Explorations sur le terrain du sexe ukrainien

On pourrait dire aussi, lors d’une intervention quelque part dans une université américaine, ou bien d’une conférence de «triple-ei-dabl-es» [1], ou au Kennan Institut de Washington, ou à tout autre endroit où pourrait t’emmener le vent méchant, cent maximum deux cents bucks de cachet plus le voyage pris en charge – et tu dois remercier chaleureusement, tu n’es pas Evtouchenko ni Tatiana Tolstaia pour en toucher mille par apparition, mais t’es qui toi, franchement, une Ukrainian écrabouillée, enfant d’un appartement communautaire guilleret de l’époque de Khrouchtchev dont tu essaies de t’échapper de toutes tes forces, en vain. Une cendrillon qui traverse l’océan pour réprouver, lors d’un dîner chez Sheffield en compagnie de quelques prix Nobel (en irradiant dans tous les sens en quatre langues simultanément) le déclin idéologique de la civilisation moderne, après quoi revenir dans sa cuisine kyivienne de 6 mètres carrés, se disputer avec maman et s’abaisser à expliquer aux rédacteurs locaux que « là où je suis sera ma patrie » ne veut absolument pas dire « ubi bene, ibi patria », ne serait-ce que parce qu’à cause de cette patria à la noix tu ne te sens bene ni chez Sheffield, ni chez Tiffany, ni à Hawaï ni en Floride, nulle part et jamais, car la patrie ce n’est pas juste une terre de naissance, la véritable patrie est la terre qui réussit à te tuer, même à distance, à l’instar d’une mère qui tue son enfant adulte, lentement et inexorablement en le retenant auprès d’elle, entravant chacun de ses mouvements et chacune de ses pensées par sa présence envahissante. Mais qu’ai-je à pérorer en long et en large, le sujet de mon intervention de ce jour, Mesdames et Messieurs, tel qu’il est indiqué dans le programme, est justement « Les explorations sur le terrain du sexe ukrainien » et, avant d’attaquer, je tiens à vous remercier tous, présents et absents, pour votre attention en rien justifiée à l’égard de mon pays et de mon humble personne, car on aurait beau chercher, on n’a jamais été gratifié d’un excès d’attention, autrement dit, on y crevait méprisé et dédaigné (je suis, moi, dans une position privilégiée, car si j’avais osé, si j’avais envoyé tout balader et pris la pleine poignée de cachets du flacon jaune vif, on aurait retrouvé mon corps très vite, disons trois jours plus tard : Chris, la secrétaire de la fac téléphonerait dès le premier cours raté, donc ce serait abuser de se plaindre, j’ai tout de même un fil-toile d’araignée aussi fin et lâche soit-il, pour tirer la sonnette d’alarme et faire savoir au monde mon énième – dernier cette fois – départ. Et si quelque chose était arrivé à cet homme, là-bas, dans la forêt, bien que je ne pense pas qu’il lui arrive quoi que ce soit, il ne le fera jamais lui-même, il a trop de hargne pour cela, eh bien s’il lui arrivait quelque chose, Marc et Rosie se rendent tout de même chez lui tous les jours), – donc, Ladies and Gentlemen, je vous prie de ne pas vous presser de qualifier le présent cas d’amour comme pathologique, car l’intervenant n’a pas encore dit l’essentiel. Et l’essentiel, Ladies and Gentlemen, réside dans le fait qu’en l’occurrence, c’était le premier homme ukrainien dans la vie du sujet d’expérimentation. Vraiment, le premier.

Le premier tout prêt – à qui il NE fallait pas apprendre la langue ukrainienne, transbahuter aux rencarts – uniquement afin d’élargir l’espace intérieur commun – livre sur livre de sa propre bibliothèque (Lypynsky [2], Hrouchevky [3], mais aussi Horska [4] dont il n’avait pas entendu parler, ni de Svitlytchny [5] d’ailleurs, il avait derrière lui d’autres années soixante, pas de problème, je t’en apporte demain !), et au moment des murmures amoureux se souvenir l’espace d’un instant « non le refuge des rêves - maison bienheureuse… » [6] se lancer sur le champ dans un commentaire d’une demi-heure sur la vie et l’œuvre de l’auteur – tu sais, c’était un poète des années trente en Ukraine occidentale, - et c’était ainsi toute la vie durant ! – une professionnelle de l’ukrainisation, comme si tu leur implantais un nouvel organe. Un jour notre Ukraine indépendante, ou plutôt pas-encore-morte [7], si d’ici là elle ne meurt pas, devrait introduire une distinction spéciale, pour le nombre de lits ukrainisés, alors tu pourrais fourguer une liste de convertis ! Celui-ci était le premier homme de ton monde, le premier avec lequel tu n’échangeais pas que des mots, mais d’un seul coup, l’immensité des trésors incandescents, illuminés de l’éclat sous-terrain que ces paroles faisaient découvrir, et dès lors deviser était facile comme respirer ou rêver, et la conversation se buvait sur les lèvres desséchées, et y goûter faisait tourner de plus en plus la tête, oh, cette liberté jamais éprouvée d’être soi-même, ce jeu, enfin, à quatre mains sur tout le clavier, l’inspiration de l’improvisation, combien d’énergie rieuse se libère, lorsque chaque note – allusion ironique, nuance, espièglerie, touche – résonne à l’instant relevée par l’autre, une culbute dans l’air tout simplement par excès de force, une pique joyeuse – plus près, je peux ? – et voilà que tout devient plus ambigu, plus risqué, et voilà déjà le corps-à-corps, et voilà que le moteur est éteint (parce que tu es tout de même montée dans sa voiture, après avoir visité son atelier, après avoir compris les yeux dans les yeux, qui il était), – un passage impétueux vers une autre langue, avec les lèvres, la langue, les mains – et tu t’écartes dans un râle : « Allons chez toi… dans l’atelier… ». La langue a résolument raccourci l’espace entre vous : tu l’as reconnu, il est comme toi, il est des nôtres, de la même race! Et c’est en elle, dans la langue, qu’il y avait tout ce que vous ne retrouverez jamais dans le lit.


«Gosh, if he only weren’t such a damned good painter ! » disais-tu assise au bar « Chez Christopher » à Porter-Square, tu as bu à jeun deux verres de cabernet-sauvignon et cela t’a un peu détendue : pour la première fois pendant ces mois à Cambridge un remontant vertigineusement basique et audacieux, voilà j’ai bu – je me suis enivrée – je me suis louée, dommage personne pour chanter. Lisa et Dave écoutaient comme les petits un conte de Noël, en oubliant de faire crisser leurs chips, Slavic Charm, disent-ils. Tu aimais ce bar, ses teintes sourdes vert bouteille qui faisaient songer aux tables de poker, tout comme la lumière tamisée qui repousse les visages dans la pénombre, et les hommes agglutinés au comptoir regardant le match de base-ball, et le brouhaha des voix, et la nuit derrière les fenêtres lointaines, son marc marronâtre épais qui fait fondre le jaune des fruits confits des réverbères, – tout cela à la fois, car c’est l’unique manière d’entrer dans le monde de l’autre, en acceptant tout à la fois, de tous les sens, et tu savais le faire, tu es tout simplement fatiguée depuis toutes ces années de pérégrinations sans foyer, d’aimer le monde de ta solitude : passer anonymement sans être reconnue par personne à travers les aérogares crépusculaires, les restaurants et les bars aux lumières chaudes, les bords de mer au bruissement croissant des vagues contre le gravier, ou les hôtels matinaux avec le café dans les halls. «Where are you from ?» - «Ukraine» - «Where is that ?» Tu es fatiguée de ne pas être de ce monde, fatiguée de traîner à la maison serrant entre les dents ces concentrés de beauté aspirés par des lèvres assoiffées et vociférer joyeusement « Venez voir ! ». Mais à la maison, dans ton pauvre pays brutalisé, le pays des fonctionnaires aux pantalons pendants et aux vestes couvertes de pellicules, pays des écrivains obèses capables de lire une seule langue tout en oubliant de s’en servir vraiment et des hommes d’affaires malins aux yeux fureteurs et aux manières d’anciens secrétaires du komsomol, - tout cela ne tenait pas debout, ployait et ne bandait que par l’excès de bile de son inaccessibilité nébuleuse, encodé dans les noms et les réalités inconnues ; le pays des autodidactes courtauds (toujours, on ne sait pourquoi, avec les jambes petites et arquées comme chez les jockeys : c’est génétique ou quoi ?), qui ont mariné quelque part dans une quelconque bibliothèque de province portant le nom de Griomine à l’époque où tu avais l’outrecuidance (ou bien la chance du pendu, croyaient-ils ?) de traîner tes guêtres dans la Widener d’Harvard ou on ne sait où ailleurs. Tu étais fatiguée du non partage de ton amour pour le monde, et cet homme, à peine t’es-tu retrouvée dans son atelier, plantée (avec des lunettes double foyer) devant les toiles qui se bousculaient près du mur ramassant la poussière et qui se déployaient l’une après l’autre, - tu as en un éclair deviné ton unique et parfaite chance de non solitude dans cet amour, justement parce qu’il était such a damned good painter, - mais c’eut été peine perdue de le faire comprendre à Lisa et Dave et tu n’as même pas essayé. Impressionnée, Lisa souriait de sa bouche au rouge artificiel qui ressemblait à un mollusque de corail en état d’excitation, et ses yeux humides brillaient : What a story ! Oh oui, une love story terriblement romantique, avec incendies et accidents de voiture (car une nuit il a bousillé en mille morceaux la fameuse voiture), avec une disparition mystérieuse du protagoniste et le départ de l’héroïne de l’autre côté de l’océan, avec un tas de poésies et de tableaux et, l’essentiel, ce sentiment constant, pénétrant et indicible qui en vérité a eu raison de toi : le sentiment que tout est possible. Cet homme jouait sans règles ou, plus précisément, jouait selon ses règles, en véritable génie kantien, dans son champ d’attraction toute logique prévisible des événements devenait faillible, il était dès lors lui-même the land of opportunities et, quoi que recèlent ces opportunities à l’avenir – la mort dans un accident de la route (non, mon Dieu, non, pas ça !) ou un défilé triomphal dans tous les musées du monde, - rien à cirer, peu importe, tout pour briser, s’extraire de l’ornière, de cette sempiternelle ukrainienne condamnation à la non existence.

C’est un autre sujet, Ladies and Gentlemen, Mesdames et Messieurs, pardonnez-moi d’abuser de votre temps, il ne m’est pas facile d’en parler, qui plus est je suis réellement malade, mon corps éreinté, affamé et, si on cessait de jouer avec les euphémismes, tout simplement violenté, n’a de cesse depuis trois mois de se rappeler à mon souvenir par un léger frissonnement interne, particulièrement chavirant - jusqu’à défaillir ! – en bas du ventre où je ressens à chaque instant une palpitation pressante et vive, et lorsque j’écarte les doigts, ils commencent instantanément à vivre leur propre vie bougeant chacun de son côté, comme s’ils étaient rattachés à des fils tirés en rythme dispersé, et je ne parle pas des boutons roses qui poussent comme chez une ado dont fleurissent le visage et les épaules et il n’y a rien à y faire, le corps malmené est encore vivant et exige son dû, il crève de l’élémentaire manque sexuel, il aurait pu reprendre du poil de la bête et sautiller comme un lapin si on l’avait bien baisé, mais malheureusement ce problème n’est pas facile à régler, surtout quand on est complètement seul dans un pays étranger et dans une ville inconnue, dans un appartement vide où le téléphone ne sonne que pour te proposer – l’occasion unique, seulement cette semaine ! – un ex-cep-tion-nel rabais pour l’abonnement au canard local, et d’où tu sors trois fois par semaine, à l’université où une demi-douzaine de gamins américains soignés, avec leurs chaussures et leurs chaussettes blanches, proprement lavés et désodorisés, à la peau et aux dents saines et humides, suivent de leur regard de poisson rouge de bocal tes aller-retours dans la salle de classe, gribouillent, Dieu seul sait quoi !, doucement dans leurs cahiers pendant que tu te remontes toute seule (car il faut bien tenir une heure et quart !), pour leur expliquer passionnément que non ! Gogol, tel qu’il était, n’avait pas d’autre choix à l’époque que d’écrire en russe ! que tu pleures, que tu danses – il n’avait pas le choix ! (et toi non plus, à part écrire en ukrainien, bien que ce soit de nos jours la chose la plus ingrate à faire sur cette terre, car même si par on ne sait quel miracle tu arrives à sortir quelque chose qui soit « plus fort que le Faust de Goethe », comme disait un fameux critique littéraire, la chose sombrerait quelque part dans les rayonnages de bibliothèques sans être lue comme une femme qui n’a pas été aimée, de longues années durant jusqu’à ce qu’elle refroidisse, car les textes qui n’ont pas été goûtés ou utilisés, qui n’ont pas été nourris de l’énergie de la pensée adverse, finissent par refroidir, et comment ! si le courant de l’attention des lecteurs ne les emporte à temps et ne les fait ressurgir, ils coulent telle une pierre dans les abîmes et se recouvrent de vase froide et collante comme tes livres non vendus qui prennent la poussière quelque part dans les librairies de ton pays. C’est le sort qui a frappé presque toute la littérature ukrainienne, car on peut compter sur les doigts d’une main non pas les auteurs mais les textes qui ont connu ce bonheur : les doigts engourdis et les larmes dans les yeux tu as lu la traduction reçue en Amérique de la « Chanson sylvestre » [8], une version autorisée destinée à une scène de Broadway, et tu prenais ton pied comme un drogué par sa respiration accélérée et ardente, elle vivait ! vivait toujours, soixante-dix ans plus tard, sur un autre continent, dans une autre langue, incroyable mais elle avait ressurgi ! Toi non plus tu ne peux choisir – écrire en russe ou en anglais – ta première poésie publiée en anglais, qui plus est dans une petite revue confidentielle, a reçu une réaction extatique de quelque part du Kansas, de The Review of Literary Journals, tu m’en diras tant, et Macmillan a l’intention de t’inclure dans son anthologie de la poésie féminine du XXe siècle, «You are a superb poet», disent les éditeurs du coin (traînant les pieds cependant avec la publication), merci je sais, tant pis pour moi – tu n’as pas de choix, mon trésor, pas parce que tu ne réussirais pas à changer de langue, tu pourrais parfaitement le faire en t’y appliquant un tant soit peu, mais parce que tu es condamnée à garder fidélité aux morts, à tous ceux qui auraient pu écrire en russe, en polonais et certains même en allemand, et mener une autre vie, mais qui se sont jetés comme des bûches au feu dans le brasier évanescent de l’ukrainien, sans que cela produise quoi que ce soit, excepté des destins brisés et des livres oubliés, et pourtant tu es là aujourd’hui, incapable de piétiner tous ces gens, incapable un point c’est tout, les étincelles de leur présence scintillent de temps à autre dans le présent recouvert de cendre et c’est là ta famille, ton arbre généalogique, aristocrate de mes deux, je vous présente mes excuses pour une introduction inhabituellement longue, Ladies and Gentlemen, d’autant plus qu’elle n’est pas connexe à notre sujet).

[...]


La peur venait tôt. La peur se transmettait en héritage – il fallait avoir peur de tous les étrangers (quiconque manifestant de l’intérêt pour toi était en vérité envoyé par le KGB pour savoir de quoi on parle à la maison, et alors les mêmes tontons viendraient de nouveau mettre papa en prison – les plus suspects étaient ceux qui se lançaient dans les conversations séditieuses : en première, lors d’un concours municipal de littérature, je fis la connaissance d’un premier de classe binocleux, l’élève d’une école spécialisée en mathématiques avec une peau extraordinaire pour un adolescent, comme une pêche fraîchement épluchée, et dont on apercevait de profil sous les lunettes à double foyer des cils de fille, longs et soyeux, et lorsqu’il riait, tout son corps se raidissait comme cela arrive aux garçons très nerveux de l’intelligentsia qu’on ne laisse pas jouer seuls dehors mais que l’on sort se promener sur une luge tirée par une corde, la moitié du visage emmitouflée dans un cache-nez. Ce genre de garçons tombaient inexorablement amoureux de toi, cependant ils lisaient beaucoup et aimaient discuter de leurs lectures, et le premier de la classe de l’école de maths, qui soutenait ton bras comme une prothèse sur le sol glissant d’une manière gauche et démodée – c’était l’hiver, et les trottoirs enneigés scintillaient à chaque pas d’une noirceur glissante et traîtresse – eut l’imprudence de demander « l’écrivain ukrainien Vynnytchenko [9] , tu connais ? » – ton cœur explose instantanément : ça y est, les voilà, les mises en garde de papa et maman ! – l’œil malicieux à la Lénine (l’essentiel est que tu l’aies senti comme tel !), cette lenteur que l’on savoure en gourmet, alors voyons, vas-y, continue, je te vois, tu réponds, « non, je n’ai pas lu », et après avoir laissé au premier de la classe dérouler tout ce qu’il savait sur l’UNR , sur l’émigration (tu écoutais, n’ayant plus l’ombre d’un doute sur la personne à qui tu avais affaire, frémissant de la douleur exquise du danger tout proche), tu le refroidis de la seule manière possible, en martelant chaque mot d’une voix tambourinante de chef de pionniers (« Unité ! Alignez-vous ! Gar-rr-r-de à vous ! ») pour lui signifier que tu n’es nullement intéressée par ces ordures d’émigrés, à une époque où la situation internationale est si compliquée et tendue, et que tu as toujours été révoltée par les jeunes qui écoutent les radios étrangères, – il écarquilla ses deux paires d’yeux de verre comme s’il avait oublié de respirer : un hérisson se promenait dans la forêt, il oublia de respirer, et creva – bien fait pour lui ! Elle était contente d’elle comme jamais : premier test d’adulte et un sans faute !).

Non, elle a toujours dit qu’elle ne voulait pas revivre son adolescence – ces pénibles tentatives de s’échapper du cocon familial coulé dans le béton, comprimé à l’intérieur, hors des murs d’où se répandaient les brumes toxiques de la peur, un bourbier marécageux où le moindre faux pas, la plus petite erreur – et tu tombes dans le gouffre mortel (à la radio que père écoutait le soir, l’oreille collée tout entière contre le poste qui émettait des râles assourdissants, laissant filtrer de temps à autre un sifflement métallique menaçant, dangereusement croissant, on transmettait les Mémoires de Snegirev [10] mourant, on énumérait les organes opérés, les reins et les vessies éclatés, les chocs insuliniques, les sondes violemment enfoncées, les mares de sang et de vomi sur les sols en ciment – les communiqués de l’abattoir, la découpe des carcasses : Martchenko [11], Stous [12], Popaduk [13], toutes les semaines de nouveaux noms, des hommes jeunes et beaux, à peine plus âgés que toi, à la crinière généreuse, tu en rêvais comme les filles rêvent des vedettes de cinéma, lorsque l’un d’eux sortirait libre, couvert de stigmates et aguerri, vous vous rencontreriez – seulement ils n’étaient jamais libérés, les ondes s’emplissaient de leur agonie, papa était de ce côté-là et écoutait, d’année en année, depuis qu’il était devenu chômeur, il restait à la maison et écoutait la radio) – il n’y avait nul endroit où s’échapper, partout, des réunions du komsomol, des réunions politiques et une langue étrangère, là où on ne pouvait que sortir – comme lorsqu’à l’âge de quatre ans on te place sur un escabeau au milieu de la pièce pour réciter une poésie aux taties et aux tontons – c’était bien la seule chose à faire, leur rendre d’une voix mécanique et sonore le fruit de leur propre enseignement, et c’était là l’unique garantie de sécurité – une médaille d’or, un diplôme rouge, un avancement « à la queue leu-leu », bon sang, combien d’inepties passées par la tête ! – et à quinze ans, une dépression, des douleurs inexpliquées à l’estomac, le papounet qui courait dans tous les sens à en perdre les jambes, te trimbalant d’un médecin à l’autre, qui ne trouvaient rien, tu traînais au lit et versais des larmes hystériques à la moindre remarque – la fille à papa, la prunelle de ses yeux, c’est lui qui veillait les ailes déployées sur tes premières règles, expliquant posément que c’est très bien, que cela arrive à toutes les filles, ne te lève pas, reste allongée – il apportait au lit comme à une malade des tranches de pomme dans une soucoupe, et tu restais couchée, chiffonnée et immobile, effrayée par une nouvelle sensation, entre la honte de savoir son secret découvert – mais quel secret peut-on avoir pour son papa ? – et, et quelque chose de circonspect-déchirant, vulnérable-incertain – un sentiment qui reviendra avec la perte de la virginité (dont tu réussiras à te débarrasser seulement après la mort de papa !), et puis, à chaque fois ce même sentiment d’éternelle soumission filiale, d’immuabilité de l’ordre familial, ce qui fait bien évidemment perdre la tête aux hommes sans qu’ils y comprennent quelque chose («Qu’est-ce que t’es bonne, toi!»), et ensuite tu les laisses tomber.

Tu t’échappais, tu fuyais, et comment ! – toute en coudes pointus d’excroissance souveraine, ado boutonneuse, torturée jusqu’aux larmes par sa propre gaucherie, la même paire de collants aux sombres cicatrices reprisées, et une robe – un uniforme scolaire aux pétales luisants que les frottements de coudes faisaient briller, tu allais aux soirées de l’école dévotement comme un musulman à la mosquée ! – vêtue d’une blouse empruntée et d’une jupe étriquée, datant de l’époque pionnière – haut-blanc-bas-noir, et tu te tourmentais d’amère convoitise en reluquant les autres filles fringuées « en adulte », coiffées chez les « vrais » coiffeurs, épanouies tout d’un coup comme les proverbiales cerisaies près de la maison [14] – dans le scintillement du rouge à lèvres nacré et les machaons noirs des cils Lancôme – un mascara bleu coûtait dix roubles alors que le salaire de maman, qui vous faisait vivre tous les trois, en atteignait péniblement cent cinquante, que peut-on faire d’autre sinon voler dans le cartable de la reine du lycée, imprudemment laissé ouvert au vestiaire, un tube à vrai dire bon marché de fabrication polonaise et à moitié usé, en te disant pour te rassurer que ce n’était pas une si grande perte pour l’autre, et ce fut bien le cas, et pourtant, le XIXe siècle, le classique pain de Jean Valjean et Cosette devant la vitrine d’un magasin de poupées, et la honte, et la peur, et le secret doux et inavouable, comme les exercices exhibitionnistes seule devant le miroir, – tu te maquillais maladroitement dans les toilettes de l’école en laissant dépasser sous les yeux les marques noires de la brosse, et après la soirée tu lavais, tu arrachais violemment à l’eau froide le mascara sur les paupières rougies dans les mêmes toilettes : quelle horreur si papa l’avait vu – papa qui avait si peur pour elle qu’il constituait des dossiers sur chacune de ses copines : toutes des dépravées, qui fument et embrassent les garçons, vociférait papa jusqu’à devenir écarlate et elle, il faut lui rendre justice, qui hurlait en réponse, puis pleurait dans la salle de bain – surtout ce jour mémorable lorsqu’il l’a frappée au visage en pleine rue, à l’arrêt du tramway, parce qu’elle s’était absentée pour aller quelque part et qu’il a cru qu’elle le fuyait – mais elle était revenue, elle revenait toujours, docilement, car elle n’avait nulle part où fuir, et lui, sans un mot, l’a giflée de tout son élan – évidemment s’en sont suivis des câlins-embrassades, des bisous-excuses, « mon petit », « ma petite fille adorée » – après quelques heures chauffées à blanc de pleurs, de lamentations, de portes claquées, accompagnées du clapotis des intrusions désespérées de maman – maman n’était pas visible dans tout cela, maman était de toutes les manières frigide, à l’évidence, surexposée comme un verre noir réfléchissant (plus tard, les premiers mois de ton mariage, elle fera irruption un matin dans la chambre des jeunes mariés en faisant sonner joyeusement un réveil : levez-vous, le petit déjeuner est prêt ! – juste au moment où, et après un esclandre retentissant, elle pleurera comme une orpheline dans la cuisine, effrayée et désemparée : je voulais faire au mieux ! – dès lors, après s’être rassasiée et avoir fini de trembler de tout ton corps chambardé, c’est toi qui la consoleras en fin de compte) – mais comment pouvait-elle être autrement que frigide – enfant de la famine (en 1933, âgée de trois ans, elle cessa de marcher, et grand-mère alla à Moscou en train de marchandises avec moult changements pour échanger sa dot – deux superbes rangées de perles de Méditerranée – contre deux sacs de pain grillé), enfant nourrie grâce aux épis ramassés dans les champs pour lesquels, prise en flagrant délit, elle sera corrigée d’un coup de fouet sur la joue par un surveillant du kolkhoze – on voit toujours un fin filet blanc, Dieu merci cela s’arrêta là, car le père, c’est-à-dire ton grand-père, draguait déjà l’or quelque part dans le Nord, une décennie et demie plus tard, ton père, c’est-à-dire son mari ferait de même, alors qu’elle – qui s’en sort, les épis sont oubliés, et elle finit par manger à sa faim, une vingtaine d’années plus tard, lorsqu’après avoir terminé ses études universitaires elle commencera à travailler – alors que les soviétologues américains au loin n’arrivent pas à percuter pourquoi dans cette génération il y a autant de bonnes femmes difformes-rondouillardes et qu’ils ne cessent de relire en long et en large et entre les lignes à la lumière Fromm avec Jung – elles avaient envie de bouffer à vingt ans, de bouffer et rien d’autre! – s’étrangler avec les rations étudiantes de pain, s’empiffrer des deux mains, ramassant les miettes, jamais de leur vie elles n’ont su ce que clitoris veut dire (tu as pris conscience de leur sort pour la première fois dans une pharmacie : on vendait à l’improviste des protections hygiéniques, il y avait une file, composée exclusivement de jeunes nanas qui garnissaient rapidement leurs sacs, et les mémés s’en approchaient en interrogeant humblement : «Les filles, qu’est-ce qu’il y a dans ces paquets ? – C’est pour les femmes, les femmes!» rétorquaient dédaigneusement les filles – signifiant, ce n’est pas pour vous – et les mamies décontenancées clignaient des yeux sans rien comprendre – maman était par conséquent aussi innocente que l’Agnus Dei, ou plutôt la Vierge Marie (elle avait en effet quelque chose de virginal, sur les photos de la fin des années cinquante, l’époque où elle a enfin pu manger, une fille illumine la photo de sa douceur, à ne pas en détacher le regard – un visage délicat, allongé, au petit nez pointu – un type de beauté perdu, tendre, comme auréolé d’un sourire intérieur, un portrait cosaque baroque de près de trois siècles : Roxolane [15] – Varvara Apostol – Varvara Langychivna [16] – oui, glorieux était l’Hetmanat, mais il est révolu ! – il y en a toujours, des beautés charnues-parées, de sous-le-cerisier, mais de celles-là plus jamais, Grand Dieu, déjà ta malheureuse beauté est plus rustre, plus vulgaire – n’oublie pas de corriger : était !) – maman, oiseau de paradis, agnelle offerte, achevait un doctorat sur la poétique dans un appartement communautaire d’une «khrouchthchovka» [17] , pendant que dans la cuisine, sa voisine – une cantinière ouvrière, celle qui devait « diriger l’État » [18] (mère-célibataire – cinq enfants de cinq pères différents), ajoutait dans sa casserole de borchtch des torchons et des dents (les dents de lait – de sa progéniture probablement ?), mais elle termina sa thèse, pile en 1973 [19], lorsqu’en tant qu’épouse d’un élément peu fiable, sa thèse plein les bras, elle fut boutée hors de l’université, dès lors, le jour de ta soutenance (que diable voulais-tu en faire ?) fut sa fête et elle se réjouissait comme un enfant, « si seulement papa était encore en vie ! » – mais comment, par la grâce de Dieu, avec quoi pouvait-il être en vie – jeté au fond même d’un puits, s’accrochant spasmodiquement à la margelle : tout sauf le retour dans les camps ! – enterré vivant entre quatre murs – écouter la radio, fumer à travers la fenêtre et regarder avec effroi comment inéluctablement, pousse hors de lui, échappe à l’enfermement par la force même de la croissance organique, l’unique femme de sa vie – celle qu’il engendra ?

« Soulève ta chemise, je veux voir comment tu te formes » (n’est-ce pas la même intonation soucieuse-impérative – « Retourne-toi, je veux te prendre par derrière » – qui, vingt ans plus tard, à peine perçue, soulèvera en toi une sensation obscure de foyer ?), – et peu importe que tu n’aies jamais aimé par derrière, peu importe que tu aies d’abord refusé de soulever la chemise, blessée comme une grande, – face à une autre émotion douce, et autrement profonde et humide : mon enfant, c’est moi, ton papa ! – à la suite de quoi, la chemise, on n’y coupe pas, se soulevait, – une exposition qui mélangeait la honte et le trouble, une première expérience bien plus forte que les genoux qui se touchent sous le bureau de l’école, – et pourtant elle s’échappait, mon Dieu, oui, et comment ! – comme une âme suppliciée de sous la hache, mais où ?

– Auprès des copains, sorties-danses, groupes de rock, compétitions sportives et premières embrassades aveugles dans la pénombre des salles de sport – ridicule, à aucun d’eux elle ne pouvait raconter qu’au bout de trois ans, ceux-là sont tout de même venus, la peur du père s’était finalement matérialisée, car la peur se matérialise toujours – par le tourbillon des crissements savoureux des ceinturons de cuir et de la fraîcheur extérieure qui s’engouffre entre quatre murs, par la sensation de l’occupation soudaine de la pièce – trois mâles impressionnants aux joues rosies par le froid, les cartes professionnelles alignées – «préparez-vous», papa qui cherche frénétiquement des papiers, déplaçant de ses mains tremblantes quelque chose sur le bureau, écrasé et pitoyable, et tu bondis sur eux du coin de la pièce en redressant le dos de l’adolescence boutonneuse vert-pâle, un cri étouffé, une mèche barrant le visage, en t’égosillant : « De quel droit, comment osez-vous ! » – ce n’était pas très réussi, c’était franchement nul, ceux-là t’ont cassée (un jeune officier, fine moustache, s’appliquait, le salaud, pour sûr sa première grande mission, et quelle mission – arrêter un antisoviétique !) – ils t’ont repoussée du pied (« cela ne vous regarde pas, vous êtes trop jeune encore »), et les parents (les visages noircis, comme si on avait glissé du papier photo sous la peau) de même, à peine avais-tu sauté, se mirent dans leur affolement à agiter les bras-imposer silence-étouffer – mais ce premier échec ne t’a pas arrêtée, car tu es, il avait raison l’autre – une femme audacieuse, un trésor : plus tard, déjà étudiante, en 1980, sortant en bande avec un soupirant-chéri au théâtre, à l’occasion d’une tournée moscovite triomphale, au hasard, car personne n’avait de billet, riant à gorge déployée, se dardant de répliques en boules de neige, on prenait d’assaut le guichet en compagnie de nos semblables : la veille du Nouvel An, la jeunesse, personne ne voulait se séparer, d’où les flics – une nuée de paniers à salade, des manteaux gris qui tracent les sillons dans le groupe, qui le pénètrent par grosses vagues, et diable sait comment un instant avant tout était une plaisanterie, une farce, peu importe, si on n’entrait pas, et bien on irait boire un café sur le Khrechtchatyk [20], la belle affaire ! – et voilà que l’ami du soupirant-chéri – le plus posé de la bande – petit et frétillant comme une vis qu’il suffisait de presser d’un petit coup et il serait passé ! – avait été repéré et extirpé du troupeau tassé et mugissant, traîné sous les bras par deux gaillards en uniforme, sans toucher le sol, alors que le reste de la compagnie s’engageait, désemparée, à leur suite, sans savoir que faire, et lui déjà en chant de cygne : « Les gars, mais quoi, les gars, lâchez-moi », ses jambes s’agitaient dans l’espace, séparées du corps, ton lapin, une armoire à glace de deux mètres, lambinait derrière comme un somnambule et ne cessait de marmonner – « mais non, c’est rien, qu’est-ce qu’ils peuvent lui faire » – alors que le panier était déjà prêt, la portière arrière ouverte, et toi, de nouveau, la femme pleine d’audace – tu bondis sous les roues telle une panthère, de ce corps désormais beau et fort, une foudre à longues jambes en pelisse courte, au point que deux flics qui poussaient déjà le pauvre mec dans le véhicule en sont tombés à la renverse : « Les garçons, – la voix sonore taille soudain au point de faire trembler tout autour – mais qu’est-ce que vous avez, franchement ? » – et tu arraches le jeune homme de leurs mains : les « garçons », les gorilles, desserrent l’étau et, ramollis, se retirent, bredouillant quelque chose comme « mais c’est lui », – ah, oui, sans doute il avait résisté et même laissé échapper sans doute quelque moquerie – le soupirant survient, on ramasse la victime, et on prend nos jambes à notre cou ! (et la première nuit avec cet homme, lorsqu’il roulera crânement sous « la brique » du sens interdit et que la police l’arrêtera –, lui, petit et courbé, la veste de cuir soudain pendouillant comme un préservatif usé, il leur expliquera quelque chose dans la rue, pantois, les gars, mais quoi, j’ai rien fait – toi, patientant dans l’auto, tu ouvriras résolument la portière, tu sauteras dehors et faisant résonner les talons contre le bitume, tu secoueras ta crinière, concentrant les regards avides des mâles en ceinturon, tu riras d’un rire brûlant capable d’allumer un feu : « Qu’est-ce qui se passe les gars ? On n’a rien fait de mal », et le flicard sera désarçonné, s’effacera, se dispersera au vent, – bon, d’accord, allez, mais faites attention à l’avenir – et le matin, te dévorant de ses yeux brillants lorsque tu seras couchée sur le canapé, à moitié recouverte d’un plaid, il dira, lentement, en savourant un sourire triomphant au coin des lèvres : « T’es une meuf balaise – sortir tout de suite casser la gueule aux flics… On peut te prendre en mission » – et tu seras submergée d’une vague de fierté infantile : enfin, enfin, on l’a remarquée – car il est de ceux-là – comme libérée après toutes ces années, et vous vous êtes rencontrés, – car il est plus qu’un frère, une patrie et une maison…).

La peur se glissait de l’extérieur à travers les clôtures par un courant d’air âcre, alors qu’à la maison il faisait chaud, presque trop, une dépression juvénile, non, la neurasthénie, des cachets stupides, le sempiternel « trente-sept deux », et les pleurs plusieurs fois par jour, la femme médecin lui ordonna de se déshabiller et au père de sortir – « La fille est déjà grande » – elle fut interloquée que papa, au lieu de défendre ses droits – c’est tout de même son enfant qui devait être examiné ! – se soit traîné penaud vers la porte, décontenancé et amoindri comme s’il avait été pris sur le fait (le plus curieux, réfléchit-elle avec la précision d’un chirurgien, c’est qu’il était bel homme, volubile, plein d’esprit et de vie, il plaisait aux femmes et aurait très bien pu faire un écart ailleurs, pourquoi préservait-il tant sa pureté comme une vieille fille galicienne, est-ce parce que maman l’avait épousé alors qu’il n’était pas encore réhabilité, et toute sa vie il se crispait intérieurement de peur de l’entendre dire ce qui le rongeait tout entier – qu’il avait gâché sa vie, et qu’il avait tout aussi peur de rester sans elle ?) –, il était jugé cette fois uniquement pour parasitisme (gardé un seul jour au poste), et on se contenta de l’envoyer comme veilleur sur un chantier, il était assis dans une guérite de verre, ouvrant la grille aux camions bennes, et le reste du temps il lisait Bruno Schulz, au sujet duquel il avait osé rêver écrire un jour un livre, mais ne le fit jamais (il avait un goût sûr en littérature, seule l’érotique lui était insupportable, tel un censeur catholique !), – sa peur panique devant son irrémédiable croissance « jusqu’où !? » – s’enracinait dans le corps et sciait petit à petit ses entrailles avec une scie émoussée, mais le cancer fut diagnostiqué trop tard, lorsqu’il était déjà inopérable, tout le système génital était touché, la prostate et les testicules (tous les jours, maman râpait des carottes pour lui faire du jus, et les pressait à la main, rassemblant la pulpe dans le gaz, ses doigts d’ancienne guitariste devinrent jaunâtres, indélébiles et jaune-sale, ils se pliaient à peine, et la fille à papa courait la nuit vers la cabine téléphonique à l’angle de la rue pour appeler les urgences, et lorsque maman, les yeux blancs d’épouvante, lui annonça en rentrant de l’hôpital le diagnostic, qu’il fallait cacher à papa, sa première pensée (qu’elle ne se pardonnera jamais) fut froide et implacable, comme sifflée à travers des dents serrées : Dieu soit loué !), au fond, ce n’était rien d’autre qu’une guerre – une guerre sans vainqueur, car ayant épuisé tous les moyens pour atteindre son but (écraser d’un genou, remettre au berceau, « elle n’est encore qu’une enfant », on voulait un garçon mais ça ne fait rien, elle est parfaite, elle leur fera payer à tous pour nous) – l’homme recourt au dernier expédient – la mort, et cela – rien à faire – convainc : tu prends définitivement son parti. Et ton adolescence que tu reniais, que jamais au grand jamais tu ne voudrais revivre, te rattrape vingt ans plus tard, elle remonte des coins les plus reculés de ton être, une fille-adolescente pétrie de larmes et de peur, qui te submerge toute entière, et rit avec des éclats retentissants: alors, tu as réussi à t’enfuir ?...

Et si c’était vrai – les esclaves ne devraient pas mettre au monde des enfants ? se demandait-elle, fixant mollement la fenêtre : la première neige était tombée la nuit, mais elle a fondu depuis, seules les vitres des voitures garées le long du chemin luisaient comme des crânes bovins. Un noir marche sur le trottoir en sautillant, vêtu d’une veste rouge vif et d’une casquette de base-ball bleue, les mains enfouies dans les poches : il commence à faire froid. Car qu’est-ce que l’esclavage sinon l’inoculation de la peur ? – elle glisse sous la main un bloc-notes ouvert, rempli à moitié de ce genre d’aphorismes qui ne font ni chaud ni froid comme le manuel de la logique formaliste. L’asservissement est l’inoculation de la peur. Et la peur tue l’amour. Et sans amour, tout – enfants, poésie, tableaux – tout devient porteur de mort. Vingt sur vingt, jeune fille. You have completed your research.

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Traduit par Iryna Dmytrychyn

А ще можна б сказати - виступаючи з доповiддю в якому- небудь американському унiверситетi, або на конференцiї "трiпл-ей- дабл-ес", або в Кеннан Iнстiт’ют у Вашiнгтонi, або де тебе ще там i далi носитиме лихим вiтром, сто, максимум двiстi баксiв гонорару плюс сплачена дорога - i дякуй гречненько, ти не Євтушенко й не Татьяна Толстая, щоб дiставати по тисячi за виступ, та хто ти ваще така, слиш, ти, забацана Ukrainian, дитя вiдрадненської комунальної "хрущовки", з якої цiлий вiк марно силкуєшся вирватись, Попелюшка, що летить через океан понарiкати за вечерею у Шеффiлда з парочкою Нобелiвських лауреатiв (промiнячись навсiбiч, чотирма мовами нараз за одним столиком сиплючи) на iдейну вичерпанiсть сучасної цивiлiзацiї, по чiм вертається в свою київську кухню площею 6 кв.м. сваритися з мамою й принижено тлумачити рiдним редакторам, що "де я, там i буде вiтчизна" - то зовсiм не значить "ubi bene, ibi patria", - бодай тому, що через цю саму довбану patria тобi нi у Шеффiлда, нi у Тiффанi, нi на Гавайях, нi на Флоридi, нiде й нiколи не є bene, бо вiтчизна - то не просто земля народження, правдива вiтчизна є земля, котра потрапить тебе вбивати - навiть на вiдстанi, подiбно як мати повiльно й невiдворотно вбиває дорослу дитину, утримуючи її при собi, сковуючи їй кожен порух i помисл власною обволiкаючою присутнiстю, - а, що там розводитися довго, тема мого сьогоднiшнього виступу, ледi й джентльмени, - як i зазначено в програмi, "Польовi дослiдження з українського сексу", i, перш нiж перейти до неї, хочу подякувати всiм вам, присутнiм i вiдсутнiм, за нiчим не виправдану увагу до моєї країни й моєї скромної особи, - от чим як чим, а увагою ми досi розбещенi не були: по-простому сказавши - здихали, на фiг нiким не завваженi (я тут ще в досить упривiлейованому становищi, бо якби зважилась, плюнула й висипала в рота разом усю решту таблеток iз жовтогарячого слоїчка, то тiло виявили б досить хутко, десь, либонь, день на третiй: Крiс, факультетська секретарка, зателефонує, тiльки-но я не з’явлюся на лекцiю, отже, грiх нарiкати, ниточка-павутиночка, хай i тонюня - провисла, щоб, за неї шарпнувши, дати свiтовi знати про свiй черговий, цим разом останнiй, вiд’їзд, у мене все-таки є, - i якби з тим чоловiком щось сталося там у пущi, - хоч я й не думаю, аби з ним щось сталося, вiн нiколи не вчинить цього сам, забагато має в собi злостi для такого дiла, - то Марк i Розi щодня ж навiдуються до нього), - так ось, ледi й джентльмени, прошу не поспiшати квалiфiкувати розглянутий випадок закоханостi як патологiчний, бо доповiдач iще не сказав головного - головне ж, ледi й джентльмени, полягає в тому, що в життi пiддослiдної то був перший український мужчина. Направду - перший.

Перший готовий - кого не треба було вчити української мови, тябричити йому на побачення, виключно аби розширити спiльний внутрiшнiй простiр порозумiння, книжку за книжкою з власної бiблiотеки (Липинський, блiн, Грушевський, i про Горську вiн також не чув, анi про Свiтличного, за ним були зовсiм iншi шiстдесятi, добре, я тобi завтра принесу!), а в часi любосного воркотання мимобiжно згадавши "Не захист мрiй - блаженний дiм..," тут-таки запускатися в пiвгодинний коментар про життя i творчiсть автора - це, знаєш, був у тридцятi такий поет на Захiднiй Українi, - i отак, хай йому грець, все життя! - професiйна українiзаторка, наче ще по одному органу їм усiм нарощуєш, коли-небудь наша незалежна, чи радше ще-не-вмерла, якщо до того часу не вмре, мала б запровадити якусь спецвiдзнаку - за кiлькiсть українiзованих койкомiсць, ти б їм загаратала список тобою навернених! - а то був перший мужчина з твого свiту, перший, з ким обмiнювалося не просто словами, а зараз усiєю бездоннiстю мерехких, колодязним зблиском пiдсвiчених тайникiв, тими словами вiдслонених, i тому говорилося легко, як дихається й сниться, i тому пилося розмову смажно висушеними вустами, i впивалося все запаморочливiше, о, ця нiколи не знана сповна свобода бути собою, ця гра, нарештi, в чотири руки по всiй клавiатурi, натхненнiсть iмпровiзацiї, скiльки iскристої, смiхотливої енергiї вивiльняється, коли кожна нота - iронiчний натяк, вiдтiнок, дотеп, доторк - умент резонує, пiдхоплена спiврозмовцем, кульбiт у повiтрi, просто вiд надмiру сили, жартiвливе колiнце - ближче: можна? i от уже - двозначнiше, ризикованiше, i от уже - впритул, i от уже, заглушивши мотор (бо ти таки сiла, врештi-решт, у ту його машину - пiсля вiдвiвин майстернi, пiсля того, як угледiла навiч, хто вiн), - навальний перехiд на iншу мову: губами, язиком, руками, - i ти, вiдхиляючись зi стогоном: "Поїхали до тебе... В майстерню..." , - мова рiзко скоротила ваш шлях назустрiч одне одному: ти впiзнала: свiй, в усьому - свiй, одної породи звiрюки! - i в нiй же, в мовi, було все, чого нiколи потiм не було мiж вами в лiжку.


"Gosh, if he only weren’t such а damned good painter!"1 - казала ти, сидячи в барi "У Крiстофера" на Портер-сквер, ти випила натще два келихи каберне-совiньйон, i тебе трошки розпружило - вперше за тi кембрiджськi мiсяцi, запаморочливо легким, дерзновенним пiдняттям, ой випила - вихилила, сама себе похвалила, ех жаль, нема з ким заспiвати, - Лiса i Дейв слухали, як малята рiздвяну казку, забувши хрумтiти чiпсами, Slavic charm,2 ось як це в них називається, - ти любила той бар, глуху пляшкову зелень декору, яка наводила на гадку про ломбернi столики, так само як i низькi свiтла, що вiдсувають лиця у притемок, i чоловiкiв, скупчених при шинквасi за спогляданням бейсбольного матчу, i гул голосiв, i нiч за далекими вiкнами, її густий коричневий вар, в якому плавляться жовтi цукати лiхтарень , - все нараз, бо тiльки так i дається увiйти в свiт чужого: приймаючи все нараз, усiма змислами, i ти це вмiла, ти просто втомилася, за всi роки бездомних блукань, любити свiт самотою - проходити анонiмною й нерозпiзнаною через сутенiючi аеровокзали, ресторани й бари з теплими вогнями, морськi узбережжя з надбiгаючим шелестом прибою по рiнi, вранiшнi готелi з кавою в холлi, - "Where are you from?" - "Ukraine", - "Where is that?"3 - ти втомилась не бути в цьому свiтi, втомилась волiкти додому в зубах спрагло виссанi з нього згустки краси й радiсно лементувати: "Адiть, дивiться!" - але вдома, в твоїй бiднiй забембанiй країнi - країнi урядовцiв в обвислих штанях i всiяних лупою пiджаках, оплилих письменникiв, зугарних читати лиш одною мовою, та й з того вмiння нестак-то вжиткуючих, i бистрооких, жучкуватих бiзнесовцiв iз навичками колишнiх комсомольських секретарiв, - все воно якось нi до чого не крiпилося, провисало непритокмане й ото хiба тiльки до виливу жовчi дрочило, своєю туманною, зашифрованою в незнайомих iменнях i реалiях недосяжнiстю, натоптуваних домашнiх самоукiв (чомусь незмiнно - на куцих, жокейськи вивернутих ногах: порода така, чи що?), закваснiлих де-небудь в обласнiй публiчнiй бiблiотецi iменi Грьомiна в час, коли ти мала нахабство (чи може, дурне щастя, думалось їм?) вештатися по Гарвардськiй "Вайденер" i де там ще, - ти втомилась нероздiленiстю своєї любовi до свiту, i в тому чоловiковi - щойно опинившись у нього в майстернi, станувши (в окулярах з товстими скельцями) перед розвернутими лицем, одне за одним, полотнами, що громадилися вздовж стiн, назбируючи порохи, - ти блискавично вгадала свiй єдиний, кругло-довершений шанс на несамотнiсть отої любовi, - саме тому, що вiн був such а damned good painter,4 - але вже це Лiсi з Дейвом годi було розтлумачити, ти й не намагалася, Лiса вражено всмiхалася своїм неправдоподiбно яскравим, схожим на збудженого коралового молюска ротом, i очi їй волого блищали: What а story!5 О так, страшенно романтична love story - з пожежами й автокатастрофами (бо ту славнозвiсну машину вiн одної ночi взяв та й розгепав, казав, на друзки), iз таємничим зникненням протагонiста й вiд’їздом героїнi за океан, з купою вiршiв i картин, а головне - з цим постiйним, непередаваним наскрiзним вiдчуттям, якому, власне, ти й улягла: вiдчуттям, що все можливо: той чоловiк грав без правил, точнiше, грав за власними, як правдивий кантiвський генiй, в його силовому полi пробуксовувала будь-яка передбачувана логiка подiй, так що був вiн сам собi the land of opportunities,6 i що вже там серед тих opportunities не чаїлося вготованим на майбутнє - смерть в черговiй з ряду автокатастрофi (нi, Господи, нi, тiльки не це!) а чи трiумфальний прохiд по свiтових музеях, - наплювати, дарма, аби тiльки виламатися, вимачкуватися з колiї - з отої вiковiчної вкраїнської приреченостi на небуття.

Це окрема тема, ледi й джентльмени, панi й панове, перепрошую, якщо забираю вам забагато часу, менi нелегко про все це говорити, до того ж я дiйсно тяжко недужа, моє зацьковане, виголоднiле, а коли не бавитися евфемiзмами, так i просто згвалтоване тiло третiй мiсяць невгаває в дрiбненькому нутряному дрожi, особливо жаскому - до млостi! - внизу живота, де повсякчас чую давучий битливий живчик, i коли розчепiрюю пальцi, то вони негайно починають жити самостiйним життям, ворушачись кожен зосiбна, нiби натягненi на порiзненi, в незгiдних ритмах посмикуванi ниточки, я вже мовчу про бубнявi, як у пiдлiтка, рожевi прищi, котрими зацвiтають обличчя i плечi, i нема на те ради, - горопашне тiло ще живе, воно качає права, воно доходить з елементарної сексуальної голодухи, воно б, може, й оклигало, i заплигало зайчиком, якби його всмак трахнули, але, на жаль, цю проблему не так легко розв’язати, надто коли ти сама-одна в чужiй країнi й чужому мiстi, в порожнiй квартирi, де телефон озивається хiба на те, щоб запропонувати тобi - рiдкiсна нагода, тiльки на цьому тижнi! - ко-ло-саль-ну знижку на передплату мiсцевої газети, i звiдки вигрiбаєшся тричi на тиждень - до унiверситету, де пiвдюжини охайних, взутих у бiлi шкарпетки й кросовки, чистенько вмитих i дезодорованих американських дiтлахiв iз здоровими, аж вогкими шкiрою й зубами, водячи за тобою, як манджаєш туди-сюди по аудиторiї, поглядами акварiумних рибок, щось там - один Бiг вiдає, що! - тихенько шкробають собi в зошити, поки ти, сама себе накручуючи (ну бо треба ж якось протриматись годину з чвертю!), палко тлумачиш їм, що не було! не було в Гоголя, такого, який вiн був, натодi iншого вибору, окрiм як писати по-росiйськи! хоч плач, хоч гопки скачи - не було! (i в тебе - також немає, окрiм як писати по-українськи, хоч це i є, либонь, найяловiше насьогоднi заняття пiд сонцем, бо навiть якби ти, якимось дивом, устругнула в цiй мовi що-небудь "посильнее "Фауста" Гете", як висловлювався один знаний в iсторiї лiтературний критик, то воно просто провакувалось би по бiблiотеках нечитане, мов невилюблена жiнка, скiлькись там десяткiв рокiв, аж доки почало б вихолодати, - бо нерозкуштованi, невживанi, непiдживлюванi енергiєю зустрiчної думки тексти помалу-малу вихолодають, ще й як! - якщо тiльки потiк читацької уваги вчасно не пiдхоплює й не виносить їх на поверхню, каменем iдуть на дно й криються нездирним зимним лепом, як твої нерозпроданi книжки, що пилюжаться десь удома по книгарнях, таке сталося майже з цiлою українською лiтературою, можна на пальцях вилiчити - не авторiв навiть, а поодинчi твори, яким пощастило, - з отерпом у пучках i сльозами в очу ти читала надiсланий тобi тут, в Америцi, переклад "Лiсової пiснi", авторизовану версiю, призначену для бродвейської сцени, кайфувала, як наркоман, од її прискореного жагучого вiддиху: живе! живе, не пропало, через сiмдесят лiт, на iншому континентi, в iншiй мовi - скажи ж ти, випливло! - розумiється, що iншого - писати по-росiйськи чи по-англiйськи, на перший же твiй вiрш, видрукуваний англiйською, i то в цiлком малопомiтному журналi, екстатично вiдгукнулось, звiдкiлясь трохи чи не з Канзасу, якесь там "Тhe Review of Literary Journals", це ж треба, i Макмiллан збирається включити його до антологiї свiтової жiночої поезiї ХХ-го столiття, "You are а superb poet",1 - кажуть тобi тутешнi видавцi (зволiкаючи, проте, з книжкою), спасибi, я знаю, тим гiрше для мене, - але в тебе нема вибору, золотце, не тому, що не зумiла б змiнити мову, - пречудово зумiла б, якби трохи помарудитись, - а тому, що заклято тебе - на вiрнiсть мертвим, усiм тим, хто так само несогiрше мiг би писати - по-росiйськи, по-польськи, дехто й по-нiмецьки, i жити зовсiм iнше життя, а натомiсть шпурляв себе, як дрова, в догоряюче багаття української, i нi фiга з того не поставало, крiм понiвечених доль i нечитаних книжок, а однак сьогоднi є ти, котра через усiх тих людей переступити - негодна, негодна i все, iскорки їхньої присутностi нема-нема та й укидаються в повсякденному, навзагал геть спопiлавiлому буттi, i оце й є твоя родина, родове твоє древо, аристократко забацана, прошу пробачення за непризвоїто довгий вiдступ, ледi й джентльмени, тим бiльше, що до нашої теми вiн, властиво, не тичеться).

[...]


Страх починався рано. Страх передавався у спадок - боятись належало всiх чужих (кожен, хто виявляв до тебе зацiкавлення, був насправдi пiдiсланий КГБ, аби вивiдати, про що у вас розмовляється вдома, а потiм знову прийдуть тi дядi й посадять татка в тюрму, - особливо пiдозрiлими були тi, хто заводив вiльнодумнi балачки: класi в дев’ятому на мiськiй олiмпiадi з лiтератури познайомилася з окуляристим вiдмiнником iз математичної школи - вiн мав рiдкiсну для пiдлiтка шкiру - як щойно очищений персик, i, пiд ненормально товстими окулярами, видно було в профiль, - темнi й густi, мов шовк, дiвочi вiї, а смiючись, напружувався цiлим тiлом, як то буває з дуже нервовими, iнтелiгентними хлопчиками, котрих не пускають у двiр гратися самих, а виводять на прогулянку на повiдочку санчат, замотавши вище носа вовняним кашне, - такi хлопчики завжди в тебе закохувалися, на те не було ради, а втiм, вони багато читали й любили обговорювати прочитанi книжки, i вiдмiнник з математичної школи, невмiло-старомодно, наче протезом, пiдтримуючи тебе на сковзанках пiд лiкоть - була зима, i вснiженi хiдники щокрок поблискували пiдступно вислизганою чорнотою, - мав необережнiсть згадати "украинского писателя Винниченко - не читала?" - тебе з мiсця вкинуло в жар: оце ж i є те, про що попереджали тато з мамою! - з ленiнською хитринкою в очах [головне, що сама вiдчувала її як ленiнську!], з вiдтяжечкою такою лiнивою, мовляв, ну-ну, давай далi, я тебе все’дно навилiт бачу, - вiдмовила, що - "нет, не читала", i, дочекавшись, аж вiдмiнник видав усе, що знав, - i про УНР, i про емiграцiю [слухала вже не сумнiваючись, хто перед нею, солодко обмираючи од близької небезпеки], - приморозила його хiба ж так - карбуючи склади, барабанним пiонервожатським голосом ["Атряд! Ррав-няйсь! Смiр-на!"] освiдчивши, що її не цiкавлять усякi там емiгрантськi покидьки, що в час, коли мiжнародна обстановка така складна й напружена, i що її завжди обурювала молодь, яка слухає рiзнi радiоголоси, - вiн вирячився на неї обома парами скляних очей i, здавалось, забув дихати: йшов їжачок по лiсi, забувсь як дихати i здох, - а щоб знав! Задоволена була з себе як нiколи: перший iспит на дорослiсть - i не послизнулась!).

Нi, вона завжди казала, що не хотiла б iще раз пережити своє отроцтво, - отi натужнi, несвiдомi спроби вирватись - iз глухо забетонованого, спертого всерединi родинного гнiзда, за мурами якого їдко клубочився страх, болотяна млака, де iно оступись, видай себе - i шубовснеш у смертну отхлань (по радiо, яке батько слухав вечорами, припавши вухом, щiльно втискаючись у приймача, що оглушливо харчав, часом прориваючись рiзким, небезпечно наростаючим металiчним свистом, передавали мемуари вмираючого Снєгiрьова, перераховувались оперованi нутрощi, вiдбитi нирки й мiхурi, iнсулiновi шоки, гвалтом вставленi зонди, калюжi кровi й блювотиння на цементних долiвках - зведення з рiзницької, розрубка м’ясних туш: Марченко, Стус, Попадюк, щокiлька тижнiв новi iмена, молодi й красивi, не набагато й старшi за тебе буйночубi хлопцi, ти мрiяла про них, як ровесницi про кiноакторiв, ось вiн вийде на волю, пошрамований i мужнiй, i ми зустрiнемось, - тiльки вони нiколи не виходили, ефiр повнився їхнiм конанням, тато сидiв по цей бiк i слухав, з року в рiк, вiдколи став безробiтним, сидiв у хатi й слухав радiо), - вириватись не було куди, скрiзь були комсомольськi збори, полiтзаняття й чужа мова, туди - як чотирилiтньою на дзиглик насеред кiмнати, розказати дядям i тьотям вiршика, - можна було виходити тiльки на те, щоб дзвiнким магнiтофоном видати їм вiд них таки й вивчене, i тiльки в цьому був гарант безпеки - золота медаль, червоний диплом, просування "по вєрьовочкє", мать його за лапу, скiльки непотрiбу перепустила через голову! - а в п’ятнадцять рокiв звалилася з депресiєю, скаржилася на таємничi болi в шлунку, татко збився з нiг, тягаючи по лiкарях, якi нiчого не знаходили, цiлими днями валялася в постелi й iстерично плакала од леда-слова - таткова дiвчинка, очко в лобi, то вiн чував, розпластавши крила, над її першою менструацiєю, розважно оповiдав їй, що це дуже добре, так має бути з усiма дiвчатками, лежи, на вставай, - подавав у постiль, як хворiй, покраянi скибочками яблука на блюдцi, i вона лежала - зiбгана й занишкла, наполохана новим вiдчуттям, коли - i соромно од вiдкритостi своєї тайни - ну але якi ж тайни можуть бути од татка? - i, i - якось щемно-сторожко, незахищено-непевно: вiдчуття, що повториться iз втратою дiвоцтва (якого потрапить здихатися аж пiсля таткової смертi!), i потiм, щоразу, - те саме вiдчуття навiчної дочiрньої покори, остаточностi родового улягання, од чого мужики, не в’їхавши, до чого воно, розумiється, шалiють ("Ох як ти класно даєш!"), а потiм ти їх кидаєш.

Рва-лася, авжеж рвалася, ще й як! - вся в гострих лiктях самочинного розростання, до слiз мучений власною ваторопкуватiстю прищавий пiдлiток, однi колготки, вiчно в бурих рубцях нитяних швiв, i одна сукенка - шкiльна формена, пелюстково-бiло витерта на лiктях, на шкiльнi вечори ходила - а ходила ревно, як мусульманин до мечетi! - в позиченiй блузцi й куценькiй, пiонерськiй ще, бiлий-верх-чорний- низ, спiдничцi, й поїдом їлась гiркою горяччю, дивлячись на цiлком уже "по-дорослому" прикинутих, у "дорослих" перукарнях пiдстрижених, вибухлих повним цвiтом, як садок вишневий коло хати, однокласниць - у зблисках перламутрової помади й чорних махаонах "ланкомiвських" вiй - десять керебе коштував синьо-голубий патрончик такої тушi, а мамина зарплата, на яку жили втрьох, виносила сто п’ятдесят, ну й що було робити, як не вкрасти - в роздягалцi, з легкомисно розкритого портфеля королеви старших класiв, - правда, дешевший тюбик, польський, i наполовину зужитий, заспокоювала себе, що для тамтої то не втрата, i так воно й було, а все одно дев’ятнадцяте столiття, все одно Жан-Вальжанiвська класична булка й Козетта пiд вiтриною лялькової крамницi, i сором, i страх, i тайна, ганебна й солодка, як екзгибiцiонiстськi вправи на самотi перед дзеркалом, - невмiло фарбувалась у шкiльному туалетi, розвезькуючи попiд очима чорнi вiхтики, а пiсля вечора там-таки змивала, люто вiддирала туш холодною водою з почервонiлих повiк: страшно здумати, що було б, аби татко побачив, - татко, який так боявся за неї, який збирав по людях досьє на кожну з її подружок: всi були розбещенi, курили й цiлувалися з хлопцями, татко верещав, буряковiючи на виду, i вона, слiд вiддати їй належне, так само верещала у вiдповiдь, i ридала у ваннi - надто пiсля того пам’ятного разу, коли вiн ударив її в обличчя просто на вулицi, на трамвайнiй зупинцi, бо вона кудись запропастилась, i вiн вирiшив, що вона од нього втiкає, - але вона вернулась, вона завжди слухняно верталась, бо втiкати не було куди, i вiн, не сказавши нi слова, з розмаху впiк її по щоцi, - розумiється, потiм були обiйми-облизування, поцiлунки-перепросини, "моє маленьке", "доцiчок мiй золотий", - по кiлькох, розжарених в очу на червоно годинах лементу, ридань, грюкань дверми, супроводжуваних шамотнявою безпорадного маминого втручання, - бо мами за тим усiм не проглядалося, мама взагалi була фригiдна, ясне дiло, заекранована, мов чорне свiтловiдпихальне шкло (потiм, у перших мiсяцях твого шлюбу, вона всунеться раз уранцi до кiмнати молодят iз весело диркочучим будильником: вставайте, снiданок готовий! - акурат у хвилину-коли, i по вибухлiм скандалi плакатиме сирiткою в кухнi, налякана й безпомiчна: хотiла ж як лiпше! - так що, вгамувавшись i вiдтрусившись схарапудженим тiлом, ти ж її, врештi-решт, i потiшатимеш), - а яка, цiкаво, вона мала бути, як не фригiдна, - дитина голоду (в тридцять третьому, трирiчною вже, перестала ходити, i бабця їздила на перекладних товарняках до Москви, мiняти своє вiно - двi ряснi низки середземноморських перлiв - на двi торбини сухарiв), дитина, вихарчувана на пiдiбраних у полi колосках, за котрi колгоспний об’їжджчик, раз заскочивши, шмагонув батогом по щоцi - досi знати тонку ниточку бiлястої близни, i на тiм, Богу дякувати, окошилося, бо батько, твiй цебто дiд, уже мив золото десь межи сопок, за яких пiвтора десятки лiт i твiй батько, а її майбутнiй муж, те саме робитиме, а їй - нiчого, минулися тi колосочки, i наїлася згодом усмак, годочкiв так за двадцять, вже як, скiнчивши унiверситет, почала працювати, - а американськi совєтознавцi зоддалеки все нiяк не доглупаються, чого в цьому поколiннi стiльки нестатурно-гладких кобiт, знай Фромма з Юнгом мiж рядкiв на свiтло перечитують, - жерти їм у двадцять хотiлося, жерти й бiльше нiчого! - давитися студентським пайковим хлiбом, напихати в рота в обi жменi, пiдбираючи крихти, що таке клiтор, вони за ввесь вiк так i не дiзналися (вперше ти замислилася над їхнiм жеребом раз в аптецi: викинули жiночi пакети, черга, всуцiль iз молодих дiвок, шамко напаковувала торбинки, а бабульки, пiдступаючись, кротко перепитували: "Дєвочкi, а што в етiх пакєтах?" - "Женскiє пакєти, женскiє!" - презирливо вiдгризалися дєвочкi: не для вас, мовляв, - бабульки збентежено лупали очима: не розумiли), - так що мама була невинна, аки агнець, чи радше дiва Марiя (щось у нiй справдi вчувалось мадоннисте, на фотознiмках кiнця п’ятдесятих - час, коли нарештi наїлися, - така свiтиться нiжна дiвчинка в пуклях, очей не вiдвести! - личко делiкатне, довгобразе, з гостреньким носиком - затрачений, лагiдний, мовби внутрiшнiм усмiхом розвиднений тип краси, козацький барокковий портрет упродовж трьох столiть: Роксолана - Варвара Апостол - Варвара Лангишiвна, - ех, була колись Гетьманщина, а тепер пропала! - кругловидо-плахтянистi, ой-пiд-вишнею-пiд-черешнею кралi ще водяться, а от тих уже Бiг дасть, уже й твоя нещаслива врода на два порядки грубiша, вульгарнiша - не забувай додати: була!), - мама, пташок спiвочий, ягничка офiрна, дисертацiю з поетики дописувала в комунальнiй "хрущовцi", поки їй на кухнi сусiдка - кухарка з робочої столовки, та, що мала "управлять государством" (мати-одиначка - п’ятеро дiтей од п’ятьох мужчин), пiдкидала в каструлю з борщем ганчiрки й вирванi зуби (либонь, молочнi - котрогось iз потомства?), - але дисертацiю дописала-таки, акурат на сiмдесят третiй рiк iз нею пiдоспiла, коли її, яко жону неблагонадьожного, з дисертацiєю на оберемку з аспiрантури й засвистали козаченьки, так що день твого захисту (на дiдька вiн тобi був здався!) був її святом, тiшилась як дитина, "от аби тiльки татко був живий!" - а як, на ласку Божу, чим вiн мiг би бути живий - викинутий на саме дно колодязя й по дорозi спазматично вчеплений за цямрини: аби тiльки не назад у табiр! - живцем замурований в чотиристiннi - слухати радiо, курити в кватирку й з жахом дивитись, як невiдворотно вимикається з-пiд нього, пре з-пiд ляди, самою силою органiчного росту пхана, єдина жiнка в його життi - та, котру сам породив?

"Задери сорочечку, я хочу подивитись, як ти формуєшся" (i чи не та сама заклопотано-розпорядча iнтонацiя - "Повернись, я тебе хочу ще ззаду взяти", - через двадцять рокiв, щойно зачута, сколихне в тобi давнозатрачене вiдчуття дому?), - i вже не важить, що нiколи не любила ззаду, не важить, що першої митi вiдмовилась була задирати сорочечку, спалахнувши недитячою уразою, - назустрiч тихому й по-новому глибокому, вологому зворушенню: дитино моя, це ж я, твiй тато! - у вислiдi чого сорочечка таки, нiкуди не дiнешся, задиралася - стидкувато-бентежне пiдставляння, перший досвiд, куди сильнiший, нiж якесь там притискання колiньми в класi пiд партою, - одначе рвалася, Господи, як рвалася, - як стратенча душа з-пiд сокири, але - куди?

До ровесникiв, танцi-шманцi, рок- ансамблi, спортивнi змагання й першi слiпi обмацування в темрявi спортзалу, - смiшно, нiкому з них навiть розповiсти не можна було, як, на третiй рiк, тамтi таки прийшли, справдився нарештi батькiвський страх, бо страх, вiн завжди справджується, - вдертим у чотиристiння вихором смачного шкiрястого порипу портупей, бадьорого надвiрнього холоду, вiдчуттям наглої заповненостi кiмнати - трiйко рум’яних з морозу, здорових самцiв, ляпання посвiдченнями, "собирайтесь", татко метушливо шукав якiсь папери, щось перекладаючи на столi тремтячими руками, привалений i жалюгiдний, i ти виплигнула на них iз кутка, розпростуючи спинку прищавої блiдо-зеленої пiдлiтковостi, - здушено-крикливе, зi звислим через мордочку пасмом, i залящало: "как вы смеете, по какому праву", - вийшло не вельми вдало, ба й геть невдало, зрiзали тебе тамтi (офiцерик молодюсiнький, з вусиками ниточкою, старалося, падло, ма’ть, перше вiдповiдальне завдання дiстав, де ж пак - арешт антiсовєтчика!) - що ногою вiдопхнули ("не ваше дело, вы еще слишком молоды"), i батьки (з обличчями однаково мурими, наче пiд шкiру фотопапiр пiдкладено) теж, iно ти поскочила, з жахом зашипiли-замахали-зацитькали, - але перша невдача тебе не зупинила, ти, по правдi, таки, добре той казав, - вiдважна жiнка, золотце: згодом, уже студенткою, роцi десь у вiсiмдесятому, вибравшись iз зайчиком-залицяльником у бiльшiй компашцi до театру, на якусь хiтову московську гастроль, - навмання, бо квиткiв не мали, регочучись на все горло, перекидаючись снiжками реплiк, штурмували знадвору касу з тлумом таких, як самi: передноворiчний вечiр, молодiсть, нiхто не хотiв розходитися, i тому з’явилися менти, - привалила зграя воронкiв, в’оралися в гурму сiрi шинелi, заходили, здiймаючи по нiй буруни, i чорт його зна, як воно так скоїлося: ще перед хвилею все було нiби - пригода, жарт, ну не потрапили б досередини, то поїхали б на Хрещатик каву пити, подумаєш, велике дiло! - а вже зайчикового друга - найушнипливiшого з компанiї, невеличкого й верткого, як гвинт, такий, ще трохи наддавши, мо’, й пролiз би! - засiкши й виловивши iз збитого в купу розбутiлого стада, волiкли попiд пахи двоє гевалiв в унiформi, i вiн не дiставав до асфальту ногами, рештки товариства розгублено посунули слiдом, не знаючи, що почати, а вiн уже лебедiв до тамтих жалiбно: "Рєбята, ну бросьтє, ну отпустiтє, рєбята", ноги пручалися, смикаючись у повiтрi окремо вiд тулуба, твiй зайчик, шафа двометрова, плiвсь як сомнамбула й знай мимрив - та нi, та де, та нiчо’ вони йому не зроблять, - а воронок уже стояв напоготовi, з роззяпленим заднiм отвором, i ти знову - вiдважна жiнка! - плигонула пiд колеса, пантерячим ривком на цей раз уже красивого й сильного тiла, довгонога блискавка в короткому кожушку, аж тамтих на два боки розкидало - а вже впихали чувака в машину: "Мальчiкi, - кресонула навiдлi голосом, аж забринiло, - да што ж ви ето, в самом дєлє, а?!" - i вирвала хлопця: "мальчiкi", бугаяки, розiмкнули лаву, якось обм’якли, вiдступилися, забубонiли щось виправдальне на кшталт "а чєво он", - ага, опирався, ще й, либонь, щось глузливе бовкнув, - пiдоспiв зайчик, згребли потерпiлого на оберемок, давай, Боже, ноги! (i першої вашої ночi з тим чоловiком, коли вiн хвацько вженеться пiд "цеглину" i його перепинять менти - маленький i зiгнутий, у враз звислiй зужитим презервативом розхристанiй шкiрянцi, щось пояснюватиме їм надворi, розводячи руками, та хлопцi, та я ж що, я ж нiчого, - ти, посидiвши трошки в автi, рiшуче вiдчиниш дверцята, виступиш, зацокаєш пiдборами по бруку, трусонеш куделею, перебравши на себе жадiбно засвiченi погляди вперезаних портупеями самцiв, засмiєшся, хоч прикурюй од такого висмiху: "Що сталося, хлопцi? Ми нiчого не порушили", - i замнеться ментрега, якось разом вiдрине, розвiється в повiтрi, ну гаразд уже, їдьте, та вважайте надалi, - а на ранок, впиваючись у тебе розiскреними очима, як лежатимеш на тапчанчику, напiвприкрита пледом, вiн прокаже, повiльно, з прицмоком розкуштовуючи торжествуючий усмiх: "А ти крута баба - зразу вискочила ментам морду бити... З тобою можна в развєдку йти", - i тебе затопить дiтвацькою повiнню гордощiв: нарештi, нарештi це помiчено - бо вiн сам iз тих, - наче вийшов на волю, по всiх цих роках, i ви зустрiлися, - бо бiльше, нiж брат, бо вiтчизна i дiм...).

Страх уповзав знадвору крiзь стiни їдким протягом, а вдома було тепло, аж душно, юнацька депресiя, нi, неврастенiя, якiсь дурнi таблетки, вiчне "тридцять сiм i два", i плач кiльканадцять разiв на добу, лiкарка велiла їй роздягатись, а татковi вийти - "Девочка уже большая", - її спантеличило, що татко, замiсть обстоювати свої права - це ж бо його дитину мали оглядати! - принижено чапав до виходу, збентежений i змалiлий, мов заскочений на гарячому (найцiкавiше, мiркує вона собi, що вiн же був красивий мужик, говiркий i дотепний, охочий до життя, i жiнкам подобався, i розпрекрасно знайшлось би де оскоромитись, що ж вiн цноту свою так тяжко берiг, як галицька стара панна, невже тому, що мама вийшла за нього - ще не реабiлiтованого, i вiн цiлий вiк внутрiшньо куливсь, боячись почути од неї вголос те, чим виїдав собi думки, - що занапастив їй життя, а зостатися сам, без неї - знов-таки, боявся?), - а судили його, цим разом, усього тiльки за тунеядство (всього тiльки добу протримавши в КПЗ), пiслали всього тiльки на стройку вахтером, вiн сидiв у заскленiй будцi, вiдчиняв браму перед самоскидами, а решту часу читав Бруно Шульца, про якого колись був замiрявся написати книжку, та так i не написав (мав добрий смак до лiтератури, лиш еротики не переносив на дух, як католицький цензор!), - його панiчний страх перед її невкоськуваним ростом - "ку-уди?!" - угнiжджувався в тiлi й помаленьку пiдпилював нутрощi тупою пилкою, але рак продiагностували аж тодi, коли й оперувати виявилось запiзно, цiла статева система була вражена, i простата, й сiм’яники (мама щодня терла моркву йому на сiк i чавила вручну, зiбгавши сiчку в марлевий вузлик, її пальцi колишньої гiтаристки набули невiдмивно-жовтяничного кольору й насилу розгиналися, а доцiк бiгав ночами до автомата на розi викликати "швидку", i коли мама, з бiлими од жаху очима, прийшовши раз iз лiкарнi, сповiстила їй дiагноз, який вiд татка вже належало укривати, то першим вiдрухом думки [котрого звiдтодi нiколи собi не простить!], було нещадне й зимне, як крiзь зцiпленi зуби: слава Богу!), - по сутi, то було не що як вiйна - вiйна, в якiй не може бути переможцiв, бо, вичерпавши всi засоби домогтися свого (придавити колiном, упхати в люлю, "вона в нас iще зовсiм дитина", хотiлося хлопчика, але нiчого, й дiвчинка вдалася на славу, от вона їм усiм за нас i покаже!), - мужчина вдається до останнього засобу - смертi, i це, нiкуди не дiнешся, переконує: ти нарештi остаточно стаєш по його сторонi. I твоє отроцтво, якого, вiдхрещувалась, нiзащо не хотiла б iще раз пережити, наздоганяє тебе через двадцять рокiв, випускає з найглухiших пiдвальних закапелкiв твоєї iстоти сплакану й зацьковану дiвчинку-пiдлiтка, що заповняє тебе цiлком, i лунко, розкотисто регочеться: а що, втекла?...

Може, й справдi - раби не повиннi родити дiтей, питає вона себе, мляво втупившись у вiкно: вночi впав перший снiг, але тепер розтанув, i тiльки вiтровi шиби припаркованих уздовж хiдника авт бiлiють телячими лисинками. По хiднику пританцьовуючою ступою бреде негр у яро-червонiй куртцi й синiй бейсбольнiй кепцi, сховавши руки в кишенi: похолоднiшало. Бо що є рабство, як не iнфiкованiсть страхом, - вона пiдсовує пiд лiкоть розгорнутого блокнота, напiвсписаного такого гатунку афоризмами, вiд яких - нi тепло, нi холодно, як у пiдручнику з формальної логiки. Рабство є iнфiкованiсть страхом. А страх убиває любов. А без любовi - i дiти, i вiршi, й картини - все робиться вагiтне смертю. П’ять балiв, дєвушка. You have completed your research.

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Par Oksana Zaboujko

Diplômée de philosophie et de littérature, Oksana Zaboujko réfléchit dans sa fiction et ses articles dans la presse sur l’identité ukrainienne et l’empreinte de l’histoire, non sans y apporter une touche féministe. Explorations sur le terrain du sexe ukrainien a été publié en 1996 : premier best-seller ukrainien, il a été traduit en onze langues et adapté au théâtre. Son dernier roman, Le Musée des secrets abandonnés, saga familiale qui croise le destin de plusieurs générations dans l’Ukraine du XXe siècle, a été reconnu meilleur livre de l’année 2010.

L’héroïne des Explorations sur le terrain du sexe ukrainien, arrivée aux États-Unis pour enseigner la littérature ukrainienne, se remémore sa dernière histoire d’amour malheureuse avec un peintre ukrainien. Lorsque celui-ci la rejoint, les récriminations mutuelles reprennent. Mais cette relation vouée à l’échec n’est qu’un prétexte pour parler du destin de l’Ukraine. Cette fiction biographique (l’auteur a enseigné la littérature ukrainienne en Amérique du Nord, notamment à Harvard dans le cadre de la bourse Fulbright) prend la forme d’une confession, d’un torrent d’idées, que vient renforcer une syntaxe déstructurée ; elle englobe le vécu d’une famille, l’enfance, l’adolescence et la vie de femme de la narratrice, de l’époque soviétique à l’indépendance. Or, l’héroïne se présente, sans ironie aucune, comme « une victime sexuelle de l’idée nationale ». Ce monologue intérieur évoque moins l’histoire d’une femme qu’une réflexion sur le combat pour être femme, pour pouvoir écrire dans sa langue maternelle et être libre dans un pays libre. Car la peur anéantit tout.
Iryna Dmytrychyn

Iryna Dmytrychyn est maître de conférence à l’INALCO et traductrice littéraire. Elle a notamment traduit :

La Route du Donbass de Serhiy Jadan, Paris, Noir sur Blanc, 2013. Prix Jan Michalski 2014.

Douze cercles de Yuri Andrukhovych, Paris, Noir sur Blanc, 2008.

Raconte la vie heureuse : souvenirs d’une survivante de la grande famine en Ukraine d’Anastassia Lyssyvets, Paris, L’Harmattan, 2009.

De la Petite Russie à l’Ukraine de Mykola Riabtchouk, Paris, L’Harmattan , 2003.

Daroussia la Douce de Maria Matios, Paris, Gallimard, 2015.

Explorations sur le terrain du sexe ukrainien d’Oksana Zaboujko, à paraître en 2015 aux Éditions Intervalles/Inalco, collection Sémaphores.

Les illustrations d’Oxana dont le travail est visible ici

[1AAASS : American Association for the Advancement of Slavic Studies. La principale association slavistique des Etats-Unis

[2Viatcheslav Lypynsky (1882-1931), homme politique ukrainien, historien et sociologue, théoricien du conservatisme ukrainien.

[3Mykhailo Hrouchevsky (1866-1934), historien et homme politique, fondateur de l’historiographie ukrainienne et premier président de la République populaire ukrainienne.

[4Alla Horska (1929-1970), peintre et membre de la dissidence des années soixante.

[5Ivan Svitlytchny (1929-1992), critique littéraire, linguiste, traducteur et membre de la dissidence des années soixante.

[6Lignes extraites de la poésie de Bohdan-Ihor Antonytch, poète ukrainien d’entre deux guerres, « Prière aux étoiles », 1936 : « …non le refuge des rêves - maison bienheureuse, mais prions les étoiles lointaines pour avoir dans ce monde une vie majestueuse et malheureuse ».

[7Référence aux paroles de l’hymne ukrainien « L’Ukraine n’est pas encore morte… ».

[8Chanson sylvestre, poème de Lessia Oukraïnka (1871-1913), poétesse ukrainienne.

[9Volodymyr Vynnytchenko (1880-1951), écrivain, dramaturge et homme politique ukrainien à l’époque de l’UNR, la République populaire ukrainienne proclamée à la suite de la chute de l’empire du tsar, et qui a existé entre 1917 et 1920. Proche des idées socialistes et communistes, il a tenté de s’entendre avec Moscou, avant de quitter définitivement l’Ukraine en 1920. Installé en France, il s’est consacré à l’écriture et à la peinture.

[10Heliy Snegirev (1927-1978), journaliste, scénariste et écrivain ukrainien. Engagé dans la contestation du régime, il fut le premier à renoncer ouvertement à la nationalité soviétique. Arrêté et soumis aux mauvais traitements, il déclara une grève de la faim qui le rendit aveugle. Auteur de romans sur les persécutions des milieux ukrainiens sous Staline, il dicta avant sa mort un témoignage-fleuve sur son propre combat. Confisqué par le KGB, celui-ci a été publié après la fin de l’URSS.

[11Anatoliy Martchenko (1938-1986), écrivain et dissident soviétique, membre du groupe Helsinki. Auteur de livres en samizdat, il a évoqué son expérience derrière les barreaux, où il a passé dix-sept ans de sa vie. Il meurt en détention suite aux mauvais traitements après une longue grève de la faim que les autorités ont tenté d’interrompre en le nourrissant de force. Sa mort, largement relayée en URSS et à l’étranger, aurait poussé Gorbatchev à libérer les prisonniers politiques. Il était marié à Larissa Bogoraz, importante figure de la dissidence soviétique.

[12Vassyl Stous (1938-1985), poète et critique littéraire ukrainien, traducteur notamment de l’allemand (Goethe, Rilke, Celan) et du français (Rimbaud, Char), fut une grande figure de la dissidence ukrainienne et du mouvement des chistdessiatnyky. Membre du groupe Helsinki, il passa plus de vingt ans derrière les barreaux. Il meurt dans le camp pour prisonniers politiques de Mordovie au terme d’une grève de la faim, alors qu’on parlait de sa candidature au Prix Nobel de littérature. Sa dépouille a été transportée en Ukraine en novembre 1989, en même temps que celles de deux autres dissidents ukrainiens morts dans le même camp – Yuriy Lytvyn (1934-1984) et Olexa Tykhy (1927-1984) –, donnant lieu à un rassemblement sans précédent dans la capitale ukrainienne.

[13Zorian Popaduk (né en 1953), défenseur des droits de l’homme et dissident ukrainien, fut arrêté en 1973 suite aux protestations contre l’interdiction de célébrer l’anniversaire de T. Chevtchenko à Lviv, et condamné à sept ans de prison et trois de relégation. La peine a été prolongée après ses protestations contre les violations des droits de l’homme en URSS et contre la situation en Pologne. Popaduk a été détenu en Mordovie et au Kazakhstan, où il a côtoyé de nombreux autres dissidents. Libéré en 1987 et réhabilité, il a été maire de la ville de Sambir, dans l’Ouest du pays, entre 1990 et 1994.

[14Référence au poème emblématique du grand poète ukrainien Taras Chevtchenko (1814-1861), « La cerisaie près de la maison… » (Садок вишневий коло хати…).

[15Roxolana, de son vrai nom Anastasiya Lisovska (env. 1506-1558), la fille d’un prêtre du village de Rohatyn, aurait été enlevée au cours d’une razzia et emmenée dans un harem où elle devient l’épouse de Suleiman le Magnifique. En raison du rôle qu’elle a joué dans la vie ottomane (notamment en assurant le trône à son fils, Selim), elle a inspiré œuvres picturales, littéraires et musicales.

[16Varvara Languich (Languichivna) est une jeune bourgeoise de Lviv, la fille du chef de la confrérie de Lviv, célèbre pour le portrait qui a été peint d’elle en 1636 et attribué à M. Petrakhnovytch (Morokhnovsky, env. 1600-1666). Conservé au musée historique de Lviv et considéré comme un chef-d’œuvre de la peinture ukrainienne de portrait du XVIIe siècle, il a été chanté par Yuriy Androukovytch dans son poème « À Madame Varvara Languich ».

[17Appartement partagé par plusieurs familles avec cuisine et salle de bain communes. Khrouchtchovka est une appellation populaire donnée aux immeubles et appartements construits sous Nikita Khrouchtchev, dont la particularité est une surface réduite avec une hauteur sous plafond de moins de trois mètres.

[18L’expression « Chaque cuisinière devrait pouvoir diriger l’État », attribuée à Lénine, est paraphrasée de l’article de Lénine intitulé « Les bolcheviks réussiront-ils à garder le pouvoir ? » ; elle a été célébrée par Maïakovski dans le poème « Vladimir Illitch Lénine ».

[19La période de dégel qui a suivi la dénonciation de culte de la personnalité de Staline au cours du XXe congrès du PCUS en 1956, a introduit le mouvement des chistdessiatnyky (lit. la génération des années 1960). En Ukraine, ce dégel s’est marqué, entre autres, par une effervescence littéraire dont la fin symbolique a été incarnée par l’entrée des chars soviétiques à Prague en 1968. La vague d’arrestations subséquente a connu son point culminant en janvier 1972, lorsque des dizaines de représentants de l’intelligentsia ukrainienne ont été arrêtés. En janvier 1973, le PCUS a publié un arrêté « Sur l’activité littéraire et artistique », marquant le renforcement des pressions dans ce domaine et son plus grand enfermement dans les dogmes soviétiques.

[20Principale artère de la capitale ukrainienne.