D’après une histoire vraie I

LUI : Je ne peux pas.

ELLE : Ne t’arrête pas.

LUI : Je t’ai dit, je ne peux pas.

ELLE : Non, non... j’y suis presque arrivé...

LUI : Ça suffit ! C’est terminé.

ELLE : Regarde !

LUI : Je ne veux plus. Ça n’a pas de sens.

ELLE : Regarde !

LUI : Je ne veux pas. Arrête !

ELLE : Regarde... là... Tu vois ?

LUI : Où ?

ELLE : Ici, tu vois ?

LUI : Il n’y a rien.

ELLE : Si, regarde mieux.

LUI : Je regarde, et il n’y a rien. Ça suffit !

ELLE : Comment ça, rien ? Touche... Donne-moi la main !

LUI : Laisse-moi !

ELLE : Touche... tu sens ? C’est humide.

LUI : Non. Il n’y a rien.

ELLE : Si !

LUI : Arrête, tu entends ! Il n’y a rien!

ELLE : J’ai gagné !

LUI : Non ! Il n’y a rien !

ELLE : Bien sûr que si, reconnais-le ! Cette fois-ci, j’ai gagné.

LUI : Personne n’a gagné.

ELLE : Mais enfin, pourquoi ne veux-tu pas le reconnaître?
J’ai gagné, dis-le !

LUI : Ça suffit !

ELLE
Je la sens bien... là... dans le coin.

LUI : C’est à cause du froid.

ELLE : Non !

LUI : Je n’en peux plus. Arrête, je t’en prie.

ELLE : Mais admets-le !

LUI : Je ne veux pas.

ELLE prend un mouchoir, s’essuie l’œil.

ELLE : Tu vois...

LUI : Que dois-je voir ?

ELLE : C’est humide. Tu le crois maintenant ?
Pourquoi ne veux-tu pas l’admettre ? Tu as perdu.
Tu as définitivement perdu.

LUI : Non. Je n’ai jamais perdu, et toi tu n’as jamais gagné.
Personne n’a gagné ! Jamais !


LA MÈRE entre, elle porte des fagots de bois.

LA MÈRE : Je perds la vue... enfin, presque. Tout à l’heure... alors que je ramassais du bois... j’ai cru... là-bas, au fond de la steppe... j’ai cru voir un homme. Tout du moins, il m’a semblé que c’était un homme. En réalité, c’était plutôt un point à l’horizon. Un point qui se déplace... comme un homme... Toujours rien ?

LUI : Rien.

ELLE : Il ment, maman, j’ai gagné.

ELLE lui montre le mouchoir.

LA MÈRE : Très bien. Je ne sais pas, c’est peut-être à cause de ma vue, mais je ne trouve aucun intérêt à ce jeu. Il n’y a pas de fin, jamais...
Voilà déjà tant d’années...

LUI : Elle triche.

ELLE : Je ne triche pas. Pourquoi je le ferai ? Pourquoi je tricherais ?

LUI : Ça n’a plus d’importance. J’ai imaginé ce jeu, et désormais j’y mets fin. Je l’interdis.

LA MÈRE : Ça serait sans doute plus intelligent. Jeu de larmes... Rien que le nom est absurde. Combien de temps déjà... presque douze ans, n’est-ce pas ? Douze ans que vous jouez à qui pleurera le premier ! C’est stupide. Vous voyez bien que ça ne tourne pas rond.

LUI : Le feu s’est éteint.

LA MÈRE : Je m’en occupe...

Un temps.

LUI : La nuit dernière, je n’ai pas dormi.

ELLE : Tu mens.

LUI : Je savais que tu allais dire ça. Quelque chose me ronge... ici. Qu’est-ce que ça peut bien être ? Au petit matin, j’ai fini par m’endormir. J’ai rêvé. Sais-tu de quoi j’ai rêvé?

Il s’approche de la rampe et encadre le public de sa main.

LUI : J’ai rêvé qu’il manquait le quatrième mur... ici... comme ça... juste un grand trou noir. Tandis que là-bas... dans l’obscurité... le public. Ils sont assis... ils se taisent... Ils m’observent. Ma mère... mon frère... ma femme ... et même un ami, un critique... Ils me regardent, moi, au milieu, sous le feu des projecteurs... Effrayant !

LA MÈRE : Ah, oui, j’ai failli oublié... à une vingtaine de mètres de la maison... j’ai vu des traces dans la neige.

LUI : Quelles traces ?

LA MÈRE : Des traces d’animaux.

LUI : À quoi ressemblaient-elles ?

LA MÈRE : Je n’en sais trop rien... Comme humaines, mais animales. Ou quelque chose comme ça... Ah, oui, maintenant je me souviens ! La nuit dernière, j’ai écrit quelque chose. Je vous le lis ?

LUI : Si vous pouviez ne pas...

ELLE : Maman, je t’en prie, lis-le-nous.

LA MÈRE sort un papier de sa poitrine.

LA MÈRE : Je ne vois rien... c’est illisible. Je vais d’abord le taper à la machine. J’y cours de ce pas.

Elle sort. Le bruit de la machine à écrire accompagne en OFF la scène suivante. LUI s’approche de la fenêtre, jette un coup d’œil.

LUI : Je ne vois rien. Aucune trace.

ELLE : Tu insinues encore que ma mère est une menteuse ?

LUI : Non, j’ai seulement dit que je ne voyais aucune trace.

[...]

Traduit par Karine Samardzija

ON : Ne mogu.

ONA : Ne prekidaj.

ON : Kažem ti, ne mogu.

ONA : Ne, ne...evo, ja samo što nisam...

ON : Dosta je! Gotovo.

ONA : Pogledaj!

ON : Neću više. Nema smisla.

ONA : Pogledaj!

ON : Neću. Prekini!

ONA : Vidi...evo...vidiš li?

ON : Gdje?

ONA : Ovdje, vidiš?

ON : Nema ništa.

ONA : Ima, pogledaj bolje.

ON : Gledam, nema ništa. Dosta je!

ONA : Kako nema? Pipni...daj mi ruku.

ON : Pusti me!

ONA : Pipni...osjetiš li? Mokro.

ON : Nije. Nema ništa.

ONA : Ima!

ON : Prekini, čuješ li!? Nema ništa!

ONA : Pobijedila sam te!

ON : Nisi! Nema ništa!

ONA : Jesam. Priznaj. Ovaj put sam te pobijedila.

ON : Niko nije pobijedio.

ONA : Ne, ne. Zašto nećeš da priznaš? Pobijedila sam te, priznaj!

ON : Dosta je!

ONA : Lijepo je osjetim...Tu...u uglu...

ON : To je od zime.

ONA : Nije!

ON : Ne mogu više. Prekini, molim te.

ONA : Samo priznaj!

ON : Neću.

ONA uzima maramicu, dodiruje svoje oko.

ONA : Vidi...

ON : Šta da vidim?

ONA : Vlažno. Vjeruješ li sad?... Zašto nećeš da priznaš? Izgubio si.
Konačno si izgubio.

ON : Nisam. Nikad nisam izgubio, a ti nikad nisi
pobijedila. Niko nije pobijedio! Nikad!

Ulazi MAJKA, u naramku nosi nekoliko cjepanica.

MAJKA : Izgubila sam vid...skoro. Sad...dok sam
uzimala drva...učinilo mi se..tamo, na kraj stepe...
vidjela sam čovjeka. Zamisli...učinio mi se čovjek. Ustvari, više kao neka tačka..u daljini. Tačka koja se pomjera...kao čovjek... Opet ništa?

ON : Ništa.

ONA : Laže, mama, ja sam pobijedila.

ONA joj pokazuje maramicu.

MAJKA : To je dobro. Ne znam, možda je to zbog mog vida, ali
ja u toj igri ne vidim nikakvog smisla. Nema kraja, nema...
Evo, već godinama...

ON : Ona vara.

ONA : Ja ne varam. Zašto? Zašto bih varala?

ON : Više nije važno. Ja sam smislio tu igru, ja je
sad i ukidam...zabranjujem.

MAJKA : Možda je to najpametnije. Igra plakanja...čak joj
je i ime besmisleno. Koliko već ima...skoro dvanaest godina, je li tako...dvanaest godina se takmičite ko će prvi zaplakati... Glupo. Vidite da ne ide.

ON : Vatra se ugasila.

MAJKA : Ja ću...

Pauza.

ON : Sinoć nisam spavao.

ONA : Lažeš.

ON : Znao sam da ćeš to reći. Nešto me probadalo...ovdje. Šta bi to moglo biti?...Oko jutra sam zaspao...i sanjao...Znaš šta sam sanjao?

Prilazi rampi i rukom u zraku «uramljuje» gledalište.

ON : Sanjao sam da nema četvrtog zida...ovdje...ovako...samo velika crna rupa. A tamo...u mraku... publika. Sjede...šute..gledaju. Moja majka...brat...žena...Poneki prijatelj...kritičar...Gledaju me...ja na sredini, osvjetljen...užasno.

MAJKA : Ah, da, umalo da zaboravim...Dvadesetak metara od kuće...vidjela sam tragove u snijegu.

ON : Kakve tragove?

MAJKA : Životinjske.

ON : Kako izgledaju?

MAJKA : Šta ja znam, kao ljudski, samo što su životinjski...tako nekako. Eh, da, sad sam se sjetila. Sinoć sam nešto napisala. Da vam pročitam?

ON : Nemoj.

ONA : Mama, pročitaj nam.

MAJKA izvuče papir iz njedara.

MAJKA : Ne vidim...nečitko je. Prvo da otkucam...Odmah ću ja...

Izađe. Narednu scenu iz OFF-a prati zvuk tipkanja na pisaćoj mašini. ON prilazi prozoru, gleda.

ON : Ja ništa ne vidim. Nikakvih tragova.

ONA : Opet kažeš da moja majka laže?

ON : Ne, samo sam rekao da je ne vidim nikakve tragove.

[...]

Par Almir Imširević

Almir Imširević est né en 1971 en Bosnie-Herzégovine.

Auteur dramatique, scénariste, nouvelliste, auteur de critiques et d’essais sur le théâtre, il enseigne actuellement au conservatoire de Sarajevo.

Ses textes ont reçu de nombreuses distinctions, dont le prix de la critique du MESS, et ont été présentés en Bosnie, en Slovénie, en Pologne, en Suisse, au festival Act’in de Luxembourg, au festival d’Avignon et à Paris lors de "Balkanisation générale".

Source : Maison d’Europe et d’Orient

Le texte est entièrement illustré par Jacques Mallon, artiste-peintre, qui vit actuellement à Paris. Les croquis présentés ici ont été réalisés au cours de ses nombreux voyages. Vous trouverez également peintures, dessins et aquarelles sur son site