Écrire des pages et des pages
les remplir de pierres, d’herbe, de forêt, de cieux
de mouvement des gens dans la rue, de voix
de maisons du passé, d’aujourd’hui
de tableaux, de statues, de rivières et de vagues et de verres et de pots
et de plâtre blanc et de l’encre noire et de nuages
des îles et des coudes et des bêtes sauvages
chants des hanches et des ventres maternels, poèmes des pénis
enfant couché dans l’herbe.
Je pourrais dire que je désire recréer
une synthèse entre le monde et soi
soi et le monde recréé dans
un troisième objet
qui n’est absolument pas la recréation
que je désire créer.
Il n’y a pas d’objets
oui
et leurs listes invitent
à un inventaire incantatoire de l’infini ---
Venise
Stampa
la mer le ciel
la lumière les fleurs
Paris
Trieste
Jardin des Plantes
et Musée Guimet la nuit sans étoile
et le matin la neige qui tombe sur le bambou.
Je pourrais dire que je désire
de l’érotisme
branche de la nutrition
l’expérience intérieure
ramener les 1 multiples à un 1 unique à l’infini.
Et je le ferai j’ai
commencé
mais il y a toujours autre chose
à faire.
Je passe mes nuits et surtout mes jours
à travailler ou plutôt à faire et à défaire
des têtes des figurines des immeubles et des caves
en langage de l’argile
qui n’aboutissent jamais
qui ne peuvent aboutir
qu’à rien.
Les compositions se donnent toutes seules
rien ne tient d’aucune part
absolument
oui.
Toute sculpture texte ou pensée
qui part de l’espace comme existant est fausse
il n’y a que l’illusion de l’espace
l’espace n’existe pas
il faut le créer mais il n’existe pas
non
moi non plus.
Vie étrange
quelque chose de rond de vaste et illimité
de tous les côtés je le sens aujourd’hui
plus que jamais
en cet instant.
Je suis où je veux
d’avoir
tort
oui
et d’être sur mes deux pieds
oui
et de ne comprendre plus
rien.
Write pages and pages
fill them with stones, grass, forest, heavens
movement of people in the street, voices
houses from the past, from the present
paintings, statues, rivers and waves and glasses and pots
and white plaster and black ink and clouds
islands and elbows and wild beasts with fangs
songs of hips and wombs, penis poems
child lying in the grass.
I could say I desire to recreate
a synthesis between world and self,
self and world recreated in
a third object
which is absolutely not the recreation
I desire to create.
There are no objects
yes
and lists of them invite
an incantatory inventory of the infinite ---
Venice
Stampa
the sea the sky
the light the flowers
Paris
Trieste
Jardin des Plantes
and Musée Guimet the starless night
and the morning the snow falling on bamboo.
I could say I desire
eroticism
a branch of nutrition
the interior experience
to bring the multiple 1s to an infinitely unique 1.
And I will do it
I have started
but there is always something else
to do.
I spend my nights and especially my days at it
working at it or rather doing or redoing
heads figures buildings and caves
in the language of clay
which results in nothing
which can result
only in nothing.
The compositions do it themselves
nothing holds up anywhere
absolutely
yes.
Every sculpture text or thought
that starts from space as if existing is false
there is only the illusion of space
which does not exist
it must be created but it doesn’t exist
no
nor does I.
Strange life
something round vast and limitless
in every direction I feel it today
more than ever
in this moment.
I am where I want
to be
wrong
yes
and on my feet
yes
to no longer understand
a thing.
Amy Hollowell est poète, journaliste et traductrice franco-américaine. Elle est l’auteur de plusieurs recueils de poèmes, notamment Nous ici/Here We Are (édition bilingue, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2015) et Giacomettrics (corrupt press, 2013).
Depuis 1983, elle est membre de la rédaction de l’International Herald Tribune à Paris et elle a contribué en tant que journaliste à d’autres publications, en Europe et aux États-Unis. Elle est aussi enseignante de la méditation Zen dans la lignée White Plum crée par Taizan Maezumi Roshi. En 2004, elle a fondé à Paris le groupe Wild Flower Zen, qu’elle continue à diriger en France et au Portugal.
Célin Vuraler est née à Paris en 1976. Elle est traductrice littéraire du turc et de l’anglais. Particulièrement intéressée par la poésie, elle a traduit essentiellement des auteurs turcs contemporains.
Traductions :
Yiğit Bener, Le revenant, (2015, Actes Sud)
Alper Canıgüz, L’assassinat d’Hicabi Bey (2014, Mirobole éditions)
Küçük İskender, poèmes pour Levée d’encre, (2013, CITL)
Ahmet Altan pour le livre de photographies de Frances Del Chele, Du loukoum au béton (2012, Trans Photographic Press)
Ayşe Gül Altınay et Fethiye Çetin, Les petits-enfants (2011, Actes Sud)
Texte de Perihan Mağden pour Passa Porta, Maison internationale des littératures, pour le projet « Lettres à l’Europe » (2011)
Textes de Yiğit Bener, en collaboration avec la Villa Gillet et la Maison des écrivains étrangers (Meet) (2011)
Yiğit Bener, Autres cauchemars (nouvelles), (2010, Actes Sud)
Textes pour une anthologie du théâtre turc, Un œil sur le bazar, (2010, l’Espace d’un instant)
Poèmes contemporains pour les revues Siècles 21 et Pensée de Midi (ex : Murathan Mungan ; 2010)
Poèmes du « Second renouveau » pour la revue Action Poétique (ex : Ece Ayhan, Ilhan Berk ; 2010)
Poèmes pour les éditions de la Biennale des Poètes en Val-de-Marne 2009 et 2010 (ex : Haydar Ergülen, Tugrul Tanyol, Gür Genç)
Demir Özlü, Un rêve de Beyoğlu (nouvelle) (2009, Petra)
Dans la revue Retors, retrouvez sa traduction du Grand poème du Moyen Orient de Küçük İskender.
Photographie par Ernst Scheidegger