Sur le théâtre de Michał Walczak

L’œuvre théâtrale de Michał Walczak, très prolifique, se concentre autour de quelques axes, visibles dès ses premiers textes et développés au cours des pièces suivantes. Nous retrouvons dans son écriture un écho des songs de Brecht et, par le mélange des registres, une filiation avec Shakespeare. Mais il reste surtout l’héritier de Gombrowicz, de Wyspianski et de Gogol par la remise en question des mythes nationaux et surtout par l’omniprésence du grotesque.

L’un des thèmes les plus importants, celui de l’immaturité, constitue le sujet principal de la première pièce de Michał Walczak, Le Bac à sable. Cette immaturité est symptomatique de la génération que Walczak représente, ces jeunes Polonais âgés de vingt à trente ans qui n’ont pas l’expérience historique de leurs parents, pour lesquels la noire époque du régime totalitaire et l’époque héroïque de la lutte de Solidarnosc sont des souvenirs qu’ils ne parviennent pas à s’approprier. Ce manque d’événement majeur pourrait être un facteur de l’immaturité de cette génération, de sa peur de grandir et de son refus d’endosser des rôles d’adultes. Les deux personnages du Bac à sable ne quittent pas cet espace dédié aux jeux d’enfant ; leurs accessoires sont une figurine de Batman et une poupée ; leur relation d’adulte est compromise par leur entêtement à rester enfant.
L’enfance peut d’ailleurs être pour Walczak révélatrice de mécanismes et de comportements sociaux importants : ainsi, il s’est tourné vers l’écriture de pièces ayant une structure de conte et qui prétendent s’adresser aux enfants (Une Princesse triste et, tout récemment, Le dernier Papa).
Le thème de l’immaturité revient fréquemment, même s’il n’est pas forcément lié à l’enfance. PEAU, personnage principal du Voyage à l’intérieur d’une chambre, en est une incarnation emblématique : à trente ans, il est toujours étudiant, vit en collocation et ne s’empresse pas de chercher du travail. Son infantilisme s’inscrit dans une dimension sociale. Et son choix de finalement grandir le détruit : il sera aspiré par la chambre qu’il a louée à un adulte.
Un autre aspect social de cette immaturité aboutit à La Mine, pièce écrite en 2004, portrait d’une ville de Silésie. Les habitants ne se remettent pas de la fermeture de la mine : peu importe leur âge, leur statut social ou leur situation matérielle, ils errent à travers la ville, répétant toujours les mêmes gestes et les mêmes paroles. Ils racontent la fermeture de la mine comme s’ils étaient hypnotisés, ensorcelés, inconscients. Plus rien ne peut arriver, ils ne passeront pas à l’étape suivante, comme tant de villes polonaises qui, après 89, n’ont pas compris ce qui leur arrivait et sont devenues pour leurs habitants des prisons.
La Mine introduit un autre grand sujet du théâtre de Michał Walczak : la ville et ses transformations, ses paysages industriels, les vestiges de son passé réaliste socialiste et sa nouvelle apparence kitch. Elle constitue non seulement l’espace naturel des personnages, mais devient elle-même personnage : dans La Mine, la ville exprime sa souffrance à travers la bouche de ses habitants.
L’écriture de Walczak abonde de personnages hybrides qui ne sont pas tout à fait humains, du moins pas tout le temps. Dans La Gueule de bois, une fille est en même temps couette ; dans Le Voyage à l’intérieur d’une chambre apparaît un personnage fusionnel de Père-Mère ; dans Le Bus de nuit, le bus du titre discute avec un arrêt de bus. Mais l’hybridation la plus étonnante s’opère quand les personnages deviennent des éléments du décor théâtral, comme le RIDEAU dans Le Voyage à l’intérieur d’une chambre.
Cette opération est significative d’un autre aspect important de la dramaturgie de Walczak, celui d’une métathéâtralité revendiquée, dont le témoignage le plus prégnant est la pièce Pauvre de Moi, La Chienne et Son Nouveau Type. Par la partie « Préhistoire » qui précède le premier acte, par les commentaires introduisant les scènes, plus appropriés au roman digressif qu’au texte théâtral, par les personnages conscients de faire partie d’une histoire, par le titre qu’ils portent, et par les noms qu’ils se trouvent eux-mêmes, la structure même de la pièce est une remise en question. Dans la « Préhistoire », les protagonistes ne jouent pas, mais annoncent qu’ils joueront bientôt et qu’ils attendent le début de l’histoire — au sens tout à la fois existentiel et scénique — dont la quête constitue le leitmotiv de la pièce.
La particularité des personnages de Walczak vient aussi du traitement du langage : de fait, Walczak use simultanément de plusieurs registres. Les protagonistes sont souvent des êtres qui n’ont pas les moyens de s’exprimer vraiment. Ils passent d’un langage édulcoré, emprunté aux magazines illustrés, aux livres de psychologie bon marché et aux feuilletons à succès à une langue de la rue, foncièrement brutale et vulgaire. Les deux registres sont vides de sens et les personnages, conscients de la vacuité du discours, se démasquent réciproquement. Walczak est un auteur qui sait écouter : dans ses pièces, les répliques semblent tirées de conversations quotidiennes. Il met en scène des mots qu’on prononce souvent, en oubliant ce qu’ils veulent dire et quel sens ils peuvent recouvrir après une légère modification de contexte.
Une telle approche de la langue et la représentation de registres différents passent par des choix stylistiques très particuliers, comme celui de la suppression, partielle mais systématique, de la ponctuation (surtout, l’omission des signes d’interrogation et des virgules dans les phrases composées). Ce traitement de la ponctuation conduit l’auteur à « malmener » la syntaxe, ce qui donne des effets de rupture singuliers, surtout quand ils sont au sein de tournures elliptiques, récurrentes dans les dialogues. Ces choix stylistiques paraissent fournir des indications de jeu : serait-ce une anticipation du travail de mise en scène ? Michał Walczak s’y est risqué à plusieurs reprises.
Dans notre traduction, nous avons été obligées de faire des choix, mais il nous a semblé essentiel de préserver les enjeux proposés par Walczak en respectant la démarche linguistique et stylistique de l’auteur qui aboutit à un texte hétérogène, parfois fragmentaire.

Par Monika Prochniewicz, Sarah Cillaire