Pour João Silva
Nuit tiède du Mozambique
et des sons lointains de marimbas viennent jusqu’à moi
— précis et constants —
venus d’où je ne sais.
Dans ma maison de bois et de zinc,
j’allume la radio et me laisse bercer…
Mais les voix d’Amérique me remuent l’âme et les nerfs.
Et Robeson et Marian chantent pour moi
Des negros spirituals de Harlem.
«Let my people go»
— oh laisse passer mon peuple,
laisse passer mon peuple ! —
disent-ils.
Et moi j’ouvre les yeux et ne peux plus dormir.
En moi, clament Anderson et Paul
et ce ne sont pas de douces voix de berceuses.
« Let my people go» !
Nerveusement,
je m’assois à la table et j’écris…
En moi,
laisse passer mon peuple,
«oh let my people go…»
Et je ne suis plus qu’instrument
de mon sang tourbillonnant
avec Marian qui m’aide
de sa voix profonde – ma sœur !
J’écris…
Sur ma table, des contours familiers viennent se pencher.
Ma Mère aux mains noueuses au visage fatigué
et les révoltes, les douleurs, les humiliations,
tatouant de noir le vierge papier blanc.
Et Paulo, que je ne connais pas,
mais qui est du même sang de la même sève aimée du Mozambique,
et les misères, les fenêtres à barreaux, les adieux des magaíças,
les champs de coton, et mon inoubliable compagnon blanc
Et Zé — mon frère — et Saúl,
et toi, Ami au doux regard bleu,
qui prends ma main et m’obliges à écrire
avec le fiel qui me vient de la révolte.
Tous viennent se pencher sur mon épaule,
tandis que j’écris, toute la nuit,
avec Marian et Robeson qui veillent par le voyant de la radio
— «let my people go
oh let my people go !»
Et tant que me viendront de Harlem
des voix de lamentation
et que mes contours familiers me visiteront
dans de longues nuits d’insomnie,
impossible de me laisser bercer par la musique futile
des valses de Strauss.
J’écrirai, j’écrirai,
Avec Robeson et Marian criant avec moi :
Let my people go
OH LAISSE PASSER MON PEUPLE !
Para João Silva
Noite morna de Moçambique
e sons longínquos de marimba chegam até mim
— certos e constantes —
vindos não sei eu donde.
Em minha casa de madeira e zinco,
abro o rádio e deixo-me embalar...
Mas as vozes da América remexem-me a alma e os nervos.
E Robeson e Marian cantam para mim
spirituals negros de Harlem.
«Let my people go»
— oh deixa passar o meu povo,
deixa passar o meu povo ! —,
dizem.
E eu abro os olhos e já não posso dormir.
Dentro de mim, soam-me Anderson e Paul
e não são doces vozes de embalo.
«Let my people go» !
Nervosamente,
sento-me à mesa e escrevo...
Dentro de mim,
deixa passar o meu povo,
«oh let my people go...»
E já não sou mais que instrumento
do meu sangue em turbilhão
com Marian me ajudando
com sua voz profunda — minha irmã !
Escrevo...
Na minha mesa, vultos familiares se vêm debruçar.
Minha Mãe de mãos rudes e rosto cansado
e revoltas, dores, humilhações,
tatuando de negro o virgem papel branco.
E Paulo, que não conheço
mas é do mesmo sangue da mesma seiva amada de Moçambique,
e misérias, janelas gradeadas, adeuses de magaíças,
algodoais, e meu inesquecível companheiro branco
e Zé — meu irmão — e Saul,
e tu, Amigo de doce olhar azul,
pegando na minha mão e me obrigando a escrever
com o fel que me vem da revolta.
Todos se vêm debruçar sobre o meu ombro,
enquanto escrevo, noite adiante,
com Marian e Robeson vigiando pelo olho luminoso do rádio
— «let my people go
Oh let my people go ! »
E enquanto me vierem de Harlem
vozes de lamentação
e os meus vultos familiares me visitarem
em longas noites de insónia,
não poderei deixar-me embalar pela música fútil
das valsas de Strauss.
Escreverei, escreverei,
com Robeson e Marian gritando comigo:
Let my people go
OH DEIXA PASSAR O MEU POVO !
Noémia de Sousa, née à Catembe au Mozambique en 1926, morte en 2002 au Portugal, fut poète et journaliste. Figure tutélaire de la poésie mozambicaine, elle incarne la résistance à la colonisation.
Elisabeth Monteiro Rodrigues est née au Portugal en 1973. Elle vit et travaille à Paris. Elle traduit depuis 2005 l’œuvre de Mia Couto. Elle a récemment traduit Autisme de Valério Romão, Chandeigne 2016 ; Notre voix de Noémia de Sousa, Corpus, éditions isabelle sauvage 2017 ; Oui camarade ! de Manuel Rui, Chandeigne 2017.
La traduction de ce poème a vu le jour avec les élèves de 4e du cours de français d’Elisabeth Crouzet à l’école française de Maputo en septembre 2016.