Le Caddie

Cet après-midi là, Juancho était ivre, et il se promenait sur le trottoir d’en face l’air bravache, bien que plus personne dans le quartier ne se sente menacé par sa présence intoxiquée, ni même vaguement inquiet. À côté de chez nous, Horacio nettoyait sa voiture comme tous les dimanches, en short, des claquettes aux pieds, le ventre tendu et proéminent, du poil blanc au torse, le match à la radio. Au coin de la rue, les Espagnols de la boutique buvaient le maté, la bouilloire posée par terre, entre les deux chaises de plage qu’ils avaient sorties parce qu’il faisait beau. En face, les fils de Coca buvaient de la bière sur le perron, et un groupe de filles tout juste sorties de la douche et trop maquillées discutaient devant la porte du garage de Valeria. Papa avait essayé, un peu plus tôt, de dire bonjour et de bavarder avec les voisins, mais il était rentré comme d’habitude, tête basse, un peu contrarié, parce que c’étaient des gens honnêtes mais ils n’avaient aucune conversation, chaque dimanche après-midi il disait la même chose.

Maman les épiait par la fenêtre. La télévision du dimanche l’ennuyait, mais elle n’avait pas envie de sortir. Elle regardait à travers les fentes du store entrouvert, et de temps en temps elle nous demandait un thé, ou un biscuit, ou une aspirine. En général, mon frère et moi restions à la maison le dimanche ; parfois, le soir, on allait faire un tour dans le centre, quand papa nous prêtait la voiture.

C’est maman qui l’a vu la première. Il arrivait par Tuyutí, en marchant au milieu de la rue, avec un caddie de supermarché rempli à ras bord, et encore plus ivre que Juancho, mais il se débrouillait pour pousser la poubelle accumulée, des bouteilles, des cartons, des annuaires. Il s’est arrêté devant la voiture d’Horacio, en titubant. Il faisait chaud cet après-midi là, mais l’homme portait un vieux pull verdâtre. Il devait avoir dans les soixante ans. Il a laissé son caddie contre le trottoir, il s’est approché de la voiture et, juste là où ma mère pouvait bien le voir, il a baissé son pantalon.

Elle nous a appelé en criant. Nous nous sommes approchés tous les trois, mon frère, papa et moi, et nous l’avons épié à travers les fentes du store. L’homme, qui ne portait pas de caleçon sous son pantalon de costume crasseux, a chié sur le trottoir, une merde molle presque liquide, et en grande quantité ; l’odeur est arrivée jusqu’à nous, ça puait autant la merde que l’alcool.

Pauvre homme, a dit maman. Quelle misère, ce qu’on peut être amené à faire, a dit papa.

Horacio était ahuri, mais on voyait qu’il commençait à s’énerver, parce que son cou est devenu rouge. Mais avant qu’il ait le temps de réagir, Juancho a traversé la rue en courant et a poussé l’homme, qui n’avait pas encore eu le temps de se relever, ni de remettre son pantalon. Le vieux est tombé dans sa propre merde, et s’en est barbouillé le pull et la main droite. Il a seulement murmuré « aïe ».

— Sale Noir !, lui a crié Juancho. Villero [1], enculé de ta mère, tu viens pas nous faire chier dans notre quartier, enfoiré de Noir !

Il s’est mis à le bourrer de coups par terre. Lui aussi s’est taché les pieds de merde, il portait des tongs.

— Tu te lèves, espèce d’enculé, tu te lèves et tu nettoies le trottoir d’Horacio, ici on déconne pas, retourne dans ton bidonville, putain de fils de pute.

Et il a continué à lui taper dans la poitrine, dans le dos. L’homme ne pouvait pas se lever ; on aurait dit qu’il ne comprenait pas ce qu’il se passait. Tout à coup, il s’est mis à pleurer.

Il exagère, a dit papa. Pourquoi est-ce qu’il humilie ce pauvre homme comme ça, a dit maman, et elle s’est levée, et s’est dirigée vers la porte. On l’a suivie. Quand maman est arrivée sur le trottoir, Juancho avait aidé l’homme à se relever, qui pleurait et demandait pardon, et il essayait de lui mettre le tuyau dans les mains, celui avec lequel Horacio lavait sa voiture, pour qu’il nettoie sa merde. La rue puait. Personne n’osait s’approcher. Horacio a dit « Juancho, ça suffit », mais à voix basse.

Maman est intervenue. Tout le monde la respectait, surtout Juancho, parce qu’elle lui donnait quelques pièces pour acheter du vin quand il le lui demandait ; les autres la traitaient avec respect parce que maman était kinésithérapeute, mais ils croyaient tous qu’elle était médecin, et ils l’appelaient docteur.

— Laisse-le tranquille. Qu’il parte et c’est tout. On nettoiera. Il est soûl, il ne sait pas ce qu’il fait, il n’y a aucune raison de le frapper.

Le vieux a regardé maman, et elle lui a dit : « Monsieur, excusez-vous et partez ». Il a murmuré quelque chose, il a lâché le tuyau et, le pantalon aux chevilles, il a voulu tirer son caddie.

— La docteur t’a sauvé, t’as du cul le Noir, mais le chariot tu le laisses. La crasse tu la payes, salaud de veinard, on rigole pas dans ce quartier.

Maman a voulu dissuader Juancho, mais il était ivre, et furieux, et il criait comme un justicier, et on ne voyait plus de blanc dans ses yeux, seulement du noir et du rouge comme les couleurs du short qu’il portait. Il s’est mis devant le caddie et a empêché l’homme de l’entraîner. J’ai eu peur qu’une autre bagarre commence – une autre volée de coups de Juancho en réalité – mais l’homme a eu l’air de se réveiller. Il a remonté la fermeture éclair de son pantalon – il n’avait pas de bouton – et il est parti en marchant au milieu de la rue, vers Catamarca ; tout le monde l’a regardé partir, les Espagnols murmuraient quelle horreur, les fils de Coca se marraient, certaines des filles à la porte du garage de Valeria riaient nerveusement, d’autres restaient tête baissée, comme honteuses. Horacio jurait à voix basse. Juancho a pris une bouteille dans le caddie et l’a jetée sur l’homme, mais elle lui est passé très loin et elle a explosé sur l’asphalte. L’homme, surpris par le bruit, s’est retourné et a crié quelque chose d’inintelligible. Nous n’avons pas su s’il parlait dans une autre langue (mais, laquelle ?) ou s’il ne pouvait simplement pas articuler à cause de l’ivresse. Mais avant de courir en zigzag, pour fuir Juancho qui l’a poursuivi en hurlant, il a regardé maman avec lucidité et a acquiescé deux fois. Il a encore dit autre chose, en tournant les yeux et en couvrant du regard nos maisons et plus loin encore. Puis il a disparu au coin de la rue. Juancho, trop bourré, ne l’a pas suivi. Il a seulement continué à hurler, un long moment.

Nous sommes rentrés à la maison. Les voisins allaient continuer à en parler tout l’après-midi, et la semaine aussi. Horacio a utilisé le tuyau, en râlant, saletés de Noirs, saletés de Noirs.

Ce quartier devient impossible, a dit maman, et elle a fermé le store.

Quelqu’un, sûrement Juancho lui-même, a bougé le caddie jusqu’au coin de Tuyutí, et l’a laissé garé devant la maison abandonnée de doña Rita, qui était morte l’année précédente. Quelques jours plus tard, plus personne n’y faisait attention. Au début oui, parce qu’ils attendaient que le villero – qu’est-ce qu’il pouvait être d’autre – vienne le chercher. Mais il n’est pas venu, et personne ne savait quoi faire de ses affaires. Alors elles sont restées là, et un jour elles ont été mouillées par la pluie et les cartons humides se sont défaits, et ont senti. Autre chose puait parmi les cochonneries, sûrement de la nourriture en train de pourrir, mais le dégoût empêchait tout le monde de nettoyer. Il suffisait de passer loin, de bien marcher en rasant les maisons et de ne pas les regarder. Dans le quartier il y avait toujours de mauvaises odeurs, à cause du limon qui s’accumulait dans les caniveaux, verdâtre, et aussi du Riachuelo, quand le vent soufflait dans une certaine direction, surtout en fin de journée.

Ça a commencé à peu près quinze jours après l’arrivée du caddie. Ça avait peut-être commencé avant, mais il a fallu une accumulation de malheurs pour que le quartier sente qu’il se passait quelque chose d’étrange. Horacio a été le premier. Il était traiteur dans le centre, ça marchait bien pour lui. Un soir, alors qu’il faisait la caisse, des voleurs sont entrés et ont tout emporté. Affaire de banlieue. Mais ce même soir, quand il est allé au guichet automatique pour prendre de l’argent, après avoir déposé une plainte – inutile, comme pour presque tous les vols, entre autres parce que les casseurs portaient des cagoules – il a découvert qu’il n’avait pas un peso sur son compte. Il a appelé sa banque, fait un esclandre, donné des coups dans les portes, voulu assommer un employé et est arrivé jusqu’au gérant de la succursale, puis à celui du réseau bancaire. Mais il n’y eut rien à faire : il n’y avait pas d’argent, quelqu’un l’avait retiré, et Horacio, du jour au lendemain, était ruiné. Il a vendu sa voiture. On lui en a donné moins que ce qu’il en attendait.

Les deux fils de la Coca ont perdu leur travail au garage automobile de l’avenue. Sans préavis ; le patron ne leur a même pas donné d’explication. Ils l’ont couvert d’insultes, et lui les a virés à coups de pieds. En plus, la Coca ne parvenait à obtenir sa pension. Ses fils ont cherché du travail pendant une semaine, puis ils se sont consacrés à dépenser leurs économies dans la bière. La Coca s’est mise au lit, en disant qu’elle voulait mourir. On ne lui faisait plus crédit nulle part. Ils n’avaient même pas assez pour prendre le bus.
Les Espagnols ont dû fermer boutique. Parce qu’il ne s’agissait plus seulement des fils de la Coca ou d’Horacio ; chaque voisin, subitement, en quelques jours, avait tout perdu. Les marchandises du tabac se sont volatilisées. La voiture du chauffeur de taxi a été volée. Le mari et unique soutien de Mari, un maçon, est mort en tombant d’un échafaudage. Les filles ont dû abandonner le lycée privé parce que leurs parents ne pouvaient plus le payer : le père dentiste n’avait plus de clientèle, la couturière non plus, un court-circuit avait grillé les chambres froides du boucher.

En deux mois, plus personne n’avait le téléphone dans le quartier, les factures n’ayant pas été payées. En trois mois, ils ont dû se brancher sur les lignes à moyenne tension parce qu’ils ne pouvaient plus payer l’électricité. Les fils de la Coca sont allés voler et l’un des deux, le plus inexpérimenté, a été arrêté par la police. L’autre n’est pas rentré une nuit ; peut-être avait-il été tué. Le remisero [2] s’est aventuré, à pied, de l’autre côté de l’avenue. Là-bas, a-t-il dit, tout allait très bien. Jusqu’à trois mois après que ça ait commencé, les magasins de l’autre côté de l’avenue ont fait crédit. Mais petit à petit ils ont arrêté.

Horacio a mis sa maison en vente.

Ils fermaient tous leur porte avec de vieux cadenas, parce qu’il n’y avait pas d’argent pour des alarmes ou des serrures plus efficaces ; dans les maisons, des affaires ont commencé à disparaître, télévisions, radios, chaînes hi-fi et ordinateurs, et on voyait des voisins porter des appareils domestiques à deux ou trois, dans des chariots à roulettes, ou à la force de leurs bras. Ils emportaient tout dans les salles de vente aux enchères et d’occasion de l’autre côté de l’avenue. Mais d’autres voisins se sont organisés et, quand ils essayaient de forcer leurs portes, ils brandissaient des tramontinas [3]ou des revolvers, s’ils en avaient. Cholo, le légumier du coin, a fracassé le crâne du remisero avec la tige de fer qu’il utilisait pour faire griller la viande. Au début, un groupe de femmes s’était organisé pour distribuer ce qu’il y avait dans les congélateurs ; mais quand ils ont su qu’il y en avait qui mentaient et se mettaient des vivres de côté, il n’a plus été question de bonne volonté.

La Coca a mangé son chat, et puis elle s’est suicidée. Il a fallu aller au bureau de la sécurité sociale sur l’avenue pour qu’ils emmènent le corps et l’enterrent gratuitement. Un employé a voulu en savoir plus, ils lui ont raconté, et la télévision est arrivée avec des caméras pour filmer la mauvaise chance localisée qui jetait trois pâtés de maison dans la misère. Ils voulaient surtout savoir pourquoi les voisins plus éloignés, ceux qui vivaient à quatre pâtés de maison, par exemple, n’étaient pas solidaires. Horacio leur a parlé un moment, mais après dix minutes, il a sorti un couteau de son pantalon, l’a appuyé sous la gorge du reporter, et a récupéré la caméra et les équipements, et il aurait volé la camionnette si les journalistes ne s’étaient pas enfuis, terrorisés.

Des assistants sociaux sont venus, pour distribuer de la nourriture, mais ils n’ont fait que provoquer plus de conflits. Au bout de cinq mois, même la police n’entrait plus, et ceux qui allaient encore voir la télévision dans les vitrines des magasins d’électroménagers de l’avenue disaient qu’on ne parlait que de ça aux nouvelles. Mais bientôt, ils ont été isolés, parce que ceux de l’avenue les chassaient quand ils les reconnaissaient.

Ils ont été, dis-je, parce que nous oui, nous avions la télévision, et l’électricité et le gaz et le téléphone. Nous disions que non, et nous vivions aussi enfermés que les autres ; si nous croisions quelqu’un dans la rue, nous mentions : nous avons mangé le chien, nous avons mangé des plantes, on a fait crédit à Diego – mon frère – dans un magasin à deux kilomètres d’ici. Ma mère s’arrangeait pour aller travailler, en passant par les toits (ce n’était pas si difficile dans un quartier où toutes les maisons étaient basses). Mon père pouvait retirer l’argent de la retraite au guichet automatique, et nous payions les factures on-line, parce que nous avions encore Internet. Ils ne nous ont pas cambriolé ; le respect de la docteur, peut-être, ou alors nous étions de bons acteurs.

C’est Juancho qui, après avoir volé de l’alcool dans une supérette lointaine, a commencé à crier et à lancer des injures, pendant qu’il buvait du vin à la bouteille assis sur le trottoir. « C’est le caddie de merde, le caddie du villero ». Des heures durant il a crié, des heures durant il a marché dans la rue, tapé dans des portes et des fenêtres, « c’est le caddie, c’est la faute au vieux, il faut aller le chercher, allez, putains de dégonflés, ils nous a jeté le mauvais œil. La faim se voyait encore plus sur Juancho que sur les autres, parce qu’il n’avait jamais rien eu, et qu’il vivait des pièces qu’il ramassait chaque jour, en sonnant aux portes (ils lui donnaient toujours, par peur ou compassion, allez savoir). Cette même nuit, il a mis le feu au caddie, et les voisins ont regardé les flammes par la fenêtre. Juancho n’avait pas tort. Tout le monde avait pensé que c’était le caddie. Quelque chose qu’il y avait dedans. Quelque chose de contagieux qui venait des bidonvilles.

Cette même nuit, mon père nous a réuni dans le salon, pour parler. Il a dit qu’on devait partir. Qu’ils allaient se rendre compte que nous étions immunisés. Que Marie, la voisine d’à côté, se doutait de quelque chose, parce qu’il était difficile d’occulter l’odeur des repas, même si nous cuisinions en faisant attention à ce que la fumée ne passe pas sous la porte, en la calfeutrant. Que notre chance allait prendre fin, que ça tournerait mal. Maman était d’accord. Elle disait qu’ils l’avaient vue sauter du toit de derrière. Elle n’en était pas sûre, mais elle avait senti les regards. Diego aussi. Il a raconté qu’un après-midi, en levant le store, il avait vu des voisins partir en courant, mais que d’autres l’avaient fixé, menaçants ; mauvais, fous déjà. Presque personne ne nous voyait, grâce à l’enfermement, mais pour continuer à dissimuler il nous faudrait bientôt sortir. Et nous n’étions ni maigres, ni émaciés. Nous avions peur, mais la peur ne ressemble pas au désespoir.

Nous avons écouté le plan de papa, qui ne nous semblait pas très sensé. Maman a raconté le sien, qui était un peu mieux, mais rien de très innovant. Nous avons accepté celui de Diego : mon frère arrivait toujours à penser avec plus de simplicité et avec la tête froide.

Nous nous sommes couchés, mais aucun de nous n’a pu dormir. Après m’être retourné je ne sais combien de fois dans mon lit, j’ai frappé à la porte de mon frère. Je l’ai trouvé assis par terre. Il était très pâle, comme nous tous, à cause du manque de soleil. Je lui ai demandé s’il pensait que Juancho avait raison. Il a fait oui de la tête.

— Maman nous a sauvés. Tu as vu comment l’homme l’a regardée, avant de partir ? Elle nous a sauvés.

— Jusqu’à maintenant, ai-je dit.

— Jusqu’à maintenant, a-t-il dit.

Cette nuit-là, nous avons senti une odeur de viande brûlée. Maman était dans la cuisine ; nous nous sommes approchés pour lui dire d’arrêter, qu’elle était devenue folle, faire griller un steak à cette heure-là, ils allaient se rendre compte. Mais maman tremblait appuyée au plan de travail.

— Ce n’est pas de la viande normale, a-t-elle dit.

Nous avons remonté le store et nous avons regardé vers le haut. Du feu nourri par les fils de la Coca nous parvenait la fumée de la terrasse d’en face. Elle était noire, et elle ne sentait comme aucune autre fumée connue.

— Quel fils de pute de vieux villero, a dit maman, et elle s’est mise à pleurer.

Traduit par Geneviève Orssaud

Juancho estaba borracho esa tarde, y se paseaba por la vereda bravucón, aunque ya nadie en el barrio se sentía amenazado, o siquiera inquieto, por su presencia intoxicada. A mitad de cuadra, Horacio lavaba el auto como todos los domingos, en shorts y chancletas, la panza tensa y prominente, el pelo en pecho canoso, la radio con el partido. En la esquina, los gallegos del bazar tomaban mate con la pava en el piso, entre las dos sillas reclinables que habían sacado afuera, porque el sol estaba lindo. Enfrente, los hijos de Coca tomaban cerveza en el umbral, y un grupo de chicas recién bañadas y demasiado maquilladas charlaban paradas en la puerta del garage de Valeria. Mi papá había intentado, más temprano, decir buenas tardes y darle charla a los vecinos, pero volvió adentro como siempre, cabizbajo, apenas contrariado, porque era buena gente pero no tenía conversación, cada tarde de domingo decía lo mismo.

Mi mamá espiaba por la ventana. Se aburría con la tele dominguera, pero no tenía ganas de salir. Miraba por las rendijas de las persianas entreabiertas, y de vez en cuando nos pedía un té, o una galletita, o una aspirina. Mi hermano y yo solíamos quedarnos los domingos en casa; a veces, a la noche, nos dábamos una vuelta por el centro, si papá nos prestaba el auto.

Mamá lo vio primero. Venía de la esquina de Tuyutí, por el medio de la calle, con un carro de supermercado muy cargado, y todavía más borracho que Juancho, pero se las arreglaba para empujar la basura acumulada, botellas, cartones, guías telefónicas. Se detuvo frente al auto de Horacio, tambaleándose. Hacía calor esa tarde, pero el hombre llevaba un pullover viejo, verdoso. Debía tener unos sesenta años. Dejó el carrito junto al cordón, se acercó al coche y, justo del lado que le quedaba mejor a mi mamá para verlo, se bajó los pantalones.

Ella nos llamó a lo gritos. Nos acercamos y espiamos por las rendijas de las persianas los tres, mi hermano, papá y yo. El hombre, que no llevaba calzoncillos bajo un mugriento pantalón de vestir, cagó en la vereda, mierda floja casi diarreica, y mucha cantidad; el olor nos llegó, apestaba tanto a mierda como a alcohol.

Pobre hombre, dijo mi mamá. Qué miseria, a lo que puede llegar uno, dijo mi papá.

Horacio estaba estupefacto, pero se veía que empezaba a calentarse, porque se le enrojeció el cuello. Pero antes de que pudiera reaccionar, Juancho cruzó la calle, corriendo, y empujó al hombre, que todavía no había tenido tiempo de levantarse, ni de subirse los pantalones. El viejo cayó sobre su propia mierda, que le embadurnó el pullover, y la mano derecha. Sólo murmuró un ay.

– ¡Negro de mierda! –le gritó Juancho. –Villero y la concha de tu madre, ¡no vas a venir a cagarnos en el barrio, negro zarpado!

Lo pateó en el suelo. Él también se manchó de mierda los pies, llevaba ojotas.

– Te levantás, conchisumadre, te levantás y le baldeás la vereda al Horacio, acá no se jode, volvé a la villa, hijo de una remil putas.

Y lo siguió pateando, en el pecho, en la espalda. El hombre no podía levantarse; parecía no entender lo que estaba pasando. De pronto se puso a llorar.

No es para tanto, dijo mi papá. Cómo va a humillar así al pobre desgraciado, dijo mi mamá, y se paró, y enfiló hacia la puerta. Nosotros la seguimos. Cuando mamá llegó a la vereda, Juancho había levantado al hombre, que lloriqueaba y pedía perdón, y trataba de ponerle entre las manos la manguera con la que Horacio había estado lavando el auto, para que limpiara su propia mierda. La cuadra apestaba. Nadie se atrevía a acercarse. Horacio dijo ‘Juancho, dejá’, pero en voz baja.

Mi mamá intervino. Todos la respetaban, especialmente Juancho, porque ella solía darle unas monedas para vino cuando le pedía; los demás la trataban con deferencia porque mamá era kinesióloga, pero todos pensaban que era médica, y la llamaban doctora.

– Dejalo en paz. Que se vaya y listo. Nosotros limpiamos. Está borracho, no sabe lo que hace, no tenés por qué pegarle.

El viejo miró a mamá, y ella le dijo: “Señor, pida disculpas y vaya”. Él murmuró algo, soltó la manguera y todavía con los pantalones bajos, quiso arrastrar el carrito.

– Acá la doctora te perdona la vida, negro culeado, pero el carro no te lo llevás. La mugre la pagás, zarpado del orto, en el barrio no se jode.

Mamá intentó disuadir a Juancho, pero él estaba borracho, y furioso, y gritaba como un justiciero, y en los ojos no le quedaba nada blanco, negro y rojo, como los colores del short que llevaba puesto. Se puso adelante del carro y no dejó que el hombre lo pusiera a andar. Yo tuve miedo de que empezara otra pelea –otra golpiza de Juancho, en realidad—pero el hombre pareció despertarse. Se subió el cierre de los pantalones –no tenían botón—y se fue caminando por el medio de la calle otra vez, hacia Catamarca; todos los miraron irse, los gallegos murmurando qué barbaridad, los hijos de Coca a las risotadas, las chicas en la puerta del garage de Valeria riéndose nerviosas algunas, otras cabizbajas, como avergonzadas. Horacio puteaba en voz baja. Juancho sacó una botella del carrito y se la revoleó al hombre, pero le pasó muy lejos y se estrelló contra el asfalto. El hombre, sobresaltado por el ruido, se dio vuelta y gritó algo, ininteligible. No supimos si hablaba otro idioma (pero ¿cuál?) o si sencillamente no podía articular por la borrachera. Pero antes de salir corriendo en zigzag, huyendo de Juancho que lo persiguió a los gritos, miró a mi mamá con toda lucidez y asintió, dos veces. Dijo algo más, girando los ojos, abarcando toda la cuadra y más. Después desapareció por la esquina. Juancho, demasiado en pedo, no lo siguió. Nomás siguió gritando, un rato largo.

Entramos a casa. Los vecinos seguirían hablando del tema toda la tarde, y la semana. Horacio usó la manguera, puro rezongo y negros de mierda, negros de mierda.

Este barrio no da para más, dijo mi mamá, y cerró la persiana.

Alguien, probablemente el propio Juancho, movió el carrito a la esquina de Tuyutí, y lo dejó estacionado frente a la casa abandonada de doña Rita, que se había muerto el año anterior. Pocos días después, nadie le prestaba atención. Al principio sí, porque esperaban que el villero –qué otra cosa podía ser—volviera a buscarlo. Pero no apareció, y nadie sabía qué hacer con sus cosas. Así que ahí quedaron, y un día se mojaron con la lluvia, y los cartones húmedos se desarmaron, y daban olor. Algo más apestaba entre las porquerías, probablemente comida pudriéndose, pero el asco impedía que alguien lo limpiara. Bastaba con pasarle lejos, caminar bien cerca de las casas y no mirarlo. En el barrio siempre había olores feos, del limo que se juntaba junto a los cordones de la vereda, verdoso, y del Riachuelo, cuando soplaba cierto viento, especialmente al atardecer.

Unos quince días después de la llegada del carrito, comenzó. A lo mejor había empezado antes, pero hizo falta la acumulación de desgracias para que el barrio sintiera que la secuencia era extraña. El primero fue Horacio. Tenía una rotisería en el centro, le iba bien. Una noche, cuando estaba haciendo la caja, entraron a robarle y se llevaron todo. Cosas de suburbio. Pero esa misma noche, cuando fue al cajero automático a sacar plata, después de la denuncia –inútil, como en la mayoría de los robos, entre otras cosas porque los chorros entraron encapuchados—descubrió que no tenía un peso en la cuenta. Llamó al banco, hizo escándalos, pateó puertas, quiso acogotar a un empleado y llegó hasta el gerente de la sucursal, y después de la red bancaria. Pero no hubo caso: el dinero no estaba, alguien lo había sacado, y Horacio, de la noche a la mañana, estaba en la ruina. Vendió el auto. Le dieron menos de lo que esperaba.

Los dos hijos de la Coca perdieron el trabajo que tenían en el taller mecánico de la avenida. Sin aviso; el dueño ni les dio explicaciones. Lo cagaron a puteadas, y él los echó a patadas. A la Coca, encima, no le salía la pensión. Los hijos buscaron trabajo una semana, y después se dedicaron a gastar los ahorros en cerveza. La Coca se metió en la cama, diciendo que se quería morir. Ya no les daban fiado en ningún lado. Ni para el colectivo tenían.
Los gallegos tuvieron que cerrar el bazar. Porque no se trataba nada más que de los hijos de la Coca, o de Horacio; cada vecino, de golpe, en cuestión de días, perdió todo. La mercadería del kiosco desapareció misteriosamente. Al remisero le robaron el auto. El marido y único sostén de Mari, albañil, se cayó de un andamio y murió. Las chicas tuvieron que dejar los colegios privados porque los padres no podían pagarlos: el padre dentista ya no tenía clientela, la modista tampoco, al carnicero un cortocircuito le quemó todas las heladeras.

En dos meses, ya nadie tenía teléfono en el barrio, por falta de pago. En tres meses, tuvieron que colgarse de los cables de luz porque no podían pagar la electricidad. Los hijos de la Coca salieron a afanar y a uno de ellos, el más inexperto, lo agarró la policía. El otro no volvió una noche; a lo mejor lo habían matado. El remisero se aventuró, caminando, hasta el otro lado de la avenida. Allá, dijo, estaba todo lo más bien. Hasta tres meses después de que comenzara, los negocios del otro lado de la avenida fiaban. Pero eventualmente dejaron de hacerlo.

Horacio puso la casa en venta.

Todos cerraban con candados viejos, porque no había plata para alarmas ni para cerraduras más eficientes; empezaron a faltar cosas de las casas, televisores y radios y equipos de música y computadoras, y se veía a algunos vecinos cargando electrodomésticos entre dos o tres, en changos de hacer compras, o sólo con la fuerza de los brazos. Llevaban todo a las casas de remate y usados del otro lado de la avenida. Pero otros vecinos se organizaron y, cuando intentaban tirarles la puerta abajo, blandían tramontinas o revólveres, si tenían. Cholo, el verdulero de a la vuelta, le partió la cabeza al remisero con el fierro que usaba para hacer el asado. Al principio, un grupo de mujeres se organizaron para repartir la comida que quedaba en los freezers; pero cuando se enteraron que algunas mentían y se guardaban víveres, la buena voluntad se fue al carajo.

La Coca se comió a su gato, y después se suicidó. Hubo que ir a la sede de la Obra Social de la avenida para que se llevaran el cuerpo y lo enterraran gratis. Algún empleado de ahí quiso averiguar más, le contaron, y llegó la televisión con las cámaras para registrar la mala suerte localizada que sumía a tres manzanas del barrio en la miseria. Sobre todo querían saber por qué los vecinos de más lejos, los que vivían a cuatro cuadras, por ejemplo, no eran solidarios. Horacio les habló un rato, pero a los diez minutos sacó un cuchillo del pantalón, se lo puso en el cuello al movilero, y se quedó con la cámara y los equipos, y se hubiera quedado con la camioneta si los periodistas no hubieran escapado aterrorizados.

Vinieron asistentes sociales, y repartieron comida, pero sólo desataron más guerras. A los cinco meses, ni la policía entraba, y los que todavía iban a mirar televisión en los aparatos exhibidos en las casas de electrodomésticos de la avenida decían que en los noticieros no se hablaba de otra cosa. Pero pronto quedaron aislados, porque los de la avenida los echaban si los reconocían.

Quedaron, digo, porque nosotros sí teníamos tele, y electricidad, y gas, y teléfono. Decíamos que no, y vivíamos tan encerrados como los demás; si nos cruzábamos con alguien, mentíamos: nos comimos al perro, nos comimos las plantas, a Diego –mi hermano—le fiaron en un negocio de acá veinte cuadras. Mi mamá se las arreglaba para ir a trabajar, saltando por los techos (no era tan difícil en un barrio donde todas las casas eran bajas). Mi papá podía sacar la plata de la jubilación por cajero automático, y los servicios los pagábamos online, porque todavía teníamos Internet. No nos saquearon; el respeto a la doctora, a lo mejor, o muy buenas actuaciones de nuestra parte.

Fue Juancho el que, después de robar alcohol de un maxikiosko lejano, mientras tomaba el vino en botella sentado en la vereda, empezó a gritar y putear. “Es el carrito de mierda, el carrito del villero”. Horas gritó, horas caminó por la calle, golpeó puertas y ventanas, ‘es el carrito, es culpa del viejo, hay que ir a buscarlo, vamos, cagones de mierda, nos hizo una macumba’. A Juancho se le notaba el hambre más que a los demás, porque nunca había tenido nada, y vivía de las monedas que recolectaba cada día, tocando timbre (siempre le daban, por miedo o compasión, vaya a saber). Esa misma noche le pegó fuego al carro, y los vecinos miraron las llamas por la ventana. Tenía algo de razón Juancho. Todos habían pensado que era el carrito. Algo de ahí adentro. Algo contagioso que había traído de la villa.

Esa misma noche, mi papá nos juntó en el comedor, para charlar. Dijo que nos teníamos que ir. Que se iban a dar cuenta que nosotros estábamos inmunizados. Que Mari, la vecina de al lado, algo sospechaba, porque era bastante difícil ocultar el olor de la comida, aunque cocinábamos cuidando que no saliera el humo o el aroma por debajo de la puerta, con burletes. Que se nos iba a terminar la suerte, que se pudría todo. Mamá estaba de acuerdo. Decía que la habían visto saltando el techo de atrás. No podía asegurarlo, pero había sentido las miradas. Diego también. Contó que una tarde, cuando levantó las persianas, había visto a algunos vecinos salir corriendo, pero que otros lo habían mirado, desafiantes; malos, ya locos. Casi nadie nos veía, por el encierro, pero para seguir disimulando íbamos a tener que salir pronto. Y no estábamos flacos, ni demacrados. Estábamos asustados, pero el miedo no se parece a la desesperación.

Escuchamos el plan de papá, que no parecía muy sensato. Mamá contó el suyo, un poco mejor, pero nada del otro mundo. Aceptamos el de Diego: mi hermano siempre podía pensar con más sencillez y más frialdad.

Nos fuimos a la cama, pero ninguno pudo dormir. Después de dar muchas vueltas, toqué la puerta de la habitación de mi hermano. Lo encontré sentado en el piso. Estaba muy pálido, todos estábamos así, por falta de sol. Le pregunté si pensaba que Juancho tenía razón. Dijo que sí con la cabeza.

– Mamá nos salvó. ¿Viste cómo la miró el hombre, antes de irse? Nos salvó.

– Hasta ahora –dije yo.

– Hasta ahora –dijo él.

Esa noche, olimos carne quemada. Mamá estaba en la cocina; nos acercamos para retarla, se había vuelto loca, hacer un bife a la parrilla a esa hora, se iban a dar cuenta. Pero mamá temblaba al lado de la mesada.

– Esa no es carne común –dijo.

Abrimos apenas la persiana y miramos para arriba. Del fuego alimentado por los hijos de la Coca, nos llegaba el humo de la terraza de enfrente. Era negro, y no olía como ningún otro humo conocido.

– Qué viejo villero hijo de puta –dijo mamá, y se puso a llorar.

Par Mariana Enríquez

Mariana Enriquez (1973, Buenos Aires). Diplômée en journalisme et communication sociale, elle
travaille actuellement pour le supplément culturel Radar du journal Pagina/12. Elle a publié deux
romans, Bajar es lo peor (Espasa Calpe, 1995) et Cómo desaparecer completamente (Emecé, 2004) et un recueil de nouvelles, Los peligros de fumar en la cama (Emecé, 2009). Plusieurs de ses récits ont paru dans des anthologies comme La Joven Guardia (Norma, 2006), Una Terraza Propia
(Norma, 2006), En celo (Sudamericana 2007), Replicantes : antología de cuentos contemporáneos dominicanos y argentinos (El fin de la noche, 2009). Los días que vivimos en peligro (Emecé), Hablar de mi (Lengua de trapo, 2010).)

Geneviève Orssaud est docteure ès littérature comparée (Paris III). Elle a publié des articles dans différentes revues universitaires sur la littérature argentine contemporaine.
Elle a également traduit en français plusieurs œuvres dramaturgiques argentines, qui ont reçu le Permio Germ’an Rozenmacher décerné par le Centro Cultural San Martin, et qui ont été publiées par les éditeurs Libros del Rojas à Buenos Aires.

Illustrations d’Esteban De la Mata. Originaire de Mar del Plata, en 2002 il obtient un diplôme en communication sociale à l’Université nationale de La Plata. Il a travaillé comme journaliste à la radio et à la télévision, et comme attaché de presse dans le domaine politique. Il a aussi été professeur, facteur, barman et ouvrier agricole. Il a vécu dans de nombreux endroits (La Plata, Buenos Aires, Patagonie, Brésil, Espagne) et vit actuellement à Bordeaux.

[1Un villero est un habitant des bidonvilles, qui sont appelés « Villas Miseria » en Argentine.

[2Un "remisero" est un chauffeur de "remises", qui est une sorte de taxi banalisé qu’on loue pour effectuer de longs trajets ou plusieurs trajets dans la même journée

[3"Tramontina" est une marque très courante de couteaux de cuisine que l’on retrouve dans la plupart des cuisines argentines.