsi que

la montagne

débute.

Une montagne :

immense masse de silence. Une pierre,

masse minuscule de silence. Immense et minuscule :

un bonsaï.

Un moine dans les yeux bridés d’un autre moine :

Bouddhistes !

Une montagne

ou deux ou trois ou quatre qui commencent à faire une chaîne.

***

Soutra de la vache

À Eduardo Milán

Une vache :

blanche et noire. Qui rumine l’herbe : verte.

Et au-dessus le ciel

et dans le ciel

une nuée couleur nuée et derrière la nuée

à nouveau le ciel : bleu céleste, la couleur

du divin Vishnu qui offre un lotus.

Bleue : la peau du divin Vishnu.

Céleste : l’action d’offrir un lotus.

Un autre lotus : blanc

qui cesse d’être blanc : blanche

nuée dissipée : méditation.

Et la vache

la très sacrée qui rumine des lotus :

yoga, déyoga, reyoga.

***

Mandala

Des pierres plongées en elles-mêmes comme des pierres:

voilà ce que disent ceux qui disent

les avoir vues. Et ceux qui ont vu

Jésus marcher sur l’eau disent que Jésus

marcha sur l’eau. Mais

qu’est-ce qu’elles sont pointues, les pierres, en se noyant.

Mandala.

***

THE MOON AIN’T NOTHING BUT A BROKEN DISH

3

Une rangée de maisons comme un train disloqué,

quelques hommes qui boivent de la bière.

Quatre heures de l’après-midi et tu n’as vendu aucune bible :

dans ces cas-là

il est permis de voler aux jeunes filles leurs oranges.

Si Jack Mendoza avait un pistolet,

bang-bang-bang, il braquerait une banque.

***

5

Toc-toc : chaque porte à laquelle tu frappes,

Jack Mendoza, vendeur de bibles,

t’es claquée au nez.

Et ton nez est de plus en plus camus.

Et devant toi s’étend

l’obscur serpent de la route.

Derrière les persiennes

les très vaches patientent pour te voir partir.

Mais tu restes là comme ailleurs.

Mais tu restes là

en train de fixer un point.

Un point qui n’est déjà plus un point : raye

l’air, la trajectoire d’une mouche.

Traduit par Iván Salinas

VACAS SAGRADAS

Círculos concéntricos: arrojando

una piedra al agua se pierde una piedra

pero se obtiene un mandala.

***

Sumi-e

Una piedra sobre otra piedra:

así comienza

una montaña.

Una montaña:

inmenso bulto de silencio. Una piedra:

pequeño bulto de silencio. Inmenso y pequeño:

un bonsái.

Un monje en los ojos rasgados de otro monje:

¡budistas!

Una montaña

o dos o tres o cuatro que ya van siendo cordillera.

***

Sutra de la vaca

Para Eduardo Milán

Una vaca:

blanca y negra. Rumiando pasto: verde.

Y encima el cielo

y en el cielo

una nube color de nube y tras la nube

otra vez el cielo: azul celeste, el color

del divino Vishnú obsequiando un loto.

Azul: la piel del divino Vishnú.

Celeste: la acción de obsequiar un loto.

Otro loto: blanco

dejando de ser blanco: blanca

nube disipada: meditación.

Y la vaca

rumiando lotos la muy sagrada:

yoga, desyoga, reyoga.

***

Mandala

Piedras ensimismadas como piedras:

eso dicen los que dicen

haberlas visto. Y los que vieron

a Jesús caminar sobre el agua dicen que Jesús

caminó sobre el agua. Pero

qué certeras son las piedras al hundirse.

Mandala

***

THE MOON AIN’T NOTHING BUT A BROKEN DISH

3

Una fila de casas como un tren descompuesto,

algunos hombres bebiendo cerveza.

Las cuatro de la tarde y no has vendido una biblia:

en casos así

es válido robarles a las niñas sus naranjas.

Si Jack Mendoza tuviera una pistola,

bang-bang-bang, asaltaría un banco.

***

5

Toc-toc: cada puerta que tocas,

Jack Mendoza, vendedor de biblias,

es un portazo.

Y tu nariz cada vez más chata.

Y ante ti se desenrolla

la serpiente oscura de la carretera.

Tras las persianas

las muy vacas esperan verte partir.

Pero te quedas como ido.

Pero te quedas

mi

Par Luis Felipe Fabre

Luis Felipe Fabre (México, 1974). Poète et critique littéraire. Docteur en Lettres hispanoaméricaines de l’Université Iberoamericana, au Mexique, et de celle de Salamanca, en Espagne. Il a obtenu en 1995 le prix de poésie de la revue Punto de Partida, puis en 2004 et 2007 la bourse annuelle de poésie du Fond National pour la Culture et les Arts (Fondo Nacional para la Cultura y las Artes) en tant que "Jeune créateur". Il est l’auteur de l’anthologie Divino Tesoro. Muestra de nueva poesía mexicana [Trésor divin. Antologie de la poésie mexicaine nouvelle] (Libros de la Meseta, 2008). En 2008 Achiote Press a mis en circulation The moon ain´t nothing but a broken dish, une selection de ses poèmes traduits en anglais. Il a publié deux livres de poèmes : Leyendo agujeros. Ensayos sobre (des)escritura, antiescritura y no escritura [Lectures des trous. Essais sur (des)écriture, antiécriture et écriture] (Fondo Editorial Tierra Adentro, 2005) et Cabaret Provenza (Fondo de Cultura Económica, 2007), recueil d’où sont tirés les poèmes ici traduits.

Ivan Salinas réalise actuellement un doctorat en littérature comparée à la Sorbonne nouvelle - Paris 3, où il collabore à la revue Trans— de Littérature Générale et Comparée. Il a été photographe (Harmonies primaires) et éditeur (Punto de Partida N° 147). Dans le domaine de la traduction, il a traduit de nombreux poètes et narrateurs francophones, notamment Henri Michaux, Antoine Volodine et Jean-Philippe Toussaint ; actuellement, il prépare l’anthologie El sendero frugal, qui paraîtra cette année dans la collection Hotel Ambosmuntos, de l’auteur Jacques Dupin, de qui la revue Letras libres vient de publier un essai.
Il est aussi l’un des coordinateurs de l’atelier d’écriture en espagnol du « Taller de París » qui a lieu à l’Institut Cervantes.

Traduit avec la collaboration de Jeremy Kaczka.

Les photographies appartiennent à la série Frontières
de Pia Elizondo.