L’Affaire Berciani

Entre le terminus de la ligne et la déchetterie, deux possibilités : ou bien on prend l’avenue Pianetti ou bien on prend le périphérique. Deux possibilités – pas une de plus. Pendant des années, les automobilistes ont cherché une façon de relier ces deux points ; toujours en vain. Tous les raccourcis, parmi les milliers qu’on essaya, finissaient sur Pianetti ou sur le périphérique, tous sans faute. Par exemple, celui de l’urbaniste Berciani – une affaire retentissante, dix jours à faire les gros titres des journaux, toute l’opinion publique tenue en haleine – qui se proposa d’en finir (lui, en personne, à qui la ville devait une grande partie, si ce n’est la totalité, de ses améliorations) avec l’impasse Pianetti ou périphérique. Il partit un beau matin au volant de sa propre voiture. Tout le quartier, d’ordinaire peu enclin à se lever tôt, était descendu dans la rue pour le soutenir de son entrain bruyant. Des visages sales, des yeux pleins de chassie, des voisins en chaussons et robe de chambre lui adressaient des sourires derrière la vitre de ses portières, en lui proposant des cartes et des provisions pour le voyage, des numéros de téléphone à contacter en cas d’urgence. L’urbaniste refusa poliment toutes ces offres. Interrogé par la presse que son départ avait elle aussi attirée en masse, il déclara que personne ne connaissait la ville mieux que lui, que son cerveau était la meilleure de toutes les cartes, et qu’il n’y avait pas de provisions plus nourrissantes que son propre désir de trancher une bonne fois pour toutes la question. Pour le reste, dit-il, tout se résoudrait si vite qu’il comptait bien être de retour pour le déjeuner que, comme tous les jours, sa femme Telma lui préparait. Telma, assise sur le siège du passager, l’observait avec une certaine inquiétude. Les journalistes lui tombèrent dessus comme un seul homme. Mais Telma embrassa Berciani sur la joue, descendit de la voiture en soulevant le bas de sa chemise de nuit, ferma délicatement la portière et rentra chez elle sans faire la moindre déclaration, fière quoique légèrement sur la défensive devant la nuée de journalistes et de photographes. Berciani, depuis sa voiture, la vit disparaître derrière la porte du garage puis se mit en route en faisant le V de la victoire.

Grâce à son influence, Berciani avait obtenu du maire une ordonnance exceptionnelle, les médias ne pourraient donc pas l’escorter dans son aventure. Berciani, en échange, s’était engagé à les tenir informés au fur et à mesure depuis le téléphone qu’il avait accepté d’installer dans sa voiture, seule condition que lui avait imposée le maire - en partie pour sa propre sécurité, en partie pour satisfaire l’appétit vorace de l’opinion publique.

Jusqu’au ruisseau Carmelo tout allait bien, pour le mieux. Évidemment, jusqu’à cet endroit Berciani n’avait pas introduit le moindre changement. Tout droit sur le boulevard Cachola, à gauche par la rue Bascobonik, traversée du pont Dengue puis, toujours tout droit, à toute vitesse sur Fulani, direction sud. L’itinéraire de l’urbaniste, que sa voix énonçait méticuleusement pour les téléscripteurs et les équipes mobiles, reproduisait, grosso modo, l’une des nombreuses variantes que l’ingéniosité des automobilistes avait un jour tentée - néanmoins modifiée, il est vrai. La nouvelle de la traversée du pont Dengue fut plus étonnante que celle, selon la tradition, de la traversée du tunnel Acconcia (par Cayetano Acconcia, grand homme d’Etat). Mais que ce soit dans les airs ou sous terre, cela ne changeait pas grand-chose. Par ailleurs tous savaient, puisque la presse l’avait fait savoir, non pas en cette occasion mais bien auparavant, lors de la fermeture définitive du passage souterrain Colacciopo – à laquelle Berciani avait lui-même procédé, en sa qualité de chef de l’initiative, ainsi que ses escadrons en leur qualité de maîtres de l’exécution de la tâche- tous se souvenaient parfaitement de la prédilection affichée de l’urbaniste pour les ponts, tous avaient en mémoire son aversion pour les tunnels.

Il en était arrivé à déclarer la guerre à tous les tunnels de la ville. Il avait pu en finir avec le Colaccioppo, pas avec l’Acconcia, pas encore – mais Berciani ne perdait pas espoir. Pour le moment, et tandis qu’il continuait à recueillir des oppositions au passage souterrain qui lui résistait, il décida de traverser le pont Dengue, qui, à ses yeux, était un magnifique pont. Aussi, à part ces menus détails, rien de nouveau dans son itinéraire. Tant bien que mal, l’urbaniste avançait parallèlement à l’avenue Pianetti et perpendiculairement au périphérique. Et cela jusqu’au ruisseau Carmelo. À partir de là, soudain, les signaux émis par Berciani –jusqu’alors réguliers et enjoués, et même ponctués de petits rires d’une ignorance furtive - devinrent confus, commencèrent à s’espacer, se firent plus difficiles à comprendre. Et non seulement ceux qu’il adressait aux journalistes, chose que son penchant naturel aurait pu facilement expliquer, puisqu’il prenait un certain plaisir à les désarçonner à l’aide de toutes sortes de subterfuges et de fausses alarmes, mais aussi, et ce fut là le premier véritable signal d’alarme, ceux qu’à partir de ce moment sa femme Telma commença à recevoir. Depuis le moment où ils s’étaient dit au revoir, une ligne privée avait maintenu en contact les deux conjoints. Ainsi, tandis que Berciani fournissait à travers la ligne officielle les coordonnées de ses positions successives, sur une seconde ligne, interdite aux antennes de la presse, il entretenait sa femme de menues affaires domestiques, il lui rappelait, pour la distraire de son inquiétude, ses obligations de la journée, et il jouait avec elle à distance aux devinettes, notamment à une version personnelle du veo-veo [1] . Lorsque pour la première fois, la voix de Berciani lui sembla lointaine, Telma avait déjà perdu douze parties. Cela n’était pas étonnant puisque Berciani connaissait par cœur tous les objets de sa chambre, d’où Telma lui parlait, tandis qu’elle, peu habituée à sortir, ignorait absolument tout des paysages que son mari parcourait alors. Le calme fut rompu, il y eut de l’effervescence lorsque Telma sortit de chez elle comme hébétée, son téléphone sans fil à la main. Il se passait quelque chose – c’était évident.

La nervosité de Telma n’avait rien de nouveau, mais les yeux exorbités avec lesquels elle avança vers les caméras, et surtout ses convulsions, comme celles d’une épileptique – or Telma n’avait rien d’une épileptique. N’en déplaise à plus d’un, reconnaissons-le, tout ne pouvait pas venir du commentaire que lui avait fait son mari, un peu avant qu’on ne l’entende à nouveau, sensiblement troublé, au téléphone – des commentaires orduriers, d’une incroyable obscénité. Une émission de radio, comme il y en a tant d’autres, avait intercepté en sous-main la ligne privée utilisée par le couple, de sorte qu’ils avaient tout entendu et enregistré. Les dernières paroles de l’urbaniste Berciani, dernières au sens où il les avait prononcées juste avant d’arriver au ruisseau Carmelo, avaient été les suivantes : Prépare-toi, Telmita, parce qu’après que je t’aurai défoncé le cul, ce gros cul sale que tu traînes, tu n’auras même plus envie de t’asseoir, toutes tes envies, tu m’entends, toutes, elles vont rester entortillées à ma bite. Cette sortie-là, reconnaissons-le, put provoquer une partie, mais en aucun cas tout ce qui suivit. Ou bien ne serait-ce pas les journalistes qui, ignorant dans leur grande majorité cette conversation clandestine, et donc évidemment incapables de prévoir l’effet qu’elle aurait sur Telma, les premiers, détectèrent l’irrégularité des signaux émis ?

Absolument, ce fut eux. Entre deux appels, le temps d’attente s’allongeait et quand les équipes parvenaient à la repérer, non sans mal, perdue dans un nuage d’interférences, la voix de Berciani ne ressemblait qu’à un bredouillement, étouffé par ce qu’on aurait pu croire être un bâillon en coton. Un grognement, deux ou trois autres, sporadiques, puis le son d’un objet chutant, et soudain, plus rien, rien d’autre que le grincement de la boîte à vitesses de la voiture, qui un peu plus tard finit par disparaître dans la nature. Le silence. Pas une trace de l’urbaniste Berciani et de son voyage. Seulement la crise de larmes de son épouse Telma, et, soudain, son évanouissement sur le trottoir. Quelle consternation ! Tout cela à cause du faux dilemme de Pianetti ou le périphérique. D’abord, par prudence, on le donna pour perdu de la façon suivante : porté disparu, classa-t-on l’affaire.

Mais les mauvaises langues s’étaient déjà mises à faire ce qu’elles savent faire le mieux, parler, et pour le pire. Le commando radioélectrique de la police, en collaboration avec les pompiers, venait de donner les instructions pour les recherches – quelques médias assuraient avoir déjà localisé Berciani dans un pays limitrophe. Il s’y était installé sous un faux nom, il vivait dans l’ombre d’une célèbre actrice porno, enfermé dans une résidence de deux cent mètres carrés, surveillée par l’armée personnelle de la diva. Les photographies, floues, et sans doute truquées, le surprenaient au bord d’une immense piscine couverte, les pieds nus, jouant avec le reflet de la lumière dans l’eau. Étant la première offensée par cette version, Telma fut la première à la démentir.

Elle assura que Berciani était hydrophobe, et qu’elle était disposée à accepter la plus tragique des catastrophes concernant le sort de son mari, mais pas à s’avouer vaincue devant le mensonge scandaleux d’une image. Berciani trempant ses pieds dans l’eau ! Non mais je vous jure ! D’autres médias, redoutant l’éventualité que Telma, comme l’avaient fait ses prédecesseurs, ne leur colle un procès pour diffamation, diffusèrent une nouvelle moins agressive. Berciani s’était réfugié sur le terrain vague Tiburcio, la zone la plus abjecte du no man’s land suburbain, un vrai cauchemar pour la police, où il devait vivre incognito comme un mendiant. Il avait décidé de se retirer du monde. Réfugié à Tiburcio, il s’alimentait des restes des poubelles – les égouts boueux étaient devenus son habitat. Autre rumeur : l’urbaniste avait profité de l’excursion pour rendre visite à une maîtresse. Exténué par les exercices amoureux de l’après-midi, il était resté dormir dans une propriété clandestine – cette hypothèse ne fit pas long feu, elle s’éteignit presque au moment même où elle commençait à être envisagée. Telma, dont les réflexes s’étaient aiguisés, y coupa court. Elle dit qu’en effet la maîtresse existait et révéla son nom – elle s’appelait Ruth. Mais ni les relations que Berciani entretenait avec elle ni la propriété où ils se retrouvaient - en général, deux fois par semaine, trois pendant les périodes les plus passionnées - n’avaient pour elle rien de secret. C’est elle-même, Telma, qui avait décoré la maison dans laquelle avaient lieu les rencontres, une maison qui, soit dit au passage, se trouvait dans une direction opposée à celle que l’urbaniste avait prise le jour de son départ. Ruth aurait pu rester dans l’ombre, et la calomnie se serait tout aussi bien révélée d’elle-même que par l’intervention de Telma. Mais elle entra en lice, prit ses responsabilités et dit que non, que ce jour-là Berciani ne lui avait pas rendu visite. Ils n’avaient pas rendez-vous ce jour-là, dit-elle, et elle montra un petit carnet recouvert, dans lequel, d’un commun accord, ils arrangeaient leurs rencontres ‘le mercredi’ – et Berciani était parti un lundi.

Telma et Ruth apparurent ensemble à la télévision, Ruth ouvrit le carnet devant les caméras. Telma, qui se chargeait d’y consigner la date et l’heure des rendez-vous extra-conjuguaux de son mari, en fit tout autant avec l’agenda de l’urbaniste – les documents coïncidaient parfaitement. Les deux femmes sanglotèrent, l’une dans les bras de l’autre. C’était naturel – la confirmation de la rumeur les avait soulagées ! Mais plus maintenant, à présent c’était l’incertitude qui régnait. Et cependant, qu’il ait disparu ou qu’il soit en fuite, victime ou imposteur, il n’avait pas été englouti par la terre ! Les recherches furent monotones, rien que du tâtonnement et de l’ennui. La police, les pompiers, jusqu’aux voisins spontanément mobilisés échouèrent tous pareillement.

Au bout de trois au quatre jours sans résultats, quand les versions les plus farfelues s’en donnaient à cœur joie, même le maire parut perdre la tête. Il fut sur le point de déclarer un jour de deuil dans la ville. Sur le point de –il fit marche arrière heureusement, il laissa tout tomber. D’abord tout entreprendre pour retrouver l’urbaniste. Puis, quand tout aurait été fait, et en vain, le déclarer envolé ou mort, et avec tous les honneurs dus à l’affaire. Il se trouve que la prudence est un art difficile, très difficile en réalité, lorsque la confusion règne. On ne peut ni avancer ni faire marche arrière, on reste bloqué. Enlisement général – comme celui qui se produit dans le quartier Riccoboni chaque fois qu’il pleut trois gouttes. Il est certain qu’on aurait pu avancer un peu si l’on avait prêté attention à ce que Ducmelic vint plusieurs fois communiquer aux autorités. Ducmelic, le mécanicien yougoslave, responsable depuis des années des voitures de l’urbaniste Berciani. L’atelier de Ducmelic se trouvait près de la station Bilmezis, là où tout semble aller finir sa course et pour toujours. Mais il était ivre, là était tout le problème. La police ne prit même pas la peine de le faire entrer quand il se présenta au commissariat du quartier, et les gardiens le flanquèrent dehors quand il se rendit en personne au bureau central. Les pompiers, de leur côté, le chassèrent à coup de jets d’eau –mais seulement dans la caserne centrale, parce qu’à Bilmezis il n’y en a pas. Ducmelic demanda à voir le maire –les employés lui rirent au nez et firent venir les vigiles. Que pouvait-il bien avoir à faire, ce misérable avec le malheureux Berciani !

Logiquement, tant de rejet l’intimida. Et pour couronner le tout, il avait des antécédents, de ceux qu’on n’oublie pas. Ducmelic admirait Berciani précisément pour cela, parce que l’urbaniste n’y avait jamais prêté la moindre attention – bien qu’il en eût connaissance. Au contraire, il le payait toujours le double de ce que Ducmelic lui facturait. Croate têtu, lui disait l’urbaniste avec tendresse, tu finiras multimillionnaire. Mais le Yougoslave touchait le fond sans arrêt. C’était l’alcool – son cher problème à lui! Et cependant, ce sous-homme avait quelque chose à dire, quelque chose d’important, sur l’épisode Berciani. L’urbaniste lui avait apporté sa voiture le dimanche, il voulait une révision complète, il n’aurait pas fallu qu’il tombe sur une mauvaise surprise au cours de son périple. Comme toujours, Ducmelic s’étonna que Berciani vienne dans son atelier. Bilmezis, en cela, n’a rien à envier au terrain vague de Tiburcio – les deux sont des zones rouges, du plus rouge des rouges, et l’officier de police que le destin fait échouer dans l’une de ces zones, s’en remet à Dieu et prie, ne cesse de prier jusqu’au moment où vient son heure. Parce que son heure viendra, c’est sûr, jusqu’à présent il n’y a pas eu d’exception à la règle. Il n’aurait pas dû se déranger, lui dit Ducmelic quand Berciani gara la Criqui et descendit, faisant claquer ses chaussures brillantes. Combien de fois devrai-je te dire, Croate, que ton taudis me plaît bien, que je trouve cette porcherie de quartier rafraîchissante. Révise-moi bien la Criqui, demain je pars en expédition, il ne faudrait pas que – et là il lui dit le coup de la surprise au beau milieu du périple. Ducmelic n’avait jamais vu une Criqui aussi flamboyante, et ce non pas parce qu’il était responsable de son entretien. Il l’inspecta sous toutes ses coutures. La nuit tombait à Bilmezis, des tonalités ocres et brunâtres se disputaient un ciel déchiré en lambeaux. L’urbaniste, assis sur un cageot à fruits, entendait les chiens aboyer, fumait en regardant les petites maisons en tôle. Il avait une telle confiance en son mécanicien qu’il ne se retourna même pas pour le regarder travailler. Ducmelic ne lui trouva rien. Rien de nouveau, en réalité, parce que la Criqui de Berciani, comme toutes les Criqui importées, le défaut qu’elle avait était un défaut de fabrique. Ce n’était pas grand-chose, un roulement mal tourné, sans doute, à l’intérieur de la boîte de vitesses, qui faisait grincer la première. À plusieurs reprises, Ducmelic lui avait proposé de réparer le défaut – l’urbaniste avait refusé. Non seulement cela ne le dérangeait pas mais il y avait plus : cette petite imperfection le rendait fier. Une fois, Ducmelic lui avait proposé de le faire gratuitement, démonter la boîte, lui tourner correctement le roulement ou le changer contre un autre d’origine – il pouvait obtenir des pièces de rechange d’origine par des amis contrebandiers. Tout cela sans frais. Mais ce jour-là, l’urbaniste lui dit : ce n’est pas un défaut, Croate bigleux, tu ne vois pas que c’est la marque de distinction de ma Criqui, son empreinte digitale ? Mais la boîte grince, allégua le mécanicien. Elle grince quand ce n’est pas moi qui conduis ; si je pose ma main dessus, le manche glisse comme sur de la soie, tu veux voir ? Et Berciani, d’un bond - ce jour-là la Criqui était décapotée - monta dans la voiture, alluma le moteur, une horloge, ce moteur, une boîte à musique, et passa la première. Et Ducmelic, en effet, n’entendit rien, pas le moindre ronflement. Berciani, victorieux, n’arrêtait pas de rire. Depuis la Criqui, il lui cria, pour le défier : tu veux essayer, abruti de Croate ? Ducmelic hésita. Elle était si éblouissante, cette Criqui, si distinguée. Allez, insista Berciani, tout en s’intallant sur le siège du passager, après tu me nettoieras l’intérieur. Le mécanicien finit par accepter. Il posa un morceau de tissu sur le siège, mais au lieu de s’asseoir, il maintint ses fesses tachées de cambouis à quelques centimètres du chiffon protecteur. Puis il appuya à fond sur la pédale d’embrayage et actionna le manche. Crac, fit la boîte délatrice. Tu vois ? C’est ta sale patte de Croate qui la fait grincer, avec moi elle ne fait pas le moindre bruit. Maintenant, descends de là – en le poussant presque- il ne manquerait plus que tu prennes goût au luxe de ma Criqui et que tu oublies qui tu es, misérable Croate : un misérable Croate ! De là la surprise de Ducmelic, de là qu’il prêta l’oreille quand il entendit, lors de la retransmission du voyage de Berciani sur son transistor, une authentique relique yougoslave de l’après-guerre, le dernier son qui en était parvenu : celui de la boîte de vitesse qui grinçait. Comment pouvait-elle grincer si l’urbaniste savait, s’il était le seul qui pouvait l’apprivoiser ! À moins, effectivement, à moins qu’un autre « ait mis la main dessus ».

Ducmelic voulut mettre les autorités au courant de cette affaire. Cela avait l’air d’un détail, c’était un détail – mais Dieu sait ce que peut signifier un détail ! Bien sûr que ce ne fut pas seulement le refus de la police, des pompiers et de la municipalité qui ébranla son enthousiasme. Les mises en garde de son entourage entrèrent aussi en jeu, un des pires que l’on puisse imaginer, ce milieu de Bilmezis – comme il l’aurait lui même reconnu. Reste tranquille et n’y va pas, lui dit-on. À moins que tu veuilles te faire coffrer ? Décidément ça avait été une erreur, une erreur monumentale finalement pour Ducmelic, de parler de ce grincement qu’il avait découvert. Et en parler à une bande d’ivrognes ! Les autorités lui avaient claqué la porte au nez, il était rongé par les doutes, et il était devenu si anxieux que maintenant, en réparant leurs moteurs, il faisait tout de travers, et les clients avaient commencé à se plaindre. C’était logique : il y a des découvertes qu’on ne peut garder pour soi – et celle de Ducmelic ne faisait pas exception. D’ordinaire il allait boire un verre au bar de la gare quatre fois par semaine. Dans l’état où il était, il y alla tous les soirs et il était toujours le dernier à partir. Une fois, il fallut même lui offrir une bouteille pour qu’il s’en aille, chose vraiment peu fréquente à Bilmezis. Dommage que dans ces réunions d’ivrognes tous ne boivent pas la même quantité. À première vue, on dirait que c’est le cas, il n’y a rien ou presque qui distingue un ivrogne d’un autre, tous succombent apparemment à une même quantité d’alcool. Et cependant il y en a toujours un, au moins un, qui conserve un gramme de sagesse de plus que les autres. Ce fut celui-ci qui écouta la confession du mécanicien Ducmelic. Tous l’entendirent, ils n’étaient pas non plus sourds comme des pots, les ivrognes – mais il fut le seul à l’écouter, et il en mesura immédiatement les conséquences. C’est à ce moment-là qu’apparut le « reste tranquille, n’y va pas ».

C’est Ortolá qui lui dit cela, l’Uruguayen – plus de la moitié de sa vie passée en prison. En général, il buvait comme un trou – par hasard, il avait décidé cette nuit-là d’être raisonnable. Ou peut-être que non, peut-être arriva-t-il au bar de la gare quand Ducmelic, qui avait tellement bu, commençait déjà à tituber. Et le sort voulut, pour le malheur de Ducmelic, pour le plus grand bien d’Ortolá, que l’Uruguayen surprenne le Yougoslave au moment précis où il lâcha le morceau. Les autres, naturellement, ne s’en rendirent pas compte, ils continuèrent de plaisanter à voix haute – ils se comportaient comme des ivrognes : ils se pardonnaient tout. Ortolá, quant à lui, enregistra bien la confession. Il roula des yeux – même celui qui était toujours fermé, la paupière déchirée en lambeaux par un coup de couteau - et re-remplit discrètement le verre de Ducmelic. De là son « n’y va pas, tu veux te faire coffrer ou quoi ? ». La santé du Yougoslave, son destin, lui étaient complètement indifférents – comme d’ailleurs, la santé ou le destin de n’importe qui d’autre. Pour lui, pour Ortolá, Ducmelic pouvait bien crever en frappant aux portes des commissariats, aux portails des casernes de pompiers. Grand bien lui fasse, s’il en avait tant envie. Mais quand il s’imaginait que Ducmelic, aux mains de la police, allait être du petit lait pour ses interrogateurs – là Ortolá pensait à sa propre santé, à son propre destin et cette idée ne lui plaisait pas du tout. Ducmelic en lui-même était inoffensif, un bon Yougoslave et un bon mécanicien, à peine un peu abruti par le vin, mais toujours respectueux des lois de Bilmezis. Mais voilà, Ducmelic en face à face avec un, deux ou trois interrogateurs de la police, trois cent cinquante watts en plein visage ? Ortolá connaissait la procédure par cœur, il en avait déjà fait l’expérience. On se rendait à la police non pas, disons, pour cacher un flingue dans le pot de fleurs du coin, mais pour collaborer – quel mot dégoûtant ! C’était le cas de Ducmelic. C’était déjà un miracle qu’ils l’aient viré sans même l’écouter ! Normalement, ils auraient dû le faire entrer directement dans le bureau avec moquette du commissaire. Et une fois là : Asseyez-vous, je vous en prie, un café ? Lieutenant Tobi ! Un café bien serré pour monsieur ! Maintenant en quoi pensez-vous pouvoir nous être utile ? Je vous écoute et je prends note –et le commissaire, aussitôt dit aussitôt fait, la pointe de son stylo plantée sur la première ligne. Alors, en général, les Ducmelics bredouillent ce qu’ils savent ou croient savoir, un détail révélateur, une piste, peut-être la pointe de l’iceberg. Mais aucun nom. Pas le moindre nom propre, pas de pseudo, rien. Et dans quel état se mettrait le commissaire si on ne lui donnait pas la seule chose qu’il attendait ? Un sauvage, une furie. C’est tout ? demandait-il, se levait comme une tempête prête à éclater. Le lieutenant Tobi entrait avec le café –le commissaire lui arrachait la tasse des mains et la renversait, entièrement, bouillante, sur le visage du Ducmelic. Dans la salle à questions avec lui ! rugissait l’impitoyable commissaire. Et là, dans la salle à questions, ni moquette, ni café, ni un « monsieur » : une chaise en métal, des menottes, le visage couvert et des coups dans tous les sens, partout, à mains nues et avec une matraque en caoutchouc. Le traitement durait au moins quinze minutes. Après, les résultats. Si le Ducmelic, stoïcisme inutile, était mort sans rien dire, son corps à la décharge. S’il était parvenu à grand-peine à articuler un nom, on l’enfermait pour qu’il se rétablisse, mais quand il ressortait, les cicatrices encore fraîches, il était fiché pour toujours comme indic. Avec Ducmelic, ce Ducmelic en particulier, le risque augmentait. Parce que parfois, si la chance était bonne, les pauvres Ducmelics, qui ne s’étaient présentés que pour faire une déposition, n’avaient à leur actif aucun nom à dénoncer, rien que le commissaire puisse se mettre sous la dent – et tout cela, avec la meilleure foi du monde. Alors les autres, par exemple, lui, Ortolá, pouvaient dormir tranquilles. Mais avec Ducmelic il n’y avait aucune garantie, le risque encouru était immense. Tout nom qui risquait de surgir de sa bouche dans la salle à questions c’était un nom en moins, un nom en moins à Bilmezis, en moins de deux minutes. Car mis à part deux ou trois parents yougoslaves, Ducmelic ne côtoyait que des gens comme lui, Ortolá, qui tous avaient une dette, éternelle, avec la loi ! Ortolá, Fulani, Abulafia, Babbo, n’importe lequel de ceux qui partageaient avec Ducmelic la table du Bilmezis, la bouteille –que leur arriverait-il, à eux, à n’importe lequel d’entre eux, si le Yougoslave lâchait sans le vouloir –et évidemment qu’il ne voulait pas, car le dénouement de l’interrogatoire, c’était, s’il ne parlait pas, la défiguration, et tout simplement la mort- n’importe quel nom, un nom au hasard dans la salle à questions ? Aussi Ortolá, par prudence, suivit Ducmelic cette nuit-là. Il quitta le Bilmezis avant tout le monde, n’alla pas loin, montant la garde à l’abri du pont Chuelo, dont il ne restait que quelques piliers rouillés. Le pont Chuelo ! Parfois, ironie du sort, la nuit dispose exactement du temps qui manque à la journée. La reconstruction du pont Chuelo était toujours dans les projets de l’urbaniste Berciani, il n’avait pas faibli dans son dessein bien qu’il ne restât pas grand-chose du pont, chaque jour un peu moins. On l’avait dépouillé au fur et à mesure, en partie par simple vandalisme, en partie parce que le fer se revendait bien.

Ortolá attendit là, tout en discrétion derrière le squelette rachitique du pont, jusqu’au moment où Ducmelic, plutôt que sortir, fut sorti manu militari de Bilmezis. Il était devenu apparemment insupportable. Il insultait tout le monde, le barman Maffioli et Normita, la serveuse boiteuse, « tout le monde » à cette heure, parce que la radio ne passait pas la musique de Bitola, sa ville yougoslave et natale – et lui, la musique de Bitola, il disait en avoir besoin comme de l’oxygène. Il était né à Bitola, seulement né. Ensuite, quelques mois plus tard, la famille Ducmelic, et avec elle le petit Ducmelic s’était établie à Zagreb.

De là, le surnom de « Croate ». Mais de temps à autres, il était pris de ces attaques de Bitola, la ville du sud qu’il n’avait presque pas connue, et plus encore que Bitola, une mélodie de Bitola apparaissait soudain devant lui comme une hallucination. Normita baillait, Maffioli ne pensait qu’à fermer – et Ducmelic, imperturbable, continuait de réclamer les chansons de chez lui. Jusqu’au moment où le barman dit stop – et tout s’arrêta net. Tiens, avec ton Bitola tu vas voir, dit-il en l’agrippant par la ceinture, et il lui fit traverser toute la salle du Bilmezis dans cette posture, maintenant tu vas me faire le plaisir d’aller cuver ton vin ailleurs. Ducmelic, sur le chemin, tentait de s’accrocher aux bouteilles qui restaient sur les tables. Une fois sur le seuil de la porte, Maffioli le balança dans les airs. À la une, à la deux, à la trois : dans la rue ! Dans le bourbier, plutôt, car le Bilmezis ne donne sur aucune rue. Applaudissant pour enlever la poussière de ses mains, triomphant, Maffioli le mit en garde : fais gaffe, que je ne te ne prenne pas à traîner près du bar. Tu vas le regretter, Yougoslave, je sais bien ce que je te dis. Vlan, et on passe à autre chose. Ducmelic, tant bien que mal, se releva. Il se mit, vacillant, sur le chemin du retour, fredonnant son patriotique refrain d’ivrogne – Bitola, Bitola… - il n’avait que sa voix pour évoquer son village. Ses pensées, cependant, étaient toujours occupées par Berciani. Il mit plus d’une heure à rentrer, et une heure qui comptait triple : Bilmezis, de nuit, est un vaste labyrinthe de marécages et de brouillard, et le temps ne court pas, il s’étire comme un élastique. Plus encore pour un Croate éméché dépourvu de boussole ! Ortolá le suivait de près mais discrètement, même si Ducmelic, dans son état, n’était pas capable de distinguer une armée marchant à ses talons. Quand il arriva chez lui, exténué et assommé, dans une petite pièce plus qu’humble derrière son atelier, une surprise l’attendait –Telma. Pour dire vrai, ce fut une surprise pour les deux, autant pour Ducmelic que pour l’Uruguayen qui supervisait tout dans l’ombre, de tomber sur l’apparition fantastique de Telma. Ducmelic la reconnut immédiatement.

Pas Ortolá, il dut prendre son temps pour la situer– et il la situa par déduction, par pur calcul logique. On ne lui connaissait pas de femme au Yougoslave, et celles, rares, qu’il fréquentait, par ailleurs, ne mettaient jamais les pieds dans sa maison – elle était célèbre pour sa crasse ! Il était obsédé par la disparition de l’urbaniste, qui était riche et marié, cette femme enveloppée dans ses fourrures n’était sûrement pas originaire de Bilmezis. C’était Telma ! ça ne faisait pas un pli. Cette éventualité s’était produite, incroyable : une sur un million : que Telma identifie Ducmelic à la télévision. La pauvre femme regardait sans relâche les informations, comme si elle allait y trouver les informations que les autorités n’obtenaient pas d’elles-mêmes. Et cet après-midi-là, elle avait fait cela, changeant de chaîne mécaniquement, quand tout à coup elle vit de biais, sur un plan très fixe, le gardien de la caserne de pompiers chassant le Yougoslave. Elle le vit et dit : c’est Ducmelic, le mécanicien, et elle resta pétrifiée. Pourquoi est-il là ? Se demanda-t-elle. Pourquoi insiste-t-il tant, ce mécanicien ? -en voyant que Ducmelic, éconduit, revenait à la charge et que le gardien le chassait à nouveau. Elle se dit alors : il sait quelque chose, et elle consulta l’agenda de Berciani et finit par tomber sur une adresse, sur l’atelier du yougoslave.

C’est à Bilmezis, se dit-elle, inquiète –mais l’enthousiasme, l’espoir l’emportèrent. J’irai cette nuit, tard, se dit-elle gagnée par l’espoir. Et c’est ce qu’il se passa, elle était là-bas. À peine vit-elle Ducmelic que son cœur se serra. Vous, lui dit-elle en tombant dans ses bras, exténuée, dites-moi ce que vous savez, je suis désespérée. Plongeant ses mains dans la fourrure, Ducmelic la tint dans ses bras – ce fut une parenthèse d’intense voluptuosité, fugace mais réjouissante. Et ensuite : ce que je sais, ce n’est pas grand-chose, répondit-il –mais seulement pour gagner du temps, car l’oiseau funeste du danger s’était posé sur lui, sur sa tête étourdie. Il arrivait encore à penser, incroyable mais vrai. En voyant Telma qui l’attendait plongée dans cette désolation, il avait ressenti le besoin, la tentation irréfléchie de se confesser. Finalement, c’était le destin, et pas la police, qui s’était présenté pour enregistrer sa déclaration. Il résista au choc, cependant – le conseil d’Ortolá se transformait en menace. De là son « ce que je sais, ce n’est pas grand-chose ». Telma, dans ses bras, voulut savoir pourquoi elle l’avait vu rôder autour de la caserne des pompiers. Pour autre chose, esquiva le Yougoslave, rien à voir avec votre mari, je suis désolé. Telma s’écarta, déçue mais doutant. Vous ne me mentez pas, vous ? Vous n’êtes pas en train de me cacher quelque chose dans le fond ? Ducmelic chancela – peut-être grelottait-il de froid, ou d’avoir vu Berciani sur le visage de sa femme, l’image de Berciani, la pire de toutes les images. Je vous donne tout ce que j’ai en échange d’une seule information, dit Telma, en sortant de son portefeuille une liasse de billets prévue pour l’occasion. Le mécanicien écarquilla les yeux, et il y avait de quoi : la quantité d’argent était énorme. Il pourrait arranger l’atelier, retourner enfin à Zagreb et à Bitola, il claquerait tout en putes et en boisson. Mais, à nouveau, la griffe du danger le retint, à nouveau Ortolá l’arrêta net. Je vous répète que non, lui dit-il, et son regard essayait d’esquiver les billets, pour qui vous me prenez ? Quel mal il eut à feindre l’indignation, à jouer l’honnête homme scandalisé ! Mais Telma, prête à tout, revint à la charge : que voulez-vous d’autre, à part de l’argent ? La Criqui de mon mari ? Aidez-moi à le retrouver et elle est à vous, je vous le promets, et elle baisa la croix qu’elle avait tracée de son index sur ses lèvres. Et Ducmelic, qui, s’il n’était pas enclin à la pitié, ne l’était pas pour autant à faire la fine bouche, commença à faire marche arrière, s’éloignant vers le fond de l’atelier. Il avait eu son compte pour cette nuit. Telma piqua une crise et éclata en sanglots. Entrouvrant son manteau de fourrure, elle lui criait : si ce n’est pas la Criqui, c’est moi, c’est moi que je t’offre ! Ou bien maintenant tu vas me dire que tu n’as pas envie de moi, peut-être ? Mais le mécanicien ne l’écoutait plus, il s’était réfugié en courant dans la petite pièce du fond où il s’enfermait maintenant à clef. Une minute de plus, et s’il restait, il perdrait les pédales. Il ne la vit pas, donc, arranger la fourrure de son manteau, ni monter dans la voiture qui l’avait conduite là. Une Criqui, comme celle de l’urbaniste Berciani, mais un modèle plus ancien - et cependant si bien entretenue qu’elle étincelait comme un bijou. Lorsqu’elle partit, dérapant dans la légendaire boue de Bilmezis, Ortolá abandonna sa cachette-mirador et suivit les phares qui, au loin, s’éteignaient peu à peu.

Abruti de Yougoslave, gâcher ainsi la marchandise, marmonna-t-il dans sa barbe comme n’importe quel délinquant incrédule. Il avait tout vu, mais de ce qui s’était dit, il n’avait réussi à entendre qu’une partie, la dernière. Il avait toujours des doutes. Et si Ducmelic avait parlé ? Et si cette nuit il n’avait pas parlé, mais qu’il le faisait le lendemain ? Il aurait pu s’en aller, se déclarer satisfait et se coucher. Mais il n’y a rien de tel que l’incertitude pour plonger les criminels dans l’insomnie. C’était maintenant ou jamais. Il longea l’atelier, se collant aux murs, d’un pas si calculé qu’on ne l’entendait pas, et quand il arriva à la fenêtre, la seule fenêtre de la petite pièce de Ducmelic, il s’arrêta. Il y avait de la lumière –il se pencha pour regarder. Le Yougoslave avait mis de côté ses outils de mécanicien et écrivait, penché sur un coin dégagé de la table, pas si dégagé que cela car son corps penché, recroquevillé comme celui d’un enfant appliqué, coupait en deux la table de son ombre. Il écrivait lentement, trébuchant le long du délicat fil des lignes d’écriture, et les mots, comme des fourmis boiteuses, sortaient du rang sous l’éclat du soleil de la nuit. Quel dommage, ce qu’avait fait Telma. Si l’angoisse ne l’avait pas trahie, si la crise ne l’avait pas tout de suite assaillie, si, s’adressant au cœur, et ni à la convoitise ni à la chair, elle avait persisté à implorer le Yougoslave – ce que Ducmelic griffonnait sur le papier, elle l’aurait entendu de ses propres lèvres, comme cela, directement. Maintenant, en revanche, que le mécanicien le couchait par écrit... Parce qu’on sait bien que c’est ainsi, et qu’il en est toujours ainsi : ce qui est écrit tombe entre de mauvaises mains. Maintenant, en revanche, Telma était rentrée chez elle défaite, croyant anéanti ce qu’elle imaginait être sa dernière chance.

Comme avant avec Ruth, elle élimina Ducmelic de sa liste. Qui lui restait-il ? Aducci, le dentiste ? L’inspecteur municipal Battiperde ? Et elle finissait de l’éliminer de sa liste sans grande conviction car il lui restait encore quelques doutes au sujet du mécanicien, quand entre deux sanglots, elle fut surprise par la sonnerie du téléphone. Déception, ce n’était pas Berciani, c’était la police. Une bouffée d’air, ils avaient quelque chose pour elle. Qu’elle vienne tout de suite, lui dit-on, pour l’identifier. Quelque chose ? Dit Telma d’une voix balbutiante –elle pensait à un doigt, à une oreille, à cette terrible sorte de choses. Mais la police est laconique, et plus encore au téléphone. Venez vite, lui dit-on, le temps presse. Le trajet fut étrange. Plus que rouler, elle volait, appuyant à fond sur l’accélérateur, quand la voix du policier résonnait dans sa tête comme un bon augure. Ou bien elle ralentissait, relâchant la pression sur la pédale, chaque fois que la voix lui promettait une catastrophe. Cette oscillation est tout ce qu’il y a de plus normal, l’humeur du désespéré la connaît bien. On veut arriver tout de suite, on veut ne jamais arriver – et en attendant on voyage ainsi, en évaluant l’urgence et l’effroi avec l’esprit distrait et indolent d’un touriste. La ville, grâce à dieu, était déserte. Le trajet fut facile et limpide. Passage Berti jusqu’à Bonino, puis le périphérique Bustrófedon, puis descente par Bléfari, et enfin par Bitol jusqu’à la grande explanade Bertani. En un peu moins de dix minutes Telma se trouva nez à nez avec l’officier de police dont la voix continuait à résonner dans sa tête. Cette habitude répugnante qu’ont les voix de continuer à résonner. Il tenait quelque chose entre ses mains – elle crut défaillir- enveloppé dans un mouchoir blanc. Un autre policier, avec lunettes et plastron, lui proposa une chaise pour qu’elle s’assoie. C’est une question de vie ou de mort, lui dit le premier, qu’est-ce que c’est ? – et avec la plus grande délicatesse il écarta l’une après l’autre les pointes du mouchoir. C’était une Bluti ancienne, d’une grande valeur et avec des chiffres romains.

La Bluti de Berciani ! Telma fonça et saisit la montre de ses mains tremblantes. Elle la retourna pour en examiner l’arrière. Les deux policiers échangèrent un regard complice. Les voilà, cria Telma – et elle signalait deux incisions sur le dos bombé et métallique : ce sont les initiales de Berciani ! Tout était là – au cas où cela n’était déjà pas assez. Étreignant la montre, Telma se roula à terre, les yeux à nouveau inondés de larmes. Et pourtant elle avait déjà beaucoup versé ce jour-là, énormément, en comptant celles du réveil, immanquables, celles du déjeuner, évidemment : Berciani n’était pas à table, les sanglots de l’après-midi, quand elle repéra Ducmelic sur l’écran, et ceux de la soirée, les plus récents, quand, enfin, elle vit le Yougoslave et qu’elle ne put rien lui arracher, non, rien. Telma se roula à terre et pleura longtemps devant les policiers circonspects, berçant la montre comme un bébé mécanique qui, peut-être, lui apportait un message. Parce que la Bluti, avouons-le, était un signe –de vie ou de mort. Mais comment ? S’exclama Telma, comment cette Bluti a bien pu atterrir ici ? Il en avait été ainsi ainsi – un coup de filet. Des effectifs de la police s’étaient postés en surveillance sur le dock Trevi du port, pour attendre un déchargement illégal –drogue, substances chimiques, tout ce qui se présenterait, la dénonciation n’avait pas fourni de précisions sur le sujet. Sur le dock, cependant, cette nuit-là il n’y avait eu aucun mouvement – ni légitime ni suspect, rien, seulement le mouvement des rafales de vent glacé avec son sillage d’odeurs fétides, si nauséabondes que plusieurs agents furent sur le point de vomir sur leurs uniformes. Mais lorsque la troupe s’apprêtait à partir, la planque finit par rapporter quelques fruits. Une bagarre par là-bas, un bruit de bouteilles cassées et de tirs dans l’Atrevi, le bar du dock Trevi. Une brigade légère s’y rendit, histoire de calmer les esprits et de pêcher, dans une de ces embrouilles, une poignée de poissons agités. Ne serait-ce que pour justifier, au moins, les frais de déplacement ! Et une fois dans l’Atrevi, le scénario classique : l’enchaînement habituel, de la bouteille au tapage, avec son lot de dégâts, de blessés. Tous à l’intérieur. Soudain, tandis qu’ils les embarquaient en garde à vue, une lumière jaillit dans l’obscurité : le faisceau d’une lanterne était tombé par hasard sur la Bluti. Un habitué des lieux, peut-être le seul innocent dans l’histoire, la tenait dans sa main. Ils procédèrent sur le champ à sa confiscation. C’était inexorable : la Bluti figurait très clairement dans la description que Telma avait faite de l’urbaniste Berciani le jour de sa disparition – description d’ailleurs exhaustive, puisque même la dent en or avait été incluse dans la liste, bien qu’elle ne fût détectable que lors de l’inspection dentaire, ou au flair du médecin légiste, de la police ou des plus proches membres de la famille, si, au moment venu, il fallait reconnaître le cadavre.

Mon Berciani, un cadavre ? Telma, au début, ne voulut rien savoir, refusa de fournir le détail de la dent en or. Des informations utiles, oui, des détails morbides, non, dit-elle. Et les policiers : nous devons nous préparer au pire, allons. Avez-vous une pièce de dentition qui nous permettrait de l’identifier ? Et Telma, intransigeante, mais non, ça ne lui traversait même pas l’esprit. Et, les policiers, à nouveau : on ne peut pas faire avancer une enquête comme ça, madame. Et ce marchandage dura près d’une demi-heure. Finalement, plus résignée que réellement convaincue, Telma leur lâcha l’information. Mais la Bluti avait brillé en premier, heureusement – et heureusement à ce moment de l’enquête, quand la Bluti était le seul, le premier signe de Berciani qui se manifestait. Ainsi, avec la Bluti comme maillon, il s’agissait de remonter la chaîne, de bas en haut ou de haut en bas, va savoir, ou peut-être de suivre de près ses éventuels prolongements latéraux, comme il y en a toujours. Et l’enquête se poursuivit, ou avança, de cette manière. À propos de l’habitué de l’Atrevi qui, dans le jargon d’Ortolá, c’est-à-dire dans celui de Bilmezis, en prit pour cinq ans, car, bien que de toute évidence il était innocent, aussi bien dans le tapage à l’Atrevi que dans l’affaire Berciani, cela a toujours un prix d’être le maillon d’une chaîne, on mit la main sur le joueur qui lui avait vendu la Bluti –Babeau, originaire de Marseille, gangster renommé de banlieue. On l’arrêta sur les marches de son empire, entre le terrain vague Trumper et la vieille usine Comoglio.

Cela faisait des années que la justice se l’était juré, des années que Babeau, toute en souplesse, déjouait ses assauts d’un mouvement de hanche. Mais pas cette fois, ils lui tombèrent dessus, et il n’eut pas même le temps de gigoter. Ils le surprirent alors qu’il faisait ses comptes, et il fallait voir l’étincelle que produisait son butin au contact de ses yeux ! Mais il y eut pire. Le flagrant délit, ce fut quand ils saisirent la chaîne en or qu’il avait dans sa poche, celle d’un autre, évidemment, et pour couronner le tout, gravée aux initiales de Berciani ! Voyons voir si tu peux nous expliquer ce trésor, Marseillais renégat, lui dirent-ils, puis la procédure de rigueur –dans la salle à questions avec le gibier. Au bout de dix minutes -Babeau était du genre douillet- du Marseille et du quai des brumes à revendre mais au moment de chanter, une vraie pie, le Babeau, l’enquête avait irradié comme un filet de lumière traversant un prisme. De l’usine à tabac Sunchález, désaffectée depuis dix ans, sortirent les bottes de Berciani, intactes et même cirées. Celui qui les portait, un jeune tueur du nom de Trémoli, tomba en voulant résister – une balle dans la tête et qu’on en finisse. La ceinture, les mitaines et les lunettes, en général inséparables de Berciani, furent retrouvées dans l’ancien entrepôt Gastaldi, actuellement nouvel entrepôt Gastaldi. La bande voulut se rebeller, cela ne fit pas long feu. À mesure que les politesses de Babeau portaient leurs fruits, d’autres découvertes simultanées s’ajoutèrent. Un accrochage à l’intersection de Melnik et Antúnez ouvrit une piste. Cela aurait pu être un accident de plus, parmi les milliers qui ensanglantent ce carrefour - pendant combien de temps encore les riverains devraient-ils attendre des feux ! – mais ce fut différent. Une patrouille se trouvait sur les lieux, c’était la pause sacrée du dîner. Les deux conducteurs descendirent de voiture, contemplèrent, abasourdis, le désastre, la colonne de vapeur qui s’échappait de la tôle retournée. Le choc avait été violent, c’était un vrai miracle qu’ils soient encore vivants - et soudain ils se mirent à se castagner. Arme blanche, revolver, et les cris : je vais te refaire la face, traînée ! Tu veux que je te laisse un souvenir entre les deux yeux, demeuré ? La patrouille intervint pour les séparer - étrange phénomène de la loi qui réunit soudain ceux qui deux minutes auparavant voulaient s’entretuer. Il n’y eut pas le choix : on les plaqua au sol, allongés de tout leur long sur le bitume. La fouille des voitures, réglementaire, fournit le résultat suivant : les deux avaient des pièces de la Criqui de Berciani, cachées dans le reste de la mécanique. Moteur, jantes, engrenage et batteries : un vrai prodige de la transplantation. Voici un indice de Berciani qui apparaissait, un indice qui allait immédiatement échouer au détachement de l’esplanade Bertani. Et là Telma, la Telma aux yeux cernés, qui n’avait pas même eu le temps d’enlever sa fourrure, recevait les pièces du butin Berciani telle un dame de bienfaisance recueillant les fruits de la collecte de Noël.

À quatre heures et demie du matin, ils mirent la main sur la carrosserie de la Criqui, on était en train d’enlever sa peinture à grand renfort de chalumeau dans un hangar, en plein centre de Fortino. Deux minutes plus tard, à l’autre bout de la ville, le veilleur de nuit d’un parking essayait le pull à col roulé de Berciani. Ils le surprirent in medias res, profitant de la laine qui l’étouffait et des manches trop longues pour s’économiser les menottes. Peu de temps après, vers six heures, une saisie à Tubuletti permit d’exhumer le portefeuille (il manquait la photo de Telma), le trousseau de clefs, les papiers de l’urbaniste. Quant aux voleurs, notion élémentaire de tactique, on ne les liquidait plus. Plus les policiers s’approchaient du cœur de l’enquête, plus ils avaient besoin qu’ils soient vivants et réveillés. À un moment il arriva tant d’objets personnels de Berciani –car après les précédents, ils avaient reçu la chemise en soie, l’alliance, les chaussettes portant son monogramme, et même la minuscule saucisse qui remuait sa tête sur la plage arrière de la Criqui- qu’il fallut une boîte pour les réunir et éviter qu’elles ne continuent de se disperser. Et tandis que Telma, accomplissant un étrange rite de bienvenue, les rangeait soigneusement au fur et à mesure, deux policiers, aucun des deux n’était celui à lunettes, car on lui avait recommandé d’écrire le nom de Berciani sur une étiquette, déployaient sur le mur un grand écran électronique avec la carte de la ville. Concentrée sur son trésor, Telma ne leur prêta pas attention –mais c’était le hasard qui dessinait peu à peu la carte. Les points rouges, ceux qui étaient allumés tout le temps, signalaient le lieu de provenance des derniers objets récupérés. Les verts, les clignotants, indiquaient les directions à prendre immédiatement. Ringuelet, le Foyer Peloneda, le petit port dynamité de Trombesco –des maillons en plus sur la chaîne, des prémisses obtenues dans la salle à questions.

Et de la combinaison des rouges et des verts, dans la salle contiguë, les agents de la logistique, ces insignes probabilistes de la police, inféraient des hypothèses sur l’avenir de l’enquête. Ils réunissaient les points dans de subtiles familles et, en les projetant sous la forme de lignes d’action imaginaires, ils dessinaient le périmètre du coup de grâce. Sur l’écran, cela donnait un cercle –oui. Car dans le crime la chaîne a souvent cela, cette capacité à se transformer soudainement en un cercle. Les points rouges, des enclaves occupées par la loi. Les points verts, des postes à occuper. Cercle d’action, programme des opérations. Et au centre hypothétique du disque, une lumière jaune : Berciani, la victime. Parallèlement, pendant ce temps, l’état d’âme de Telma fluctuait. Au début, avec la découverte de la Bluti, elle avait eu l’impresion que Berciani, comme dans un miracle, lui apparaissait au loin, depuis l’endroit inconnu où il se trouvait. Les trouvailles ultérieures intensifièrent ce charabia. Et pourquoi – c’était simple. Elle avait reconnu la chaîne de Berciani et avait dit : ils voulaient la chaîne, pas Berciani. Puis ce furent les bottes : ils en voulaient après ses bottes, pas après lui. La même chose avec les organes de la Criqui : ils voulaient s’emparer de ses biens, pas de lui. Puis, au fur et à mesure que plus en plus de choses lui atterrissaient dans les mains, la joie connut un reflux progressif. Jusqu’au moment où cette idée se logea dans sa tête : bientôt toutes les choses de Berciani, je les aurai ici, dans cette boîte. Et si c’est comme cela, progressait l’idée, que reste-t-il de lui, lui qui n’est pas en sa propre possession mais en la mienne ? Les agents, qui lirent immédiatement dans ses pensées, baissèrent le regard et restèrent silencieux. L’espace d’un instant, on n’entendit pas d’autre bruit, dans la salle du commissariat, que celui du bip interminable des points verts. Il en va ainsi, en général, quand une idée surgit, tout devient brusquement silencieux- comme si l’idée, semble-t-il, faisait chut ! au monde et l’obligeait à se taire. Et puis, quand l’idée fut passée, laissant Telma assombrie -car certaines idées sont comme d’étranges éclipses : l’astre opaque disparaît, mais pas les ténèbres qui viennent d’obscurcir la surface des choses- tout revint dans l’ordre et les policiers se remirent au travail. Deux agents entrèrent, apportant la chemise en laine de Berciani – le petit port de Trombesco passa du vert au rouge. Marchant sur leurs talons, la patrouille de Ringuelet se présenta.

Telma, presque à bout de forces, posa à peine les yeux sur le manche à vitesses, le frein à main : c’étaient bien ceux de la Criqui de Berciani – et Ringuelet passa au rouge. Et quand Telma rouvrit les yeux, elle vit davantage de gens attroupés, elle entendit, au passage, plus de vacarme. C’étaient ceux du Foyer Peloneda, la planque avait été un franc succès – et les portes de la pièce s’ouvrirent tout grand pour laisser passer un petit chariot roulant. Telma se releva à peine. Décollant légèrement de la chaise, son petit corps lui pesait autant que ses paupières, autant que son cœur, elle jeta un coup d’œil au contenu. La console de la Criqui était là, démontée, enveloppée dans un réseau de câbles et de fils. Point rouge pour Peloneda ? demanda un agent de la logistique. Le policier aux lunettes approuva d’un signe de la tête, et immédiatement la carte électronique traita l’information. Les points verts avaient cessé de verdir, il n’y avait plus de clignotement : autour du point jaune, pâle éclat de la victime Berciani, brillait le cercle – et cette fois il avait bien l’air définitif. Il manque quelque chose ? demanda un des agents à Telma. Elle le regarda comme au sortir d’une hypnose puis elle examina avec un soin exténué les pièces du butin amassé. Non, finit-elle par dire mais immédiatement après: oui. L’agent mit du temps à comprendre. Il manque Berciani, dit Telma, et elle se mit debout. Les policiers se munirent de casquettes et d’armes. Un agent de la logistique vint et remit le papier avec, dessinée, la position finale de Berciani.

La projection avait donné les coordonnées suivantes : la Quema au nord, la décharge Babuscio au sud, l’autoroute Roldi à l’est, à l’ouest la bretelle Barchoqui. Vous êtes prête ? demanda-t-on à Telma. Et, sans répondre, elle avança vers la porte comme une somnambule. Un agent ramassa son manteau en fourrure et la suivit. Il n’était pas encore sept heures quand ils sortirent – la matinée s’annonçait diaphane, à l’angle de Bartroli les candidats à l’émigration faisaient déjà la queue. Et cela malgré la pénurie de papier pour fabriquer des passeports ! Ils étaient vingt hommes, répartis dans cinq véhicules de la police – et une femme, Telma, la tête baissée. Comment est-il venu à l’esprit du lieutenant Bauto d’allumer la radio – mystère. Ce qui est sûr, c’est qu’il l’a allumée et personne ne peut l’expliquer. Pendant une minute, ils entendirent les nouvelles du matin : embouteillage à Baldinu, accrochage sur la barrière d’Abulafia, accident sur la voie Dubufreddo –jusqu’au moment où Telma se mit à sangloter en silence, comme honteuse, et où le sergent Tettamanti éteignit brusquement la Motorola. Aidé des sirènes qui écartaient les voitures, ils avancèrent rapidement et évitèrent les écueils – enfin jusqu’à un certain point, car à Babani ils furent bloqués un bon moment. Des voleurs, apparemment, avaient fait sauter une station-service. Il n’y avait pas d’argent dans la caisse ? Les transporteurs de fonds étaient déjà passés ? Deux ou trois allumettes dans les pompes et allons-y ! Envolée la citerne! Ils se débarrassèrent de Babani. Ils s’approchaient de la zone clef quand ils commencèrent à se répartir : un patrouilleur entrerait par la Quema, un autre par Babuscio, le troisième se posterait sur Roldi, le quatrième sur Barchoqui. Finalement, un seul s’approcha du point jaune et se gara près de la victime –le cinquième. Telma était à l’intérieur de la voiture. Le lieutenant Baum éteignit le moteur et attendit.

Le sergent Tettamanti donna l’ordre de descendre –ils descendirent. Ils descendirent tous sauf Telma. Elle n’avait pas de raison de le faire, elle l’avait déjà vu à travers la vitre, de l’intérieur –elle avait cessé de pleurer, à présent, et il n’y avait plus aucun doute – c’était lui, c’était Berciani : assis sur le siège avant de la Criqui, la seule chose qui était restée de la voiture, entièrement nu, le cou brisé par une seule torsion. Dans ses yeux morts, cependant, comme un diamant brut, brillait encore la lumière de son ambition, de son ambition avortée pour toujours – en finir une bonne fois pour toutes avec le faux dilemme de Pianetti ou le périphérique. Quelqu’un, une voix disait : affirmatif, affirmatif, nous avons la victime. Mais Telma ne l’écoutait déjà plus. Son regard était tendu dans une autre direction, sur un point entre la Quema et Roldi, peut-être vers les grandes cheminées rougeoyantes de l’usine Bulfone, qui commençaient tout juste à fumer. Ses yeux étaient grands ouverts mais elle ne regardait rien, en réalité, parce qu’elle s’était endormie – et elle rêvait.

Elle rêvait d’une Bluti, réelle, comme celle de Berciani, mais fermée comme les vieilles montres à gousset. C’était la première fois qu’elle la voyait – et cependant la montre n’avait aucun secret pour elle. Elle trouvait le mécanisme du ressort simple, elle l’ouvrait – et elle découvrait alors qu’il ne s’agissait pas d’une montre, que la Bluti était une petite boîte à musique. Elle voulut reconnaître la mélodie, le faux air de piano mécanique, il lui sembla qu’elle était slave -mais elle ne put aller beaucoup plus loin et ferma les yeux en changeant de rêve.

Traduit par Gersende Camenen

De la estación terminal al vaciadero de desechos, una de dos: o se toma la avenida Pianetti o se toma el camino de cintura. Una de dos -y no hay otra opción. Años pasaron los automovilistas buscando la forma de unir ambos puntos; siempre fue en vano. Cualquier atajo, de los miles que se ensayaron, iba a morir en Pianetti o en el camino de cintura, y a morir indefectiblemente. Para ejemplos, el del urbanista Berciani -un caso sonadísimo, diez días en las primeras planas de los diarios, toda la opinión pública en vilo-, que se propuso terminar (él en persona, a quien la ciudad le debía, si no todas, gran parte de sus mejoras) con el callejón sin salida Pianetti o camino de cintura. Partió una madrugada en su propio automóvil. Todo el barrio, poco dado en general a madrugar, había ganado la calle para respaldarlo con su aliento bullicioso. Caras sucias de lagañas, vecinos en bata y en pantuflas le sonreían detrás del cristal de las ventanillas, ofreciéndole mapas y víveres para el viaje, números de teléfono por cualquier emergencia. El urbanista, de buena manera, lo rechazó todo. Consultado por la prensa, a la que su partida también había atraído y en masa, declaró que nadie conocía la ciudad como él, que el mejor mapa era su cerebro, y que no había víveres más nutritivos que su propio deseo de zanjar de una vez por todas la cuestión. Por lo demás, dijo, todo se resolvería tan pronto que contaba con volver a tiempo para el almuerzo que, como todos los días, le preparaba su esposa Telma. Telma, en el asiento del acompañante, lo observaba con cierta preocupación. Los periodistas se volcaron en el acto sobre ella. Pero Telma besó a Berciani en la mejilla, bajó del auto recogiéndose el ruedo del camisón, cerró la puerta con cuidado y volvió a la casa sin formular declaraciones, orgullosa aunque algo encorvada ante la nube de cronistas y fotógrafos. Berciani, desde el auto, la vio desaparecer tras la puerta del garage, y se puso en marcha haciendo la uve de la victoria.

Por una disposición excepcional, que dada su influencia el urbanista había acordado con el intendente, los medios de comunicación no pudieron escoltarlo en su aventura. Berciani, a cambio, se había comprometido a mantenerlos informados paso a paso desde el teléfono que había aceptado instalar en su automóvil, única condición que le había impuesto el intendente -en parte por la seguridad del urbanista, en parte para satisfacer la voracidad de la opinión pública.

Hasta el arroyo Carmelo todo bien, todo inmejorablemente. Claro que hasta ese punto Berciani no había innovado en lo más mínimo. Derecho por bulevard Cachola, a la izquierda en la cortada Bascobonik, cruce del puente Dengue y después, siempre en línea recta, a toda marcha por Fulani sur. El itinerario del urbanista, que su voz deletreaba puntualmente para los teletipos y los equipos móviles, reproducía grosso modo una de las numerosas variantes que el ingenio de los automovilistas alguna vez había aventurado -es cierto que con alteraciones. La noticia del cruce del puente Dengue fue más sorpresiva de lo que hubiera sido, según la tradición, la del cruce del túnel Acconcia (por Cayetano Acconcia, prócer). Pero por arriba o por abajo, no cambiaba la cosa demasiado. Por otra parte todos sabían, porque lo había difundido la prensa y no en esa ocasión sino mucho tiempo antes, en oportunidad de la clausura definitiva del pasaje subterráneo Colaccioppo -a la que habían procedido Berciani personalmente, en calidad de dueño de la iniciativa, y sus cuadrillas en calidad de dueños de la ejecución-, todos recordaban perfectamente la declarada predilección del urbanista por los puentes, todos tenían fresca su aversión a los túneles.

Había llegado a declarar la guerra a todos los túneles de la ciudad. Con el Colaccioppo había podido, con el Acconcia no, no todavía -pero Berciani no perdía las esperanzas. Por el momento, y mientras seguía recopilando objeciones sobre el pasaje subterráneo que se le resistía, optó por cruzar por el puente Dengue, según él un magnífico puente. Así es que, más allá de minucias como esa, nada nuevo en su itinerario. Mal que mal, el urbanista viajaba paralelo a la avenida Pianetti y perpendicular al camino de cintura. Eso hasta llegar al arroyo Carmelo. A partir de allí, de pronto, las señales emitidas por Berciani -hasta entonces regulares y joviales, matizadas incluso por risitas de furtiva ignorancia- se volvieron confusas, comenzaron a llegar más espaciadas, se hicieron difíciles de entender. Y no sólo las que dirigía al periodismo, lo que su vocación natural fácilmente habría explicado, ya que gozaba desconcertándolo mediante toda clase de subterfugios y de falsas alarmas, sino también, y he aquí la primera señal de alarma verdadera, las que desde entonces comenzó a recibir su esposa Telma. Tan pronto como se despidieron, una línea privada había mantenido a los cónyuges en contacto. Así, mientras Berciani suministraba por la línea oficial las coordenadas de sus posiciones sucesivas, por una segunda línea vedada a las antenas de la prensa, entretenía a su esposa con bagatelas domésticas, le recordaba, para distraerla de su inquietud, sus obligaciones del día, y entablaba con ella juegos de adivinación a la distancia, entre ellos una versión personal del veo-veo. Cuando la voz de Berciani se escuchó por primera vez enrarecida, Telma llevaba perdidas doce contiendas. No era de extrañar, dado que Berciani conocía de memoria todos los objetos de su dormitorio, desde donde Telma le hablaba, mientras que ella, poco acostumbrada a salir, ignoraba por completo los paisajes que su marido recorría entonces. La calma se quebró, hubo alboroto cuando Telma salió de su casa como estúpida con el teléfono inalámbrico en la mano. Algo sucedía -era evidente.

La intranquilidad de Telma no era un hecho nuevo, sí los ojos desorbitados con los que enfrentó las cámaras, y sobre todo sí la convulsiones, convulsiones como de epiléptica -y Telma no tenía nada de epiléptica. Mal que le pese a muchos, no todo, convengamos, no todo podía deberse al comentario que le había hecho su marido, poco antes de volver a hacerse oír, sensiblemente turbado, en el teléfono -comentarios soeces, de una procacidad inconcebible. Una emisora de radio, de las que nunca faltan, había interceptado por izquierda la línea privada que comunicaba al matrimonio, de modo que habían oído todo, lo tenían todo grabado. Las últimas palabras del urbanista Berciani, últimas en el sentido de inmediatamente anteriores al arroyo Carmelo, habían sido: Preparate, Telmita, porque después de taladrarte el orto, ese orto sución que te cuelga, ni de sentarte te van a quedar ganas, todas tus ganas, oíme bien, todas, se me van a quedar anilladas en la verga. Esa, convengamos, pudo quizá ser causa de una parte, nunca de todo. ¿O no fueron los periodistas quienes, desconociendo en su mayoría esa conversación clandestina, y por supuesto incapaces de prever, en consecuencia, el efecto que produciría en Telma, detectaron los primeros la irregularidad en las señales?

Fueron ellos, absolutamente. Entre llamada y llamada se alargaba el compás de espera, y cuando los equipos lograban sintonizarla, a duras penas entre una polvareda de interferencias, la voz de Berciani sonaba como un puro farfullar, sofocado por lo que bien hubiera podido ser una mordaza de algodón. Un gruñido, dos o tres más, y esporádicos, después el sonido de un objeto en caída, y en seguida, nada, nada que no fuera el crujir de la palanca de cambios del automóvil, que poco más tarde terminó desvaneciéndose en el aire. El silencio. Ni rastros del urbanista Berciani y su viaje. Únicamente la crisis de llanto de su esposa Telma y, de inmediato, su desmayo en la vereda. ¡Qué consternación! Y todo por el falso dilema de Pianetti o camino de cintura. Primero, por prudencia, se lo dio por perdido así: persona extraviada, se caratuló la causa.

Pero ya las malas lenguas se habían puesto a hacer lo que saben hacer, hablar, y de la peor manera. El comando radioeléctrico de la policía, en combinación con los bomberos, acababa de impartir las instrucciones del rastreo -ya algunos medios informativos juraban haber localizado a Berciani en un país limítrofe. Se había radicado con un nombre falso, vivía a la sombra de una actriz famosa de cine pornográfico, encerrado en una mansión de dos manzanas y media que custodiaba el ejército particular de la diva. Las fotografías, borrosas, probablemente trucadas, lo sorprendían junto a una inmensa piscina techada, los pies desnudos jugando con el reflejo de luz en el agua. Por ser la primera agraviada por la versión, Telma fue la primera en desmentirla.

Aseguró que Berciani era hidrófobo, y que estaba dispuesta a aceptar la catástrofe más trágica respecto de la suerte corrida por su esposo, pero no a rendirse ante la escandalosa mentira de una imagen. ¡Berciani metiendo los piecitos en el agua! ¡Qué le hicieran el favor! Otros medios, intimidados por la posibilidad de que Telma, como habían hecho los anteriores, les entablara una querella por injurias, difundieron una primicia menos agresiva. Berciani se había refugiado en el descampado Tiburcio, lo más abyecto de la tierra de nadie suburbana, verdadera pesadilla para la policía, donde viviría el incógnito como en mendigo. Había decidido retirarse del mundo. Asilado en Tiburcio, se alimentaba de las parvas de basura -los desagües cloacales eran su hábitat. Otro trascendido: el urbanista había aprovechado la excursión para a visitar una amante. Extenuado por los vespertinos ejercicios del amor, se había quedado dormido en una finca ilícita -esa hipótesis duró poco, se extinguió casi tan pronto como empezó a barajarse. Telma, que ya tenía rápidos los reflejos, le salió al cruce. Dijo que sí, que la amante en efecto existía, dio su nombre -se llamaba Ruth. Pero ni las relaciones que Berciani mantenía con ella ni la finca en la que se encontraban -por lo general dos veces a la semana, tres en los períodos más fogosos, tenían para ella nada clandestino. Incluso ella misma, Telma, había decorado la casa en la que tenían lugar las citas, casa que, dicho sea de pasada, se hallaba en una dirección contraria a la que el urbanista había tomado el día de su partida. Ruth hubiera podido quedarse en el molde, la calumnia igual se habría caído por su propio peso y el de la intervención de Telma. Pero salió a la palestra, dio la cara y dijo que no, que Berciani ese día no la había visitado. Ese día no les tocaba, declaró, y mostró el cuadernito forrado en el que de común acuerdo arreglaban las reuniones “Miércoles” -y Berciani había emprendido el viaje un lunes.

Telma y Ruth se presentaron juntas en la televisión, Ruth abrió el cuaderno ante las cámaras. Con la agenda del urbanista, Telma, que se encargaba de consignar allí fecha y hora de las citas extramaritales de su esposo, hizo otro tanto -los documentos coincidían. Las dos mujeres sollozaron, abrazadas. Natural -¡la confirmación del rumor las había aliviado! Pero ahora no, ahora reinaba la incertidumbre. Y sin embargo, desaparecido o prófugo, víctima o impostor, ¡no podía la tierra habérselo tragado! El rastreo fue monótono, puro tanteo y tedio. Policía, bomberos, incluso vecinos espontáneamente movilizados fracasaron parejo.

A los tres o cuatro días sin resultados, cuando las versiones antojadizas alcanzaron su pico de furor, hasta el intendente pareció perder la cabeza. A punto estuvo de declarar día de duelo en la ciudad. A punto -dio marcha atrás por suerte, dejó todo atrás sin efecto. Primero, agotar la búsqueda del urbanista. Después sí, una vez hecho todo lo posible y hecho en vano, darlo por esfumado o por difunto, y con todos los honores del caso. Sucede que la cautela es un arte difícil, dificilísimo en verdad, cuando cunde el desconcierto. No se avanza ni se retrocede, se permanece estancado. Empantanamiento general -como el que sobrevive en el distrito Riccoboni cada vez que caen más de dos gotas. Es cierto que algo se habría podido avanzar de haber prestado oídos a los que Ducmelic fue repetidas veces a comunicar a las autoridades. Ducmelic, el mecánico yugoeslavo, responsable desde hacía años de los automóviles del urbanista Berciani. Ducmelic tenía su taller cerca de la estación Bilmezis, allí donde todo parece acabar y para siempre. Pero era borracho, ahí estaba el problema. La policía ni se dignó a hacerlo pasar cuando se presentó en la comisaría del barrio, y la guardia lo corrió a tiros cuando se apersonó en el departamento central. Los bomberos, por su parte, lo ahuyentaron a manguerazos -pero sólo en el cuartel central, porque en Bilmezis no hay sede de bomberos. Ducmelic pidió ver al intendente -los ordenanzas se le rieron en la cara y llamaron a la custodia. ¡Qué tendría que ver ese harapiento con el gran, con el infortunado Berciani!

Lógico: tanto rechazo lo inhibió. Y para colmo tenía antecedentes, antecedentes de los que no se olvidan. Ducmelic reverenciaba a Berciani precisamente por eso, porque el urbanista nunca les había prestado la menor atención -y eso que los conocía. Al contrario, le pagaba siempre el doble de lo que Ducmelic le facturaba. Croata terco, le decía el urbanista con cariño, te vas a morir multimillonario. Pero el yugoeslavo una y otra vez tocaba fondo. ¡Era el alcohol -su carísimo problema! Y sin embargo ese menos que hombre tenía algo que decir, algo de importancia, sobre el episodio Berciani. El urbanista le había llevado su auto el domingo, quería una revisación a fondo, no sea que se encontrara con una sorpresa dentro del periplo. Como siempre, Ducmelic se mostró extrañado de que Berciani se acercara a su taller. Estación Bilmezis, en eso, no tiene nada que envidiarle al descampado Tiburcio -las dos son zonas rojas, rojas de la peor rojez, y oficial de policía que recibe alguna de esas zonas por destino, oficial que encomienda a Dios y reza, y no para de rezar hasta que le llega la hora. Porque le llega la hora seguro, todavía no ha habido excepción. No se hubiera molestado, le dijo Ducmelic cuando Berciani estacionó el Criqui y se bajó, haciendo chasquear sus zapatos relucientes. Cuántas veces te dije, croata, que me gusta tu tugurio, que este barrio pocilga me refresca. Mírame bien el Criqui que mañana salgo de expedición, no sea cosa que -y ahí le dijo lo de la sorpresa en medio del periplo. Ducmelic nunca había visto un Criqui tan flamante, y no porque él fuese el responsable de su mantenimiento. Lo revisó de punta a punta. La tarde caía en Bilmezis, tonalidades ocres y parduscas se disputaban un cielo hecho jirones. El urbanista, sentado en un cajón de fruta, oía ladrar los perros, fumaba mirando las casitas de chapa. Confiaba tanto en su mecánico que ni se volvió para mirarlo trabajar. Ducmelic no le encontró nada. Nada nuevo, en realidad, porque el Criqui de Berciani, como todos los Criquis importados, la falla que tenía la había traído de fábrica. Era poca cosa, un rulemán mal torneado, seguramente, en el interior de la caja de cambios, que hacía crujir la primera. Muchas veces Ducmelic le había ofrecido arreglar el desperfecto -el urbanista se había negado. No sólo no estaba molesto, al contrario: la fallita lo enorgullecía. Una vez, Ducmelic le había propuesto hacerle gratis el trabajo, desmontarle la caja, retornearle el rulemán o canjearlo por uno original -conseguía repuestos originales por unos amigos contrabandistas. Todo sin cargo. Pero ese día el urbanista le dijo: No es un defecto, croata bizco, ¿no ves que es la seña particular de mi Criqui, su huella digital? Pero la caja cruje, alegó el mecánico. Cruje si no lo manejo yo; si le pongo mi mano encima la palanca es una seda, ¿Querés ver? Y Berciani, de un salto -tenía el Criqui sin capota ese día-, se subió al automóvil, encendió el motor, un reloj, ese motor, una caja de música y puso primera. Y Ducmelic, en efecto, no oyó nada, ni el más mínimo rezongo. Berciani, victorioso, no paraba de reír. Desde arriba del Criqui le gritó, desafiándolo: ¿Querés probar vos, croata bruto? Ducmelic titubeó. Era tan esplendoroso ese Criqui, tan distinguido. Dale le insistió Berciani, mudándose al asiento derecho, después me limpiás el tapizado. El mecánico terminó aceptando. Puso una franela sobre el asiento, pero en vez de sentarse mantuvo las nalgas engrasadas a centímetros del trapito protector. Después apretó el pedal del embrague a fondo y movió la palanca. Cruc, hizo la caja delatora. ¿Ves? Es tu mano bestia de croata la que la hace crujir, conmigo ni mosquea. Y ahora bajate -casi empujándolo- no vaya a ser que te engolosines con el lujo de mi Criqui y te olvides de lo que sos, croata miserable: ¡un croata miserable! De ahí la sorpresa de Ducmelic, de ahí que aguzara los oídos cuando oyó, en la transmisión del viaje de Berciani por su radio a transistores, toda una reliquia yugoeslava de posguerra, el último sonido que había llegado: el de la caja de cambios que crujía. ¡Cómo iba a crujir si el urbanista sabía, si era el único que podía domeñarla! A menos que, efectivamente, a menos que otro le “hubiera puesto las manos encima”.

De esa cuestión quiso Ducmelic poner al tanto a las autoridades. Parecía una nimiedad, era una nimiedad -¡pero sabe Dios lo que pueden significar las nimiedades! Claro que no fue sólo la negación del cuerpo policial, bomberos y municipal lo que acabó mellando su entusiasmo. También tuvieron su peso las advertencias del medio de Ducmelic, un medio de lo peor -como el mismo hubiera reconocido que era el entorno de Bilmezis. Quedate en el molde y no vayás, le dijeron. ¿O querés quedarte pegado? Decididamente había sido un error, garrafal para Ducmelic a la postre, comentar que había descubierto ese crujido. ¡Y comentarlo en rueda de borrachos! Las autoridades le habían cerrado las puertas en la cara, lo carcomía la duda, se había puesto tan ansioso que ahora, arreglando motores, no daba pie con bola y los clientes habían comenzado con las quejas. Era lógico: hay descubrimientos que en soledad no se aguantan -y no era el de Ducmelic la excepción. Normalmente iba a beber al bar de la estación cuatro veces por semana. En el estado en que estaba, fue todas las noches, y siempre el último en irse. Hasta hubo, una vez, que regalarle una botella para que se mandara a mudar, hecho de veras infrecuente en Bilmezis. Lástima que en esas rondas de borrachos no todos tomen la misma cantidad. A primera vista parece que sí, no hay o casi que distinga un borracho de otro, todos sucumben aparentemente a una proporcionalidad alcohólica homogénea. Y si embargo siempre hay uno, uno por lo menos, que atesora un gramo más de cordura que los otros. Ese fue el que escuchó la confesión del mecánico Ducmelic. Todos la oyeron, tampoco eran tapias los borrachos -sólo él la escuchó, y enseguida midió las consecuencias. Allí fue donde apareció lo de “quedate en el molde, no vayás”.

Se lo dijo Ortolá, el uruguayo -más de la mitad de la vida en las cárceles. Tomando, por lo general, era una esponja -dio la casualidad de que esa noche hubiera decidido moderarse. O tal vez no, tal vez llegó al bar de la estación cuando Ducmelic, de tan bebido, ya empezaba a tambalearse. Y quiso la suerte, la mala para Ducmelic, la buenísima para Ortolá, que el uruguayo sorprendiera al yugoeslavo en el momento justo de aflojar la lengua. Los demás, naturalmente, ni se dieron cuenta, siguieron con las bromas en voz alta -se trataban como borrachos: se disculpaban todo. A Ortolá, sin embargo, la confesión le había quedado bien grabada. Desorbitó los ojos -incluso el que llevaba desde siempre entrecerrado, el párpado un colgajo por una cuchillada-, y volvió a llenar con disimulo la copa de Ducmelic. Por eso lo de “no vayás, ¿o querés quedarte pegado?”. La salud del yugoeslavo, su destino, lo tenían sin cuidado -como por otra parte toda salud, todo destino ajenos. Por él, por Ortolá, Ducmelic podía pudrirse golpeando lasa puertas de las comisarías, los portones de los cuarteles de bomberos. Allá él, si tenía tantas ganas. Pero cuando pensaba que Ducmelic, en manos de la policía, iba a ser una fiesta de interrogatorio -ahí Ortolá pensaba en su propia salud, en su destino propio, y ese pensar en verdad no le gustaba. Ducmelic era en sí mismo inofensivo, un buen yugoeslavo y un buen mecánico, apenas un poco aturdido por el vino, pero siempre leal al código de Blimezis. Ahora -¿Ducmelic frente a frente con uno, dos, tres interrogadores policiales, trescientos cincuenta watts encendiéndolo? Ortolá conocía ese trámite de memoria, había pasado ya por la experiencia. Se acudía, digamos, a la policía, y no para esconder un caño en el puesto de flores de la esquina sino para colaborar -¡qué asco de palabra! Era el caso de Ducmelic. ¡Ya era un milagro que lo hubiesen fletado sin escucharlo! Lo normal hubiera sido que lo hicieran pasar directo al despacho alfombrado del comisario. Y una vez allí: Siéntese por favor, ¿Gusta un café? ¡Cabo Tobi! ¡Un café bien cargado para el señor! Ahora ¿en qué piensa usted que puede sernos útil? Oigo y tomo nota -y el comisario, dicho y hecho, con la punta del lápiz clavada en el primer renglón. Entonces, por lo general, los ducmelics balbucean lo que sabían o creían saber, un detalle revelador, una pista, quizás el extremo del ovillo. Pero ningún nombre propio. Nada de apellidos, nada de alias, nada. ¿Y cómo iba a ponerse el comisario si no le daban lo único que esperaba? Salvaje, hecho una furia. ¿Eso es todo?, preguntaba, iba levantándose, en ciernes como una tormenta. Entraba con el café el cabo Tobi -el comisario le arrebataba la taza de las manos y la volcaba, íntegra e hirviendo, en la cara del ducmelic. ¡A la sala de preguntas con él!, rugía el despiadado. Y allí, en la sala de preguntas, nada de alfombra, nada de café, ni pizca de “señor”: silla de metal, esposas, velador en la cara y paliza múltiple, todas partes, a mano limpia y con cachiporra de goma. Quince minutos duraba como mínimo el tratamiento. Después, los resultados. Si el ducmelic, inútil estoicismo, había muerto sin hablar, a la zanja con su cuerpo. Si había alcanzado a deletrear un nombre a duras penas, se lo encerraba para su recuperación, pero cuando volví a salir, frescas aún las cicatrices, quedaba fichado como informante para siempre. Con Ducmelic, aquel particular ducmelic, además, el riesgo aumentaba. Porque a veces, si ayudaba la fortuna, los pobres ducmelics, que se habían presentado nada más que a declarar, no tenían ningún nombre en su haber que delatar, nada de papita para el comisario -y eso de la mayor buena fe. Entonces los de afuera, por ejemplo él, Ortolá, podían dormir tranquilos. Pero con Ducmelic no había seguridad, el riesgo era tremendo. Cualquier nombre que le brotara en la sala de preguntas era uno menos, uno menos de Bilmezis y en menos de lo que canta un gallo. ¡Si además de un par de parientes yugoeslavos Ducmelic sólo trataba con gente como él, Ortolá, todos deudores y eternos de la ley! Ortolá, Fulani, Abulafia, Babbo, cualquiera de los que a menudo compartían con Ducmelic la mesa del Bilmezis, la botella -¿qué sería de ellos, de cualquiera, si el yugoeslavo dejaba caer como quien no quiere la cosa, y de seguro no la quería, porque la cosa, el porvenir del interrogatorio, era si no hablaba la desfiguración, sin ir más lejos la muerte, un nombre cualquiera, un nombre al azar en la sala de preguntas? De modo que Ortolá, apelando a la prudencia, siguió a Ducmelic esa noche. Abandonó antes que todos el Bilmezis, no se alejó, montó guardia al reparo del puente Chuelo, del que ya quedaban apenas unos pocos pilares herrumbrados. ¡El puente Chuelo! A veces la noche tiene, para la ironía, el tiempo justo que al día le falta. La reconstrucción del puente Chuelo, el urbanista Berciani todavía la tenía en carpeta, no había claudicado en si propósito pese a que del puente cada vez quedaba menos. Lo habían ido deshojando con el tiempo, en parte por pura vocación de ultraje, en parte porque del hierro era buena la reventa.

Ahí esperó Ortolá, todo sigilo en el raquítico esqueleto del puente, hasta que Ducmelic, más que salir, egresó a golpes de Bilmezis. Se había puesto, al parecer, insoportable. Insultaba a todo el mundo, el barman Maffioli y Normita, la moza renga, eso era a esa hora “todo el mundo”, porque la radio no pasaba música de Bitola, su ciudad yugoeslava y natal -y él, la música de Bitola, decía necesitarla como el aire. Había nacido en Bitola, sólo nacido. Después, a los pocos meses, la familia Ducmelic, y el pequeño Ducmelic con ella, se había radicado en Zagreb.

De ahí lo de “croata”. Pero de tanto en tanto le daban esos ataques y Bitola, la ciudad del sur que casi no había conocido, y más que Bitola una melodía de Bitola, se le aparecían de repente como una alucinación. Normita bostezaba, Maffioli no pensaba en otra cosa sino en cerrar -y Ducmelic, impertérrito, seguía reclamando los cantos de su terruño. Hasta que el barman dijo basta -y fue basta. Qué Bitola ni ocho cuartos, dijo agarrándolo del cinturón, y lo hizo atravesar así todo el salón del Bilmezis, te me vas ya mismo a dormir la mona. Ducmelic, arrastrado, trataba de aferrarse a las botellas que quedaban en las mesas. Ya en la puerta, Maffioli lo balanceó en el aire. Uno, dos, tres: ¡a la calle! Más bien al lodazal, porque el Bilmezis no da a ninguna calle. Y aplaudiendo para sacarse el polvo de las manos, de puro satisfecho, Maffioli lo alertó: Guay de que te pesque rodando el boliche. Te vas a arrepentir, yugoeslavo, yo sé lo que te digo. Portazo, y a otra cosa. Ducmelic, como pudo, se incorporó. Emprendió a tientas el regreso, murmurando su patriótica cantinela de borracho -Bitola, Bitola…- sólo tenía voz para evocar su aldea. Sus pensamientos, sin embargo, seguían atareados en Berciani. Más de una hora tardó en volver, y más de una hora que se contaba triple: Bilmezis, por las noches, es un vasto laberinto de ciénagas y de niebla, y el tiempo no corre, se elastiza. ¡Más aún para un croata ebrio que carece de brújula! Ortolá lo seguía de cerca pero con cuidado, y eso que Ducmelic, en su estado, no hubiera sido capaz de distinguir a un ejército pisándole los talones. Cuando llegó, exhausto y mareado, a su casa, una piecita más que humilde en los fondos del taller, una sorpresa lo esperaba -Telma. A decir verdad, fue sorpresa para ambos, para Ducmelic tanto como para el uruguayo, que supervisaba todo desde la penumbra, tropezar con la aparición fantástica de Telma. Ducmelic la reconoció en el acto.

Ortolá no, tuvo que tomarse su tiempo hasta sacarla -y la sacó por deducción, por pura lógica. Al yugoeslavo no se le conocían mujeres, las pocas que frecuentaba, por otra parte, nunca pisaban su morada -¡era famosa de mugrienta! Estaba obsesionado por la desaparición del urbanista, que era rico y tenía esposa, aquella mujer envuelta en pieles no era oriunda, sin duda, de Bilmezis. ¡Era Telma! -se caía de maduro. Había dado esta casualidad, increíble: una en un millón: que Telma identificó a Ducmelic en la televisión. La pobre miraba sin cesar los noticieros, como si fuera a encontrar ahí los datos que las autoridades no conseguían por las suyas. Y esa tarde había estado así, cambiando de canal a la marchanta, cuando súbitamente vio de refilón, en un seguidísimo plano, al custodio del cuartel de bomberos ahuyentando al yugoeslavo de la sede. Lo vio, dijo: Es Ducmelic, el mecánico, y quedó petrificada. ¿Por qué está ahí?, se preguntó. ¿Por qué insiste tanto ese mecánico? -al ver que Ducmelic, rechazado, volvía a la carga, y que el custodio otra vez lo rechazaba. Entonces pensó: Algo sabe, y consultó la agenda de Berciani y al final dio con la dirección, con el taller del yugoeslavo.

Es en Bilmezis, se dijo preocupada -pero pudo más el entusiasmo, la esperanza. Iré esta noche, tarde, se dijo esperanzada. Y así fue, ahí estaba. Apenas vio a Ducmelic le dio un vuelco el corazón. Usted, le dijo, cayendo en sus brazos sin aliento, dígame lo que sabe, estoy desesperada. Hundiendo sus manos en las pieles, Ducmelic la sostuvo –fue un paréntesis de voluptuosidad, fugaz pero regocijante. Y luego: Lo que sé es nada, contestó -pero sólo para ganar tiempo, pues el ave funesta del peligro se había posado sobre él, sobre su cabeza aturdida. Aún pensaba, créase o no. Al ver a Telma esperándolo en esa desolación, había experimentado el impulso, la tentación irreflexiva de confesarse. Al fin y al cabo era el destino, y no la policía, el que se había presentado a tomarle declaración. Resistió el impacto, sin embargo -el consejo de Ortolá se le volvía una amenaza. De ahí lo de “lo que sé es nada”. Telma, entre sus brazos, quiso saber porqué lo había visto merodear el cuartel de bomberos. Por otra cosa, desvió el yugoeslavo, nada que ver con su marido y lo lamento. Telma se apartó, decepcionada pero dudando. ¿No me miente usted? ¿No está escondiéndome algo en el fondo? Ducmelic vaciló -acaso tiritaba de frío, o de haber visto en la cara de la mujer a Berciani la imagen de Berciani, la peor de todas las imágenes. Le doy todo lo que tengo por un dato, dijo Telma, sacando de la cartera un fajo de billetes precavido. Se le fueron los ojos al mecánico, y como para no: la plata era muchísima. Arreglaría el taller, volvería por fin a Zagrev y a Bitola, se la patinaría toda en putas y en bebida. Pero otra vez la garra del peligro lo retuvo, otra vez Ortolá lo frenó en seco. Le repito que no, le dijo, y su mirada trataba de esquivar los billetes, ¿por quién está tomándome? ¡Cuánto le costó fingir la indignación, su falso escándalo de honesto! Pero Telma, dispuesta a todo, arremetió: ¿Qué quiere si no es plata? ¿El Criqui de mi esposo? Ayúdeme a encontrarlo y es suyo, le prometo, y besó la cruz que trazó con el índice sobre los labios. Y Ducmelic, que no estaba para la piedad pero tampoco para el asco -empezó a retroceder, a alejarse hacia los fondos del taller. Por esa noche tenía bastante. Telma hizo crisis y estalló en lágrimas. Entreabriéndose las pieles le gritaba: ¡Si no es el Criqui yo, yo te me entrego! ¿O vas a decir que no me tenés hambre? Pero el mecánico ya no la escuchaba, había corrido a la piecita y estaba encerrándose con llave. Un segundo más y, si se quedaba, perdía los estribos. No la vio, pues, volver a acomodarse las pieles del tapado, ni meterse llorando en el auto que la había traído. Un Criqui, como el del urbanista Berciani, pero tres modelos más viejo –y sin embargo tan cuidado que resplandecía como una joya. Cuando se fue, patinando en el proverbial barro de Bilmezis, Ortolá abandonó su escondite mirador y siguió a lo lejos los faros que iban extinguiéndose.

Yugoeslavo nulo, desaprovechar así esa mercadería, murmuró para sí como cualquier incrédulo delincuente. Lo había visto todo, pero de lo dicho sólo había alcanzado a oír una parte, la última. Le persistían las sospechas, ¿Y si Ducmelic había hablado? ¿Y si esa noche no, pero hablaba al día siguiente? Hubiera podido irse, darse por colmado y dormir. Pero no hay como la incertidumbre para sumir a los criminales en el insomnio. Era entonces o nunca. Fue bordeando el taller apretado contra las paredes, con pasos tan astutos que no se oían, y cuando llegó a la ventana, la única ventana de la piecita de Ducmelic, hizo un alto. Había luz -se asomó. El yugoeslavo había apartado los trastos de mecánico y escribía, inclinado sobre un claro de la mesa, no tan claro pues la inclinación, un encorvamiento de niño aplicado, cortaba en dos la mesa con su sombra. Escribía con su letra lenta, trastabillando sobre el hilo delicado de los renglones, y las palabras, como hormigas rengas, rompían filas bajo el resplandor del sol de noche. Una pena lo de Telma. Si no la hubiera traicionado la ansiedad, si la crisis hubiera tardado en asaltarla, si, apelando al corazón, no a la codicia ni a la carne, hubiera insistido en rogarle al yugoeslavo -lo que Ducmelic borroneaba en el papel, ella lo habría escuchado de sus propios labios, así, directamente. Ahora, en cambio, que el mecánico lo ponía por escrito… Porque está visto que es así, y que es así siempre: lo escrito cae en malas manos. Ahora, en cambio, Telma había vuelto deshecha a su casa, hecha trizas la que imaginaba que era su última esperanza.

Como antes a Ruth, tachó a Ducmelic de la lista. ¿Quién le quedaba? ¿Adduci, el dentista? ¿El inspector municipal Battiperde? Y estaba terminando de tacharlo con poca convicción pues aún sospechaba del mecánico, cuando entre sollozos la sobresaltó el timbre del teléfono. Decepción, no era Berciani, era la policía. Un soplo de aliento, tenían algo para ella. Que ya mismo pasara, le dijeron, a reconocerlo. ¿Algo?, dijo Telma con voz entrecortada -pensaba en un dedo, una oreja, en esa terrible clase de algo. Pero la policía es lacónica, y más lo es por teléfono. Venga pronto, le dijeron, es el tiempo lo que apremia. El viaje fue extraño. Más que viajar volaba, apretando el acelerador a fondo, cuando la voz del policía resonaba en sus oídos como un augurio favorable. O bien se demoraba, aliviando la presión sobre el pedal, cada vez que la voz le prometía una catástrofe. Esa fluctuación no puede ser más normal, el ánimo del desesperado la conoce. Se quiere llegar enseguida, se quiere no llegar nunca -y mientras tanto se viaja así, promediando la urgencia y el espanto con la distracción indolente de un turista. La ciudad, gracias a dios, estaba desierta. El camino fue fácil y límpido. Pasaje Berti hasta Bonino, después circunvalación Bustrófedon, la bajada Bléfari, y por último acceso Bitol hasta la gran explanada Bertani. En poco más de diez minutos Telma estuvo frente al oficial de la voz que seguía resonándole. Esa repugnante costumbre de las voces que tienen de resonar. Tenía algo entre las manos -ella creyó desfallecer- algo envuelto en un pañuelito blanco. Otro oficial, de gafas y pechera, le acercó una silla para que se sentara. De vida o muerte, le dijo el primero, ¿qué es esto? -y con la mayor delicadeza separó una por una las puntas del pañuelo. Era un Bluti antiguo, carísimo y con números romanos.

¡El Bluti de Berciani! Telma atropelló y se apoderó del reloj con manos temblorosas. Lo dio vuelta para examinarle el dorso. Los dos oficiales intercambiaron una mirada cómplice. Acá están, gritó Telma -y señalaba dos incisiones en la convexa espalda metálica: ¡son las iniciales de Berciani! Allí estaba todo -por si faltaba algo. Abrazada al reloj, Telma rodó por el piso, las lágrimas volvían a inundarle los ojos. Y eso que había llorando mucho ese día, muchísimo, contando el llanto del despertar, infaltable, el del mediodía, obvio: faltaba Berciani de la mesa, el sollozo del atardecer, cuando detectó a Ducmelic en la pantalla, y el de la noche, el más reciente, cuando por fin vio al yugoeslavo y no pudo, no, sacarle nada. Telma rodó y lloró largo rato entre los oficiales respetuosos, acunando el reloj como a una criatura mecánica que le traía, quizás, un mensaje. Porque el Bluti, convengamos, era un signo -de vida o muerte. Pero ¿cómo?, exclamó Telma, ¿cómo ha venido a parar este Bluti entre nosotros? La cuestión había sido así -una redada. Efectivos de la policía habían tomado subrepticia posición en la dársena Trevi del puerto, a la espera de un desembarco ilegal -droga, sustancias químicas, lo que fuera, la denuncia no había aportado precisiones al respecto. En la dársena, sin embargo, esa noche no había habido movimiento alguno –ni legítimo ni sospechoso, nada, sólo el movimiento de las ráfagas de brisa helada con su secuela de olores fétidos, tan nauseabundos que varios agentes estuvieron a punto de vomitarse el uniforme. Con todo, cuando la tropa ya se aprestaba a retirarse, la incursión no demostró ser tan estéril. Una trifulca allá, ruido de botellas rotas y de disparos en el Atrevi, el bar de la dársena Trevi. Acudió una brigada reducida, cosa de aquietar los ánimos y pescar, en una de ésas, un par de peces revoltosos. ¡Todo fuera para justificar, como mínimo, los gastos del traslado! Y una vez en el Atrevi, lo de siempre: la cadena de siempre, entre la botella y el disturbio, con su saldo de destrozos, de contusos. Todos adentro. De pronto, mientras los arreaban a celular, una luz relampagueó en la oscuridad: el haz de una linterna por azar había dado en el Bluti. Lo llevaba en la mano un parroquiano, acaso el único inocente en el conflicto. Procedieron sin demora a confiscárselo. Era inexorable: el Bluti figuraba y destacado en la descripción que Telma había dado del urbanista Berciani el día de su desaparición -descripción por otra parte exhaustiva, pues hasta la muela de oro había sido incluida en el listado, y eso que sólo era visible en la inspección odontológica, o para el husmear del médico forense, de la policía y de los familiares directos si, llegado el caso, se hacía necesario reconocer el cadáver.

¿Mi Berciani cadáver? Telma, en un principio, no quiso saber de nada, se negó a dar el detalle de la muela de oro. Informaciones útiles sí, morbosidades no, dijo. Y los policías: Tenemos que estar preparados para todo, vamos. ¿Tiene alguna pieza dental que permita identificarlo? Y Telma, intransigente, que no -que ni se le pasaba por la cabeza. Y otra vez los oficiales: Así no hay investigación, señora, que progrese. Entre tira y afloja estuvieron como media hora. Por fin, menos por convicción que por resignada, Telma les entregó el dato. Pero el Bluti había brillado primero, afortunadamente -y afortunadamente al menos en ese momento de la pesquisa, cuando de Berciani el Bluti era la única, la primera señal en presentarse. Así, con el Bluti como eslabón, se trataba de remontar la cadena, ascenderla o descenderla, quién sabía en verdad, o acaso seguir de cerca sus eventuales filamentos laterales, que nunca faltan. Y la pesquisa continuó, o avanzó, entonces de este modo. Del parroquiano del Atrevi, que en la jerga Ortolá, es decir la de Bilmezis, quedó pegado por un lustro, pues aunque era a todas luces inocente, tanto el la batahola del Atrevi como en el caso Berciani, siempre un precio cuesta ser eslabón de una cadena, se tuvo acceso al tahúr que le había vendido el Bluti -Babeau, oriundo de Marsella, gángster renombrado de los suburbanos. Fue detenido en los lindes de su imperio, entre el baldío Trumper y la vieja usina Comoglio.

Años hacía que se la tenía jurada la justicia, años que Babeau, ágil de cintura, burlaba zigzagueando sus asedios. Pero esta vez no, le cayeron encima y ni de patalear tuvo tiempo. Lo sorprendieron en plena contabilidad, ¡y había que haber visto la chispa que hacían las ganancias al frotarse contra sus ojos! Pero eso no fue lo peor. Lo más in fraganti fue la cadenita de oro que le secuestraron del bolsillo, ajena por supuesto y además grabada, para colmo, también con las iniciales de Berciani. ¡A ver si nos explicás este tesoro marsellés tránsfuga, le dijeron, y a continuación el procedimiento de rigor -a la sala de preguntas con el pájaro. A los diez minutos, pues Babeau era blando, mucha Marsella y muelle de la brumas pero a la hora de cantar, todo un jilguero, la pesquisa se había desparramado como un chorro de luz que atraviesa un prisma. De la tabacalera Sunchález, inactiva a lo largo de una década, vinieron las botas de Berciani, intactas y hasta lustradas. El que las calzaba, un matón joven de apellido Trémoli, cayó cuando oponía resistencia -tiro en la cabeza y que no se hable más. El cinturón, los mitones y los lentes, por lo general inseparables de Berciani, se encontraron en el ex depósito Gastaldi, actualmente nuevo depósito Gastaldi. La banda quiso retobarse, poco le duró. A medida que las cortesías de Babeau daban sus frutos, hallazgos simultáneos se agregaron. Un choque en la intersección de Melnik y de Antúnez dio la pista. Podría haber sido un accidente más, de miles que ensangrientan ese cruce -¡hasta cuándo esperarán los vecinos el semáforo!-, pero fue distinto. Había cerca una patrulla, era el alto sagrado de la cena. Los respectivos conductores se bajaron, contemplaron azorados el desastre, la columnita de vapor que despedía la chapa retorcida. Habían chocado fuerte, de milagro estaban vivos -y de golpe se trenzaron. Arma blanca, revólver y los gritos: ¡Te voy a coser, marmota, a puñaladas! ¿Querés entre los ojos, chauchón, un recuerdo de este chumbo? La patrulla intervino para separarlos y -¡raro fenómeno el de la ley, que une de repente a los que antes tenían la idea fija de matarse. No hubo más remedio: allí quedaron, de cuerpo entero en el asfalto. La requisa de los autos, de rigor, arrojó este resultado: disimuladas en sus partes, los dos tenían piezas del Criqui de Berciani. Motor, llantas, diferencial y batería: un verdadero prodigio del transplante. Así, indicio de Berciani que aparecía, indicio que en el acto iba a parar al destacamento de la explanada Bertani. Y allí Telma, la ojerosa Telma, que ni tiempo de quitarse las pieles había tenido, recibía las partes del botín Berciani como una dama de beneficencia los frutos de su colecta navideña.

A las cuatro y media de la mañana dieron con la carrocería del Criqui, estaban despintándola a fuerza de soplete en un galpón, pleno centro de Fortino. Dos minutos más tarde, en el otro extremo de la ciudad, el sereno de una playa de estacionamiento se probaba el pulóver de cuello volcado de Berciani. In medias res lo capturaron, aprovechando de la lana el sofocón, las torpes mangas, para ahorrarse las esposas. Poco después, cerca de las seis, un allanamiento en Tubuletti exhumó la billetera (faltaba la foto de Telma), el llavero, los documentos personales del urbanista. A los ladrones, elemental noción de táctica, ya no los liquidaban. Más se acercaban los policías al corazón de la pesquisa, más vivos y despiertos los necesitaban. En un momento fueron tantos los objetos personales de Berciani que se recibían, porque luego de los últimos habían llegado la camisa de seda, la alianza matrimonial, las medias con monograma, hasta el minúsculo perro salchicha que solía mover la cabeza en la luneta trasera del Criqui, que en un momento hizo falta una caja para reunirlos, para evitar que siguieran dispersándose. Y mientras Telma, en un paradójico ritual de bienvenida, parsimoniosamente iba guardándolos, dos oficiales, ninguno era el de gafas, pues se le había encomendado escribir el nombre de Berciani en una etiqueta, desplegaban sobre un muro una gran pantalla electrónica con el mapa de la ciudad. Ensimismada en el acopio, Telma no les prestó atención -pero el mapa iba marcándolo la suerte por su cuenta. Los puntos rojos, los de brillo continuo, señalaban los lugares de procedencia de los últimos objetos recuperados. Los verdes, los intermitentes, indicaban los rumbos inmediatos a seguir. Ringuelet, el Hogar Peloneda, la caleta dinamitada de Trombesco -más eslabones de la cadena, primicias obtenidas en la sala de preguntas.

Y de la combinación de rojos y de verdes, en el cuarto contiguo, los oficiales de logística, esos eximios probabilistas de la policía, inferían hipótesis sobre el porvenir de la pesquisa. Unían los puntos en familias sutiles y, proyectándolos en líneas de acción imaginarias dibujaban el perímetro de la estocada final. En la pantalla, eso daba un círculo -sí. Pues en el delito la cadena suele tener eso, esa capacidad de, repentinamente, convertirse en círculo. Puntos rojos, enclaves ocupados por la ley. Puntos verdes, puestos a ocupar. Círculo de acción, programa de operaciones. Y en el centro hipotético del radio, una luz amarilla: Berciani, la víctima. Paralelamente variaba, entre tanto, el estado anímico de Telma. Al principio, con el rescate del Bluti, le había parecido que Berciani, como en un milagro, se le presentaba desde la lejanía de su desconocido paradero. Los hallazgos posteriores incrementaron esa algarabía. Y por qué -era sencillo. Había reconocido la cadenita de Berciani y dicho: Querían la cadenita, no a Berciani. Después las botas: Les tenían ganas a sus botas, no a él. Y lo mismo con los órganos del Criqui: Ambicionaban sus bienes, no quitárselo. Después, a medida que más cosas fueron cayéndole en sus manos, la alegría sufrió un retroceso paulatino. Hasta que se le instaló esa idea en el espíritu: Pronto todo lo de Berciani lo tendré aquí, en esta caja. Y si es así, la idea continuaba, ¿a que habrá quedado él reducido, no en su poder sino en el mío? Los oficiales, que le leyeron en el acto el pensamiento, bajaron los ojos y permanecieron en silencio. Por un momento no se oyó, en la sala del departamento, otro sonido que no fuera el bip interminable de los puntos verdes. Así sucede, por lo general, cuando se cruza una idea, todo enmudece bruscamente -como si la idea, al parecer, chistara directamente al mundo y lo obligara a callar. Y después, cuando la idea pasó, dejando a Telma ensombrecida, porque ciertas ideas son como extraños eclipses: el astro opaco desaparece, pero no las tinieblas con las que acaba de teñir la superficie de las cosas, todo reanudó su marcha y los oficiales volvieron al trabajo. Entraron dos agentes, traían la camiseta de frisa de Berciani -de punto verde, la calera de Trombesco pasó a ser punto rojo. Casi pisándole los talones se presentó la patrulla destinada a Ringuelet.

Telma, ya sin fuerzas, miró apenas la palanca de cambios, el freno de mano: eran del Criqui de Berciani, eran auténticos -y Ringuelet ascendió a punto rojo. Y cuando Telma volvió a abrir los párpados vio más gente atropellando, oyó, de pasos, más estridor. Eran los del Hogar Peloneda, la incursión había sido un éxito -y las puertas de la sala se abrieron de par en par para dejar paso a un carrito rodante. Telma casi no se incorporó. Despegándose levemente de la silla, pues el cuerpote pesaba tanto como los párpados, como el corazón, echó un vistazo al contenido. La consola del Criqui estaba allí, despedazada, envuelta en una telaraña de cables y de hilos. ¿Peloneda punto rojo?, preguntó un agente de logística. El oficial de gafas asintió con la cabeza, y enseguida el mapa electrónico procesó la información. Habían cesado de verdecer los puntos verdes, ya no más intermitencias: alrededor del punto amarillo, pálido resplandor de la víctima Berciani, brillaba el círculo -y esta vez parecía, sí, definitivo. ¿Falta algo?, preguntó a Telma uno de los agentes. Ella lo miró como saliendo de una hipnosis, y luego examinó con un cuidado exhausto las partes del botín recuperado. No, dijo por fin -pero enseguida: Sí. El agente tardó en comprender. Falta Berciani, dijo Telma, y se puso de pie. Los oficiales se pertrecharon de gorras y armas. Uno de logística vino, entregó el papel con, dibujada, la posición final de Berciani.

La proyección había dado estas coordenadas: la Quema al norte, el basural Babuscio al sur, la autopista Roldi al este, al oeste el acceso Barchoqui. ¿Está lista?, le preguntaron a Telma. Y ella, sin contestar, avanzó hacia la puerta como una sonámbula. Un agente recogió su abrigo de piel y la siguió. No habían dado las siete cuando salieron -la mañana se anunciaba diáfana, en la esquina de Bartroli ya formaban fila los emigrados inminentes. ¡Y eso que escaseaba el papel de pasaporte! Eran veinte hombres distribuidos en cinco móviles policiales -y una mujer, la cabizbaja Telma. Cómo se le pudo ocurrir al cabo Bauto prender la radio -misterio. Lo cierto es que la prendió y nadie se lo explica. Durante un minuto oyeron las advertencias matutinas: atascamiento en Baldinu, desperfecto en la barrera de Abulafia, accidente en la vía Dubufreddo -hasta que Telma comenzó a sollozar en silencio, como avergonzada, y el sargento Tettamanti apagó en seco la Motorola. Ayudados por las sirenas, que ahuyentaban a los autos, viajaron rápido y evitaron los escollos -pero eso hasta cierto punto, porque bien que en Babani estuvieron detenidos un buen rato. Unos rateros, parece, habían hecho volar una estación de servicio. ¿En la caja no había plata? ¿Se habían llevado ya la recaudación? Dos o tres fósforos en los surtidores y arriba, ¡a las nubes con la central de suministro! Se libraron de Babani. Merodeaban ya la zona clave cuando procedieron a distribuirse: un patrullero entraría por la Quema, otro por Babuscio, el tercero se apostaría en Roldi, el cuarto en Barchoqui. Sólo uno finalmente se acercó al punto amarillo y estacionó junto a la víctima -el quinto. Telma viajaba adentro. El cabo Baum apagó el motor y esperó. El sargento Tettamanti dio la orden de bajar -bajaron.

Bajaron todos menos Telma. No tenía por qué, ya lo había visto a través de la ventanilla, desde adentro -había dejado de llorar, a esa altura, y no había dudas -era él, era Berciani: sentado en el asiento delantero del Criqui, lo único que había quedado del auto, completamente desnudo, y con el cuello quebrado por una sola torsión. En sus ojos muertos, sin embargo, como un áspero cristal brillaba todavía la luz de su ambición, de su ambición abortada para siempre –terminar de una vez por todas con el falso dilema de Pianetti o el camino de cintura. Alguien, una voz decía: Afirmativo, afirmativo, tenemos el occiso. Pero ya Telma no la oía. Tenía la vista vuelta hacia otra parte, algún punto entre la Quema y Roldi, tal vez hacia las grandes chimeneas rojizas de la fábrica Bulfone, que recién empezaban a humear. Tenía los ojos muy abiertos pero no miraba nada, en realidad, porque se había dormido -y soñaba.

Soñaba con un Bluti, real como el de Berciani, pero cerrado como los viejos relojes de chaleco. Era la primera vez que lo veía -y sin embargo el reloj no tenía secretos para ella. Encontraba fácil el mecanismo de resorte, lo abría -y descubría entonces que no era un reloj, que el Bluti era una cajita de música. Quiso reconocer la melodía, el falso aire de pianola, le pareció eslavo -pero no pudo ir mucho más lejos y cerró los ojos cambiando de sueño.

Par Alan Pauls

Alan Pauls (Buenos Aires, 1959) est écrivain, journaliste, scénariste et critique de cinéma. Diplômé en Lettres, il a été professeur de Théorie Littéraire à la Faculté de Philosophie et Lettres de la UBA (Université de Buenos Aires) et fondateur de la revue Lecturas Críticas. Il a été rédacteur en chef de la revue Página/30 et éditeur associé de Radar, supplément du quotidien Página/12 le dimanche, dans lequel il continue d’écrire régulièrement. Actuellement, il écrit des articles sur des thèmatiques culturelles pour le journal brésilien Folha de Sao Paulo et présente le cycle de cinéma indépendant Pimer Plano sur la chaîne cablée I-Sat. Parmi ses œuvres, les plus importantes sont les essais Manuel Puig : La traición de Rita Hayworth (1988), La infancia de la risa (sur Lino Palacio) (1994), Cómo se escribe un diario íntimo (1998), El factor Borges (2000) et La vida descalzo (2006). Il a publié cinq romans : El pudor del pornógrafo (1985), El coloquio (1989), Wasabi (1994, rééditée en 2005), El pasado (2003, prix Herralde de Novela) et Historia del llanto (2007), qui parut en français sous le titre Histoire des larmes (2009).

Son sixième roman, Historia del pelo, est paru cette année en mars, et dont la traduction française vient juste de paraître. Traduits dans plus de neuf langues, ses livres sont publiés en français par les éditions Christian Bourgois.

Gersende Camenen est docteure en littérature latino-américaine et maître de conférences à l’Université de Tours. Ancienne élève de l’École Normale Supérieure, traductrice d’essais et de nouvelles publiées dans la NRF.

Illustrations d’Esteban De la Mata. Originaire de Mar del Plata, en 2002 il obtient un diplôme en communication sociale à l’Université nationale de La Plata. Il a travaillé comme journaliste à la radio et à la télévision, et comme attaché de presse dans le domaine politique. Il a aussi été professeur, facteur, barman et ouvrier agricole. Il a vécu dans de nombreux endroits (La Plata, Buenos Aires, Patagonie, Brésil, Espagne) et habite actuellement à Bordeaux.

[1N.d.t : le veo veo est un jeu de devinettes par lequel on familiarise les enfants avec l’alphabet. On y joue en général pendant un trajet en voiture.