Janusz Korczak

Pour situer les textes

Herschele mis à part, les textes que nous présentons ici ont été conçus après les deux voyages de Korczak en Palestine, donc à partir de 1936 et, à l’exception de La vie de L. Pasteur (1938) et du Journal commencé en mai 1942 dans le ghetto de Varsovie, sont les derniers que Korczak ait écrits.

Il y a un continu entre l’enfant de cinq ans qui rêvait de ‟changer le mondeˮ et l’homme usé qui marcha à la mort, à la tête de son orphelinat, et ce continu, c’est la volonté héroïque. Si Korczak n’abandonne pas son utopie égalitaire et continue d’écrire son oeuvre pour tous les hommes, la montée du nazisme et de l’antisémitisme en Pologne même ne peut qu’infléchir sa pensée vers le peuple auquel il n’a jamais cessé d’appartenir.

Tout comme dans la correspondance privée qu’il échange avec les chalutzim [1] émigrés en Palestine, mais pour la première fois dans des textes destinés à être publiés aussi en Pologne, Janusz Korczak se situe en tant que Juif, et fait entendre la voix juive qu’il porte en lui.

Qu’il n’existe pas une ‟natureˮ spécifique de l’enfant juif, c’est ce qu’affirme son article intitulé L’enfant juif, opinion d’un expert et publié en 1934 dans La revue mensuelle juive : il y condamne en effet ‟la psychose qui consiste à rechercher des différences.

Mais il ne s’agit pas ici de nature ou de psychologie, il s’agit ici de destin. Dans une lettre du 30 mars 1937 adressée à M. Zylbertral en Palestine, Korczak écrit à propos de sa très ancienne décision de ne jamais fonder de foyer : ‟Un esclave n’a pas le droit d’avoir des enfants : moi, Juif polonais sous l’occupation tsariste.ˮ

Ainsi l’enfant juif de ce début du XXè siècle en Pologne ne peut-il envisager son futur de la même façon qu’un non-Juif. Certaines voies lui sont ouvertes, d’autres lui sont barrées. Émigration ? Assimilation ? Résignation ?
Or, déjà dès les années 20, Korczak rêve d’un héros qui serait ‟un pauvre enfant juifˮ et il l’appelle Herszl, diminutif de Hirsz, équivalent yiddish de Henryk, son propre nom qui est aussi le nom de son grand-père.
Lors d’une interview, Korczak déclarait à propos de ce premier récit :
‟Aucune histoire ne m’a autant pris, aucune ne m’a tracassé à ce point que celle-ci dont un fragment est imprimé dans ce numéro d’Alim [2]. Le thème m’intéresse depuis des années, à plusieurs reprises je l’ai laissé tomber, et pour y revenir après chaque abandon, parce qu’il est difficile, sa forme nouvelle et insolite...

"Pendant des années, j’ai réfléchi dessus et écrit des notes, et il y a quelques années, j’ai senti la nécessité de créer et, durant une grave maladie [3] , j’ai dicté à un secrétaire des morceaux de chapitres écrits sous la forme de souvenirs. Par la suite, j’ai changé la forme, et jusqu’à aujourd’hui, je ne sais si ce sera une longue narration ou un court récit...ˮ

Ce personnage de Herschele accapare à tel point la pensée de Korczak qu’il apparaît trois fois dans ces récits, sous une forme très proche. C’est l’enfant du shtetl qui rêve (comme Korczak ?) d’aller là-bas, de ‟partir en Palestineˮ et, nouveau Moïse, d’y emmener tous les juifs à sa suite.

La Palestine... Ce signifiant résonnait autrement pour un Juif de ce temps là... Et Korczak emploie aussi bien les termes de ‟Terre promiseˮ ou d’ ‟Eretz Israelˮ (‟Eretz, en hébreu : terre, Eres, berceauˮ précisait-il lors d’une conférence sur la Palestine à son retour de voyage).

Tel Moïse, Herschele le prophète ne parviendra pas en Eretz. Mais comme l’a écrit (à propos de Kafka) Henri Meschonnic : ‟Moïse n’est pas rentré en Canaan non pas que sa vie fut trop brève, mais parce que c’était une vie humaine...ˮ Et encore : ‟L’inachèvement n’est une défaite qu’en apparence... Le vivre et le dire confondus ne peuvent être qu’inachèvement [4]...ˮ

Ce qui nous ramène au destin de Henryk Goldszmit qui s’était choisi le nom héroïque de Janusz Korczak [5].

Yvette Métral.

Herschele [fragment]

Les Récits de Palestine