L’homme qui comptait les feuilles

Chapitre 2. ERITREE

Giacomo conduit, le regard fixe, les paupières plissées pour rester concentré et se protéger du reflet de la lumière blanche de la neige, la Golf se déplace de manière assez sûre malgré la fine couche glacée sur la chaussée, faisant de légères embardées dans les virages, un mouvement que Marta relie à quelque chose qu’elle faisait petite même si aujourd’hui elle ne se souvient plus de ce que c’était ; quand ça lui arrive, quand cette sensation particulière et étrange se manifeste, elle se souvient seulement d’une chose, qu’à cette époque-là, elle se mettait à rire et qu’elle criait de toutes ses forces tourne plus vite, vas-y, et maintenant Marta revoit vaguement la figure immense de son père sur elle, le creux de ses aisselles et lui qui soupire, arrête, t’as passé l’âge de faire ça, mamma mia elle va me tuer cette petite, mais sa mère mettait fin à leur jeu en disant assez ou elle va tout vomir, alors Marta redevenait petite, une morveuse stupide sans aucun contrôle de soi.

A un virage plus serré juste après le grand parking du vieux Formificio Prealpi la voiture fait un écart brusque, Giacomo se tourne vers sa femme lui lance un regard oblique puis lui prend la main et la serre légèrement, j’ai pas peur lui dit Marta sèchement en interprétant son geste comme un encouragement, et lui se borne à sourire sans prendre la peine de parler ; elle appuie la tête contre la vitre qui lui renvoie un frisson glacial à travers la tempe et le paysage que la neige et le gel rendent monochrome donne la sensation irréelle d’un tableau lunaire dans la grisaille du couchant de cette journée brumeuse de début d’hiver, parce que les cimes des montagnes se devinent à peine, des dents acérées de requin dans la noirceur du ciel de plomb, et… écoute, écoute…, chuchote-t-elle, devenue soudain craintive, mais le portable sonne, ramenant tout à coup ses pensées sur terre, dans la voiture, un dimanche après-midi ordinaire, et la cucaracha de retentir, quel choix étrange pour le portable d’un homme si sérieux ou plutôt austère comme elle le dit toujours lorsqu’elle parle de Giacomo à ses copines, et sur la route il n’y a pas la même circulation que d’habitude, le froid semble avoir étalé les retours de ce jour férié ou peut-être que le pont de l’Immaculée Conception, qui cette année est tombé un vendredi, a déjà satisfait le besoin d’éloignement et de fuite des citadins ayant choisi un cinéma confortable en centre ville ou un après-midi devant la télé, pour s’accorder un peu de détente, un dimanche à la maison.

Ils doublent une petite file de voitures causée par un utilitaire rouge avançant très lentement, conduit par un vieux monsieur qui secoue la tête çà et là acquiesçant à on ne sait quelles pensées, puis un énorme camion portant sur le côté la gigantesque inscription rouge ‘A.C.F.- Corriere espresso’ surmontée de deux ailes bleues et jaunes, s’octroie toute la voie, indolent et presque impoli, les pneus écrasés au sol sous le poids du chargement, projetant une volute de fumée bleuâtre qui s’effiloche vers les hauteurs et se répand entre l’asphalte et le ciel, pendant que de gros flocons de neige commencent à tomber en tourbillonnant pour venir s’écraser sur le pare-brise et Giacomo enclenche les essuie-glaces qui s’activent dans un grincement plaintif. Entre-temps elle essaie de répondre au téléphone qui continue à les tourmenter à cause de la cucaracha, mais le signal est faible et du haut-parleur ne lui parviennent que deux sifflements et un bourdonnement, puis plus rien, peut-être un fax tente de glisser Marta, et il hoche la tête concentré sur la route.

Faire le poète semble un métier différent des autres, bien plus noble et sans stress mais il n’en est rien dès qu’il s’agit du travail du poète des chiffres car Giacomo est une espèce étrange de poète qui met en rime règles et diagrammes en construisant des statistiques pour les chercheurs qui à l’université se délectent de problèmes mathématiques, de pharmacologie, ou même de prévisions météorologiques et lui apportent des tas de données qu’il trouve ensuite le moyen de rendre logiques, interprétables et communicables au reste du monde ; pour Giacomo qui aime vraiment ce type de travail, les chiffres deviennent des vers, des vers et des strophes et de par son métier Giacomo a appris à se servir des mots avec précaution, non pas parce qu’il parle peu mais parce qu’il n’a pas l’habitude de parler sans raison apparente ou bien parce qu’il ne connaît pas le plaisir d’échanger gratuitement quelques paroles ou celui d’envelopper les émotions dans la voix, il n’est pas avare en mots loin de là mais il les utilise de manière essentielle et terriblement précise comme si la voix des autres lui rappelait quelque chose de terrible, d’insupportable, et lorsque Marta lui dit je suis morte de fatigue il lui fait aussitôt remarquer que non elle ne peut pas être morte puisqu’elle est en train de parler, elle peut à la rigueur être sur le point de mourir ou en avoir la sensation ou peut-être le besoin, et une fois lancé, il continue ainsi en lui énumérant des formes verbales correctes jusqu’à ce qu’elle ait envie de hurler et ce n’est qu’à ce moment-là que son mari s’arrête, toujours un instant avant qu’elle n’explose pour de bon et il lui donne une petite tape sur la joue, mais non voyons arrête de dramatiser, tu vois bien que je plaisante, et alors Marta n’arrive plus à lui faire la tête, elle est physiquement incapable de rester fâchée contre lui parce qu’elle est troublée par son profil impeccable, bien qu’il y ait encore une trace de rondeur enfantine sous le menton ; et puis il y a ce petit regard de chien battu qui lui donne cet air mélancolique et fait naître l’envie de le serrer et de le consoler même si elle ne le fait pas parce que Giacomo n’est jamais vraiment mélancolique ou triste ; il s’assombrit un tout petit peu seulement quand il lui arrive de tomber malade, un rhume ou un mal de tête, et voilà alors qu’il va et vient nerveusement dans la maison, presque déconcerté par la trahison de son corps, surtout à cause des maux de tête, altérations inacceptables pour un esprit efficace et invincible comme le sien.

La migraine : tous ceux qui ont connu madame Assunta ne peuvent s’imaginer ce que c’est qu’une migraine sans que leur apparaisse le visage de cette petite femme qui a sacrifié toute sa vie à la migraine. Lorsque Marta commença à travailler à la Bibliothèque du Département de Pédagogie, elle n’avait pas encore vingt ans, et avec la naïveté propre à l’adolescence, il lui fallut six mois pour comprendre que madame Assunta était la responsable de cette structure.
Parce que la bibliothèque, pratiquement tous les jours, c’était son mari qui la gérait : Marta ne découvrit que peu à peu la réalité de ce couple étrange.

Le Département est en centre ville, Piazza del Carmine, dans un vieil immeuble élégant qui donne sur un dédale de ruelles et d’allées. Immeubles et maisons ont été désormais rénovés pour accueillir bureaux, études d’avocats, organismes publics. Née au fil des siècles tout autour de l’ancien couvent des Carmélites, la vieille ville, qui cent ans auparavant devait foisonner de petites échoppes, de familles et d’enfants bruyants, se révèle aujourd’hui un monde différent, à part, qui passe de la frénésie diurne des employés et des cadres, toujours en train de courir d’une obligation à l’autre, au silence absolu de la nuit, lorsque le quartier se vide et que seuls restent chiens errants et veilleurs de nuit qui laissent des traces différentes de leur passage sous les porches et à côté des vitrines des magasins.

CHAPITRE 3. DEMOISELLE CHAUVE-SOURIS ET DAME TORTUE

La maison aux cheminées se trouve juste derrière un virage de la route nationale, à un peu plus d’un kilomètre du village de Borgo San Basilio, protégée du passage des voitures par quatre énormes cyprès qui clôturent le jardin. C’est une maison imposante avec un toit à quatre pans, recouverte de blocs de grès 1 allant jusqu’aux fenêtres du premier étage. Les innombrables couches de crépi peint en rose, qui montent jusqu’à la toiture, sont désormais presque toutes craquelées par les ans, le gel hivernal et le soleil de l’été, et lui donnent un air ancien, renforcé par les grandes tuiles rouges du toit, un style toscan étrange, un peu précieux pour cette campagne anonyme.

Borgo San Basilio est un hameau situé sur la première colline et fait partie de la commune de Lughera. Il est séparé du chef-lieu par le Monte dei Maggi, presque entièrement recouvert de chênes et de charmes, coupé en deux par l’ancienne nationale parsemée de virages et bordée de murets en pierre. Une colline basse faite comme un sanglot, toute en montées et en descentes, une succession de vallons et de sommets qui, été comme hiver, ne semblent être que des cachettes pour les serpents, des tas de pierrailles ; la végétation clairsemée, condamnée à vieillir sans jamais pousser jusqu’au bout, reste accrochée à la terre, inexorablement vouée à se tordre et à s’enrouler sur elle-même. Mais au printemps, quand fleurissent les cytises, toutes les couleurs changent et les collines tachetées de jaune offrent des éclairs de lumière et d’or de tous côtés, dans le moindre recoin, au moment du triomphe transitoire et fugace de cette terre ingrate et aride.

San Basilio compte en tout et pour tout cinquante maisons qui, indolentes, se pelotonnent le long du Sareno prenant sa source à vingt kilomètres plus en amont, parmi les rochers du Monte delle Due Abbazie. Le village se niche entre les charmes, à l’endroit même où la petite rivière, qui jusque là serpente et sautille comme tous les torrents, grossit et s’élargit soudain pour former deux anses endormies, comme si elle voulait se donner des airs de vrai cours d’eau. Un petit canal creusé entre deux parois abruptes sépare le vieux village, construit en bordure du Sareno, des maisons plus récentes, disséminées au milieu des champs et jusqu’aux flancs de la montagne se dressant dans le fond : un canal construit pour porter l’eau au Moulin degli Usciaioli, aujourd’hui devenu un gîte rural, ‘Il vecchio Sareno’.

Dans la grande pièce, ancien entrepôt à farines, on sert aujourd’hui, sur de longues tables en châtaignier flanquées de bancs sans dossier, des soupes à l’oignon et des côtelettes rôties avec des pommes de terre, alors que dehors le silo à grain et la maison du meunier, rénovés pierre après pierre et embellis par des volets tout neufs peints dans un beau rouge carmin, créent un contraste étrange, faussement ancien, d’un goût discutable et un peu kitsch.

La plus grande cheminée se situe dans la vieille cuisine au rez-de-chaussée, juste en face de l’entrée, au bout d’un petit couloir carré éclairé seulement par une applique posée à mi-chemin entre la porte du salon et celle, plus petite et étroite, donnant sur l’arrière du jardin, où autrefois se trouvaient des poulaillers et le potager et où demeure encore la cabane des bûcherons. C’est une cuisine d’une autre époque, spacieuse et surtout haute de plafond, une grande pièce rectangulaire avec deux énormes fenêtres ouvertes au nord sur les montagnes de l’Alpe degli Orsi.

De l’autre côté, comme pour réchauffer la vue de l’Alpe par les fenêtres en face, il y a justement la cheminée, si égoïste qu’elle occupe presque tout le mur. Un long monument en pierre, dont le foyer avance de presque un mètre dans la pièce, prêt à accueillir de gigantesques broches destinées aux rôtis tels qu’on les faisait cuire il y a cent ans, coiffé d’une hotte entourée d’une étagère en châtaignier, relativement épaisse, désormais toute noire de fumée.

Au-dessus, bien alignés, les pichets en argile et en étain, disposés en rang, des plus petits pour l’huile aux plus grands destinés au vin et à l’eau, que le temps a recouverts de poussière et de toiles d’araignées. Sur un pichet moins large, peint dans un ocre estompé, figure le dessin d’un grand château à plusieurs tours, portant en bas l’inscription ‘Gradara’. Le souvenir d’une visite faite on ne sait quand et par on ne sait qui, posé là sur la cheminée, destiné à se couvrir de poussière et de fumée. Deux énormes pinces, le balai et la pelle à cendres sont accrochés dans le coin depuis Dieu sait combien de temps, à trois vieux clous en fer plantés dans le mur entre deux pierres.

L’évier, lui aussi en pierre, se trouve en plein milieu des fenêtres, comme pour soulager celles qui se pliaient à la corvée de la vaisselle à l’eau glacée, leur offrant la vue des montagnes avec leurs dégradés de vert, du ton clair des premières pentes tachetées de champs, de vignes et de bosquets de jeunes charmes, au presque noir des forêts de sapins perchées tout là haut, quasi inaccessibles, sombres et à deux pas du ciel.

L’immeuble du boulevard De Amicis, au contraire, n’avait pas de cheminée. Rita s’y installa quand Marta avait sept ans, dans le petit appartement du rez-de-chaussée qui, pour autant qu’elle s’en souvienne, était toujours resté vide, et qu’elle avait toujours imaginé comme ayant été le logement du concierge ou du jardinier bien des années auparavant, du temps où les locataires pouvaient se permettre ce genre de choses.

On arrivait dans la cour intérieure par un porche, dont les murs portaient les traces de quelques petites portes condamnées au fil des ans par le ciment, qui se devinaient à cause de la différence de couleur entre la partie ancienne et la partie récente, malgré les couches de peinture appliquées pour tout cacher. Le grand portail moderne en fer et en verre qui séparait le porche du trottoir extérieur était tout bonnement une insulte à cette architecture ancienne et à sa poésie.

Mais au-delà de l’entrée, l’obscurité et les ombres des vieilles portes laissaient imaginer un passé grandiose. Chaque fois, Marta pensait aux accès des châteaux, dressant un pont levis à la place de cette barrière de métal, et lorsque le porche s’ouvrait vers l’intérieur de l’immeuble, c’était comme si elle quittait une moitié du monde pour entrer dans une autre, protégée et distincte : la sienne.

La cour intérieure était abritée de tous côtés par les murs rouge brique des ailes de l’immeuble : une sorte de cloître, un lieu sécurisant où l’on pouvait souffler après une mauvaise journée passée dans le monde du dehors ou se préparer avant de quitter la tranquillité de chez soi pour affronter les voitures, le bruit, les maîtresses, les copains, les magasins, le travail.

Le petit appartement du rez-de-chaussée donnait sur le seul côté où aucun escalier ne montait vers l’intérieur, dans la partie la plus étroite : par les pouvoirs étranges de l’architecture des siècles passés, la cour n’était pas carrée mais formait un trapèze à deux côtés identiques et deux autres asymétriques. Les fenêtres et la porte d’entrée de l’appartement donnaient sur le côté le plus petit, à droite du porche. Dans ce coin-là, tout avait été laissé à l’abandon depuis des lustres, même le jardin qui entourait la cour entre les pavés du trottoir et le centre du trapèze, marqué par un imposant tilleul planté là pour donner de l’ombre à un puits désaffecté, surmonté d’un arc en bronze. Sur trois côtés, les parterres étaient bien entretenus, sans mauvaises herbes entre les fleurs, rosiers et buissons étaient taillés avec soin ; devant l’appartement, en revanche, les arbustes poussaient pêle-mêle, indiquant que depuis longtemps, on n’avait plus mis le nez à ces petites fenêtres.

Traduit par Jean-François Gauvry, Mariacristina Bonini

2. ERITREA

Giacomo guida, tiene lo sguardo fisso con le palpebre corrugate per la concentrazione e per difendersi dal riflesso della luce bianca della neve, la Golf si muove abbastanza sicura nonostante il sottile manto gelato sull’asfalto sbandando leggermente solo nelle curve, è un movimento che Marta collega a qualcosa che faceva da piccola anche se oggi non ricorda più cosa fosse, quando le succede quando arriva questa sensazione particolare e strana rammenta solo che a quel punto si metteva a ridere e gridava gira più forte, ancora, e a questo punto Marta rivede vagamente la faccia di suo padre immensa sopra di lei e l’incavo delle sue ascelle e lui che sbuffa, basta sei troppo grande per queste cose, mamma mi stroncherà questa bambina, ma sua madre chiudeva il gioco dicendo smettila o vomiterà tutto e Marta ridiventava piccola, una stupida mocciosa senza nessun controllo su di sè.

A una curva più stretta proprio dopo il piazzale del vecchio Formificio Prealpi la macchina fa uno scarto brusco, Giacomo si gira verso sua moglie le lancia un’occhiata di sbieco poi le prende la mano e la stringe leggermente, non ho mica paura gli dice secca secca Marta interpretando il suo gesto come un incoraggiamento, e lui si limita a sorridere senza neanche prendersi la briga di parlare, lei appoggia la testa al finestrino che le rimanda un brivido gelato attraverso la tempia e il paesaggio reso monocolore dalla neve e dal ghiaccio dà un senso di reale come un quadro lunare nel grigio del tramonto di questa giornata caliginosa d’inizio inverno, perchè le vette dei monti s’intuiscono appena, denti appuntiti di pescecane nel nero del cielo plumbeo, e senti, senti…, sussurra lei fattasi improvvisamente timorosa, ma il cellulare suona improvviso riportando i pensieri a terra dentro l’auto in un normale pomeriggio di domenica, suona la musica della cucaracha, che strana scelta per il telefonino di un uomo così serio anzi serioso come lei dice sempre di Giacomo se ne parla alle amiche, e per strada non c’è il solito traffico e il freddo sembra aver diluito il rientro festivo o forse il ponte dell’Immacolata che quest’anno è caduto di venerdì ha già accontentato il bisogno di lontananza e di fuga dalla città delle persone che hanno scelto un comodo cinema in centro un pomeriggio davanti alla televisione concedendo una domenica alla casa e ad un po’ di pigrizia.

Superano una breve colonna creata da un’utilitaria rossa che procede lentissima guidata da un vecchio che sta scuotendo la testa qua e là assentendo a chissà quali pensieri, e poi un camion enorme con una scritta gigantesca rossa sul fianco ‘A.C.F. – Corriere Espresso’ sormontata da due ali blu e gialle che indolente e quasi maleducato si prende tutta la carreggiata con le gomme schiacciate a terra dal carico mandando una scia di fumo azzurrognolo a sfilacciarsi verso l’alto e a spandersi tra l’asfalto e il cielo, mentre grossi fiocchi di neve cominciano a cadere turbinando e si schiacciano sul parabrezza e Giacomo fa partire i tergicristalli che cigolano con un rumore lamentoso e intanto prova a rispondere al telefono che continua a tormentarli con la cucaracha, ma il segnale è debole e dal vivavoce arrivano solo due fischi e un ronzio e poi più nulla, forse un fax prova a dire Marta e lui annuisce concentrato sulla strada.

Fare il poeta sembra un mestiere diverso dagli altri e molto più nobile e privo di stress ma non è così se il lavoro è quello di poeta dei numeri, perchè Giacomo è un tipo strano di poeta che mette in rima le regole e i diagrammi costruendo statistiche per i ricercatori che all’Università si dilettano di problemi matematici o di farmacologia o persino di previsioni meteorologiche, e gli portano mucchi di dati che lui poi trova il modo di rendere logici interpretabili e comunicabili al resto del mondo, e per Giacomo che ama questo suo lavoro i numeri diventano versi, versi e strofe, e dal suo mestiere Giacomo ha imparato la cautela che ha nell’usare le parole, non perchè parli poco ma perchè non conosce la gratuità del discorrere o il piacere di scambiare qualche chiacchiera o quello di avvolgere le emozioni con la voce, non è avaro di parole questo no ma le usa in modo essenziale e terribilmente preciso come se le voci degli altri gli ricordassero qualcosa di terribile e di insopportabile, e quando Marta gli dice sono morta di stanchezza lui le fa subito notare che non può essere morta perchè invece parla, può semmai essere sul punto di morire o averne la sensazione o magari il bisogno, e una volta partito va avanti così enumerandole le forme verbali corrette fino a che le vien voglia di urlare e solo allora il marito la smette, sempre un attimo prima che lei esploda sul serio e le dà un buffetto, ma dai dai sdrammatizza, non lo vedi che scherzo, e Marta allora non riesce mai a tenergli il muso, è fisicamente incapace di restare arrabbiata con lui perchè è commossa da quel suo profilo perfetto ma con un accenno ancora di rotondità infantile sotto il mento, e poi ci sono gli occhi appena appena all’ingiù che gli danno un’aria malinconica che fa venir voglia di stringerlo e di consolarlo, anche se lei non lo fa perchè Giacomo non è mai davvero malinconico o triste e si rannuvola un po’ solo quando gli capita di ammalarsi, un raffreddore o un mal di testa , ed ecco che allora gira irrequieto per casa quasi sconcertato dal tradimento che gli ha fatto il suo corpo, soprattutto per i mal di testa, alterazioni inaccettabili per una mente efficiente e invincibile come la sua.

Il mal di testa: nessuno che abbia conosciuto la signora Assunta può riuscire a pensare a un mal di testa senza che gli compaia davanti la faccia di questa piccola donna che all’emicrania ha sacrificato tutta la sua vita. Quando Marta iniziò a lavorare nella Biblioteca del Dipartimento di Pedagogia non aveva ancora ventanni, e con l’ingenuità di un’adolescenza non ancora finita ci impiegò sei mesi a capire che la signora Assunta era la responsabile di quella struttura. Perchè la Biblioteca, praticamente tutti i giorni, la portava avanti il marito: Marta scoprì soltanto un poco alla volta la realtà di quella coppia bizzarra.

Il Dipartimento è in centro, in Piazza del Carmine, in un vecchio caseggiato signorile affacciato su un dedalo di vicolini e viuzze. Palazzi e case sono stati ormai tutti ristrutturati per accogliere uffici, studi di avvocati, enti pubblici. La città vecchia nata nei secoli tutta attorno all’antico convento delle suore Carmelitane e che cento anni prima doveva esser stata tutto un brulicare di famiglie, negozietti e bambini vocianti, oggi è un mondo diverso e a se stante che passa dalla frenesia diurna degli impiegati e dei professionisti, sempre a correre tra un impegno e l’altro, al silenzio assoluto della notte, quando il quartiere si svuota e rimangono solo i cani randagi e i metronotte a lasciare segnali diversi del loro passaggio negli androni e a fianco delle vetrine.

3. LA BAMBINA PIPISTRELLO E LA DONNA TARTARUGA

La casa dei camini è proprio dietro una curva della statale a poco più di un chilometro dal paese di Borgo San Basilio, nascosta alle auto che passano da quattro enormi cipressi piantati a confine del giardino padronale. È una casa massiccia con tetto a quattro acque, rivestita di bozze di pietra serena fino alle finestre del primo piano. Le vecchie infinite mani di intonaco dipinto di rosa che salgono al tetto sono ormai quasi tutte screpolate dagli anni, dal gelo dell’inverno e dal sole estivo, e danno un senso di antico che è rinforzato dalle grandi tegole rosse sul tetto, uno stile toscano strano e un po’ vezzoso per questa campagna anonima.

Borgo San Basilio è una piccola frazione della prima collina e fa parte del Comune di Lughera. È divisa dal capoluogo dal Monte dei Maggi, quasi interamente coperto di quercioli e carpini e tagliato a metà dalla vecchia statale tutta curva e muretti di pietra. Una collina bassa fatta come un singhiozzo, tutto un su e giù di vallette e di greppi che dall’estate all’inverno sembrano solo nascondigli per serpi, pietraie e ciuffi di piante destinate a invecchiarsi senza crescere mai fino in fondo, avvinghiate alla terra ed intente soltanto a contorcersi e ad arrotolarsi su se stesse. Ma in primavera, quando fioriscono i maggiociondoli, cambiano tutti i colori, e le montagnole punteggiate di giallo offrono lampi di luce e d’oro da ogni angolo, dentro ogni anfratto, nel breve transitorio trionfo di questa terra arida e ingrata.

Cinquanta case in tutto a San Basilio, pigramente accoccolate lungo il Sareno che nasce venti chilometri più in su tra le roccie di Monte delle Due Abbazie. Il paesino si nasconde fra i carpini proprio dove il piccolo fiume, che fin lì serpeggia e saltella come tutti i torrenti, si distende invece all’improvviso allargandosi a formare due anse assonnate quasi volesse darsi arie da vero corso d’acqua. Un canaletto scavato tra due ripidi muri di roccia divide la parte vecchia del paese, costruita proprio addosso al fiume, dalle case più nuove, distese verso i campi e contro la montagna che sta sullo sfondo: un canale costruito per portare l’acqua al mulino degli Usciaioli, che oggi è stato ristrutturato come sede di un agriturismo, ‘Il vecchio Sareno’.

Nello stanzone che era il vecchio deposito delle farine adesso si servono, su lunghi tavoli di castagno affiancati da panche senza spalliera, minestroni di cipolla e braciole arrosto con le patate, mentre fuori i depositi del grano e la casa del mugnaio, ristrutturati sasso per sasso e resi vezzosi dagli scuroni nuovi dipinti di un bel rosso carminio, fanno un contrasto strano, un finto vecchio dal gusto discutibile e un po’ kitsch.

Il camino più grande è nella vecchia cucina che sta a piano terra, proprio di fronte all’ingresso, dopo un corto corridoio quadrato illuminato solo da una lampada a muro messa a metà tra la porta della sala e quella più piccola e stretta che dà sul retro del giardino, dove una volta erano i pollai e l’orto e dove è rimasta la capanna dei boscaioli. È una cucina d’altri tempi, grande e soprattutto alta, uno stanzone rettangolare con due enormi finestre aperte a nord verso le montagne dell’Alpe degli Orsi.

Sull’altro lato, quasi volesse scaldare l’immagine dell’Alpe dalle finestre di fronte, c’è appunto il camino, così egoista che si prende quasi tutta la parete.
Un lungo monumento di sasso con l’aiola di pietra che avanza di quasi un metro dentro la stanza, pronta ad accogliere spiedi giganteschi per arrosti che possono immaginarsi solo cento anni fa, e con la cappa circondata da un posaoggetti di castagno alto uno spanno e ormai tutto annerito dal fumo.

Sopra, ben allineate, le brocche di argilla e di peltro, messe in fila cominciando da quelle piccine per l’olio fino alle più grandi e alte per il vino e per l’acqua, impolverate tutte dalle ragnatele e dal tempo. Una brocca più stretta è dipinta con un’ocra attenuata e ha il disegno di una grande castello a più torri con la scritta ‘Gradara’ tutto attorno alla base. Il ricordo di una gita fatta chissà quando e da chi, messo sopra il camino a riempirsi di polvere e di fumo. Due molle enormi, la scopa e la paletta per la cenere stanno appese nell’angolo da chissà quanto tempo, su tre vecchi chiodi di ferro piantati nel muro tra un sasso e l’altro.

L’acquaio, di sasso come il camino, sta proprio in mezzo alle finestre, quasi a rasserenare il lavoro di chi lavava i piatti con l’acqua gelata tenendogli innanzi la vista dei monti con le loro gradazioni di verde, dal chiaro delle primi pendici punteggiate di campi, di vigne e di boschetti e di carpino giovane, al quasi nero delle foreste di abeti lassù in cima, lontanissime, buie e a due passi dal cielo.

Invece, il palazzo di viale De Amicis non aveva camini. Rita andò ad abitarvi quando Marta aveva sette anni, nell’appartamentino a piano terra che era sempre rimasto vuoto da quando lei si ricordava e che aveva sempre immaginato dovesse esser stata l’abitazione del portiere o del giardiniere molti anni prima, quando gli inquilini potevano permettersi questo tipo di cose.

Al cortile interno del palazzo si arrivava attraverso un androne a volta, che aveva sulle pareti i segni di alcune piccole porte chiuse negli anni col cemento e che s’intuivano per il diverso colore che parte vecchia e parte nuova mantenevano, nonostante varie mani di imbiancatura avessero cercato di nascondere tutto. Il grande portone nuovo di ferro e di vetro che divideva l’androne dal marciapiede esterno era proprio un insulto a quell’architettura antica e alla sua poesia.

Ma di là dall’ingresso il buio e le ombre delle vecchie porte facevano immaginare tutto un grande passato. E Marta ogni volta pensava agli accessi dei castelli, mettendo un ponte levatoio al posto di quel confine di metallo, e quando l’androne si apriva verso l’interno del palazzo era come lasciare come una metà del mondo per entrare in un’altra, riparata e divisa: la sua.

Il cortile interno era protetto nei quattro lati dalle pareti rosse a mattoni delle ali del caseggiato: una specie di chiostro, un angolo sicuro dove tirare il fiato dopo una brutta giornata passata nel mondo di fuori o dove ambientarsi prima di lasciare la tranquillità di casa e affrontare le macchine, il rumore, le maestre, i compagni, i negozi, il lavoro.

L’appartamentino del piano terra si affacciava sull’unico lato dal quale non salivano scale per l’interno, nella parte più stretta. Perchè il cortile, per quelle strane magie architettoniche dei secoli scorsi, non era quadrato ma disegnava un trapezio con due lati identici e due invece asimmetrici. Su quello più corto alla destra dell’androne, si affacciavano le finestre dell’appartamentino e la sua porta d’ingresso. Da quella parte tutto era stato abbandonato da un sacco di tempo, persino il giardino che cingeva tutto il cortile tra il marciapiede di porfido e il centro del trapezio, segnato da un gran tiglio messo lì a fare ombra su un pozzo in disuso sormontato da un arco di bronzo. Le aiuole su tre lati erano ben curate, e senza erbacce tra i fiori e con le rose e i cespugli potati con attenzione; ma di fronte all’appartamentino crescevano invece gli arbusti in disordine, a segnalare la lunga mancanza di occhi affacciati a quelle piccole finestre.

Par Marco Mazzoli

L’Uomo che contava le foglie est un drame psychologique construit comme un puzzle constitué de fragments éclatés d’existences solitaires et douloureuses, difficiles à recoller, dont le fil conducteur est la recherche de soi. L’histoire se construit sur des va-et-vient incessants entre passé et présent, dans un mouvement constant de déconstruction et de reconstruction de la réalité.

Les personnages tentent d’échapper à un quotidien souvent pesant et frustrant, mais aussi confortable et rassurant. Le récit présente une dimension universelle et intemporelle en raison des profils humains choisis et des thématiques développées. N’importe quel lecteur peut s’identifier aux protagonistes, somme toute ordinaires, menant des existences plutôt routinières, rythmées par des obligations et des responsabilités banales. Derrière cette impression de tranquillité, apparaissent toutefois des zones d’ombre que les personnages cherchent à dissimuler sans y parvenir forcément, que ce soit des souffrances physiques, un mal-être intérieur ou des obsessions incontrôlées.

La souffrance est d’abord physique, notamment chez les personnages féminins. Sous prétexte d’être élégantes, les femmes ont les pieds enfermés dans des chaussures trop étroites qui leur font saigner les chairs. Assunta, responsable d’une bibliothèque universitaire, souffre de fréquentes migraines qui l’empêchent de rester concentrée sur son travail.

Chez d’autres protagonistes, il s’agit plutôt de mal-être moral exprimé clairement à travers des pathologies addictives : par exemple, la boulimie constatée chez une jeune fille surnommée « la Balughina » en raison des quantités faramineuses de nourriture qu’elle ingurgite pour compenser une frustration évidente due à l’emprise étouffante de sa grand-mère, « la Baluga », sur le reste de la famille. À l’instar de la Balughina, le père de Rita, affublé du surnom péjoratif « Quell’Uomo » (« Ce type-là ») par Altea (la mère de son amie Marta), s’adonne à une consommation excessive d’alcool entraînant des séjours réguliers à l’hôpital qui le rassurent car ils lui permettent d’échapper à ses obligations familiales.

D’autres, obsédés par l’ordre et le classement comme « Patirai » (mari « souffre-douleur » d’Assunta) et Giacomo (époux statisticien de Marta), essaient vainement d’apporter une organisation à un environnement perpétuellement déstructuré. Le premier, quand il remplace sa femme à la bibliothèque, s’acharne désespérément à répertorier des livres qu’il ne parvient jamais à rassembler en totalité, faute de les voir revenir à l’endroit où ils sont censés être. Le deuxième ramasse inlassablement les feuilles qui tombent en pluie autour de la maison de son enfance, conscient qu’une bourrasque de vent suffit à toutes les disséminer, voire à les réduire en poussière.

Le sentiment de chaos latent que confère cet assemblage de vies morcelées est renforcé par une narration fondée sur un équilibre précaire, rythmée par un style oscillant entre la cadence effrénée de certaines phrases et un flux langagier mieux maîtrisé, comme chez un individu aux facettes contradictoires. D’un côté, le débit très rapide d’une personnalité se perd dans un discours intérieur, jamais extériorisé, traduisant une urgence à vivre, une absence à combler, un manque à compenser, quitte à se perdre dans le tourbillon sonore du quotidien, de peur que le silence et le vide ne s’installent. De l’autre, une vraie voix narrative, cohérente, prend en main le récit en organisant le discours d’une manière structurée et en contrôlant le flux langagier, ménageant des pauses et des respirations entre ses phrases, tel un alter ego redevenant rationnel.

La fragilité et l’incertitude qui composent la trame narrative apparaissent également dans les va-et-vient constants entre passé et présent, élément récurrent de la structure du roman. Pareilles à deux forces contraires, impossibles à concilier, ces deux époques sont vouées à se télescoper. La réalité du quotidien, souvent source de frustration, de marasme et de déception, est occultée par l’évocation de souvenirs à jamais révolus, planant comme de lointaines ombres spectrales, ou reconstruite par l’idéalisation de personnages ordinaires, tous cantonnés à une routine étriquée ou condamnés à une inexorable fuite en avant à laquelle ils se sont passivement résignés. Une influence de la tragédie pirandellienne (« le sentiment de la fatalité a remplacé l’action de la fatalité ») que l’on retrouve dans le personnage de Marta, qui disparaît brutalement à force d’avoir oscillé entre l’entité unique qu’elle cherchait à être et les nombreuses personnalités fragmentées qu’elle incarnait.

Comme un film qu’on projette sur un écran de cinéma, le texte déroule le fil très fragile de nos vies, toujours tendu par nos interrogations, nos doutes et nos contradictions qui tournent en boucle dans nos têtes comme un manège infernal sans parvenir à un point d’équilibre. Ce « roman d’apprentissage », complètement en phase avec des problématiques intemporelles telles que la quête du bonheur, la recherche d’une stabilité, la construction d’un destin dans un monde sans cesse en mutation, la fuite inexorable du temps, la conscience de la mort, suggère finalement que l’éclatement inévitable d’une famille, d’un couple ou l’explosion psychologique d’un individu constituent un processus de guérison possible nous permettant de nous délivrer de nos névroses et représentent une étape nécessaire à la maturation et à l’affirmation de soi.
Maria Cristina Bonini et Jean-François Gauvry

Marco Mazzoli est né à Verghereto, dans les Apennins de Romagne, et travaille à Forlì comme psychothérapeute. Il est l’auteur de plusieurs nouvelles ayant été remarquées dans des concours nationaux. Son premier roman, Il Lupo sotto il mantello, écrit à quatre mains avec Caterina Ferraresi et édité par Pontevecchio, a remporté le prix Mario Tobino en 1997. L’Uomo che contava le foglie, publié par Mobydick en 2001, a été présenté au festival du premier roman de Chambéry. En 2003, les mêmes éditions publient Isole, son troisième roman.

Mariacristina Bonini : formée à l’ESLMIT de Trieste et à l’INALCO, elle traduit de l’italien, de l’espagnol, du portugais et de l’anglais. Particulièrement intéressée par la linguistique et l’histoire de l’art, elle participe à des ateliers de traduction en France (ETL) et en Italie (Traduttori in movimento). Elle a notamment traduit :

Le modernisme, Éditions Mengès – Place des Victoires, Paris, 2011.

Francesco Tiradritti, [La Peinture murale égyptienne-http://www.librairielorguaise.fr/livre/737028-peintures-murales-egyptiennes-francesco-tiradritti-citadelles-mazenod], Citadelles et Mazenod, Paris, 2007.

Paolo Pieraccini, "Le Saint-Sépulcre au temps de la domination ottomane", Religions et Histoire, Édition Faton, Dijon, 2013.

Mini Dictionnaire Larousse, français-italien, édition 1995.

Jean-François Gauvry arrive à la traduction par le biais des Arts décoratifs, en traduisant du français vers l’anglais des guides du visiteur. Il intègre ensuite le Master 2 de traduction littéraire dispensé à l’Institut Charles V (Paris 7) et il poursuit son activité de traducteur de l’anglais et de l’italien dans le domaine d’urbanisme. Il travaille également pour plusieurs galeries d’art. Il a notamment traduit :

Cristiana Mazzoni, Yannis Tsiomis, Paris, métropoles en miroir, Éditions La Découverte, Paris, 2012.

Ernest J. Gaines, Le nom du fils, Éditions Liana Levi, Paris, 2013.

Des textes sur l’architecte d’intérieur Pierre Chareau inclus dans Buying Antique and Modern Furniture in Paris de Thérèse et Louise Bonney, Éditions Norma, Paris, 2014.

Ensemble, ils traduisent actuellement trois auteurs italiens contemporains : Marco Mazzoli, Anna Correale et Marco Innocenti.