Maudits Hamburgers

À Juan Boido

Tout a commencé quand je me suis évanoui en faisant la queue au McDo. Tandis que j’hésitais, incapable de me décider entre le menu 1 (Big Mac, moyenne frite, moyen Coca), et le 3 (McDlt, et le reste pareil que le 1), j’ai tout d’un coup vu le tableau lumineux tournoyer de façon menaçante au-dessus de ma tête, qui se mit elle-même à tourner, perdit l’équilibre et glissa comme une balle jusqu’au sol. La dernière chose que je vis, ce sont les traits métalliques de Ray A. Kroc [1] et son sourire plein de bonhomie, qui veillait sur moi et sur ce monde rassurant : dans ses bras je pouvais m’évanouir sans crainte.

Quand je revins à moi, je n’étais plus à l’endroit où je m’étais effondré ; ils m’avaient sans doute traîné sur le côté pour ne pas gêner le passage. Un employé plein de diligence s’appliquait à enlever à l’aide d’une épaisse liasse de serviettes en papier les restes de laitue et de mayonnaise que j’avais sur le visage et sur mes vêtements : je reconnus les saveurs mélangées du menu « Porteño » [2]] et du menu 2, que jamais de la vie je n’aurais commandé, et l’idée qu’au moins je n’étais pas tombé sans entraîner des gens dans ma chute me réconforta. Plein de gratitude, je m’agrippai un moment au bras de mon sauveur, dont le visage me souriait depuis le mur où son portrait était accroché, trônant fièrement au-dessus de la légende « Employé du mois ». À maintes reprises, installé à ma table habituelle, je l’avais contemplé, admirant son imperturbable efficacité, le port altier de son front d’adulte qui se détachait au-dessus des nuques en sueur d’ados sous-payés qui se ressemblaient tous, tel un capitaine sur le pont de son navire affrontant la tempête — la tempête des clients du midi déferlant en vagues, en avalanches, en tourbillons, s’abattant violemment sur les caisses qui résistaient à grand-peine à leurs assauts —, par sa seule présence, il répandait autour de lui la sérénité nécessaire pour que le bateau restât à flot. Et malgré l’interdiction formelle de tout contact personnel entre employés et clients — sauf, bien sûr, l’amabilité, douceâtre comme la mayonnaise et les cornichons du Big Mac, qui se devait d’être dispensée à tous les clients de façon égale — bien que, par ce geste, il bravait l’interdit, ce qui pouvait lui coûter, sinon sa place, du moins l’honneur du titre d’employé du mois, qu’il méritait depuis trois mois, ce qui, par conséquent, réduirait à néant ses chances, toujours plus grandes, d’être nommé employé de l’année, il prenait toujours une seconde pour répondre à mon regard par un sourire bref, fugace, presque un clin d’œil de complicité. N’importe qui peut sympathiser avec un serveur dans un restaurant traditionnel, mais reconnaître un employé du McDo, et surtout, être reconnu de lui, c’est quelque chose dont peu de gens, je crois, peuvent se vanter. Son sourire comblait tous mes besoins, toutes mes attentes, tout ce que j’étais venu chercher là ; il m’emplissait de la certitude que, tant qu’il serait là, tout se passerait comme d’habitude, que dehors le monde imprévisible aurait beau, aplatissant sa tête affreuse contre les vitres des fenêtres, grimacer, rugir, nous, nous serions toujours à l’abri à l’intérieur, protégés, sauvés en somme. Son regard semblait me dire : je ne peux pas m’occuper de ce qui peut se passer là-bas — ce mot renfermait toute la terreur diffuse que durent ressentir les premiers navigateurs qui se rapprochèrent de l’horizon dans un monde plat — mais une fois que tu as franchi ce double arc doré, rien de mal ne peut t’arriver. Il suffisait de m’asseoir à ma table habituelle avec mon Big Mac, mon Coca-Cola et mes frites, et de recevoir la bénédiction de son sourire — ce n’est qu’après que je pouvais commencer à manger — pour que le monde, depuis toujours hostile à tout sentiment humain et indifférent à toute supplique, s’efface comme sous l’effet d’un charme magique, que seul moi pouvais décider de rompre, en quittant cette enceinte — car les portes du McDo étaient semblables à celles, accueillantes, d’une ambassade en pays effroyable, ouvertes à tout réfugié qui parviendrait à les franchir et qui, une fois en sécurité à l’intérieur, ne voudrait plus sortir.

Ils proposèrent — non plus lui, car il devait retourner à son poste, mais de nouveau des employés anonymes, aussi impossibles à distinguer qu’un McChicken d’un autre — de m’escorter à une table et de m’apporter ma commande, mais je leur répondis que je préférais m’asseoir dans l’aire de jeux : c’était là que je me sentais le plus en sécurité. Il y avait là, tout particulièrement, un mannequin en taille réelle de Ronald McDonald, assis sur un banc et berçant un espace vide en forme d’enfant ; mais une gamine, aussi rapide que rusée, m’avait devancé et s’était installée dans le giron du clown jaune et orange comme si son intention était de passer ici le reste de son enfance, et levait de temps en temps la tête vers son ami pour s’assurer qu’il continuait à lui sourire. Cette enfant, aurais-je voulu hurler à la face de la mère, assise à une table voisine, qui se contentait de jeter de temps à autre un regard dans sa direction — comme si rien de mal ne pouvait arriver entre deux regards, comme s’il ne suffisait pas d’une seconde de distraction pour que le clown révèle les crocs acérés que son sourire vermeille occulte — occupe une place qui n’est pas la sienne, une place où elle n’a pas le droit d’être. Pourquoi amenez-vous vos enfants ici ? Ça vous paraît être un endroit pour les gosses ici ? Profitant d’un des instants de distraction de la mère — ils étaient aussi prévisibles et réguliers que le passage au vert du feu — et de la nature glissante des jambes du mannequin — je la poussai avec rudesse et, sans me soucier de ses braillements, je m’installai tant bien que mal à sa place. Ce ne fut pas facile, j’avais beau me contorsionner et tenter différentes postures, mon corps d’adulte dépassait de tous les côtés et débordait des bras de Ronald, si bien qu’au lieu de me sentir bercé comme un bébé, j’avais l’impression d’être le Christ d’une Pietà version spectacle de cirque, et je décidai de descendre. En plus, la mère de l’enfant délogée était allée se plaindre auprès d’un des bulldogs en manches courtes qui patrouillent dans les couloirs de l’établissement, et comme même la bienveillance de l’employé du mois ne pourrait me sortir d’un si mauvais pas, je me résolus à me faufiler vers quelque recoin où je pourrais passer inaperçu.

Ce n’était pas la première fois que j’essuyais un incident au McDo. À peine une semaine ou deux auparavant, trouvant ma table habituelle, près de la fenêtre, occupée par une petite blonde, fausse de toute évidence, je lâchai d’une main le côté de mon plateau qui était le plus près d’elle pour que le plateau s’incline comme un pont levis, tant et si bien que mon maxi Coca se renversa sur la table, noyant le contenu de son plateau. Prétextant une excursion en quête de serviettes au distributeur le plus proche, je posai mon plateau vide et sec près du sien inondé, et disparus en direction des caisses. L’employé du mois, qui avait vu toute la scène, me lança un sourire complice, comme pour me dire « Je sais ce que tu manigances, et je ne désapprouve pas ». Prétextant que mon plateau avait glissé parce qu’il avait été mal essuyé — du fait des racines protestantes de l’entreprise, même dans les pays catholiques les gérants des McDonalds répondent de façon toute pavlovienne à la culpabilisation individuelle — j’obtins immédiatement une réplique de ma première commande et je me dirigeai vers la table, où je posai mon second plateau sur le premier, de telle façon que seul un œil expert aurait pu détecter qu’il y en avait deux et soupçonner quelque chose. Par chance, au moment où se produisit la tragédie, la jeune employée de bureau n’avait pas encore ouvert sa petite boîte d’acétate, et du coup sa Salade du Chef avait bien résisté à la tempête de Coca-Cola. Les habituels robots anonymes à visière avaient promptement nettoyé le sol, qui reluisait comme si je n’étais jamais passé par là.

— Tu te sens mieux ? me demanda-t-elle quand je m’assis.

Je ne m’étais pas trompé : ma ruse avait atteint au cœur de son instinct maternel. Je pouvais entamer mon rapprochement érotique en toute impunité.

— Quel est ton hamburger préféré ? lui demandai-je, joueur.

— Je ne mange pas de hamburgers, répondit-elle. Je suis ovolactovégétarienne.

— Pourquoi venir au McDo alors ? m’écriai-je, sentant vaguement le danger.

— Pour te sauver.

— Me sauver ? De quoi ? criai-je en me levant brusquement, comme un possédé. Qu’est-ce qui te fait croire que j’ai besoin d’être sauvé ? Et qu’est-ce que tu fous à ma table ? Qui t’a permis de t’asseoir ici, à cette table ?

Il s’avéra qu’elle était évangéliste et que, camouflée derrière sa salade à l’œuf et au fromage, elle infiltrait l’endroit pour distribuer des brochures. Ce qu’elle m’avait fait, elle le faisait à tout le monde, en quelques secondes j’étais passé de l’ordre de l’unique et de l’individuel à l’ordre de la promiscuité et de l’indifférenciation, et, quand elle partit pour ne plus jamais revenir, je me cachai la tête dans les bras et sanglotai, inconsolable. Je voulais crier à moi-même, je voulais crier aux occupants aveugles et sourds des tables voisines : Que cherchons-nous ici ? Pourquoi sommes-nous venus ? Pour échapper à une tristesse intolérable tout en ne faisant que l’accroître ?

Car voici la vérité que je m’apprête, ici et maintenant, à confesser publiquement (l’évangéliste peroxydée avait raison : oui, j’avais vraiment besoin d’être sauvé) : j’étais accro au McDo. Chaque fois qu’approchait l’heure du déjeuner, j’errais dans les rues, suant de nervosité, en me disant pas aujourd’hui, aujourd’hui je vais dans un restaurant normal, où un serveur vêtu d’un costume blanc orné d’un nœud papillon noir viendra me servir, j’affronterai courageusement un menu imprévisible et ferai face à l’angoisse du choix, j’attendrai, durant des minutes aussi longues que des jours, que mon plat arrive, un plat avec lequel il faudra s’attendre à tout, un plat qui la plupart du temps n’aura en commun avec le même plat servi dans un autre restaurant que le nom, et arrivé à ce point, l’angoisse qui m’envahissait pouvait être telle que mes yeux se mettaient à sauter par-dessus la cime des arbres pour retrouver le double arc doré, tout comme un pèlerin chercherait à l’horizon la pointe de la flèche de la cathédrale. Et pourtant, en arrivant, je pouvais passer une, deux, trois fois devant la porte avant d’oser entrer et de me mettre ensuite à jouer des coudes pour avancer dans la file d’attente, pris d’une impatience frôlant la frénésie, insultant mentalement les adolescents qui hésitaient ou délibéraient et les employés aussi lents que des personnes normales ; parfois, j’étais même incapable d’attendre d’arriver à ma table pour prendre la première bouchée de la masse caoutchouteuse et blanchâtre, et de ressentir l’espace d’une seconde le plaisir intense de l’abstinence enfin rompue, qui, avant même que ladite bouchée ne soit avalée, laissait place à la déception et à l’extinction du désir. Oui, je n’ai pas honte de l’avouer : mon comportement était poisseux et addictif comme la saveur douceâtre du cornichon, de la mayonnaise et du pain au sésame du Big Mac. À peine as-tu pris la première bouchée, avant même de commencer à mastiquer, que ta petite voix intérieure te demande déjà comment il est possible que tu aies marché exprès vingt pâtés de maisons, ou même deux, pour manger ça, te souffle l’argument fallacieux du côté bon marché et rapide (bien qu’un choripán [3] soit moins cher et tout aussi rapide), et tu abandonneras la dernière bouchée dans l’emballage recyclable en te jurant à toi-même que cette fois-ci c’est la dernière, c’est sûr, c’est la dernière fois, mais demain midi, ou au plus tard après-demain, de nouveau montera en toi le désir pressant, étrange, inexplicable, de te camper, impatient, dans la file d’attente, préparant l’appoint pour perdre moins de temps, le désir de partir chercher toi-même la paille épaisse comme un tuyau et les serviettes en papier dans leurs distributeurs respectifs, et, sans une seconde de temps mort, te lancer, plateau en main, dans cette aventure qu’est la quête d’une table. C’était une faim à nulle autre pareille, une faiblesse pour laquelle je me méprisais moi-même et dont je haïssais l’objet, semblable à une soif soudaine de Coca-Cola, qui lorsqu’elle te saisit, ne peut être étanchée ni par l’eau la plus pure, ni par la bière la plus fraîche ; sans doute l’effet d’une mémoire moléculaire atavique remontant à l’époque où la recette contenait de la cocaïne et que tous ces milliards de bouteilles produites dans le monde gardent depuis lors dans leur sang gazéifié, en une forme d’inconscient collectif de la marque.

Le respectable père de famille qui, à la nuit tombée, quitte son amant travesti — il a pris soin d’appeler chez lui pour prévenir qu’il sortirait tard du bureau — n’a jamais ressenti, en s’éloignant, repu mais encore insatisfait, de son plaisir inavouable, une honte comparable à la mienne, lorsque chaque nuit je poussais la porte du McDo, pour me retrouver sur le trottoir et me perdre au milieu de la masse des gens normaux. Et encore, ça c’était dans les bons jours, ceux où je n’étais pas pris du désir pressant de fouiller dans les recoins de la petite boîte du Happy Meal. Le Happy Meal est censé être réservé aux enfants, mais enfin il n’y a aucun édit sur les murs qui le stipule, et personne ne vous demande votre carte d’identité pour vérifier votre âge, mais c’est l’usage, un usage qui jouit d’un consensus universel sur cette étrange planète circonscrite par les doubles arcs du McDonald’s, qui dépasse les limites des lois nationales et des idiosyncrasies ethniques et religieuses. Dans ces circonstances, comment pouvais-je, moi, satisfaire mon désir malsain de posséder le Happy Meal, comment le justifier ? Il m’assaillait surtout depuis que son contenu (un hamburger miniature, une portion miniature de frites, un Coca-Cola de rien du tout) s’était vu enrichir par les figurines des personnages du dernier dessin animé de Disney, que les enfants avaient certainement vu et ils réclameraient la petite boîte à leurs parents avec ce désespoir répétitif que seuls les enfants osent manifester sans honte. Les derniers mois, les personnages de la petite boîte étaient ceux du Roi Lion, un lionceau qui perd son père piétiné par un troupeau d’antilopes, mort dont il se sent d’une certaine façon coupable, et comme j’avais déjà réussi à tous les avoir, ma fièvre s’apaisa durant quelques mois. Mais à présent c’étaient ceux du Bossu de Notre-Dame qui étaient arrivés, et je me consumais du désir de posséder surtout l’image votive du mythique éclopé, de cet estropié heureux au sourire de dentiste médiéval, dans l’espoir qu’il soulagerait quelque peu ma propre âme bossue et contrefaite.

J’avais mis au point un système, conçu au cours de fébriles nuits d’insomnie pendant lesquelles je m’imaginais en train d’ouvrir la petite boîte de Pandore, dont il pouvait sortir n’importe quoi, même le sommeil. Une fois de plus, je m’armai de courage et demandai un Happy Meal, en regardant par-dessus mon épaule et par-dessus la file d’adolescents potentiellement moqueurs qui s’était formée derrière moi, en direction de la zone où étaient les tables, pour faire croire que je surveillais mes enfants et que je gardais un œil sur eux, et même, poussant le zèle dramatique, j’allai sans doute jusqu’à mimer, avec les yeux et la bouche, un ou deux gestes impérieux que ne manqua pas de remarquer la jeune caissière — c’est un pléonasme, il n’existe pas de vieux caissiers au McDo — qui, souriante, me demanda « Et pour vous, Monsieur ? » et je sus que je l’avais eue, elle aussi, je les avais tous eus, en vérité, sauf, bien sûr, l’employé du mois, qui depuis sa caisse lointaine (je n’avais pas voulu mettre à l’épreuve notre amitié tacite en allant directement à la sienne) répandait son sourire habituel sur l’aisance gracieuse de mon interprétation. Tenant fermement dans une main mon Happy Meal et trimballant dans l’autre le menu « Porteño » — le moins cher que je pouvais commander « pour moi », pour ne pas éveiller les soupçons, et aussi le plus facile à glisser dans la fente de la poubelle lorsque les préposés à la propreté auraient les yeux tournés, j’arrivai enfin à ma table habituelle et me disposai à ouvrir la petite boîte, tout tremblant d’incertitude. C’était Quasimodo, enfin. Presque rageusement, je m’attaquai au hamburger pâlichon, m’étouffai à cause des bulles du Coca. C’est ça l’ennui, marmonnai-je dans ma barbe, avec le bonheur ; il ne consiste qu’en des choses prévisibles, lorsqu’enfin il se présente après qu’on l’ait tant attendu, on est si embarrassé de ne savoir qu’en faire qu’on n’en tire plus aucune jouissance. S’ils proposaient un Unhappy Meal, ça, ça marcherait bien : celui qui prévoit des malheurs n’est jamais déçu. Comme à mon habitude, je me débarrassai, en même temps que des restes d’aliments semi-terminés, de la figurine dans un des conteneurs informes, pour m’assurer qu’il serait hors de portée des enfants qui, sans aucune surveillance, pullulaient dans le local.

Hier, ou c’était peut-être avant-hier, ici dans ce monde les jours se ressemblent tous, comme les tables, j’avais surpris la conversation de deux adolescents qui discutaient derrière moi ; le garçon, cheveux bouclés, tatoué, disait à la fille, cheveux courts et piercing au nez : « Moi je m’en fous de ce qu’il peut faire, comme dit Niche [4], ce qui ne me tue pas me rend plus fort », et je me retins à grand-peine de me retourner et de lui mettre une patate qui ferait voler ses tresses rastafaris, espèce de petit con, qu’est-ce que tu connais à la vie, toi, parce que tu ne vois pas encore la tombe tu penses que t’es pas en chemin, on te pousse dedans et toi tu te sens plus fort que jamais alors que tu as les talons au bord de la fosse ; détourner les yeux ne te servira qu’à tomber sur le cul. Tu crois peut-être que le boxeur qui à la longue nous met toujours K.O. ne sait pas attendre le bon moment pour nous asséner le coup de poing final, celui qui nous éjectera du ring, juste pour le plaisir de nous voir tomber à ses pieds et nous traîner à genoux, tu crois que pendant que l’arbitre compte les mois ou les ans il ne s’esclaffe pas, en te montrant du doigt, devant ta soi-disant nouvelle force? J’aurais voulu monter sur la table et leur crier à tous : Vous ne voyez pas ? Vous ne voyez pas ce qui se passe ? Vous croyez que vous êtes à l’abri parce que vous êtes incapables d’imaginer une vie moins douillette que celle-ci, incapables d’imaginer le revers obscur et chaotique de tout ce qui ici est bien rangé et parcellé — tous, le Big Mac, le Royal Cheese, le McDlt, le McChicken, dans leurs rayonnages d’acier poli, chacun bien au chaud dans sa petite boîte en carton qui l’identifie — on n’a jamais la surprise d’ouvrir la boîte du McChicken et de trouver un Royal Cheese, par exemple ; les sodas en trois tailles, petit, moyen, grand, comme pour les personnes et les vêtements, de même que les frites, toutes de la même forme et de la même taille, comme si elles avaient toutes été coupées par la même machine, voire de la même pomme de terre, les glaces à l’italienne et leurs volutes programmées, les salades éternellement fraîches et pimpantes dans leurs sarcophages de celluloïd transparent. Tout cela, je vous le disais, c’est le côté rassurant, diurne, disons, du monde. Mais derrière ces portes, là dehors, dans la nuit indistincte, guette une réalité intestinale, redoutable, sur laquelle la main de Kroc n’a aucun pouvoir. Là, dans des sacs de polyéthylène profonds et résistants, parfaits pour transporter un cadavre, se produit l’horrible mélange de la tartelette aux pommes entamée et de la salade flétrie, les frites exsangues se répandent de leur étui rouge dans la gueule ouverte du maxi gobelet sans couvercle et macèrent dans le soda épais et noirâtre ; jouant l’usurpateur, la glace à l’italienne fondue se faufile à la place de la mayonnaise entre les trois tranches de pain, entre les parois de polystyrène pressé du gobelet contenant un reste de café se produit l’inconcevable rencontre du poulet à demi-mastiqué du McChicken et du McToasted entamé et abandonné. À l’heure où s’activent les troupes nocturnes, le McDo lumineux ferme ses portes principales et un autre McDo, nocturne, aussi ténébreux que le polyéthylène du fond des sacs poubelle, ouvre ses portes de service. Dans ce McDo des ténèbres se pressent des êtres en guenilles, en haillons, qui se jettent sur les nœuds des sacs aussitôt que l’employé les a déposés avec insolence sur le trottoir, passent leur commande avec force grognements et la reconnaissent au toucher ; les tables qu’ils occupent sont l’encadrement d’une porte, une marche ou le bord du trottoir, leurs menus à eux sont imprévisibles et dépendent de ce que leur main peut attraper en palpant à l’aveuglette. Et dans cette réalité parallèle, dans cette face sombre du monde, celui-là — le vois-tu ?, qui s’éloigne, exultant, en tenant bien haut, pour qu’on ne le lui arrache pas, un trésor improbable, un McChicken intact, de ceux qui n’ont pas été consommés dans un délai de dix minutes après leur confection et qu’on doit jeter, selon un commandement de Kroc, bien à l’abri dans son emballage de carton inviolé, un souvenir à thésauriser pour des nuits de moindre veine, celui-là qui, une fois en sécurité, ouvre son butin sous la faible lumière de l’éclairage public en rendant grâce à Kroc, celui-là, ça pourrait être toi. Il suffirait de pas grand-chose pour que tu connaisses cet autre McDo, une subtile virevolte du destin, une pirouette même légère, un croche-patte que l’ami Niche [5] te ferait pour te rendre plus fort.

— Vous désirez autre chose, Monsieur ?

L’employé s’était approché dans mon dos, en douce, et sa question me fit sursauter.

— C’est ma table, ne croyez pas que vous allez me l’enlever ! — lui répondis-je en m’agrippant aux bords en formica de la table comme un surfer emporté en haute mer s’accrocherait à sa planche.

L’employé retourna vers les caisses, répondant par un léger haussement d’épaules au regard inquisiteur du dernier gérant de la nuit. Le restaurant s’était presque entièrement vidé, les employés étaient suants et débraillés, travaillaient mécaniquement et ne prenaient même plus la peine de proposer, comme ils sont tenus de le faire pendant la journée, ce que personne ne leur a demandé (Souhaitez-vous le menu XXL pour cinquante centimes de plus ? Désirez-vous ajouter une glace à votre menu?). Seul l’employé du mois, son imperturbable sourire accroché aux lèvres, demeurait frais, indemne, comme s’il venait tout juste de prendre son service — ce n’était pas pour rien qu’il avait conservé son titre trois mois de suite, et la couronne annuelle lui était presque assurée maintenant.

Les préposés au ménage, sans même s’excuser, passaient leurs serpillières imbibées de détergent sous ma table, m’obligeant à lever les pieds ; un autre avait sèchement enlevé mon plateau, sans me demander la permission cette fois, et s’approchait à grands pas le moment que je craignais le plus chaque nuit, celui où je me verrais de nouveau condamné à affronter l’obscurité toute proche qui commençait derrière les portes et le double arc doré qui les flanquait. Alors se produisit ce que durant tant de nuits j’avais redouté ou désiré, sans le savoir. L’employé du mois essuya ses mains parfaitement propres sur son tablier immaculé, le détacha et le laissant sur sa caisse fermée, il quitta la zone des caisses et vint s’asseoir à ma table. Nous nous observâmes quelques secondes en silence, lui souriant, aimable, moi consterné. Naturellement, c’est lui qui commença à parler.

— Vous savez, toutes sortes de gens viennent ici. Un McDo ouvert jusque tard dans la nuit, c’est comme un phare dans la tourmente, une oasis dans le désert, un temple de la foi en terre infidèle. Nous essayons de donner à chacun ce dont il a besoin : à manger à celui qui a faim, à boire à celui qui a soif, un peu de chaleur à celui qui est transi de froid, un endroit propre et bien éclairé à tous ceux qui redoutent de rentrer chez eux pour trouver une maison vide. Et tout ce que nous demandons en échange, c’est une petite contribution, presque symbolique tellement elle est dérisoire. Et en retour, nous recevons tous ceux qui se présentent, sans distinction : riches et pauvres, sales ou soignés, heureux ou malheureux, seuls ou accompagnés, et nous réservons à tous le même traitement, sans prendre ombrage de leur attitude parfois hautaine, de leurs plaintes injustifiées, des scandales par lesquels ils tentent de venir à bout de notre précieux calme, de leurs exigences extravagantes, de leur manque de courtoisie, de leur ingratitude. Beaucoup viennent chez nous sans savoir ce qu’ils cherchent, et nous blâment de n’être pas capables de le leur offrir. Il y a aussi ceux qui viennent chercher quelque chose, et qui, au lieu de la trouver, la perdent. Sans aller bien loin, prenez ce trottoir, juste là. La fillette s’était échappée de l’aire de jeux, personne ne sait comment, en théorie ce sont des choses qui ne peuvent pas se produire. Au début on a pensé qu’elle n’y avait jamais été, dans cette aire de jeux, mais le père s’est obstiné, il est même allé jusqu’à nous intenter un procès pour négligence. Il a dû se croire aux États-Unis. Vous étiez assis ici même, à cette table, et vous avez tout vu d’ici.

J’acquiesçai, et, les mains tremblantes, je sortis une cigarette du paquet et réussis à la porter à mes lèvres. Il me l’ôta de la bouche avant que j’aie pu l’allumer.

— C’est une table non-fumeurs. Il est rare que des motocyclettes montent sur le trottoir, c’est un quartier tranquille, et bien surveillé ; mais parfois l’inattendu se produit, surtout quand il y a des jeunes. Des jeunes qui montent sur le trottoir avec leurs motocyclettes et que la police arrête quelques pâtés de maisons plus loin, des mineurs qui en peu de temps sont libérés de prison, et qui doivent être en ce moment même juchés sur d’autres motos, en train de monter sur d’autres trottoirs. Mais le père de la fillette nous colle un procès à nous, il veut tenter un coup, il veut sa part du gâteau. Bien sûr, les jeunes en question sont fauchés, on ne peut rien en tirer. C’est pourquoi il s’en prend à nous, en abusant de la miséricorde de Kroc. Nous, qui avons été les premiers à voler à son secours tandis qu’il poussait des hurlements, agenouillé sur le trottoir, en s’arrachant de grosses mèches de la barbe. Puis il se la rase, et s’imagine qu’ainsi on ne le reconnaitra pas. Il aurait mieux fait de se raser les yeux, quoiqu’il aurait bien du mal à effacer ce qu’ils ont vu.

Pris de honte, je me cachai le menton et les joues imberbes avec les mains, comme si mes parties génitales avaient été mises à nu.

— Comme je vous le disais, ici viennent des gens de toutes sortes, et notre porte leur est toujours ouverte. Mais il y a une limite à tout. Ceux qui ont tout perdu n’ont plus droit à rien. Regardez autour de vous : dans notre restaurant, il n’y a de place que pour des visages heureux. Je vais vous dire la vérité : nous en avons marre de votre douleur. Allez donc l’étaler ailleurs. Dans quelques minutes nous fermerons la porte. Nous vous serions reconnaissants de la prendre, et de ne pas revenir.

Traduit par Audrey Aubou

A Juan Boido

Todo comenzó con un desmayo en la cola de McDonald’s. Incapaz de decidirme entre el Combo 1 (Big Mac, papas fritas mediana, coca mediana) o el 3 (McDlt, el resto igual) advertí que la pizarra luminosa sobrevolaba amenazadora mi cabeza, que mareada perdió el equilibrio y cayó como pelota al suelo. Lo último que vieron mis ojos fueron las facciones metálicas de Ray A. Kroc y su sonrisa benévola velando sobre mí y sobre un mundo confiable, en cuyos brazos podía desmayarme sin temor.

No desperté en el lugar de mi caída, seguramente me habían corrido hacia el costado para no entorpecer la circulación. Un empleado diligente se afanaba en limpiar con un espeso fajo de servilletas de papel los restos de lechuga y mayonesa de mi rostro y ropas: reconocí los sabores combinados del menú porteño y el Combo 2, que nunca hubiera pedido, y me reconfortó al menos saber que no había caído sin llevarme a varios conmigo. Agradecido me aferré por un momento al brazo de mi salvador, cuyo rostro me sonreía desde el retrato en la pared, campeando sobre la leyenda "empleado del mes". Varias veces, desde mi mesa de siempre, lo había contemplado en su imperturbable eficiencia, su altiva frente de adulto sobresaliendo sobre las sudorosas nucas de los indiscernibles adolescentes malpagos, como un capitán en la cubierta de un barco arrostrando la tormenta - la tormenta de clientes del mediodía, oleadas, avalanchas, vorágines de clientes abatiéndose sobre las cajas que apenas sostienen sus embates - infundiendo por su sola presencia la serenidad necesaria para salir a flote. Y a pesar de que todo contacto personal entre empleados y clientes estaba vedado - salvo la amabilidad, dulzona como la mayonesa y los pepinillos del Big Mac, que se le debe dispensar a todos los clientes por igual -, a pesar de que haciéndolo desafiaba una prohibición que podía costarle si no su puesto al menos sus honores como empleado del mes desde hace tres meses seguidos y por lo tanto sus chances cada vez más seguras de convertirse en empleado del año, siempre disponía de ese segundo para responder a mi mirada con una sonrisa breve, fugaz, que era casi un guiño de complicidad. Cualquiera puede reconocerse con el mozo en un restaurant tradicional, pero reconocer a un empleado de McDonald’s, y lo que es más, ser reconocido por él, es algo de lo que pocos, creo, pueden jactarse. Su sonrisa me daba todo lo que necesitaba, todo lo que había venido a buscar; me aseguraba que mientras él estuviera allí todo seguiría funcionando como siempre, que aplastando la cara contra el vidrio de los ventanales el mundo impredecible podía hacer muecas y rugir pero aquí dentro estábamos a cubierto, protegidos, salvados en suma. No puedo, parecía decirme, hacerme cargo de lo que suceda allá - la palabra contenía entero el terror vago que debieron sentir los primeros navegantes que se acercaban al horizonte en un mundo plano - pero una vez franqueado el doble arco dorado nada malo puede sucederte. Bastaba sentarme con mi Big Mac y mi Coca-Cola y mis papas fritas en mi mesa de siempre y recibir la bendición de su sonrisa - sólo entonces podía empezar - para que el mundo desde siempre hostil a cualquier sentimiento humano e indiferente a cualquier súplica quedara anulado como por un conjuro que sólo yo, saliendo al exterior, era dueño de romper – las puertas de McDonald’s, como las de una embajada en un país atroz, abiertas a todo refugiado que consiguiera llegar hasta ellas y no quiera volver a salir.

Se ofrecieron - ya no él, que debía volver a su puesto, sino nuevamente empleados anónimos, indiscernibles entre sí como un McPollo de otro - escoltarme a una mesa y alcanzarme mi pedido, pero les dije que prefería ir a sentarme a la isla de juegos, que era donde más seguro solía sentirme. Había, especialmente, un modelo tamaño natural de Ronald McDonald sentado en un banco, acunando un vacío con forma de niño; pero una niña avispada se me había adelantado acomodándose en el regazo del payaso amarillo y naranja como si se dispusiera a pasar allí el resto de su infancia, levantando cada tanto el rostro hacia el de su amigo para comprobar que le seguía sonriendo. Esa niña, hubiera querido gritarle a la madre que sentada en una mesa vecina apenas miraba cada tanto en su dirección - como si nada malo pudiera pasar entre una mirada y otra, como si no bastara un segundo de distracción para que el payaso muestre los colmillos afilados que su bermeja sonrisa oculta - ocupa un lugar que no es suyo, un lugar que no le pertenece. ¿Por qué traen a sus hijos aquí? ¿Les parece un lugar para venir con niños? Aprovechando una de las siguientes distracciones de su madre - eran predecibles y regulares como el verde del semáforo – y ayudado por la naturaleza resbalosa de las piernas del muñeco, la empujé rudamente y haciendo caso omiso de sus berridos me acomodé como pude en su lugar. No fue fácil, por más que me retorciera buscando posturas mi cuerpo de adulto sobraba por todos lados y rebalsaba los brazos de Ronald de modo tal que en lugar de bebé acunado me sentí el Cristo de una versión circense de la Piedad, y decidí bajarme. Además, la madre de la niña desplazada había ido a quejarse a uno de esos bulldogs de manga corta que patrullan los pasillos, y como en un trance así ni siquiera la solicitud del empleado del mes podría salvarme decidí escabullirme hacia algún recodo donde pudiera pasar desapercibido.

No era la primera vez que sufría algún incidente en McDonald’s. Hacía una semana o dos, sin ir más lejos, encontrando que mi mesa de siempre junto a la ventana estaba ocupada por una jovencita rubia con aspecto de morocha teñida, dejé que una de mis manos soltara el extremo correspondiente de la bandeja para que ésta bajara como un puente levadizo, con tanta suerte que el vaso de coca grande cayó sobre la mesa y anegó el contenido de su bandeja. Pretextando una excursión en busca de servilletas al dispenser más cercano apoyé mi bandeja vacía y seca junto a la suya inundada y desaparecí rumbo a las cajas. El empleado del mes, que lo había visto todo, me dedicó una sonrisa cómplice, como si me dijera “sé lo que estás tramando, y no lo desapruebo”. Argumentando que la bandeja había resbalado porque estaba mal secada - debido al origen protestante de la empresa aún en los países católicos los gerentes de McDonald’s responden pavlovianamente a la culpabilización individual - obtuve una réplica de mi primer pedido y me dirigí a la mesa, donde apoyé mi segunda bandeja sobre la primera de manera tal que sólo un ojo experto podría haber detectado las dos y sospechar algo. Por suerte al ocurrir la tragedia la joven oficinista no había abierto su cajita de acetato, por lo que su Ensalada del Chef había capeado bien el temporal de Coca-Cola. Los anónimos robots con visera de siempre habían limpiado el suelo, que lucía reluciente como si yo no hubiese pasado por allí.

– ¿Te sentís mejor? - preguntó ella cuando me senté.

No me había equivocado, mi ardid había dado justo en el centro de su instinto maternal. Podía iniciar el acercamiento erótico con total impunidad.

– ¿Cuál es tu hamburguesa preferida? - le pregunté juguetonamente.

– No pruebo las hamburguesas - replicó -. Soy ovolactovegetariana.

– ¿Para qué viniste a McDonald’s entonces? - exclamé con un principio de alarma.

– Para salvarte.

– ¡Salvarme de qué! - le grité incorporándome como un poseso - ¡Qué te hace pensar que necesito ser salvo! ¡Y qué hacés en mi mesa! ¡Quién te dijo que podés ocupar ese lugar en esta mesa!

Resultó que era evangelista, y que camuflada bajo su ensalada con huevo y queso se infiltraba en el local a repartir folletos. Lo que había hecho conmigo se lo hacía a todo el mundo, en segundos yo había pasado del orden de lo único e individual al orden de lo promiscuo e indiferenciado, y cuando se fue para no volver apoyé la cabeza sobre los brazos y sollocé desconsolado. Quería gritarme, quería gritarle a los ocupantes ciegos y sordos de las mesas vecinas: ¿Qué estamos buscando acá? ¿Para qué venimos? ¿Escapando de una tristeza intolerable sólo para hacerla peor?

Porque ésta es la verdad que aquí me dispongo a confesar públicamente (la oxigenada evangelista tenía razón: sí necesitaba ser salvado): yo era un adicto a McDonald’s. Cada vez que se acercaba la hora de comer caminaba con sudoración nerviosa las calles diciéndome hoy no, hoy voy a ir a un restaurant normal, donde un mozo de blanco con moño negro se acercará a servirme, me enfrentaré con valor a un menú impredecible y afrontaré la zozobra de elegir, esperaré minutos largos como días a que llegue el pedido, un pedido del que cabe esperar cualquier cosa, un pedido cuya coincidencia con idénticos pedidos en distintos restaurantes no irá a veces más allá del nombre, y llegado a este punto la angustia podía ser tal que mis ojos saltaban sobre las copas de los árboles en busca del doble arco dorado, como los peregrinos buscarían en el horizonte el primer asomo de la aguja de la catedral. Y aun así al llegar podía pasar una, dos, tres veces por delante de la puerta hasta atreverme a entrar, pugnando luego por adelantarme en la cola con una impaciencia rayana en el frenesí, insultando mentalmente a los adolescentes dubitativos o deliberativos y a los empleados lentos como personas, no pudiendo a veces esperar la mesa para dar el primer mordisco en la masa gomosa y blancuzca, experimentar por un segundo el intenso placer de la abstinencia satisfecha que antes ya de tragar se troca en decepción y relajo. Sí, no tengo empacho en confesarlo: mi conducta era pegajosa y adictiva como el sabor dulzón del pepinillo y la mayonesa y el pan de sésamo del Big Mac. Apenas uno hinca en él los dientes, antes incluso de empezar a masticar, la mente ya te está preguntando cómo puede ser que hayas caminado especialmente veinte cuadras o aun dos para comer esto, te mentirá economía y rapidez (aunque un choripán es más barato y veloz) y dejarás un último mordisco en el envase reciclable de cartón jurando es la última vez, esta sí que es la última vez, pero mañana al mediodía o a lo sumo pasado nuevamente el raro anhelo inexplicable de pararte impaciente en la cola buscando el cambio exacto para tardar menos, de procurarte vos mismo la pajita gruesa como un caño y las esponjosas servilletas en los respectivos dispensers y sin detenerte un segundo encarar bandeja en mano la aventura de conseguir mesa. Era un hambre como ninguna otra, una debilidad que me hacía despreciarme y odiar su objeto, como la sed de Coca-Cola que cuando te agarra ni el agua más pura ni la cerveza más helada pueden saciar; una memoria molecular atávica quizás de la época en que llevaba cocaína en la fórmula y que todas las billones de botellas embotelladas en el mundo desde entonces guardan en la sangre burbujeante como un inconsciente colectivo de la marca.

Ningún padre de familia saliendo al anochecer de su encuentro con un travesti - llamó a casa para avisar que iba a salir tarde de la oficina - se alejó jamás de la saciedad insatisfecha de su placer culposo con más vergüenza que la mía al empujar cada noche la puerta de McDonald’s para salir a la vereda y perderme entre la gente normal. Y eso en los días mejores, en los que no me acometía el anhelo de hurgar en los ángulos recónditos de la Cajita Feliz. La Cajita Feliz está supuestamente reservada a los niños, o sea, no hay edictos en las paredes ni a uno le piden el documento para comprobar la edad pero esa es la costumbre, una costumbre que goza de consenso a lo largo y a lo ancho del curioso planeta que circundan los dobles arcos de McDonald’s, que va más allá de las leyes nacionales y las idiosincracias étnicas y religiosas. ¿Cómo podía yo, entonces, satisfacer mi anhelo malsano por la Cajita Feliz, cómo justificarlo? Sobre todo desde que su contenido (una hamburguesita de niño, unas papas fritas de niño, una Coca-Cola de infeliz) se veía enriquecido por los personajes de la última película de Disney, que los niños habrán visto y pedirán a los padres con esa monótona desesperación que sólo los niños se atreven a manifestar sin vergüenza. Hasta hacía unos meses habían sido los del Rey León, un leoncito que pierde al padre en una estampida de ñúes de la que se siente de alguna manera culpable, y como ya había logrado sacarlos todos, durante algunos meses mi fiebre se aplacó. Pero ahora habían llegado los del Jorobado de Nôtre Dame, y ansiaba sobre todo poseer la imagen votiva del mítico mostrenco para que pudiera con su tullida alegría y su sonrisa de dentista medieval albergar un poco de mi alma jorobada y contrahecha.

Tenía mi sistema, es verdad, desarrollado a lo largo de febriles noches de insomnio en las que me imaginaba abriendo la Cajita de Pandora de la que todo podía salir, incluso el sueño. Una vez más, me armé de valor y una Cajita Feliz pedí mirando, por encima de mi hombro y de la cola de adolescentes potencialmente burlones que se había formado detrás mío, hacia el sector de mesas para dar a entender que estaba pendiente de los niños y no les quitaba un ojo de encima, poseído de histrionismo triunfante habré incluso impostado con ojos y boca un par de gestos imperativos que no pasaron desapercibidos a la joven cajera (un pleonasmo, no hay viejos cajeros en McDonald’s) que sonriendo me preguntó "¿y para usted señor?" y supe que a ella también la había engañado, los había engañado a todos, en verdad, excepto por supuesto al empleado del mes, que desde su caja alejada (no había querido poner a prueba nuestra tácita amistad yendo directamente a la suya) derramaba su sonrisa de siempre sobre la agraciada soltura de mi ardid. Con mi Cajita Feliz sujeta firme en una mano y tambaleando en la otra el menú porteño que era lo más barato que podía pedir "para mí" sin despertar sospechas, y lo más fácil también de deslizar dentro de la ranura del tacho cuando los encargados de limpieza se distrajeran, finalmente llegué a mi mesa de siempre y me dispuse a abrir la Cajita temblando de incertidumbre. Era Quasimodo, finalmente. Casi con rabia acometí la pálida hamburguesa, me atraganté con las burbujas de la Coca-Cola. Éste es el problema, mascullé para mí, con la felicidad; sólo consiste de cosas previsibles, cuando llega después de tanto esperarla la desazón de no saber qué hacer con ella impide cualquier disfrute. Si ofrecieran la Cajita Desgraciada, ahí sí que la cosa andaría: el que anticipa desdichas nunca se decepciona. Como siempre hacía, junto con los restos semiterminados de alimento me deshice del muñeco en uno de los contenedores sin forma, no fuera a quedar al alcance de los niños que sin vigilancia alguna pululaban en el local.

Ayer, o quizás fue anteayer, aquí dentro los días son tan iguales como las mesas, escuché un par de adolescentes hablando a mis espaldas y el chico ruliento y tatuado le decía a la chica de pelo corto y aro en la nariz “a mí no me jode lo que haga, como dice Niche lo que no me mata me hace más fuerte” y yo apenas pude aguantar las ganas de darme vuelta y sacudirle las trenzas rastafari de un sopapo pendejo de mierda qué sabés vos de la vida, porque no caíste todavía en la tumba pensás que no vas en camino, te están empujando adentro y vos te sentís más fuerte que nunca cuando tus talones están mordiendo el borde del pozo; que mires para el otro lado sólo quiere decir que vas a caer de culo. ¿O vos te crees que el boxeador que a la larga siempre nos tira no sabe demorar la última trompada, la que nos saca fuera del ring, sólo por el placer de vernos caer a sus pies y arrastrarnos de rodillas, que mientras el referí cuenta los meses o los años no se ríe a carcajadas, señalándote, de esa nueva fuerza que acabás de alcanzar. Hubiera querido pararme sobre la mesa y gritarles a todos: ¿No lo ven? ¿No lo ven? Creen que están a salvo porque no son capaces de imaginar una vida menos afortunada que ésta, el reverso oscuro y revuelto de todo lo que aquí dentro está parcelado y ordenado - en cunetas de acero pulido el Big Mac, el Cuarto de Libra con Queso, el McDlt, el Mc Pollo, cada uno en su caja de cartón que lo identifica - nunca la sorpresa de abrir la caja del Mc Pollo y encontrar dentro un Cuarto de Libra con Queso, por ejemplo - la gaseosa en tres tamaños, chico mediano grande como vienen la ropa y las personas, al igual que las papas fritas todas con la misma forma y tamaño como cortadas no sólo por la misma máquina sino de la misma papa, los helados soft con sus volutas programadas, las ensaladas eternamente frescas y rozagantes en sus sarcófagos de celuloide transparente. Todo esto como venía diciendo conforma el lado tranquilizador y digamos diurno del mundo. Pero puertas afuera, en la noche indistinta, acecha una realidad intestinal y temible, dejada de la mano de Kroc. Allí, en profundas y gruesas bolsas de polietileno que podrían acomodar un cadáver, se mezclan horriblemente el pastelito de manzana mordido con la ensalada mustia, se derraman de su cartucho rojo las papas fritas exangües en la boca abierta del vaso grande destapado, ensopándose de espesa gaseosa negra; usurpa el lugar de la mayonesa entre las tres tapas de pan el fluido del helado soft derretido, entre las paredes de telgopor prensado del vaso con restos de café se produce el inconcebible encuentro del pollo semimasticado del McPollo con el McTostado mordido y abandonado. A la hora en que se activan los ejércitos de la noche el McDonald’s luminoso cierra sus puertas delanteras y otro McDonald’s, nocturno y tenebroso como el polietileno del fondo de las bolsas, abre las traseras. En ese McDonald’s de las tinieblas seres rotosos y desarrapados se agolpan manoteando los nudos de las bolsas apenas el empleado las deposita con insolencia en la vereda, enuncian su pedido con gruñidos y lo reconocen al tacto, sus mesas ocupadas son un dintel o un escalón o el cordón de la vereda, sus combos impredecibles y sujetos a lo que palpando a tientas su mano pueda encontrar. Y en esa realidad paralela, en ese reverso de sombra ése, ése que se aleja exultante sosteniendo en alto para que no se lo arrebaten el tesoro improbable de un McPollo intacto de esos que pasados diez minutos de preparado un mandamiento de Kroc obliga a tirar si nadie consume, preservado en su envase de cartón inviolado, un recuerdo que atesorar para noches menos afortunadas, ése que una vez a salvo lo abre bajo la luz pobre del alumbrado público y da gracias a Kroc, ése podés ser vos. No es tan difícil que llegues a conocer ese otro McDonald’s, apenas un firulete soft del destino, una pirueta ni siquiera osada, una pata que Niche puso en tu camino para hacerte más fuerte.

– ¿Va a pedir algo más, señor?

El empleado se había acercado a mis espaldas, subrepticiamente, y su pregunta en mi oído me sobresaltó.

– ¡Esta es mi mesa, no van a sacármela! - le respondí aferrándome a sus bordes de fórmica como un surfista arrastrado al mar abierto a su tabla de surf.

El empleado regresó a las cajas, contestando apenas con un encogimiento de hombros la mirada inquisitiva del último gerente de la noche. El local se había casi vaciado, los empleados se veían sudorosos y desaliñados y atendían de favor, ni molestándose en ofrecer, como están obligados a hacer durante el día, lo que nadie les ha pedido (¿No prefiere el Combo Grande por cincuenta centavos más? ¿Le gustaría agregar un helado soft a su pedido?). Sólo el empleado del mes, con su imperturbable sonrisa, permanecía fresco e incólume, como si su turno recién empezara - por algo había mantenido invicto su puesto tres meses seguidos, y la corona anual era prácticamente suya.

Sin disculparse siquiera pasaban los encargados de limpieza sus estropajos empapados de detergente por debajo de mi mesa, obligándome a levantar los pies, otro había retirado rudamente mi bandeja, sin preguntarme esta vez, y ya se acercaba el momento más temido de cada noche, cuando me viera nuevamente obligado a enfrentar la promiscua oscuridad que comenzaba más allá de las puertas y el doble arco dorado que las flanqueaba. Entonces sucedió, sucedió lo que tantas noches había temido o anhelado, sin saberlo. El empleado del mes se limpió las manos limpias en su inmaculado delantal, se lo desabrochó y dejándolo sobre la caja cerrada salió de la zona de cajas y vino a sentarse a mi mesa. Nos miramos unos segundos en silencio, él sonriendo amigable, yo aterrado. Naturalmente, fue él quien comenzó.

– Usted sabe, acá viene toda clase de gente. Un local de McDonald’s abierto hasta altas horas de la noche es como un faro en la tormenta, un oasis en el desierto, un templo de la fe en tierra de infieles. Tratamos de dar a todos lo suyo: comida al hambriento, líquido al sediento, calor al aterido, un lugar limpio y bien iluminado para todos los que temen volver a una casa vacía. Y todo lo que pedimos a cambio es una pequeña contribución, simbólica de tan exigua. Y a cambio de eso los recibimos a todos, sin distinción: ricos y pobres, sucios y limpios, felices o desdichados, solos y acompañados, y a todos los atendemos por igual, sin importarnos su actitud a veces altiva, sus injustificadas quejas, los escándalos con los que pretenden alterar nuestra preciosa calma, sus exigencias desmedidas, su descortesía, su ingratitud. Muchos vienen a nosotros sin saber lo que están buscando, y nos culpan por no otorgárselo. También están los que vienen a buscar algo, y en lugar de encontrarlo lo pierden. Sin ir más lejos, acá en la vereda. La niña se había escapado de la isla de juegos, nadie sabe cómo, es algo que en teoría no puede suceder. Sospechamos que nunca estuvo en la isla de juegos en primer lugar, pero el padre porfió, llegó incluso a iniciarnos juicio por negligencia. Se habrá creído que estamos en los Estados Unidos. Estaba sentado en esta misma mesa, y desde acá lo vio todo.

Asentí, y con dedos temblorosos saqué un cigarrillo del paquete y conseguí sostenerlo entre mis labios. Me lo sacó de la boca antes de que pudiera encenderlo.

– Esta es una mesa de no fumadores. No es frecuente que las motocicletas suban a la vereda, es un barrio tranquilo, y hay vigilancia; pero a veces sucede lo inesperado, sobre todo si se trata de jóvenes. Jóvenes que suben a la vereda en motocicleta, que la policía logra detener a las pocas cuadras, menores de edad que al poco tiempo salen en libertad y ahora mismo estarán en otras motos, subiendo a otras veredas. Pero el padre de la niña intenta hacernos juicio, a nosotros, se tira un lance, quiere sacar una tajada. Claro, los jóvenes son pobres, insolventes. Por eso apunta a nosotros, abusando de la misericordia de Kroc. A nosotros, que fuimos los primeros en auxiliarlo cuando gritaba arrodillado sobre la vereda, arrancándose mechones de la barba. Luego se la afeita, y piensa que por eso no lo reconoceremos. Debería haberse afeitado los ojos más bien, aunque difícilmente podrá borrar lo que vieron.

En un arranque de vergüenza me cubrí el mentón y las mejillas desnudas con las manos como si se tratara de mis genitales descubiertos.

– Como le decía, acá viene gente de todo tipo, y encuentra siempre nuestras puertas abiertas. Pero todo tiene un límite. Los que lo han perdido todo ya no tienen derecho a nada. Mire a su alrededor: en nuestro local sólo hay lugar para rostros felices. Le voy a decir la verdad: estamos cansados de su dolor. Lléveselo a otra parte. En pocos minutos vamos a cerrar nuestras puertas. Le agradeceremos que salga por ellas, y que no vuelva.

Par Carlos Gamerro

Carlos Gamerro est né à Buenos Aires en 1962. Il est diplômé en Lettres de l’Université de Buenos Aires, où il a été professeur jusqu’en 2002. Actuellement, il est lecteur à l’Université de San Andrés et au MALBA (Musée d’art latino-américain de Buenos Aires). Son œuvre de fiction publiée inclut les romans Las Islas (1998), El sueño del señor juez (2000), El secreto y las voces (2002), La aventura de los bustos de Eva (2004) et les nouvelles de El libro de los afectos raros (2005). Il a aussi publié les essais Harold Bloom y el canon literario (2003), El nacimiento de la literatura argentina y otros ensayos (2006) et Ulises. Claves de lectura (2008). Il a traduit entre autres Mon univers secret de Graham Greene, The dyer’s hand de W.H. Auden (partiellement traduit en français dans Essais critiques), Poetry and repression de Harold Bloom (non traduit en français), Henri VIII et Hamlet de Shakespeare. Il a écrit, en collaboration avec Rubén Mira, le scénario du film Tres de corazones (2007) de Sergio Renán.

Audrey Aubou, ancienne élève de l’École Normale Supérieure de Paris, agrégée d’espagnol, est docteure en littérature latino-américaine. Ses travaux portent sur la littérature cubaine contemporaine et les phénomènes de dissidence littéraire. Elle s’intéresse tout particulièrement au cinéma, à la littérature hispano-américaine contemporaine et à la traduction. Elle dirige actuellement un ouvrage sur Reinaldo Arenas.

Illustration d’Esteban De la Mata. Originaire de Mar del Plata, en 2002 il obtient un diplôme en communication sociale à l’Université nationale de La Plata. Il a travaillé comme journaliste à la radio et à la télévision, et comme attaché de presse dans le domaine politique. Il a aussi été professeur, facteur, barman et ouvrier agricole. Il a vécu dans de nombreux endroits (La Plata, Buenos Aires, Patagonie, Brésil, Espagne) et habite actuellement à Bordeaux.

[1Ray Kroc, petit commerçant, fit fortune en rachetant en 1954 aux frères McDonald leur chaîne spécialisée dans les hamburgers, McDonald’s. [N.D.T.].

[2Porteño est l’adjectif qui désigne ce qui se rapporte à la ville de Buenos Aires, en particulier ses habitants. [N.D.T.

[3Un choripán est un sandwich typiquement argentin, généralement vendu dans la rue, composé de pain fourré d’une saucisse grillée, le tout agrémenté de la sauce nationale, le chimichurri (sorte de marinade légèrement épicée). [NDT].

[4déformation de Nietzsche — Note de la rédaction

[5déformation de Nietzsche — Note de la rédaction