Principe d’incertitude

Le matin, Fernanda commence par boire un café double ou un jus d’orange dans l’un des quatre Starbucks café de Leeds. Elle lit peut-être un de ces romans de poche qui lui ont coûté six livres, ou feuillette le journal, qu’elle achète presque tous les jours, à moins qu’elle ne boive d’un trait le verre d’eau servi avec le café pour faire passer une aspirine certains matins. Elle en achète un tube de temps en temps, toujours dans la même pharmacie. Une fois par mois elle paie quarante livres de téléphone fixe et mobile, vingt-cinq livres pour le câble et pour la connexion internet haut débit. En eau, gaz et électricité, cinquante livres au total. Elle ne paie pas de loyer parce qu’elle habite dans un appartement que lui a prêté une amie partie «pour un an, peut-être deux » en Italie. Elle achète des livres, une fois par semaine, généralement le mardi matin, le jeudi après-midi ou, beaucoup plus rarement, le samedi. Elle fait toujours ses courses dans le même supermarché, une fois par semaine ou tous les dix jours. Au total cela ne représente pas beaucoup plus que ce qu’elle dépensait à Buenos Aires quand elle vivait seule, au milieu de la dernière décennie. Les cartes téléphoniques internationales à cinq livres, elle les dépense en général en un seul coup de fil. Elle mange dehors une fois par jour, soit le midi soit le soir. Elle se déplace rarement en bus et achète très peu de vêtements, mais prend de temps en temps le train pour Londres et là-bas, c’est cinéma, concert, bars, chambre dans un hôtel trois étoiles, parfois c’est une chambre double, billet de métro pour Victoria Station et un café ou deux avant de reprendre le train. Ou bien juste un taxi quand elle est en retard, or Fernanda est presque toujours en retard quand elle a un train, un avion ou un bus à prendre.

Lekman range les factures qu’elle lui envoie tous les mois par courrier. Il renverse tous les petits papiers sur la grande table du salon qu’il utilise à peine désormais, les retourne puis les regroupe, d’abord par jour, il fait trois longues rangées de dix jours chacune, puis par catégorie: « logement », « nourriture », « dépenses personnelles » et « matériel de recherche ». Il colle une ou deux factures sur des feuilles A4 qu’il perfore ensuite, inscrit à côté de chacune le total en dollars, puis les additionne, total par rubrique, total du mois, même chose en pesos, et range chacune des feuilles dans l’un des quatre dossiers, un par catégorie, qu’il doit présenter avant le vingt de chaque mois à la fondation britannique qui a accordé à Fernanda une bourse d’un an renouvelable un an. Avec le temps il a pris l’habitude de le faire en pensant à autre chose, un tableau à terminer, le repas de ce soir, ou quelle forme donner à telle image, la petite révélation qu’il a eue la veille à la campagne en voyant une poule perchée en haut d’un escalier contre le mur de la maison, la lumière d’août d’un coucher de soleil hivernal.

Il prépare tout cela sans vraiment y prêter attention, afin de se poser de moins en moins de questions sur la signification de certains des reçus. Un mélange de surprise, d’indignation et de douleur, voilà ce qu’il éprouvait au début, d’ailleurs il lui arrive encore, de temps à autre, de ressentir un pincement, surtout lorsqu’il se dit que cela ne ressemble pas à de la négligence, on dirait plutôt qu’elle veut qu’il apprenne certaines choses, comme ces voyages à Londres, ou ce qu’elle achète au supermarché, la boîte de préservatifs de douze unités – des Durex, deux livres quinze – qu’il a découverte il y a quelque temps sur un ticket au milieu d’une longue énumération de produits innocents: des brocolis surgelés, du café guatémaltèque, du dentifrice et trois bouteilles d’eau gazeuse. Mais Fernanda n’a jamais rien dit à ce sujet, et Lekman n’avait trouvé ni le moment ni les mots pour la questionner.

Une petite amie du lycée lui disait qu’il était timide parce qu’il était né en Norvège. La famille de Lekman était arrivée en pleine dictature. Il était encore tout petit quand son père avait été affecté à la filiale locale d’une banque française. Juana avait été la première et unique petite amie de son adolescence. Ils étaient restés ensemble un an, exactement: elle l’avait quitté la veille de leur premier anniversaire. À l’exception des mois qui suivirent, la plupart du temps la solitude avait été un choix de Lekman. Malgré cela, ou peut-être justement pour cela, il avait attiré les femmes depuis son plus jeune âge. Ses gènes scandinaves lui avaient valu une croissance précoce et à quatorze ans, avec son mètre soixante-quinze et ses bras puissants il en faisait déjà vingt.

Son premier baiser, il l’avait donné à la mère d’un ami un soir où il avait dormi chez lui. Il était allé à la cuisine manger un morceau en cachette et l’avait trouvée pieds nus, en nuisette, la porte du frigo ouverte. Ses lèvres étaient fraîches, comme si elle venait de boire de l’eau au goulot de la carafe, et légèrement sucrées. Au réveil, il fut paniqué à l’idée de provoquer un scandale. Puis il ne pensa plus qu’à ce qu’il ferait lorsqu’il se retrouverait avec elle, mais il n’en eut pas l’occasion, et peu de temps après il commença à sortir avec Juana. Ce qui lui plaisait, plus que ses traits nordiques, c’était l’entendre chanter et jouer de la guitare. À part Juana, seuls l’entendirent les rares amis du lycée qui allaient chez lui, et parmi eux celui dont il avait embrassé la mère. Ils lui dirent qu’ils aimaient bien sa musique même s’ils la trouvaient un peu bizarre.

Lekman fit deux ans de droit puis se rendit compte qu’il ne voulait être ni avocat ni musicien. En Norvège, peut-être, mais pas ici : il voulait dessiner ou peindre. Il s’inscrivit à un atelier. Au bout d’un an il laissa tomber la faculté tout en gardant son travail et commença à prendre des cours particuliers avec un maître prestigieux. Une année passa encore, et il travaillait de moins en moins au bureau. Tout le monde fut satisfait de sa première participation à une exposition collective et les critiques dirent de son oeuvre quelque chose qu’il ne comprit pas mais qui lui sembla être un éloge.

Il quitta son maître le jour où, alors qu’il arrivait à son atelier à l’heure du cours, il le trouva en caleçon en train d’arpenter la pièce d’un mur à l’autre tout en déroulant une énorme pelote de laine rouge, sa poitrine frôlant les lattes du plancher, les yeux rivés sur l’extrémité du fil. Il rencontra plusieurs professeurs: aucun ne lui convenait tout à fait, il se trouvait à un moment de sa formation trop délicat pour tout recommencer avec quelqu’un d’autre, mieux valait se lancer seul ou tenter sa chance ailleurs, changer d’air, lui dit un de ceux qu’il avait consulté en lui tendant la main en signe d’au revoir.

Il envoya des reproductions de ses meilleurs travaux dans des instituts de divers pays, mais ne reçut aucune réponse, sauf d’une école portugaise où il ne se souvenait pas d’avoir postulé. Il décida de démissionner du poste que son père lui avait obtenu dans la banque française, de s’enfermer pour peindre et de vivre d’illustrations que lui commandait sporadiquement une maison d’édition pour enfants. Et sans qu’il sût pourquoi, chaque fois qu’il voyait son père, celui-ci revoyait son fils dans son uniforme de collégien, assis dans l’un des fauteuils en velours de l’auditorium. C’est que l’artiste doit se lever alors même qu’il est confortablement installé, Lekman sans exception. Mais il est possible qu’au moment où tu voudras te rasseoir, la chaise ne soit plus au même endroit, répondait son père, car la terre tourne, et alors tu devras attendre debout, comme un idiot, jusqu’à la mort.

Six mois plus tard il participa pour la deuxième fois à une exposition collective. Ce qui compte, au début, ce n’est pas de vendre, ce sont les échos, c’est pourquoi la présentation est aussi importante que l’œuvre elle-même, lui dit un critique. Ce mois-là il vendit un tableau, son père lui en acheta un deuxième, et il reçut un mail d’une certaine Fernanda López, une journaliste qui voulait l’interviewer.

À présent Lekman est beaucoup moins naïf, les années ont passé. Malgré tout, chaque fois qu’il se remémore ces conversations avec son père il est attendri – à l’époque, ces paroles avaient aiguisé son courage et lui avaient permis de lui tenir tête, d’insuffler une dimension épique à des décisions qu’il n’aurait sans cela pas eu la force de prendre – à vrai dire, cela fait longtemps que, sans être devenu tout à fait cynique, il a fini par céder et par adopter le jargon et les attitudes de l’art contemporain, lesquels lui ont pour la plupart été inculqués par Fernanda, elle qui désormais lui écrit et l’appelle peu, une fois tous les quinze jours, mais quand ils se parlent ils restent au moins une demie-heure au téléphone, surtout le dimanche après-midi, à Leeds il est minuit. Ces dimanches où elle rentre de Londres, comme les reçus le lui confirment ensuite. Elle doit ressentir ce mélange de culpabilité et de vide, cela lui arrive à lui aussi.

Pour combler un silence Fernanda s’assure qu’il a bien reçu les papiers et lui demande d’être gentil, de ne pas oublier de les remettre à temps pour qu’on lui avance les frais du mois suivant. Il lui répond de ne pas s’inquiéter, c’est un travail ennuyeux mais il aime bien les tâches mécaniques, qui lui évitent d’avoir à penser, ça fait du bien quand on a passé des jours enfermé à travailler, « ça me change les idées ». Comme d’aller à la campagne : la route déserte, droite, à cent quarante. Elle demande s’il n’a pas repris la cigarette, et il ment en disant que non. Et Lekman lui raconte qu’il vient de gagner une bourse pour se consacrer à un projet de six mois, il y croit, même s’il ne sait pas encore quoi faire exactement. Elle lui demande de lui envoyer des esquisses par mail sitôt qu’il en aura, et de ne pas oublier – s’il te plaît – ce texte qui ouvrait le catalogue de sa première exposition collective parrainée par une multinationale, elle va sûrement lui être très utile pour son mémoire. Il dit oui, pourtant il ne l’envoie jamais, et ils se disent au revoir: parfois l’un des deux dit « je t’aime »et l’autre « moi aussi », parfois l’un des deux le dit et l’autre ne répond rien, et parfois ni l’un ni l’autre ne dit rien.

Il doit remettre les dossiers le lundi matin et c’est à peine s’il a ouvert l’enveloppe en papier kraft en provenance de Grande-Bretagne posée sur la table du salon. Et pour la première fois il se demande pourquoi c’est lui qui fait tout cela. Mais il l’avait promis à Fernanda, et de surcroît elle n’avait personne d’autre, alors mieux vaut finir le plus vite possible. Il essaie de se concentrer et de réfléchir à un nouveau système ou procédé pour les ordonner. Le vendredi il se réveille toujours tôt à la campagne et quand il rentre, après un déjeuner léger de quinze pesos eau minérale comprise dans un grill sur la route, quatre-vingt dix pesos d’essence et quatre pesos vingt de péage, il est fatigué. Et si en plus il reste chez lui tout seul, les choses peuvent se compliquer. Et s’il sort avec des amis, ils finissent tous par boire du whisky ou du vin autour d’une table et par aller l’un après l’autre aux toilettes, tous parlent sauf lui, ils ne peuvent plus s’arrêter de parler et Lekman finit par s’endormir, dodeline de la tête, se réveille en sursaut, ses amis rient, rient très fort, et il leur demande de l’excuser: il s’est levé à sept heures du matin, il a fait de la route et a sommeil.

Il est loin d’avoir terminé, et de plus les trous dans les rangées de factures sont autant de jours où Fernanda disparaît. Parfois cela l’inquiète, parfois il se console en se disant que s’il n’y a pas de reçus c’est qu’il n’y a pas de dépenses, et que s’il n’y a pas de dépenses c’est parce qu’elle est restée à l’appartement. Il y a des jours où Fernanda va au cinéma et regarde deux films de suite, parce qu’à Leeds certains petits cinémas programment des films différents selon l’heure. Ou bien elle va au supermarché et achète de tout et revient un quart d’heure plus tard acheter quelque chose qu’elle a oublié. C’est curieux, pense Lekman certains après-midi, malgré la distance, il est mieux informé aujourd’hui de ce qu’elle fait que lorsqu’ils vivaient ensemble. Et d’après ce qu’il peut en déduire, elle n’avance guère dans la thèse qui lui vaut sa bourse. Elle est aussi dispersée que lui ici, qui est sur la liste pour exposer dans une galerie importante à la fin de l’année, une exposition individuelle, et cette bourse, qui l’eut cru, et son champs en friche.

Jusqu’à l’année précédente il était inondé et plutôt qu’un champ c’était une lagune de mille cinq cents hectares avec une frange sèche de paturâge près de la clôture le long de la route. Et puis un entrepreneur de province avait surgi du néant pour proposer de le louer au père de Lekman. Il voulait exploiter la lagune, monter un club de pêche, construire un quai, planter des arbres et des parasols, semer des poissons, installer des barbecues et apporter quelques barques. Il paya dix loyers rubis sur l’ongle, mais un lundi midi on se rendit compte qu’il y avait des problèmes et avant la fn de l’année et du contrat, la lagune s’était asséchée et le club avait fermé.

C’est à cette époque que Fernanda avait décidé de partir pour l’Angleterre terminer sa thèse de doctorat, une étude comparée d’un peintre britannique et de quatre jeunes artistes de pays émergents. Aucun des cinq n’était né dans le pays où il résidait. Ils avaient émigré dans leur enfance et, pour une raison mystérieuse, produisaient une oeuvre bien plus radicale que les autres artistes de ces pays, ou quelque chose comme ça, Lekman n’avait jamais vraiment compris la démarche, ni d’ailleurs la plupart des autres articles que Fernanda avait publiés au cours de ces deux dernières années qu’ils avaient vécues ensemble.

Le Britannique était né en Turquie, avait émigré à neuf ans; il avait participé à des expositions à NewYork et Amsterdam, ainsi qu’une petite rétrospective au musée d’art contemporain de son Istamboul natale. C’est l’un des rares artistes vivants qu’admire Lekman. C’est lui qui avait fait découvrir son oeuvre à Fernanda, après lui en avoir parlé pendant des soirées entières, au cours d’un voyage en Europe peu après qu’ils se soient installés ensemble. L’Argentin n’est autre que Lekman. Comme lui, les trois autres débutent à peine leur carrière, « je préfère les artistes moins célèbres, vierges de toute exploration universitaire », disait Fernanda, et Lekman ne pouvait réprimer un léger frisson chaque fois qu’il l’entendait prononcer ces paroles.

Au début il considéra les choses dans les termes où elle les lui avait présentées: il avait bien plus à gagner que les autres, et surtout plus que l’Anglais, c’est-à-dire le Turc, qui était déjà assez reconnu. En d’autres termes, la comparaison allait être flatteuse pour son oeuvre. Il pensa qu’il n’y avait que son père pour employer ce terme. Il mit plusieurs mois à comprendre que le Turc anglais habitait probablement à Leeds ou à Londres. C’est la deuxième révélation du jour, ce vendredi après-midi tandis qu’il regarde par la fenêtre en préparant du café avec les restes qu’il a trouvés dans le réfrigérateur.

Il l’imagine le regard perdu, ce soir même, après avoir soupé un menu pour une personne avec une demi-pinte de bière (cinq livres quatre-vingt-dix) dans une chaîne de pizzeria comme elle le fait presque tous les vendredi soir quand elle ne va pas à Londres, tandis qu’au même moment, dans la cuisine, en plein après-midi, il se prépare un café, les factures éparpillées sur la table du salon. Pour les préservatifs, bien sûr, il comprend. Lui aussi en achète encore de temps en temps, pas par douze, certes, mais par boîtes de trois. Ce qui le chiffonne, ce sont ces voyages à Londres. Mettons qu’elle y aille avec le Turc britannique. Cela doit être intéressant, c’est certain, même lui aimerait. Mais pourquoi toujours Londres, et jamais une autre ville? Ou l’Ecosse? Et de toute façon, il ne voit pas le rapport avec un doctorat en arts comparés, ni comment il se fait que les gens de la fondation, qui sont si pointilleux avec les factures, ne s’en étonnent pas.

Il regarde le jour précédent et le jour suivant, ouvre le réfrigérateur et y trouve des sacs plastique vides, des bouteilles vides, un pot de confiture ouvert. La seule chose qui puisse le sauver ce soir, c’est de remplir son réfrigérateur et de manger en quantité. Sur le chemin du supermarché il tombe sur l’affiche d’un film américain qui vient de sortir et que Fernanda a déjà vu il y a plusieurs mois, il se souvient du billet de couleur orange sur lequel était imprimé le titre du film. Il croise aussi une fille portant le tee-shirt d’un groupe anglais et, sans s’expliquer pourquoi, se dit que les peintres qui vivent en Angleterre le portent sûrement mieux que les Argentins, comme c’est presque toujours le cas avec avec les groupes de rock.

Il achète des produits frais et des conserves. Certaines marques ressemblent à celles de là-bas, pas autant qu’avant, mais malgré tout beaucoup sont identiques, sauf les produits ménagers. Il achète deux bouteilles de bière et deux d’eau minérale et, pendant un instant, pense à ses factures à lui : bars, peinture, toiles, essence, péage, tickets de caisse que la caissière du supermarché, qui est chinoise, ou coréenne ou japonaise, met dans sa main avec la monnaie, puis elle se regarde les ongles comme si leur vernis s’écaillait au contact des pièces. Lekman compte les sacs – il y en a beaucoup - et demande s’il peut être livré à domicile. La caissière acquiesce tout en tirant une liasse de billets de cent pesos de la poche intérieure de son blouson, ou de son corsage, il ne voit pas bien, pour ranger les deux qu’il vient de lui donner, et crie en japonais, coréen ou chinois, et de la porte du fond sort un type qui pourrait bien être son cousin éloigné ou une espèce d’esclave, met les sacs dans le chariot et attend.

L’idée de parcourir trois pâtés de maison côte à côte avec un inconnu le met mal-à-l’aise dans un premier temps. Il se met à marcher quelques mètres devant lui, à pas pressés, en l’ignorant. Il n’arrive pas à deviner s’il vient d’arriver dans le pays ou s’il y vit déjà depuis plusieurs années, toujours enfermé dans le hangar du fond. S’il n’en sort que pour faire les livraisons et s’il ne connaît que cette partie de la ville, qui doit être presque un rêve, l’interruption de son obscur monde de l’entrepôt où il range la nourriture, sur le lit superposé en pin où il reste allongé pendant des heures à pleurer ses moussons.

À présent ils marchent sur le trottoir abîmé d’une avenue où passent des bus en klaxonnant. Lekman regarde derrière lui au moment de tourner pour s’assurer que l’autre le suit toujours. Et il se demande, d’abord par ennui, puis avec une perversité inédite, jusqu’où cet homme serait capable de le suivre et qui, à en juger par sa façon de marcher, tirait certainement, sur sa terre natale, l’une de ces voitures à traction humaine qui transportent des gens à l’arrière, sous un parasol. À quel moment finirait-il par lui dire quelque chose, dans combien de pâtés de maison? Jusqu’où pourrait le conduire, littéralement, sa servilité, et que lui dirait-il alors, dans quelle langue? Lâcherait-il le chariot et une insulte qu’il ne comprendrait pas et retournerait-il au supermarché, ou essaierait-il de le frapper? Ou bien peut-être qu’incapable de rentrer il serait perdu, errant dans le quartier, halluciné dans une ville inconnue? Peut-être finira-t-il ainsi par se retrouver dans un autre supermarché oriental où on le comprendra et où on le reconduira dans le sien, à moins qu’il ne reste dans celui-ci, qui est peut-être mieux que l’actuel, qui sait s’il n’y a pas, en plus du hangar, une petite cour intérieure, et des lits qui ne sont pas superposés, et s’il ne retrouvera pas un cousin qui est venu dans le pays avec un autre arrivage.

Lekman commence à ressentir une excitation presque enfantine, comme si d’une certaine façon il se vengeait de tous les immigrés du monde, à commencer par lui-même et par ceux de l’Asie du sud-est, mais aussi des Turcs et des Pakistanais britanniques, et des quatre autres artistes plasticiens. Et il tourne de l’autre côté, traverse comme s’il était seul, c’est comme cela qu’il traverse depuis des mois, sans tenir compte des craintes de Fernanda, qui le faisait toujours traverser quand il n’y avait personne, mais alors une voiture sombre tourne au coin de la rue, passe juste à côté de lui et renverse le porteur.

Il avait fait des études de droit pendant deux ans, et quoique recalé en droit pénal (ce qui servit de motif ou d’excuse pour abandonner cette voie), il sait qu’il porte une part de responsabilité dans l’incident et prend peur. L’homme du supermarché est étendu par terre, sur le bitume, au milieu des sacs et des achats répandus, et n’a pas l’air blessé. Deux hommes descendent de la voiture, l’un a une barbe et les cheveux longs, l’autre est aussi grand que Lekman et plus costaud. Sur la banquette arrière il y a deux femmes. Les types regardent le Chinois et lui demandent par signes s’il va bien. Puis ils regardent Lekman, se regardent, regardent l’autre à nouveau et lui proposent de le ramener. Soit le type ne comprend pas l’espagnol, soit il n’est capable de rentrer qu’en retournant sur ses pas, alors il dit non d’un geste de la main et de la tête, et s’en va.

Alors le barbu dit à Lekman qu’il peut monter, ils vont le ramener. Lekman ne répond pas, ne bouge pas, et le barbu redescend et lui dit de venir, il tente de le rassurer. « Ne t’inquiète pas », dit-il, il ouvre le coffre et y met certains des sacs du supermarché, tout ce qui n’a pas cassé. Lekman monte sans être tout à fait convaincu, comme si le plus important était de ne pas se séparer des courses. Il s’assied et ferme la porte sans cesser de regarder à travers la vitre dans la direction du porteur, qui s’éloigne dans l’autre sens, heureusement le bon.

En l’espace d’une seconde, lui qui se plaignait de la monotonie de sa vie en la considérant sous l’angle de ses dépenses, s’était soudain imaginé au poste de police. Il se calme un peu et décide de penser à autre chose. Il est assis sur la banquette arrière, un peu serré, à côté des deux filles. Il n’a pas eu l’occasion de les observer attentivement, mais il a une bonne intuition, elles portent une jupe courte et sentent bon. La voiture continue tout droit jusqu’au deuxième carrefour puis s’engage dans l’avenue vers le centre. Ce n’est que lorsqu’ils passent sous un pont que Lekman comprend qu’ils ne le ramènent pas chez lui. Il envisage de descendre à un feu rouge, mais dans ce cas il perdrait tout ce qu’il a dans le coffre, presque deux cents pesos de courses.

Ils arrivent devant un bar dans un quartier de bureaux. À côté de la porte du local il y a une femme en train de pleurer, ses mains lui couvrent le visage. Ils descendent au sous-sol par un escalier et s’installent dans les canapés. Il n’y a personne d’autre qu’eux dans le local qui semble d’une autre époque. La musique date d’il y a trois ou quatre ans. L’une des filles va aux toilettes et au bout d’un moment l’un des types, le costaud, l’y rejoint. Lekman l’imagine contre le mur, la jupe retroussée, les collants baissés, et lui, calant une jambe sur les cabinets. Mais la fille revient et glisse un mot à l’oreille de l’autre, une blonde avec des petits seins qui se soulèvent dans son corsage. Il avait imaginé que la blonde était avec l’autre type, mais elles repartent toutes deux aux toilettes et et lui se retrouve seul avec le barbu, chacun à une extrémité du canapé.

Il fait un geste de la main pour appeler la serveuse, c’est la femme qui pleurait dehors dix minutes plus tôt. Il commande un verre. La musique est mauvaise et le son, assez fort pour qu’il préfère l’écouter plutôt que parler. D’autant plus qu’il ne sait pas quoi dire. Il vide son verre presque d’un trait et se met à jouer avec la paille jusqu’à la déformer entièrement. Il commande un autre verre et le barbu lui dit que lui aussi en veut un. La serveuse dépose deux verres identiques, elle s’éloigne et ils gardent le silence. Lekman se met à retourner les sacs et les portefeuilles des autres. Le barbu demande ce qu’il se passe et il répond qu’il vient d’entendre un téléphone sonner. Ce doit être le tien, dit-il. L’autre sort son portable, le regarde, et dit non, ça n’est pas le sien. « C’est peut-être le tien, justement? » Mais Lekman n’a pas pris son portable. Alors je ne sais pas. « Pourtant, je suis sûr d’avoir entendu une sonnerie de téléphone ». Oui, ça arrive, répond-il à voix haute, près de son oreille, c’est comme si certaines notes de certaines chansons faisaient vibrer la neurone où ce son est enregistré.

Il avait appris à treize ans ce qu’était un harmonique. À cet âge-là il avait pas mal de préjugés et avait été surpris qu’un philosophe comme Pythagore ait pu étudier pendant son temps libre – c’est du moins ce qu’il supposait – le son qu’émet une corde selon sa longueur. Tout comme il avait été surpris que son professeur de musique, qui portait toujours des pantalons colorés et dont l’haleine sentait le thé, les biscuits mais aussi, comme il ne l’avait compris que plus tard, la marihuana, en sût beaucoup plus au sujet de Pythagore que cette anecdote sur l’harmonique qu’il devait raconter au moins une fois à chacun de ses élèves.

À ce souvenir, Lekman s’intéresse désormais à la conversation et demande ce qu’il en est des filles : est-ce qu’elles sont ensemble, est-ce que chacune est avec l’un d’eux? Le type se met à rire et lui dit qu’elles sont attachées de presse, deux presseuses, alors qu’eux sont journalistes. Ils sont en train de faire plus ample connaissance, dit-il, et il émet un rire gras. C’est un avantage en nature, vu ce qu’on nous paye... », et Lekman ne sait pas s’il s’est interrompu au milieu de sa phrase ou si sa plainte s’est noyée dans la musique avant de parvenir à ses oreilles.

Le barbu s’approche du mur, touche quelque chose derrière des rideaux et va sur la piste de danse qui, tout comme le reste du local, est vide, à l’exception de celui qui passe la musique dans un coin, un gars maigre aux cheveux longs. La boule à facettes se met à tourner. Il fait signe à Lekman de s’approcher, celui-ci commande encore un verre pour se donner une contenance, et le rejoint. La chanson qui passe manque de rythme, impossible de danser là-dessus, tout au plus peut-on tourner sur soi-même les bras sur le côté, à peine étendus, comme si tout le bar était une boîte à musique en mode mineur et aux piles usagées. Et puis, bien sûr, lui aussi aimerait bien être enfermé depuis vingt minutes dans les toilettes avec deux filles. Au lieu de quoi il avait manqué de provoquer la mort de quelqu’un, ensuite il avait bu trois fernets, et à présent il dansait avec un autre homme sur la piste d’un bar vide et sur une chanson de Morrisey.

Il faut qu’il parte: si les années passées avec Fernanda lui ont appris quelque chose, c’est bien à se méfier des journalistes. Pourtant le barbu a l’air sympathique. Il l’accompagne à la voiture, ouvre le coffre, lui donne ses sacs de courses et lui demande s’il ne veut pas qu’il le raccompagne, sûr? Lekman dit non, il lui serre la main et prend un taxi. Le trajet est long, les remarques que lui fait le chauffeur lui font un peu peur et par moments il fait semblant de dormir.

Il n’avait presque plus pris le taxi depuis qu’il s’était acheté la voiture, lorsqu’il avait décidé de s’occuper du terrain à la campagne à la mort de son père, finalement ça ne lui prenait pas trop de temps. L’agronome qu’il avait engagé lui avait dit que le lac avait accumulé tant de sédiments que l’excès de minéraux rendait toute germination « impossible et dangereuse ». Pendant un an on va rien pouvoir cultiver, mais à l’avenir il sera extrêmement fertile, avait-il dit, grâce au potassium. De toute façon, il continue d’y aller une fois par semaine, le jeudi. À chaque fois, il y passe la nuit et là-bas, se réveille à sept heures, c’est tard pour les paysans qui sont déjà réveillés à quatre heures et demi l’été, à cinq heures, cinq heures et demi l’hiver; il y a du givre tous les matins jusqu’à septembre, lorsqu’on sort de la maison ce sont des glaciers fondus qui brillent tels les soleils d’une lointaine dimension. Il vérifie que tout va bien, que les six paysans sont bien là, non qu’ils travaillent, puisqu’il n’y a rien à faire; mais au moins, qu’ils sont sur place pour que personne ne se mette à occuper le terrain, à s’installer dans leurs maisons, et il s’assure aussi que personne, ni voleur ni paysan, n’a rien volé, et que ces derniers ne sont pas soûls et ne font pas venir de femmes. En tout cas, pas quand il est là, car il en va de son autorité, le reste du temps, qu’ils fassent ce qu’ils veulent, tant qu’ils ne volent pas et n’abîment pas. Mais il y a des fois où il y va, rentre et se rend compte qu’il n’a pas échangé un mot avec qui que ce soit, tout au plus quelques saluts de la main.
Il se réveille devant chez lui. Il descend du taxi et dépose les sacs de courses sur le trottoir le temps de chercher la clé pour ouvrir la porte. Il monte dans l’ascenseur, pose à nouveau ses courses par terre, et s’appuie contre le mur, tout comme cette nuit-là avec Fernanda, dans ce même ascenseur. Elle était rentrée pour quelques jours. Elle devait rester deux semaines mais était finalement partie au bout de huit jours, et lui avait parlé pour la première fois de la possibilité de rester une seconde année, en disant qu’elle le ferait peut-être.

Malgré tout, les retrouvailles n’avaient pas été désagréables, pensa plus tard Lekman en dressant un bilan dans lequel l’épisode de l’ascenseur compensait d’autres moments où elle recevait des appels sur son portable britannique et revenait au bout de dix à quinze minutes. Un soir qu’ils regardaient un film blottis dans le lit, son portable sonna. Fernanda répondit et partit parler dans la cuisine, très exactement à l’autre bout du trois pièces de Lekman. Elle y resta pendant six minutes, qu’il passa pour sa part couché, dans le silence, la lumière éteinte et le film sur pause, arrêté sur le sourire déformé de l’un des acteurs. Au cinéma il n’y a pas d’instants parfaits, de tableaux, mais un effet de continuité, pensa Lekman au début, en regardant l’écran du téléviseur. Ensuite il pensa à d’autres choses, sans détacher son regard de l’écran. On n’entendait aucun bruit, pas même la voix de Fernanda, mais il savait qu’elle parlait au téléphone, qu’elle chuchotait en anglais, en se couvrant la bouche avec la main. Quand elle revint, le magnétoscope était passé automatiquement sur STOP. Elle se coucha dans le lit et lui dit, comme si de rien n’était, de remettre le film.

Ce qui est sûr, pense Lekman tandis qu’il pose les sacs de courses sur le plan de travail de la cuisine, c’est que s’il n’y avait pas eu l’histoire de son père, Fernanda ne serait pas revenue. Et depuis cette fois-là, ils n’ont pas reparlé de futures visites. En voyant les factures sur la table du salon, telles qu’il les avait laissées quelques heures auparavant, c’est comme s’il se réveillait d’un rêve, d’une nuit ou de plusieurs mois, et il l’appelle pour la première fois depuis longtemps.

Elle décroche à moitié endormie et demande s’il s’est passé quelque chose. S’il l’appelle pour une raison particulière. Il lui répond que non, qu’il avait juste envie de parler, il lui raconte ce qui s’est passé avec le garçon du supermarché, il ne comprend pas comment il a pu agir ainsi, si cruellement; l’épisode du bar, le chauffeur de taxi bizarre qui l’a ramené. L’un des journalistes m’a suivi dehors et a encore insisté pour me raccompagner. Un taxi arrivait à une vingtaine de mètres, lentement, et un autre derrière, libre aussi, mais roulant beaucoup plus vite. À tel point qu’il l’a dépassé et a pilé. C’était un modèle de voiture qu’il n’avait jamais vu auparavant. Le taxi qui arrivait derrière lui a freiné à la hauteur de celui qui venait de le dépasser, a insulté le chauffeur, lequel ne disait rien et regardait devant lui, jusqu’à ce que l’autre chauffeur se lasse et s’éloigne en maintenant la main sur le klaxon jusqu’au carrefour suivant. « Un soir comme celui-ci, on ne fait pas de cadeau », a-t-il dit tandis qu’il passait la première sitôt que l’autre atteignait le coin de la rue. Il aurait juré que c’était un paralytique et qu’il conduisait en actionnant des leviers avec les mains, dit Lekman. Il était assis à l’arrière à moitié endormi, et le présentateur d’une émission de radio nocturne a demandé dans quel volet d’une saga cinématographique se passait telle action et le chauffeur s’est retourné et a dit, surexcité: « Dans le trois, celui où on lui colle une bouteille d’oxygène pour lui faire avaler, ha, et ensuite ils lui tirent dessus, ici, boom, et il explose, ha ha... j’adore ce moment! » a dit le type, dit Lekman, et Fernanda rit et lui dit quelque chose à propos des chauffeurs de taxi londoniens.

Il lui demande alors si elle s’apprêtait à sortir, là-bas il doit être neuf heures du matin. Oui, neuf heures, mais elle dormait, dit Fernanda. Ah, mais bien sûr, aujourd’hui on est samedi, autrement à cette heure-ci en général tu es déjà en train de prendre ton petit-déjeuner. Et à peine a-t-il terminé sa phrase qu’il regrette de passer devant elle pour un maniaque qui connaît sa routine comme s’il la suivait tous les jours dans la rue. Cela n’a pas l’air de déranger Fernanda. Elle rit, encore ensommeillée, et lui dit de ne pas trop se fier aux factures, Starbucks, par exemple, elle n’y va pas très souvent, en général elle n’y prend pas son petit-déjeuner. Cela lui arrive de temps en temps, mais la plupart des reçus, c’est une amie roumaine, qui est serveuse dans l’une de leurs enseignes, qui les lui donne. Et comme ça elle les rajoute aux autres parce qu’à vrai dire, dit-elle, il y a des fois où je ne me souviens même pas comment j’ai dépensé l’argent, ou alors je perds les factures, tu sais que je suis tête-en-l’air pour ce genre de choses. Et Lekman sent quelque chose s’effondrer, dégringoler de quelque part, une phrase sans paroles qui roule le long de son corps.

Il retrouve son souffle et s’enquiert de son travail, ce qu’il n’avait presque jamais fait depuis tout ce temps, il s’en rend compte quand elle commence à lui raconter et que tous les noms ainsi que la plupart des mots qu’elle emploie lui sont inconnus. Il la laisse parler puis lui demande des nouvelles du Turc. Ça va, dit-elle, tout va bien. Il lui demande si elle le connaît personnellement. Oui, bien sûr, dit Fernanda, c’est pour cela que je suis venue, d’une certaine manière, pour cela et parce que l’université possède une bibliothèque très fournie et me donne toutes les facilités. Il lui demande comment il est, en vrai, et elle lui répond qu’elle ne saurait pas dire.

Il se rappelle la façon dont elle l’a abordé: le premier entretien, comment ils se sont revus à plusieurs expositions, à des rencontres, à des ateliers. De l’un d’entre eux ils étaient partis ensemble manger, il était tard, une heure et demi du matin, et il l’avait emmenée dans une cantine de chauffeurs de taxis. Il s’était dit que cela lui faisait perdre toutes ses chances avec elle, mais il l’y avait emmenée quand-même, un peu pour la tester, en partie aussi parce qu’il avait faim et que quand il a faim il est de mauvaise humeur. Et elle l’avait abreuvé de théories sur l’art, de réflexions sur son œuvre, avec des approches et des clés nouvelles qui permettaient de comprendre les travaux d’autres artistes et de considérer comme tels bien des personnes que Lekman, qui était assez conservateur, peut-être à cause de sa formation autodidacte, méprisait jusqu’alors.

Il raccroche et s’allonge dans son lit: il n’arrive pas à s’endormir. Il se lève, retire ses vêtements. Le tee-shirt qu’il a porté toute la journée, depuis ce matin à la campagne, c’est Juana qui le lui avait offert il y a au moins dix ans. Pourtant il est toujours en bon état, gisant sur le téléviseur sous un pantalon avec des traces de boue sur l’ourlet. Il est couché les yeux ouverts. Il met de la musique et se recouche. Deux fois il sursaute en croyant entendre le téléphone sonner; c’est peut-être Fernanda qui veut encore parler ou bien, il ne sait pas pourquoi il y pense, Juana.

Il n’arrive toujours pas à s’endormir. Il prend une douche et remet les mêmes vêtements que la veille. Il va dans la cuisine et range les courses, vide les sacs. Les six œufs qu’il a achetés sont cassés. Il ouvre l’emballage en carton humide et visqueux et voit des taches rouges, du sang au milieu du liquide épais, mélange de jaune, de blanc et de quelques plumes. La poule de la ferme. Il met l’eau à chauffer. Il s’apprête à faire du café puis se rend compte qu’il a oublié d’en acheter. Le moteur du frigo s’éteint seul et on n’entend plus que le tic-tac de l’horloge au-dessus de la porte de la cuisine. Il est neuf heures moins le quart. À cette heure-ci, Fernanda a sûrement déjà déjeuné, en tout cas elle est levée.

À neuf heures cinq il est devant la porte du supermarché, lequel, comme on est samedi, n’ouvre qu’à dix heures. Il s’assied sur le rebord pour attendre, mais aussitôt se relève et va jusqu’à l’hôpital public le plus proche, quatre pâtés de maison plus loin. Il demande à l’accueil si un patient oriental a été hospitalisé la veille, en début de soirée. L’infirmière lui répond qu’elle ne saurait pas dire, « p’tête ben qu’oui, p’tête ben qu’non ». Une autre infirmière, assise derrière le guichet lui dit qu’hier elle remplaçait une collègue de l’équipe de nuit, et qu’elle a entendu parler d’un type qui était arrivé tout seul, à pied, vers huit ou neuf heures. Il n’avait rien de grave, mais le médecin qui l’a examiné lui a recommandé de passer la nuit en observation. Et lorsqu’on a voulu enregistrer son identité et ses coordonnées, il s’est enfui, c’était sûrement un sans-papiers ou alors il ne se sentait pas si mal que ça. Tandis qu’elle descend les escaliers, les yeux de Lekman se troublent, peut-être à cause du mélange d’anesthésiant et de désinfectant qu’on respire.

Devant la porte du supermarché les employés commencent à s’attrouper en attendant le responsable qui a la clé. Il a peur qu’on le reconnaisse s’il reste immobile devant eux et part faire un tour. Lorsqu’il revient c’est enfin ouvert. Il prend un petit paquet de biscuits, du lait, et un paquet de café de cinq cent grammes. La caissière est la même que la veille au soir et en lui rendant la monnaie elle le salue d’un bonjour impersonnel. Mais lui ne la quitte pas des yeux et lui demande si tout va bien. Elle dit oui, mais il n’est pas rassuré, il se rapproche un peu d’elle et lui redemande si tout va bien, si elle est sûre, à présent en couvrant tout le supermarché d’un regard qui va se perdre dans la porte du fond qui donne sur l’arrière-boutique. Aucun problème, monsieur, répond-elle, un peu agacée par son insistance.

Traduit par Aurore Perrin

A la mañana Fernanda primero toma un café doble o un jugo de naranja en uno de los cuatro locales que Starbucks tiene en Leeds. Puede estar leyendo una novela de bolsillo que le costó seis libras, hojeando el diario que compra casi todos los días o tomando de un saque el vaso de agua de cortesía para bajar una aspirina en ayunas alguna mañana. De vez en cuando, compra las tabletas siempre en la misma farmacia. Una vez por mes paga cuarenta libras por el teléfono y el celular, veinticinco por el cable y la conexión de banda ancha. Por la luz, el gas y el agua, cincuenta en total. No paga alquiler porque vive en un departamento que le prestó una amiga que se fue “un año, tal vez dos” a Italia. Compra libros, una vez por semana, en general los martes a la mañana, los jueves por la tarde o, muy de vez en cuando, un sábado. Va siempre al mismo supermercado, una vez por semana o cada diez días. En total no es mucho más de lo que gastaba en Buenos Aires cuando vivía sola a mediados de la década pasada. Las tarjetas telefónicas de larga distancia de cinco libras suele liquidarlas en una sola llamada. Come afuera una vez por día, al mediodía o a la noche. No viaja mucho en taxi o colectivo y apenas compra ropa, pero de vez en cuando va en tren a Londres y allá al cine, recitales, tragos, habitaciones de un hotel tres estrellas, a veces dobles, un boleto de subte hasta Victoria Station y uno o dos cafés antes de tomar el tren de regreso. O solo un taxi, cuando se hace tarde, porque a Fernanda casi siempre se le hace tarde cuando tiene que tomarse un tren, avión o colectivo.

Lekman ordena las facturas que ella le manda por correo cada mes. Desparrama todos los papelitos sobre la gran mesa del living que ahora apenas usa, los pone boca arriba y los agrupa, primero por día, hace tres largas filas de diez días cada una, y después por categoría: “alojamiento”, “comida”, “personales” y “materiales de investigación”. Pega una o dos facturas en hojas oficio que después agujerea, anota junto a cada una el total en dólares, después lo suma, total por rubro, total del mes, lo mismo en pesos, y guarda cada hoja en alguna de las cuatro carpetas, una por categoría, que tiene que presentar antes del veinte de cada mes en la fundación británica que becó a Fernanda por un año con opción a dos. Con el tiempo se acostumbró a hacerlo pensando en otra cosa, algún cuadro a medio terminar, qué cenar a la noche, o qué forma darle a esa imagen, la pequeña revelación que había tenido el día anterior en el campo al ver a una gallina subida a una escalera contra la pared de la casa, la luz de agosto de un atardecer de invierno.

Prepara todo sin prestar demasiada atención, para preguntarse cada vez menos por el significado de alguno de los recibos. Una mezcla de sorpresa, indignación y dolor era lo que sentía al principio, aunque todavía, a veces, sienta algunas puntadas, sobre todo al pensar que más que un descuido es como si ella quisiera que él se enterara de algunas cosas, de esos viajes a Londres, o lo que compra en el supermercado, la caja de preservativos de doce unidades –marca Durex, dos libras con quince– que descubrió hace un tiempo en un ticket entre una larga enumeración de productos inocentes: unos brócolis congelados, café de Guatemala, dentífrico y tres botellas de agua con gas. Pero Fernanda nunca dijo nada al respecto, y Lekman tampoco había encontrado el momento ni el modo de preguntar.

Una novia del colegio le decía que era tímido porque había nacido en Noruega. La familia de Lekman había llegado en plena dictadura. Él era todavía muy chico cuando transfirieron a su padre a la filial local de un banco francés. Juana fue su primera y única novia de la adolescencia. Salieron un año, exactamente: ella lo dejó un día antes del aniversario. Salvo esos meses que siguieron, la mayor parte del tiempo la soledad había sido una elección de Lekman. De todas formas, o tal vez por eso, atrajo a las mujeres desde muy chico. Sus genes escandinavos habían pegado el estirón con precocidad y a los catorce años ya medía un metro setenta y cinco, tenía brazos fuertes y parecía de veinte.

El primer beso se lo había dado a la madre de un amigo una vez que se quedó a dormir en su casa. Había ido a la cocina a comer algo a escondidas y la encontró descalza, en camisón y con la puerta de la heladera abierta. Tenía los labios frescos, como si acabara de tomar agua del pico de la jarra, y un dejo apenas dulce. Al despertarse, tuvo pánico de que se armara un escándalo. Después sólo pensaba en lo que haría cuando volviera a estar con ella, pero no tuvo oportunidad, y al poco tiempo empezó a salir con Juana. Más que sus facciones nórdicas, a ella le gustaba que cantara y tocara la guitarra. Además de Juana, solo lo escucharon los pocos compañeros del colegio que iban a su casa, entre ellos aquel a cuya madre él había besado. Le dijeron que les gustaba, pero que les parecía un poco raro.

Lekman estudió un par de años abogacía, y se dio cuenta de que no quería ser ni abogado ni músico. Tal vez en Noruega, no acá: quería dibujar o pintar. Se anotó en un taller. Al año dejó la facultad, siguió trabajando y empezó a tomar clases particulares con un maestro prestigioso. Pasó otro año, y trabajaba cada vez menos en la oficina. Todos quedaron contentos con su primera participación en una muestra colectiva y dos críticos dijeron algo sobre su obra que no entendió pero que tenía la entonación de un elogio.

Dejó a su maestro una vez que al llegar a su estudio para la clase lo encontró en calzoncillos, moviéndose de una pared a otra de la habitación, desovillando una bola enorme de lana roja, el pecho rozando las tablas de madera del piso, su mirada absorta en la punta del hilo. Tuvo varias entrevistas: ninguno lo convencía del todo, estaba en un momento de su formación bastante difícil como para empezar con otro, mejor largarse solo o probar afuera, cambiar de aire, le dijo uno de los consultados mientras le daba la mano al despedirlo.

Mandó copias de sus mejores trabajos a institutos de varios países, pero no recibió ninguna respuesta, salvo de una escuela portuguesa a la que no recordaba haber aplicado. Decidió renunciar a su trabajo en el banco francés que le había conseguido el padre, encerrarse a pintar y vivir de algunas ilustraciones salteadas para una editorial infantil. Y no sabía por qué, de ahí en adelante, cada vez que lo veía, al padre le venía la imagen de su hijo con el uniforme del colegio sentado en las butacas de pana del salón de actos. Es que el artista tiene que levantarse cuando está cómodamente sentado, así Lekman. Pero puede que al querer volver a sentarte, la silla ya no esté en el mismo lugar, respondía el padre, porque el mundo gira, y entonces tengas que quedarte parado, como un idiota, hasta la muerte.

Seis meses más tarde participó por segunda vez en una exposición colectiva. Lo importante al principio no es vender, sino las reseñas, y para eso la presentación es tan importante como la obra, le dijo un crítico. Ese mes vendió un cuadro, el padre compró un segundo, y recibió un mail de una tal Fernanda López, una periodista que quería entrevistarlo.

Ahora Lekman es mucho menos ingenuo, pasaron los años. Aunque cada vez que recuerda esas conversaciones con el padre siente ternura –en su momento, esas palabras le sirvieron para darse ánimo y enfrentarlo, para insuflar cierta épica a decisiones que de otro modo no hubiera tenido el coraje de tomar–, lo cierto es que ya hace tiempo que, sin haberse vuelto del todo cínico, terminó por ceder y adoptar las palabras y modales del arte contemporáneo, la mayoría de los cuales le inculcó Fernanda, que ahora escribe y llama poco, una vez cada quince días, pero cuando hablan están media hora o más, sobre todo los domingos a la tarde, en Leeds es medianoche. Domingos en los que ella vuelve de Londres, como confirma después él con los recibos. Es que debe sentir esa mezcla de culpa y vacío, a él también le pasa.

Para rellenar algún silencio Fernanda pregunta si está todo bien con los papeles, y que por favor no se olvide de presentarlos a tiempo para que le habiliten los gastos del mes siguiente. Él dice que no se preocupe, que el trabajo es aburrido pero le gustan las tareas mecánicas para no tener que pensar, viene bien después de pasar días encerrado trabajando, "me despeja”. Como viajar al campo: la ruta vacía, derecha, a ciento cuarenta. Ella pregunta si sigue sin fumar y él miente y dice que sí. Y Lekman le cuenta que acaba de ganar una beca para dedicarse a un proyecto por seis meses, le tiene fe, a pesar de que todavía no sabe bien qué hacer. Ella pide que apenas tenga le mande bocetos por mail, y que por favor tampoco se olvide de ese texto que abría el catálogo de su primera muestra colectiva auspiciada por una multinacional, que seguro va a serle muy útil para su tesis. Él dice que sí pero nunca lo hace, y se despiden: a veces uno dice “te quiero” y el otro “yo también”, a veces lo dice uno y el otro no contesta, y a veces ninguno dice nada.

Tiene que presentar las carpetas el lunes a la mañana y apenas si abrió el sobre de papel madera británico que está apoyado en la mesa del living. Y por primera vez se pregunta por qué él está haciendo eso. Pero se lo había prometido, y además Fernanda no tenía a nadie, así que mejor terminarlo cuanto antes. Intenta pensar en un nuevo sistema o procedimiento para ordenarlos y concentrarse. Los viernes siempre se despierta temprano en el campo y cuando vuelve, tras un almuerzo liviano de quince pesos con agua mineral en una parrilla sobre la ruta, noventa pesos de nafta y cuatro con veinte de peaje, ya está cansado. Y si encima se queda en su casa solo, puede complicarse. Y si sale con sus amigos, todos terminan tomando whisky o vino alrededor de una mesa, yendo al baño, de a uno, todos hablan, menos él, no pueden parar de hablar y Lekman se va quedando dormido, cabecea, se despierta sobresaltado, sus amigos se ríen, se ríen muy fuerte, y él dice que lo disculpen: se levantó a las siete de la mañana, manejó en la ruta y tiene sueño.

Todavía le falta, y encima los huecos en las filas de facturas son días en los que Fernanda desaparece. A veces eso lo inquieta, a veces se consuela pensando que si no hay recibos es que no hay gastos, y si no hay gastos es porque se quedó en el departamento. Hay días en los que Fernanda va al cine y ve dos películas seguidas, porque en Leeds algunos cines chicos dan distintas películas según la función. O va al supermercado y compra de todo y vuelve a los quince minutos a comprar algo que se olvidó. Es curioso que a pesar de la distancia, piensa Lekman algunas tardes, ahora tenga más registro de lo que ella hace que cuando vivían juntos. Y por lo que deduce apenas si avanza con la tesis de la beca. Está tan dispersa como él acá, con turno para exponer en una galería de las importantes a fin de año, una muestra individual, quién lo hubiera dicho, lo de la beca, y el campo inutilizado.

Hasta el año anterior estuvo inundado y más que un campo era una laguna de mil quinientas hectáreas con una franja de pasto seco cerca del alambrado junto a la ruta. Y de la nada había aparecido un empresario provincial que ofreció alquilárselo al padre de Lekman. Quería explotar la laguna, armar un club de pesca, poner un muelle, trasplantar unos árboles, clavar unas sombrillas, sembrar peces, poner parrillas y traer algunas lanchas. Se cobraron diez meses puntuales, pero un lunes al mediodía avisaron que había problemas y antes de que se cumpliera el año de contrato, la laguna se había secado y el club cerró.

Por ese entonces Fernanda había decidido irse a Inglaterra a terminar su tesis de doctorado, un estudio comparativo entre un pintor británico y cuatro artistas jóvenes de países emergentes. Ninguno de los cinco había nacido donde vivía. Habían emigrado de chicos y, por algún motivo, venían desarrollando obras mucho más radicales en comparación con el resto de los artistas de esos países, algo así, Lekman nunca terminó de entender el proyecto del todo, como tampoco muchos de los otros artículos que Fernanda había publicado en los últimos dos años mientras vivieron juntos.

El británico nació en Turquía, emigró a los nueve, y tuvo muestras en Nueva York, Ámsterdam y una pequeña retrospectiva en el museo de arte contemporáneo de su Estambul natal. Es uno de los pocos artistas vivos que Lekman admira. Había sido él quien le había hecho conocer su obra a Fernanda, después de hablarle noches enteras, en un viaje a Europa al poco tiempo de haberse ido a vivir juntos. El argentino es Lekman. Como él, los otros tres apenas si tienen una incipiente carrera, “es que prefiero artistas menos destacados, vírgenes de atención académica”, decía Fernanda, y Lekman no podía evitar sentir un leve escalofrío cada vez que la escuchaba pronunciar esas palabras.

Al principio lo pensó en los términos en los que se lo había planteado ella: él tenía mucho más para ganar que el resto, ni hablar el inglés, o sea el turco, que ya era bastante reconocido. En otras palabras, que la comparación iba a ser muy beneficiosa para su obra. Pensó que solo su padre usaría esa palabra. Varios meses le llevó darse cuenta de que el turco inglés probablemente viviera en Leeds o en Londres. Es la segunda revelación del día, ese viernes a la tarde mirando por la ventana mientras prepara café con los restos que encontró en dos paquetes en la heladera.

Se la imagina con la mirada perdida esa misma noche, luego de cenar un menú individual con media pinta de cerveza (cinco libras con noventa) en alguna pizzería de cadena como hace casi todos los viernes que no va a Londres, mientras él al mismo tiempo en la cocina por la tarde se prepara un café, con los recibos desparramados en la mesa del living. Lo de los preservativos claro que lo entiende. Él también sigue comprándolos de vez en cuando, no doce, cajitas de tres. Lo que no termina de cerrarle son esos viajes a Londres. Pongamos que con el turco británico. Debe ser interesante, seguro, incluso a él le gustaría. Pero ¿por qué siempre a Londres y nunca a otra ciudad? ¿O a Escocia? Y de todas formas, no entiende qué tiene que ver eso con un posgrado en artes comparadas, y cómo a los de la fundación, que son tan meticulosos con lo de los recibos, no les llama la atención.

Mira el día para atrás y para adelante, abre la heladera y ve bolsas de plástico vacías, botellas vacías, una mermelada destapada. Solo poner algo en la heladera y comer mucho puede salvarlo esa noche. Camino al supermercado ve el cartel de una película estadounidense que acaban de estrenar y que Fernanda ya vio hace meses, se acuerda de la entrada color naranja con el nombre impreso. Y ve a una chica con la remera de una banda inglesa y, no sabe por qué, piensa que los pintores que viven en Inglaterra seguro deben poder llevarla mejor que los argentinos, como casi siempre pasa con los grupos de rock.

Compra comida fresca y en paquetes. Algunas marcas son parecidas a las de allá, no tanto como antes, pero aun así hay muchas que son las mismas, salvo las cosas de la cocina. Y compra dos botellas de cerveza y dos de agua mineral, y por un instante piensa en sus propios recibos: bares, pinturas, telas, nafta, peajes y tickets de supermercado, que la cajera, que es china, coreana o japonesa, le da en la mano junto con el vuelto, y se mira las uñas como si el contacto con las monedas se las despintara. Lekman cuenta las bolsas –son muchas– y pregunta si tienen envío a domicilio. La cajera dice que sí, mientras saca un fajo de billetes de cien del bolsillo interno de su campera, o de su corpiño, no ve bien, para guardar los dos que él acaba de darle, y pega un grito en japonés, coreano o chino, y de la puerta del fondo sale uno que bien puede ser un primo segundo o un seudoesclavo, pone las bolsas en el changuito y espera.

La idea de caminar tres cuadras junto a alguien al principio lo incomoda. Empieza a hacerlo rápido, ignorándolo, un par de pasos delante de él. No puede entender si acaba de llegar al país o si ya lleva años acá, siempre encerrado en el galpón del fondo. Si sólo sale a repartir pedidos y sólo conoce esa parte de la ciudad, que debe ser casi un sueño, la interrupción de su mundo oscuro de ordenar comida a la sombra del depósito, en una cama marinera de pino en la que pasa horas tirado añorando sus monzones.

Ahora van por la vereda rota de una avenida por la que pasan colectivos y tocan bocina. Lekman mira cuando dobla para confi rmar que todavía lo sigue. Y empieza a pensar, primero de aburrido, después con una morbosidad inédita, hasta dónde podría seguirlo el otro, que por la forma de caminar en su tierra natal debería haber tirado de uno de esos carritos a tracción humana que llevan gente con una sombrilla atrás. En qué momento recién le diría algo, en cuántas cuadras. Hasta dónde podría llevarlo, literalmente, su servilismo, y qué le diría en ese caso, en qué idioma. ¿Soltaría el changuito y un insulto que no entendería y volvería al supermercado, o intentaría pegarle? ¿O no sabría cómo volver y quedaría perdido, vagando por el barrio, alucinado en una ciudad desconocida? Así, quizás llegue a otro supermercado oriental en el que lo entiendan y lo manden de regreso al suyo, o se quede ahí y tal vez sea mejor que el de ahora y además del galpón haya un pequeño patio, las camas no sean marineras, y se encuentre con un primo que llegó al país en otra camada.

Lekman empieza a sentir una excitación casi infantil, como si de algún modo estuviera vengándose de todos los inmigrantes del mundo, empezando por él y los del sudeste asiático, pero también de los turcos y de los paquis británicos, y de los otros cuatro artistas plásticos. Y dobla para el otro lado y cruza como si estuviera solo, como viene cruzando hace meses, sin tener en cuenta los temores de Fernanda, que siempre lo hacía cruzar cuando no venía nadie, y un auto oscuro dobla en la esquina, le pasa por al lado y atropella al changarín.

Había estudiado abogacía un par de años, y aunque había recursado Penal (ese fue el motivo o la excusa para dejar la carrera), sabe que tuvo algo de responsabilidad en el incidente y se asusta. El del súper está tirado en el piso, sobre el asfalto, entre las bolsas y las compras desparramadas, y no parece lastimado. Del auto bajan dos hombres, uno tiene barba y pelo largo, el otro es alto como Lekman, más grandote. En el asiento de atrás hay dos mujeres. Los tipos miran al chino y le preguntan con gestos si está bien. Después lo miran a Lekman, se miran, vuelven a mirar al otro y le ofrecen llevarlo de regreso. El tipo, o no entiende castellano, o solo sabe volver de memoria, y dice que “no” con las manos y la cabeza, y se va.

Entonces el de barba le dice a Lekman que puede subir, ellos lo acercan. Lekman no contesta, se queda quieto, y el de barba vuelve a bajarse y le dice que venga, que se quede tranquilo. “No te preocupes”, dice, y abre el baúl y mete algunas de las bolsas del supermercado, las cosas que no están rotas. Lekman sube sin estar del todo convencido, como si lo importante fuera no separarse de las compras. Se sienta y cierra la puerta sin dejar de mirar por la ventanilla hacia el changarín, que se aleja para el otro lado, por suerte el correcto.

En un segundo había pasado de lamentarse por la monotonía de su vida desde el punto de vista de sus gastos a imaginarse en una comisaría. Se tranquiliza un poco y se distrae. Va en el asiento de atrás, un poco apretado, junto a las dos chicas. No alcanzó a mirarlas detenidamente, aunque tiene una buena intuición, llevan pollera corta y huelen bien. El auto sigue dos cuadras y dobla en la avenida hacia el centro. Lekman deduce que no están llevándolo a su casa recién cuando pasan debajo de un puente. Piensa en bajarse en algún semáforo, aunque en ese caso perdería todo lo que tiene en el baúl, casi doscientos pesos.

Llegan hasta un bar en una zona de oficinas. Junto a la puerta del lugar hay una mujer llorando, las manos le cubren la cara. Bajan al subsuelo por una escalera y se acomodan en los sillones. Salvo por ellos, el lugar está vacío y es como si tuviera una hora propia. La música que suena es de hace tres o cuatro años. Una de las chicas va al baño y al rato también uno de los tipos, el grandote. Lekman se la imagina contra la pared, la pollera levantada, las medias bajas, él trabando una pierna con el inodoro. Pero ella vuelve y le dice algo al oído a la otra, una rubia de pechos chicos que se sacuden dentro del escote. Suponía que era la pareja del otro, pero se van juntas al baño, y él se queda solo con el de barba, uno en cada punta del sillón.

Levanta la mano para llamar a la moza, que es la misma mujer que diez minutos antes estaba llorando afuera. Pide un trago. La música es mala y el volumen es lo sufi cientemente alto como para preferir escucharla que hablar. Además, no sabe qué decir. Vacía el vaso casi de un sorbo y se pone a jugar con la pajita hasta dejarla irreconocible. Pide otro y el de barba dice que él también quiere uno. La moza les deja dos vasos gemelos, se va y quedan en silencio. Lekman empieza a revolver los sacos y las carteras del resto. El de barba pregunta si pasa algo y él dice que acaba de escuchar un teléfono sonando. Debe ser el tuyo, dice. El otro saca su celular, lo mira, y dice que no, que el suyo no es. “¿No será el tuyo?”. Pero Lekman no trajo el celular. Entonces no sé. “Mirá que yo escuché un teléfono”. Sí, a veces pasa, le dice en voz alta, cerca del oído, es como si ciertas notas de algunas canciones hicieran vibrar la neurona donde se guarda ese sonido.

Había aprendido lo que era un armónico a los trece años. A esa edad Lekman era bastante prejuicioso y le sorprendió que Pitágoras, un fi lósofo, un matemático, se hubiera dedicado a investigar, en sus ratos libres, suponía, el sonido que emite una cuerda según su longitud. También le sorprendió que su profesor de música, siempre con pantalones de colores, aliento a té, galletitas de agua y algo que solo más adelante descubriría era marihuana, supiera sobre Pitágoras bastante más que la anécdota del armónico que debía contarle a cada alumno al menos una vez.

El recuerdo hace que Lekman se entusiasme con la conversación y pregunta que cómo es la cuestión con las chicas, si son pareja, si cada uno está con una. El tipo se ríe y le dice que son unas encargadas de prensa, dos prenseras, y que ellos son periodistas. Están aceitando la relación, dice, y se ríe, mal. “Es parte del trabajo, con lo que nos pagan...”, y Lekman no sabe si dejó la frase a medio terminar o si el lamento se deshizo en la música mientras recorría la distancia que los separaba.

El de barba se acerca a la pared, toca algo detrás de unas cortinas y va a la pista, que como el resto del lugar está vacía, salvo por el que pasa música en un rincón, un flaco de pelo largo. La bola de luces empieza a girar. Le hace una seña a Lekman, que se acerque, y este compra otro trago para tener las manos ocupadas, y va. La canción que suena no tiene ritmo para bailar, solo girar en el lugar con los brazos al costado, apenas extendidos, como si todo el bar fuera una caja de música en modo menor con las pilas gastadas. Y claro que a él también le gustaría llevar veinte minutos encerrado en el baño con dos chicas. En cambio, casi había provocado la muerte de una persona, después se había tomado tres fernets, y ahora bailaba con otro hombre en la pista de un bar vacío una canción de Morrisey.

Tiene que irse: si algo aprendió en los años con Fernanda es a desconfi ar de los periodistas. Pero el de barba parece simpático. Lo acompaña al auto, abre el baúl, le da las bolsas y le pregunta si no quiere que lo acerque, si está seguro. Lekman dice que no, le da la mano, y se toma un taxi. El viaje es largo, los comentarios que le hace el chofer lo asustan un poco y por momentos se hace el dormido.

Casi no tomaba taxis desde que se había comprado el auto cuando decidió encargarse del campo tras la muerte del padre, al fi n y al cabo no implicaba demasiado tiempo. El agrónomo que contrató le dijo que el lago había acumulado tantos sedimentos que el exceso de minerales hacía “imposible y peligrosa” la germinación. Por un año no se va a poder cultivar nada, pero en un futuro va a ser extremadamente fértil, dijo, por el potasio. Sigue yendo, de todas formas, una vez por semana, los jueves. Siempre se queda a dormir y allá se despierta a las siete, tarde para los peones, que ya están despiertos a las cuatro y media en verano, y cinco, cinco y media en invierno, con escarcha todas las mañanas hasta septiembre, que al salir de la casa son glaciares derretidos que brillan como soles de una dimensión lejana. Controla que todo esté bien, que los seis peones estén, no que trabajen, porque no hay nada que hacer; al menos que estén en sus puestos para que no les ocupen el campo, se les metan en la casa, y que tampoco se hayan robado nada, ni ladrones ni peones, ni que estos últimos estén borrachos, o lleven mujeres. Al menos cuando está él, para no perder autoridad, después que hagan lo que quieran, mientras no roben ni rompan. Pero hay veces que va y vuelve y se da cuenta de que no habló con nadie, apenas un par de señas.
Se despierta en la puerta de su casa. Se baja del taxi y deja las bolsas en la vereda mientras busca la llave para abrir. Sube al ascensor, vuelve a dejar las cosas en el suelo, y se apoya como la noche con Fernanda en ese mismo ascensor. Había vuelto por unos días. Iba a quedarse quince pero terminó yéndose al noveno, y por primera vez le habló de la opción de un segundo año y dijo que tal vez la usaría.

A pesar de todo, el reencuentro no había estado mal, pensó más adelante Lekman haciendo un balance, en el que lo del ascensor contrarrestaba alguna de las otras veces en las que Fernanda recibía llamados en su celular británico y volvía a los diez, quince minutos. Una noche miraban una película tapados en la cama, llamaron y Fernanda atendió y se fue a hablar a la cocina, exactamente en la otra punta del tres ambientes de Lekman. Tardó seis minutos, que él pasó acostado en silencio, la luz apagada y la película en pausa, la sonrisa de un actor deformada. En el cine no hay instantes perfectos, cuadros, sino efecto de continuidad, pensó Lekman al principio, mirando la televisión. Luego pensó otras cosas, sin correr la mirada de la pantalla. No se escuchaba ningún ruido, ni siquiera la voz de Fernanda, aunque él sabía que ella estaba hablando por teléfono, murmurando en inglés, la mano cubriéndole la boca. Cuando ella volvió, la videocasetera había pasado a la función de stop. Se metió en la cama y le dijo, como si nada, que siguieran.

Lo cierto, piensa Lekman mientras apoya las bolsas en la mesada de la cocina, es que si no hubiera sido por lo del padre, Fernanda no habría vuelto. Y desde entonces no volvieron a hablar de futuras visitas. Al ver los recibos sobre la mesa del living, tal como los había dejado él algunas horas antes, es como si despertara de un sueño, de una noche o de meses, y la llama por primera vez en mucho tiempo.

Ella atiende dormida y pregunta si pasó algo, si la llama por algo en particular. Él le dice que nada, que tenía ganas de hablar, le cuenta lo que pasó con el chico del supermercado, que no entiende cómo él pudo hacer algo así, tan cruel, lo del bar, del taxista raro que lo trajo de vuelta. Uno de los periodistas me acompañó afuera y volvió a insistir con eso de llevarme. Venía un taxi a unos veinte metros, despacio, y otro atrás, también libre, pero bastante más rápido. Tanto que se le adelantó y clavó los frenos. Era un modelo de auto que no había visto nunca antes. El taxi que venía atrás se frenó a la altura del que acababa de pasarlo, insultó al taxista, que se quedó callado mirando hacia delante, hasta que el otro se cansó y se alejó apoyando la mano sobre la bocina el resto de la cuadra. “Una noche como esta no se le perdona la vida a ninguno”, dijo mientras metía primera apenas el otro llegó a la esquina. Hubiera jurado que era un paralítico y manejaba moviendo unas palancas con las manos, dice Lekman. Iba atrás medio dormido, y un locutor de trasnoche preguntó en qué número de la zaga de una película pasaba tal cosa y el chofer se dio vuelta y dijo, sacado: “¡En la tres, esa que le meten un tanque de oxígeno para que se lo trague, ja, y después le disparan ahí, ja, y explota, ja… me encanta esa parte!”, dijo el tipo, dice Lekman, y Fernanda se ríe y dice algo acerca de los taxistas de Londres.

Entonces él pregunta si estaba por salir, allá deben ser las nueve de la mañana. Sí, las nueve, pero estaba durmiendo, dice Fernanda. Ah, claro, porque hoy es sábado, dice él, si no a esta hora en general ya estás desayunando. Y no termina de pronunciar esa palabra que se arrepiente de sonar delante de ella como un maniático que conoce su rutina como si la siguiera por la calle todos los días. A Fernanda parece no molestarle. Se ríe, dormida, y dice que no se guíe mucho por los tickets, que a Starbucks, por ejemplo, no va muy seguido, en general no desayuna. A veces sí, pero la mayoría se los da una amiga rumana que trabaja de moza en uno de los locales. Y así va juntando porque la verdad, dice, hay veces que ni me acuerdo en qué gasté la plata, o pierdo las facturas, vos sabés cómo soy de colgada con esas cosas. Y Lekman siente algo que se desmorona, que baja desde algún lado, una frase sin palabras rodando por su cuerpo.

Recupera el aliento y pregunta por sus cosas, algo que casi nunca había hecho en todo este tiempo, se da cuenta cuando ella empieza a contar y todos los nombres y la mayoría de las palabras que usa le suenan desconocidos. La deja hablar y luego pregunta por el turco. Bien, dice ella, todo bien. Le pregunta si lo conoce personalmente. Sí, claro, dice Fernanda, para eso vine acá, de alguna forma, además de que la universidad tiene una biblioteca muy completa y me da todas las facilidades. Le pregunta cómo es en persona y ella dice que no sabría decirle.

Se acuerda de cómo se acercó ella a él: la primera entrevista, cómo volvieron a verse en varias exposiciones, en charlas, talleres. De uno se fueron a comer, era tarde, la una y media de la mañana, y él la llevó a una cantina para taxistas. Pensó que con eso perdía todas sus posibilidades pero igual la llevó, un poco para probarla y otro porque tenía hambre y cuando tiene hambre se pone de mal humor. Y ella lo fue envolviendo con teorías sobre el arte, con ideas acerca de su obra, con nuevos puntos de vista y claves para entender trabajos de otros artistas y para considerar artistas a muchos que Lekman, que era bastante conservador, tal vez debido a una formación autodidacta, antes despreciaba.

Cuelga y se tira en la cama: no se puede dormir. Se levanta, se saca la ropa. La remera que tuvo puesta todo el día, desde la mañana en el campo, se la había regalado Juana hacía por lo menos diez años. Sin embargo todavía está en buen estado, extendida sobre el televisor, debajo de un par de pantalones con rastros de barro en la botamanga. Está acostado con los ojos abiertos. Pone música y vuelve a acostarse. Dos veces se sobresalta pensando que un teléfono suena; que tal vez sea Fernanda, que quiere seguir hablando o, no sabe por qué, Juana.

Sigue sin poder dormirse. Se da una ducha y se pone la misma ropa que la noche anterior. Va a la cocina y ordena las compras, vacía las bolsas. Los seis huevos que compró están rotos. Abre la caja de cartón humedecido y viscoso y ve manchas rojas, sangre en el medio del líquido espeso mezcla de yema, clara y algunas plumas. La gallina del campo. Pone la pava. Está por hacer café y se da cuenta de que se olvidó de comprar. El motor de la heladera se apaga y solo se escucha el ruido del reloj sobre la puerta de la cocina. Son las nueve menos cuarto. A esta altura, Fernanda ya debe haber almorzado, o al menos estará levantada.

A las nueve y cinco llega a la puerta del supermercado, que como es sábado recién abre a las diez. Se sienta en el cordón a esperar un rato, pero enseguida se para y va hasta el hospital público de la zona, a cuatro cuadras. Pregunta en informes si no ingresó un paciente oriental la noche anterior, temprano. La enfermera le dice que no sabría decirle, que si le dice le miente. Otra enfermera sentada detrás del mostrador le dice que ella ayer estaba haciendo un reemplazo de una compañera del otro turno, y que escuchó de uno que llegó caminando solo, a eso de las ocho o nueve. Aunque no era nada grave, el médico que lo atendió recomendó que pasara la noche en observación. Y al querer tomarle los datos se escapó, así que seguro era ilegal o tan mal no debía sentirse. Mientras baja por la escalera, a Lekman se le enturbia la mirada, tal vez por la mezcla de anestesia y desinfectante que se respira.

En la puerta del supermercado ya empiezan a juntarse empleados esperando al encargado con la llave. Tiene miedo de que lo reconozcan si se queda quieto delante de ellos y va a dar una vuelta. Cuando vuelve ya está abierto. Agarra unas galletitas, leche y un paquete de medio kilo de café. La cajera es la misma de la noche anterior y al darle el vuelto lo saluda con una amabilidad impersonal. Él no le saca los ojos de encima y pregunta si está todo bien. Ella dice que sí, pero él sigue intranquilo y se acerca un poco más y vuelve a preguntarle si está todo bien, si está segura, ahora abarcando todo el supermercado con una mirada que termina perdiéndose en la puerta del fondo que da al depósito. Ningún problema, señor, responde ella, ya algo fastidiada por la insistencia.

Par Matías Capelli

Matías Capelli est né à Buenos Aires en 1982. Il est l’éditeur de la section littéraire et artistique dans la revue Los Inrockuptibles, édition argentine de la revue française. Frío en Alaska est son premier recueil de nouvelles.

Aurore Perrin est agrégée d’espagnol. Elle enseigne à l’Université du Littoral Côte d’Opale.
Elle a traduit Le Défi du politique : totalitarisme et démocratie chez
Claude Lefort
de Esteban Molina, L’Harmattan.

Illustrations d’Esteban De la Mata. Originaire de Mar del Plata, en 2002 il obtient un diplôme en communication sociale à l’Université nationale de La Plata. Il a travaillé comme journaliste à la radio et à la télévision, et comme attaché de presse dans le domaine politique. Il a aussi été professeur, facteur, barman et ouvrier agricole. Il a vécu dans de nombreux endroits (La Plata, Buenos Aires, Patagonie, Brésil, Espagne) et vit actuellement à Bordeaux.