D’après une histoire vraie III

La mère entre.

LA MÈRE : Je n’ai pas encore tout tapé, je me suis seulement souvenu...

LUI l’interrompt en sortant précipitamment de la maison.

ELLE : Continue, maman.

LA MÈRE : Une idée m’a traversé l’esprit. Je pourrais m’inspirer de cette histoire pour écrire une pièce de théâtre !

ELLE : Maman, tu es extraordinaire. Merci mon Dieu de m’avoir donné pour mère une femme de lettres à l’écoute de la vie. Alors qu’une autre se serait lamentée, toi, tu écris !

LA MÈRE : Il faudrait l’étoffer un peu... plus d’action, je pense. Premier acte : le matin, réveil de printemps. Un étranger franchit le seuil de la maison. Dehors, les chiens aboient. Lui, infatué, ne doute de rien. Elle, une femme de toute beauté. Acte deux : Lui, particulièrement remonté. Elle, heureuse, sur un petit nuage. Là se trame l’intrigue. Puis, action.


ELLE : Bref, en un mot, du Tchekhov.

LA MÈRE : Euh...

ELLE : Il y aura du sang ?

LA MÈRE : Je ne sais pas encore. C’est seulement une idée, une ébauche grossière.

ELLE : J’aimerais tant connaître le dénouement... Te souviens-tu, mon oncle affirmait que dans les grandes pièces de théâtre, au début, il y a toujours un fusil accroché au mur, et à la fin...

LA MÈRE : Et à la fin, le quatrième mur s’écroule ! Ton oncle était très instruit. Enfin, ma chérie, tu vois bien que c’était une erreur d’épouser ce...

ELLE : Maman, retourne écrire...

LA MÈRE : Oui, oui... mille mots valent bien une image.

LUI entre

LUI : Je le sens.

ELLE : Où étais-tu ?

LUI : Je suis monté sur le toit. J’ai guetté. On ne voit rien... mais je le sens. Il est ici... tout près.

La mère le regarde sans comprendre.

ELLE : Maman, si tu nous lisait plutôt ce que tu as écrit ?

LA MÈRE : Seulement lorsque les invités arriveront. Je le lirai à tout le monde.

Elle sort.

ELLE : Tu vois... tu ne peux pas annuler son anniversaire.

LUI : Le feu s’est éteint.

ELLE : Cela fait des années qu’elle attend cet anniversaire...

LUI : Pourquoi fait-il si froid ?

ELLE : Elle est si impatiente !

LUI : La fenêtre est-elle bien fermée ?

ELLE : Elle trépigne d’impatience.

On frappe.

ELLE : Qui est-ce ?

La porte s’ouvre. Le directeur du théâtre entre, un énorme bouquet de fleurs à la main, semblable à une couronne funéraire.

LE DIRECTEUR : Bonsoir. De bonne humeur aujourd’hui ?

ELLE : Bonsoir, monsieur le directeur.

LE DIRECTEUR : Je vous en prie, pas tant de cérémonies. Le directeur d’un théâtre fermé n’est plus tout à fait un directeur.

ELLE : Alors qu’un théâtre fermé reste un théâtre, n’est-ce pas ?

LE DIRECTEUR : Non, désormais c’est seulement... seulement... un espace vide et rien de plus. Passons, assez parlé travail. Mon cher, comment envisagez-vous la situation?

LUI : Celle du théâtre ?

LE DIRECTEUR : Non, celle du... du fugitif.

LUI : Je me doutais que la nouvelle se répandrait.

LE DIRECTEUR : Vous savez, il en fut de même autrefois avec ma défunte épouse...

ELLE : Vous avez été marié ?

LE DIRECTEUR : Jamais, c’est bien pour cela que je dis « défunte »...

ELLE : Permettez...

LE DIRECTEUR : Ah, oui... les fleurs. Pour votre mère.

ELLE : Merci.

LE DIRECTEUR : Des chrysanthèmes... les fleurs de l’écrivain.

LUI : De l’écrivain ?

LE DIRECTEUR : Oui, vous comprenez... nous avons une crise, et nous avons un thème. Nous sommes en crise-en-thème.

ELLE : Ce vase est trop petit.

En voulant arranger le bouquet, ELLE brise le miroir accroché au mur.

LE DIRECTEUR : Mauvais signe.

LUI : Vous l’avez peut-être vu ?

LE DIRECTEUR : Qui ça ? Ah, oui... Doucement, une chose à la fois.

LUI : Au diable tout le reste !

LE DIRECTEUR : Cessez vos remarques anarchistes !

LUI : L’avez-vous vu, oui ou non ?

LE DIRECTEUR : Je suis resté un moment dans la neige. J’ai attendu... qu’il se manifeste. Dix minutes, un quart d’heure, une demi-heure, une heure, une heure dix, une heure et quart, une heure et demie...


LUI : Synthétisez !

LE DIRECTEUR : La neige n’en finit pas de tomber. Deux heures passent. Deux heures et des poussières quand, soudain au loin, j’aperçois... un écureuil !

LUI : Un écureuil ?

LE DIRECTEUR : Ça, et la neige qui s’amoncelle.

LUI : Passons les prévisions météorologiques, l’avez-vous vu, oui ou non ?

LE DIRECTEUR : Bien sûr. Vêtu d’un blazer noir... L’air revêche... Il prend des notes dans un calepin. Il note, il écrit, et cela me rappelle alors votre mère. L’écriture sans doute... Puis je suis parti.

LUI : Menaçant ?

LE DIRECTEUR : Lui ? Oui.

LUI : C’est tout ?

LE DIRECTEUR : Non.

De sa poche, il sort une feuille de papier.

LUI : Qu’est-ce que c’est ?

LE DIRECTEUR : Une page de son calepin. Ne me demandez pas comment je me la suis procurée.

LUI examine le papier.

LUI : Enfin, c’est une page blanche ?

LE DIRECTEUR : Oui, n’est-ce pas inquiétant ?

LUI : Je vais la conserver... comme preuve. As-tu préparé les valises ?

ELLE : Je ne vais nulle part.

LUI : Nous devons partir d’ici ! Sois raisonnable !

LE DIRECTEUR : Vous partez en voyage ?

ELLE : Ce n’est pas un voyage, c’est une fuite !

LE DIRECTEUR : Les fuites sont plus exaltantes que les voyages. Quant à moi, hélas, je n’ai jamais pris la fuite. Je n’en ai jamais eu l’occasion... C’est triste, n’est-ce pas ?

LUI : Nous ne partons pas ensemble. Tu iras à l’ouest, tandis que j’irai à l’est... ou le contraire, peu importe. Ce qui compte, c’est de se séparer. Toi le nord, moi le sud...

LE DIRECTEUR : Le nord est intéressant... à ce qu’on raconte.

LUI : Ainsi, la cible se départage. Compris ?

ELLE : La cible ?

LUI : Oui, la cible. Il ne pourra pas courir après deux lièvres à la fois.

LE DIRECTEUR : Dilemme ? C’est malin. C’est presque du Shakespeare.

LUI : Qu’en pensez-vous ? Vous êtes un homme de théâtre, je pourrais me travestir ?

LE DIRECTEUR : Pourquoi pas ? Une barbe, une perruque... Quoique, le postmodernisme conchie le...

ELLE : Je me suis entaillé le doigt.

Ils l’examinent.

ELLE : Le miroir... Je me serais blessée avec un éclat du miroir.

LE DIRECTEUR : Vous pensez qu’il projette un mauvais coup ?

LUI le foudroie du regard.

LE DIRECTEUR : Il a maigri.

Le téléphone sonne. Ils sursautent. Ils tendent l’oreille... Le téléphone sonne, sonne. Elle décroche.

ELLE : Oui ?

Elle écoute un instant, puis sans prononcer un mot, repose le combiné. Il l’observe.

ELLE : Le professeur... Il nous demande de ne sortir sous aucun prétexte.

LUI : Pourquoi ? Il y a du nouveau ?

ELLE : Je n’en sais rien. Il n’a pas eu le temps de m’expliquer. Il a seulement dit ça.

Un temps.

LE DIRECTEUR : En ce cas, je me retire... C’est préférable.

LUI : Surtout, n’oubliez pas la perruque et la fausse barbe.

LE DIRECTEUR : Oui, oui.

Il sort. ELLE et LUI restent silencieux quelques secondes.

LUI : Pourquoi moi ? Pourquoi ?

ELLE : Ce n’est pas surprenant.

LUI : Enfin, c’était la guerre ! Je n’avais rien contre lui personnellement. Je le connaissais à peine.

ELLE : Désormais, c’est sans importance.

LUI : C’est important, au contraire. Ça n’a pas de sens ! Quinze années ont passé...

ELLE : Alors pourquoi nous cacher ?

LUI : À cause de la bêtise humaine ! À cause d’un idiot qui ne peut pas oublier. Pourquoi les gens agissent-ils ainsi ? Regarde, moi... j’ai oublié... Tout... Il n’en reste rien.

ELLE : Tu ne sais pas ce que tu dis.

LUI : Je ne sais peut-être pas ce que je dis, mais je sais que j’ai raison.

Il s’assied, mais les coups à la porte le font sursauter.

[...]

Traduit par Karine Samardzija

Ulazi Majka.

MAJKA : Nisam još sve otkucala, samo sam se sjetila...

ON je prekine svojim naglim izlaskom iz kuće.

ONA : Reci, mama.

MAJKA : Upravo mi je nešto palo na pamet. Od ovoga bi se mogao napraviti solidan pozorišni komad.

ONA : Draga, mama. Ti si divna. Hvala dragom Bogu, pa mi je za majku dao književnicu sa sluhom za život. Neka druga bi kukala, a ti pišeš.

MAJKA : Samo bi trebalo malo zgusnuti...radnju, mislim. Prvi čin: jutro, buđenje proljeća...Stranac dolazi u kuću...Napolju laju psi...On ništa ne sluti, Ona je ljepotica...Drugi čin...On je ljut, ona vesela...Tu dođe zaplet. Onda kreće radnja.

ONA : Jednom rječju, kao Čehov.

MAJKA : Pa...

ONA : A hoće li biti krvi?

MAJKA : Ne znam još. Ovo je samo ideja, gruba skica.

ONA : Baš bih voljela znati kraj. Sjećaš se da je ujak govorio da u dobrim komadima na početku na jednom zidu visi puška, a na kraju...

MAJKA : Na kraju se četvrti zid sruši. Svašta je znao tvoj ujak. Samo...draga moja, vidiš da nije dobro što si se udala za ovog...

ONA : Mama, idi piši.

MAJKA : Da, da...hiljadu riječi govori kao jedna slika.

Ulazi ON.

ON : Osjetim ga.

ONA : Gdje si bio?

ON : Uzverao sam se na krov...osmotrio. Ništa se ne vidi...ali ga osjetim. Tu je on...blizu.

Majka ga gleda sa nerazumijevanjem.

ONA : Mama, hoćeš nam sad pročitati šta si napisala?

MAJKA : Ne, kad dođu gosti. Čitaću pred svima.

Izađe.

ONA : Vidiš...ne možeš otkazati rođendan.

ON : Vatra se ugasila.

ONA : Ona godinama čeka ovaj rođendan...

ON : Zašto je ovako hladno?

ONA : Iščekuje...

ON : Je li prozor dobro zatvoren?

ONA : Strepi...

Kucanje.

ONA : Ko je?

Otvaraju se vrata. Ulazi Direktor pozorišta sa ogromnim buketom cvijeća, gotovo nalik na vijenac.

DIREKTOR : Dobro veče. Kako smo raspoloženi?

ONA : Dobro veče, gospodine direktore.

DIREKTOR : Molim vas, ne oslovljavajte me tako. Direktor zatvorenog pozorišta i nije direktor.

ONA : I zatvoreno pozorište je pozorište, zar ne?

DIREKTOR : Ne, to je sada samo ...samo...prazan prostor i ništa više. Ali, dosta o poslu...Dragi moj, kako vi gledate na ovu situaciju?

ON : Sa pozorištem?

DIREKTOR : Ne, sa...bjeguncem.

ON : Znao sam da će se vijest proširiti.

DIREKTOR : Znate, jednom je tako mojoj pokojnoj ženi...

ONA : Vi ste imali ženu?

DIREKTOR : Nisam, zato i kažem – pokojnoj...

ONA : Dozvolite...

DIREKTOR : Ah, da...cvijeće. Za vašu majku.

ONA : Hvala.

DIREKTOR : Krizantema...cvijeće za pisce.

ON : Za pisce?

DIREKTOR : Da, razumijete...ima krizu, a ima i temu..krizan-tema.

ONA : Ova vaza je premala.

Pokušavajuć odložitii cvijeće ONA razbije ogledalo oslonjeno o zid.

DIREKTOR : Loš znak.

ON : Jeste li ga možda vidjeli?

DIREKTOR : Koga? A...polako, sve po redu.

ON : Do đavola sa redom.

DIREKTOR : Pustite sad anarhističke primjedbe.

ON : Jeste li ga vidjeli ili niste?

DIREKTOR : Stajao sam na snijegu...i čekao...da se pojavi. Deset minuta, petn’est, pola sata, sat, sat i deset minuta, sat i petn’est, sat i po...

ON : Dalje...

DIREKTOR : A snijeg pada...dva sata...i par minuta...U daljini spazim...vjevericu...

ON : Vjevericu?

DIREKTOR : Uto i snijeg stane.

ON : Pustite sad vremensku prognozu, jeste li ga vidjeli?

DIREKTOR : Jesam. U crnom sakou...namršten...nešto zapisuje u notes. Zapisuje, piše, te se i ja sjetim vaše majke...zbog pisanja...i odem...

ON : Namrgođen?

DIREKTOR : On? Da.

ON : To je sve?

DIREKTOR : Nije.

Iz džepa izvuče papirić.

ON : Šta je to?

DIREKTOR : Stranica iz njegovog notesa. Ne pitajte kako sam došao do nje.

ON pogleda papir.

ON : Pa, nema ništa?

DIREKTOR : Da, zar to nije jezivo?

ON : Ovo ću sačuvati...kao dokaz.... Jesi spremila kofere?

ONA : Ja nikuda ne idem.

ON : Moramo otići odavde! Ne budi luda!

DIREKTOR : Putujete?

ONA : Nije to put, to je bijeg!

DIREKTOR : A, bijegovi su zanimljiviji od putovanja. Ja, nažalost, nikad nisam bježao. Nisam imao razloga. Tužno je to, zar ne?

ON : Ne idemo zajedno. Ti ćeš na zapad, a ja na istok..ili obrnuto, svejedno. Važno je da se razdvojimo. Ti sjever, ja jug...

DIREKTOR : Sjever je zanimljiv...kažu.

ON : Tako će se meta podijeliti na dva dijela. Razumiješ?

ONA : Meta?

ON : Da. Neće moći istovremeno krenuti i za tobom i za mnom.

DIREKTOR : Dilema? Mudro. Gotovo šekspirovski.

ON : A, šta vi mislite? Mislim, pozorišni ste čovjek...da se prerušim?

DIREKTOR : Što da ne? Brada, perika...Mada, postmodernizam prezire i ismijava...

ONA : Posjekla sam prst.

Pogledaju je.

ONA : Ogledalo...mislim da mi je ostao komadić ogledala.

DIREKTOR : Mislite da on namjerava nešto loše?

ON ga pogleda.

DIREKTOR : Smršao je.

Telefon zazvoni. Svi se ukoče. Osluškuju...Zvoni, zvoni...ONA podigne slušalicu.

ONA : Da?

Sluša par trenutaka, potom spusti slušalicu. ON je gleda.

ONA : Profesor...Kaže da nikako ne izlazimo vani.

ON : Zašto? Šta je saznao?

ONA : Ne znam. Nije imao vremena da objašnjava. Rekao je samo to.

Pauza.

DIREKTOR : Onda...odoh ja...Tako je najbolje.

ON : I ne zaboravite periku i lažnu bradu.

DIREKTOR : Da, da.

Izađe. ON i ONA stoje par sekundi u tišini.

ON : Zašto baš mene? Zašto ja?

ONA : Ništa čudno.

ON : Ali, bio je rat...Ja nisam imao ništa protiv njega lično. Skoro da ga i ne poznajem.

ONA : To je sad nevažno.

ON : I te kako je važno. Nema smisla, prošlo je skoro petnaest godine...

ONA : Zašto se onda krijemo?

ON : Zbog ljudske gluposti! Zbog idiota koji ne mogu da zaborave. Zašto ljudi to sebi rade? Evo ja...ja...ja sam zaboravio...sve...nema...ništa...

ONA : Ne znaš šta govoriš.

ON : Možda ne znam šta govorim, ali znam da sam u pravu.

ON sjedne, ali ga trgne kucanje na vratima.

[...]

Par Almir Imširević

Almir Imširević est né en 1971 en Bosnie-Herzégovine.

Auteur dramatique, scénariste, nouvelliste, auteur de critiques et d’essais sur le théâtre, il enseigne actuellement au conservatoire de Sarajevo.

Ses textes ont reçu de nombreuses distinctions, dont le prix de la critique du MESS, et ont été présentés en Bosnie, en Slovénie, en Pologne, en Suisse, au festival Act’in de Luxembourg, au festival d’Avignon et à Paris lors de "Balkanisation générale".

Source : Maison d’Europe et d’Orient

Le texte est entièrement illustré par Jacques Mallon, artiste-peintre, qui vit actuellement à Paris. Les croquis présentés ici ont été réalisés au cours de ses nombreux voyages. Vous trouverez également peintures, dessins et aquarelles sur son site