Seltz

Alors que j’enlevais mon costume dans l’arrière-boutique, je sentis son haleine chargée d’alcool près de l’oreille. C’était Bautista, le gérant. Il avait le visage en sueur. Je pensai, comme toujours, qu’il avait dû bien s’amuser à la manière dont je le vis faire la moue et dont ses mots fondirent sur moi avec intensité, mais de façon désorganisée. Il n’était pas rare, alors, qu’un étrange sentiment de pudeur s’empare de moi. Un furtif sentiment de culpabilité. Pendant quelques secondes, c’était comme si quelqu’un observait la copulation d’un couple de langoustes au ralenti et que je me tenais à côté de lui, face à vingt téléviseurs répétant la même scène. Lente. Très lente. Zé Antunes dit que la meilleure stratégie commerciale, pour un magasin d’électroménager comme le nôtre, est de laisser tous les téléviseurs du magasin constamment synchronisés sur Discovery Channel. « Par exemple », dit-il, « imaginons qu’il y ait un concert de rock ou un match de football : les parents associent le téléviseur à la drogue et au temps libre mal mis à profit. S’il y a un film, une femme dans la quarantaine, mariée, avec des enfants à l’université, se souvient avec nostalgie et une certaine rancœur inconsciente que son mari ne l’invite pratiquement plus au cinéma ». Zé Antunes dit que les chaînes éducatives augmentent la probabilité qu’une vente se concrétise, et cela doit être vrai parce que, pour les parents, l’éducation sera toujours un bon investissement et ils ne lésineront jamais dessus. « C’est le point sensible auquel nous devons nous attaquer : la jugulaire des ventes », affirme-t-il. Zé Antunes en sait long sur le monde animal, mais pas autant que sur les ventes et le marketing. C’est pour cela que j’essaie souvent de l’écouter avec attention, pour attraper tout son savoir comme par contagion. Mais avec Bautista, c’est différent. Alors que j’observais ses grimaces amplifiées, pratiquement sûr qu’il avait bien fait la bringue cet après-midi, je pensai à sa conception du bonheur et à la bonne affaire qu’il avait sûrement conclue avec le distributeur de Draco. Une chose en amène une autre, c’est bien connu. Et il connaît plutôt bien l’affaire puisque c’est le fils du propriétaire, et le propriétaire est l’un des hommes les plus importants et les plus riches de tout Río de Janeiro.

« Ce soir, j’ai un nouveau déguisement pour toi, Toninho ».

En me tapotant le dos avec complicité, Bautista resta dans une attitude d’alerte sans se rendre compte que je n’avais pas envie de passer une autre mauvaise soirée en sa compagnie. Aussi, même s’il acquiesça, je ne levai la tête pour affirmer ni nier quoi que ce soit. Je poursuivis mon capricieux strip-tease jusqu’à retrouver forme humaine.

Il s’avoua finalement vaincu, peut-être déstabilisé par mon excès de confiance. Il me visa de ses doigts mis en pistolet et appuya de ses yeux sur la gâchette :

« Je t’attends dans la voiture ».

Il m’attendait dans le couloir, pas dans la voiture.

« Tu as bien fermé le robinet ? », demanda Zé.

Je lui dis que oui mais l’impertinent, méfiant comme toujours, voulut vérifier par lui-même. Il revint un peu plus tard en se séchant les mains.

« Un homme averti en vaut dix ».

A ce moment-là, la porte coulissante barrait l’entrée principale. Il ne restait plus que nous trois à l’intérieur, confinés entre des carreaux en faïence blancs et des écrans de télévision réglés sur la même chaîne. Un lion à la crinière rousse s’éloignait avec le dernier morceau d’entrejambe dans la gueule en ondulant de la croupe et des hyènes se disputaient les restes de ce qui avait été un zèbre. Elles mangeaient avec ardeur, avec un appétit africain. Bautista et Zé Antunes, sans faire attention à moi, poursuivaient leur conversation animée près de la caisse.

« Dans le coffre, il y a une veste et une bonne lotion », dit Bautista, s’interrompant un instant. Il remua les mains, comme si sa tête était la boule d’une voyante :

« Mets-la et attends-moi dans la voiture ».

Il me lança les clés.

Avant de sortir, je vis qu’il discutait avec Zé et que ce-dernier lui tendait une petite enveloppe jaune. C’était l’enveloppe qu’on utilisait pour la comptabilité à la fin de chaque mois. Malgré son jeune âge, Zé Antunes est l’employé le plus ancien du magasin, il se charge de cadenasser tous les soirs la porte, d’éteindre les appareils et de couper l’électricité. C’est le dernier à partir et le premier à arriver, sauf le mardi, quand il prend sa matinée. Depuis quatre ans que je travaille ici, je ne l’ai jamais vu manquer ni prendre de vacances. Et je ne l’ai jamais entendu se plaindre, jurer ni importuner quiconque ne le mérite pas.

C’est vraiment un type que tout le monde devrait imiter.

Au moment où je refermai le coffre, je me sentais plus réveillé et plus enthousiaste qu’auparavant. Je mis la veste qui venait d’être lavée à sec, terminai de m’enduire les cheveux de lotion et m’assis sur le siège du copilote d’un saut agile. Je me regardai dans le rétroviseur et l’idée ne me déplut pas tant que cela. J’allumai la radio. La voix de Daniela Mercury grondait dans les haut-parleurs, avec la même sensualité que son corps : Vem ai un baile movido a nova fontes de energía. Chacina, política e mídia. Bem perto da casa que eu vivia… eletrodoméstico… eletro-brazil...

Chemise ouverte, tweed marron, cheveux humides. En quelques minutes, j’étais devenu un Bautista à peine différent, plus petit, moins élégant. La poitrine, un peu à découvert, recevait l’air qui se déversait abondamment, par rafales, à travers la vitre de l’Audi. Le rôle de l’homme insouciant qui sort un vendredi soir pour se libérer du stress d’une négociation incertaine m’allait bien. J’avais l’aspect même de tension sur le point d’éclater qui attire tant les femmes. Je m’observai furtivement dans le rétroviseur latéral. Je me regardai une fois, puis une autre. Oui, cela fonctionnait : j’étais conscient de mon allureélégante, sophistiquée. Sans mon miteux et pitoyable habit de tous les jours, j’étais un séducteur né : l’instinct séducteur frémissait, en silence, et luttait pour jaillir hors de moi. Cependant, cette force se conserva telle une étincelle. Bautista est un enfant riche qui fait du sport pour la compétition, rarement par distraction, et s’habille avec des fringues coûteuses que je ne pourrai jamais acheter, même avec cinq mois de salaire. Il sait se conduire en société et tout lui sied aisément, dans la vie comme dans le corps. Il a des yeux verts comme deux lucioles dans la nuit et une bonne ossature qui transpire les testostérones dans un doux parfum de Gucci. Si seulement je pouvais avoir sa capacité à enjôler, sa détermination conductuelle (comme dirait Zé), lorsqu’il veut attirer une jolie fille au lit.

« Entrées ? », dit le grand black zélé de la porte.

Il me regarda avec une certaine arrogance, de haut en bas.

« C’est bon. Laisse-le tranquille, Ciro. Il est avec moi »

Bautista est capable de discréditer quelqu’un de son simple sourire éclatant. Puis, les deux entrées personnelles et sa carte de membre finissent de nous ouvrir toutes les portes. Attentif au visage adouci des deux gorilles, je me redresse dans mon tweed et marche sans crainte droit devant moi. Je passe devant eux.. Je ressens, avec impatience, l’énergie palpitante qu’apportent les plaisirs et les différences de classes. A l’intérieur, se trouve un couloir aux murs chromés ; une explosion qui se pressent et, finalement, la surprise qui nous engloutit dans cette énorme fable composée de milliers de vies en mouvement. Tout à coup, les lumières nous attirent comme deux astronautes perdus au milieu de l’univers. Je me dis à voix basse que c’est cela la richesse des êtres humains ; le centre du pouvoir au repos. Même si, dans la pénombre, rien ne les différencie de ceux qui sont restés dehors, hommes et femmes sont à peine des ombres et des éclairs d’eux-mêmes ; piles et faces de pièces d’une valeur clairement différente.

« Ces types sont pires que les chiens antidrogues », remarque Bautista en criant presque, tandis qu’il marche à mes côtés : « ils peuvent flairer les pauvres à plus de deux cents mètres ».

« Ils doivent avoir l’habitude », dis-je en contenant à peine ma rage. « Tous les jours, je vois ce noir monter vendre de la drogue à São Clemente ».

Nous venons à peine de nous ouvrir un passage que quelqu’un nous aborde.

« Bautista », dit un homme.

Je les regarde s’embrasser, se donner un baiser sur la joue. C’est un homme maigre, à lunettes. Circonstanciel.

« Ne me dis pas que l’on va continuer à négocier ici ».

« Tant que nous serons sur la même longueur d’ondes», il rit en fronçant le museau.

C’est le distributeur de Draco.

« Evaristo Rangel », il me tend la main.

« Toninho », dis-je.

« Mon cousin Toni », corrige Bautista en me lançant discrètement un regard chargé de haine.

« Ah… c’est donc toi, le fameux Toni », dit Rangel.

Il me regarde à son tour avec curiosité.

« Le fameux Toni », répète-t-il maintenant en regardant Bautista.

Je me sens un peu bête, riant sans les comprendre.

Nous passerons une bonne partie de la nuit à raconter des anecdotes vides et futiles, des histoires qui n’importeront à personne et dont personne ne se souviendra. De temps en temps, ils feront trois lignes de coke et j’en snifferai une pour ne pas trahir le portrait que Bautista a tracé pour moi. Bon, j’en snifferai plus d’une. A ce rythme, mentir ne sera pas difficile. Il arrivera un moment où plus rien ne sera vrai, et ils ne réaliseront plus ce qu’ils disent que j’ai dit qu’ils ont dit. Tout à coup, je serai le gars le plus drôle au monde, juste parce qu’ils ont décidé qu’il en serait ainsi. Je dirai que le sexe des serpents est lent, presque autant que leur digestion, et que les pigeons tirent d’une manière horrible, ils se déplument presque littéralement, que ce sont les animaux les plus sadiques et les plus raffinés pour la douleur, surtout entre eux. Je leur raconterai des choses peu compromettantes. Je rirai de moi-même, feignant que l’idiot qui danse déguisé en crocodile pour les mômes est un autre. Ils riront. Nous rirons. Je pourrais leur dire, sans le moindre sarcasme, qu’ils sont une paire d’imbéciles et ils en rigoleraient. Dans le chaos, le moment de changer de diversion arrivera sans un mot. Deux brunes comme je n’en ai jamais vues se joindront à la fête, décolletés, cuisses, mollets, tout en elles dégageant une odeur de sexe. Lorsqu’elles me saluent, la douce texture de leur pantalon lèche ma jambe, et je sens que j’ai besoin d’une autre ligne, mais c’en est fini des lignes pour Toninho. Peut-être qu’il en reste une pour Toni, dis-je à Bautista. Et il rit. Et moi, je sniffe. Le distributeur de Draco nous approvisionne en caipirinhas et en bières. Et le noir de l’entrée nous fournira, en effet, de la cocaïne. Les brunes me regardent avec lascivité. Sans hardiesse, je m’imaginerai presque une orgie sur la table, et quand je suis sur le point de toucher la cuisse de l’une d’elles, Bautista m’attire au bord des sofas et me dit qu’il doit partir avec Evaristo Rangel. « Tu es phénoménal Toninho. Rappelle-moi que tu mérites une augmentation le mois prochain ». Le mois prochain n’arrivera jamais. Mais à cet instant, je l’embrasse et il m’écarte légèrement car une des brunes l’attrape à son tour, par derrière, comme si c’était un ours en peluche. Elle a de grands yeux qui pétrifient tout. Ma queue, pour commencer. Ma bouche. Mon auto-estime. Je retourne seul à la table. Evaristo m’embrasse et me donne un baiser sur la joue. « Le fameux Toni », rit-il. Et je ris aussi, je ris en regardant Bautista et Rangel s’éloigner au bras de deux reines colossales. L’un des serveurs me tapote l’épaule, monsieur, et me donne l’enveloppe jaune que Bautista m’a laissée avant de partir. Je la mets dans ma veste après l’avoir observée avec attention. Si j’étais un homme sensé, étant pauvre comme je le suis, je devrais attendre un peu, boire une dernière bière et rentrer à la maison avec un mois de salaire extra dans mon pantalon. Si j’étais un homme judicieux, je viderais mon verre sans regarder autour de moi. Mais la première bière se multiplie miraculeusement entre mes mains et, assis toujours à la même table, le verre plein d’une magie lumineuse et renouvelée, je reconnais Julia, ah, la belle Julia Oliveira.

« Tu as vu Bautista ? », dit-elle pour entamer notre conversation pour la première fois.

Je hausse les épaules.

« Il est parti », lui dis-je.

Je vois que ses pupilles de chatte blessée se dilatent dans l’obscurité. Je devine que ses cheveux rejetés en arrière prétendent être un geste de dignité face à l’abandon.

« Fils de pute », murmure-t-elle en pensant à Bautista.

Et, sans autre explication, elle tourne les talons.

La deuxième fois, je la vois tourner inutilement autour de la table.

Cela me fait de la peine. Je lui regarde les seins.

« Et toi, qui tu es ? », demanda-t-elle, attirée par ma curiosité.

« Toni » ; je lui mens : « Le cousin du fils de pute ».

Elle rit, en faisant la coquette cette fois.

« Je suppose que tu ne sais pas où il est allé, pas vrai ? »

Je ne vais pas trahir mon ami.

Je lui dis que non.

« Bien sûr », continua-t-elle, en s’asseyant. « Vous, les hommes, vous vous protégez toujours le cul les uns les autres quand vous êtes dans une position délicate. C’est une question de genre, j’imagine. Un instinct animal, simple conservation. Nous, au contraire, nous profitons de la moindre négligence pour nous détruire. Pourquoi ? Cela doit être parce que nous évoluons plus vite que vous ». Sa voix s’adoucit, je crois qu’elle est au bord des larmes : « Tu sais, je m’en fiche s’il part avec d’autres du moment qu’il me le dit ».

Mais je ne la crois pas. C’est une manière de me délier la langue.

Après avoir regardé les gens danser sur la piste un moment, je sens qu’elle me décoche un regard.

« Tu sais danser, non ? »

Cette fois, je ne lui mens pas quand je lui réponds que oui. Je l’avais fait pendant cinq ans pour l’école de samba de Mangueira, jusqu’à ce que je sois devenu trop vieux pour survivre avec un revenu par an et que mes déhanchements au milieu des paillettes ne me rapportent plus assez pour me nourrir. Auparavant, cela m’avait servi à me trouver un emploi déclaré et cette fois, cela me servirait à coucher avec une jolie fille. Qui m’avait dit que danser ne me mènerait à rien ? Qu’est-ce que ça pouvait faire : on est ce que l’on vit. Je me sentis avantagé par mon agilité, par mes bras forts et souples. Je n’eus aucune difficulté à adapter mon corps à la curieuse sensualité irradiant de Julia ; je n’eus aucune difficulté à serrer ses fortes hanches contre les miennes. Je la fixai d’un regard professionnel, montrant clairement que nous étions seulement un homme et une femme faisant ce dont nous avions envie sur une piste de danse. Rien de plus ne nous compromettait. Nous dansâmes un bon moment, jusqu’à ce que nos jambes nous réclament une trêve - les siennes avant les miennes, et nous retournâmes sur les sofas, exténués. Nous étions deux langoustes observées par une caméra cachée, et je pensai que des milliers de téléviseurs nous observaient de près, la complicité d’une bonne vente, le bonheur de deux respectables chefs de famille. Je sentis que les spots rouges et jaunes de la chanson suivante, que la voix grave de Tim Maia rampant comme un commando camouflé dans l’obscurité, nous échauffaient à nouveau.

« Tu danses bien », me glissa-t-elle dans l’oreille.

En réalité, elle voulait dire : « tu danses très bien, formidablement bien », mais elle était dominée par cette continence féminine que j’avais appris à comprendre, et même à mettre en valeur, dans mon for intérieur, en lisant la presse du cœur chez le coiffeur.

« Pas aussi bien que toi », mentis-je.

« Je n’ai même plus envie que ton cousin revienne, Toninho ».

Elle se souvenait de mon nom.

Nous dansâmes le reste de la nuit. Nous nous embrassâmes. Je dilapidai ce qu’il restait dans l’enveloppe. Puis, sous je ne sais quel prétexte, elle me conduisit chez elle. Elle voulait voir si ce que l’on dit est vrai : on danse comme l’on baise.

Le lendemain, la bite endolorie, je me réveillai en pensant que cela avait été le meilleur sexe de ma vie.

« Lorsque deux loups se rencontrent hors d’un territoire neutre, il est inévitable qu’ils luttent entre eux jusqu’à ce que l’un des deux domine. Dans ces circonstances, avant de mourir, le loup le plus faible se soumet et met sa carotide à la merci du vainqueur. C’est un signe de soumission qu’il sait instinctivement que le vainqueur honorera immédiatement. Bien que le sang de ce-dernier soit en ébullition et que ses crocs n’aient pas tout à fait assimilé qu’aucunes représailles ne lui seront infligées cette nuit-là, il laissera l’autre partir car, même à cet instant, sa nature le force à la subsistance collective. Les éthologues appellent ce phénomène « mécanisme d’inhibition ». Une clé génétique qui empêche que les animaux d’une même espèce s’éliminent les uns les autres alors qu’il y a tant d’autres espèces à éliminer, par exemple, les lièvres ou les cerfs… »

Je regardai la télévision quand Zé Antunes s’approcha.

« Tu arrives tard », me dit-il.

Je suppose que Bautista l’avait prévenu hier soir parce qu’il ne m’a pas engueulé plus que ça. A moment donné, il a même semblé préoccupé :

« Tu as une sale tête Toninho. Tu as dû rester éveillé très tard. »

En vérité, je ne me plaignais pas. J’avais tout de suite trouvé le chemin du retour depuis Tijuca, je m’étais douché dans l’arrière-boutique et j’essayais maintenant de retrouver un peu d’énergie en somnolant sur le sofa pendant les quelques minutes de libre que j’avais devant moi. Même lorsque je faisais appel aux bons souvenirs de la nuit passée, aux caresses de Julia Oliveira, je ne cessais d’avoir mal à la tête. La douleur s’était intensifiée et s’était convertie en une pointe implacable. Face aux téléviseurs, je regardais ce ballet de lumières, la synchronie parfaite des images.

J’entendis que Zé Antunes saluait les gardiens, Roberto, Célia, Clarice, Zacarías.

Ils marchaient en file indienne, de plus en plus loin.

« Supposez que nous faisions rouler de façon répétée la même balle de ping-pong devant un groupe de jeunes canetons. Sans le savoir, nous aurons peut-être furtivement marqué leur processus d’apprentissage en leur faisant associer un mouvement rotatif à l’identité de la mère ; il ne sera donc pas surprenant de voir plus tard les cinq petits poursuivre la balle comme ils auraient poursuivi la cane, reproduire cette réaction devant tout type de sphère qui réveillera instinctivement chez eux leur besoin de protection, courir et mourir écrasés par la roue d’une voiture irresponsable qui est passée trop vite sur la route… ».

Alors, déjà bercé par la voix susurrante de la télévision… Julia conduisait sa grosse voiture de sport bleue et moi, à côté, je regardais à travers la vitre le ruban continu de la route, les réverbères et les immenses champs dans l’obscurité, comme si tout formait une seule et inséparable identité. Mais surtout, je la regardais, elle. Je regardais le reflet de son profil bleuté. Son grain de beauté dans le cou, à côté de la jugulaire. De temps en temps, elle se tournait vers moi et je percevais dans ses yeux une promesse ferme, hors de portée.

C’est peut-être pour cela que je souris : parce que je perdais mon assurance lorsqu’elle me regardait.

« Seuls les hommes chassent pour le sport et tuent par diversion. Les autres animaux le font parce qu’ils ont peur d’être dévorés, parce qu’ils ont faim ou par simple rivalité territoriale. Si nous croyons aux hiérarchies évolutives, nous devrions accepter que l’agressivité humaine, poussée jusqu’à l’excès, a atteint le plus haut degré de perfection dans la cruauté et que nos instincts ne peuvent rien contre la culture lorsque nous sommes confrontés à des situations basiques telles que la menace territoriale ou la crainte de celui qui est différent ».

Julia souriait, nue sur le lit.

« Pourquoi tu dis parfois des choses que je ne comprends pas, Toninho ? »

J’arrêtai alors de lui parler des téléviseurs qui semblent plus chers qu’ils ne le sont, des pigeons, des serpents.

« Tu es fou », dit-elle.

Je sentis que je sortais de mon rôle, que la mauvaise haleine du matin et que la gueule de bois qui pointait appartenaient beaucoup plus à celui que j’étais vraiment.

« Parce que tu es tellement belle que tu me rends nerveux », dit Toni.

« Oh, tu es adorable, gros bêta ».

J’observai à nouveau son profil dans la vitre.

Cette fois, sa chevelure formait des ondulations parfaites sur un champ verdoyant de plus en plus éclairé par la lumière que la porte coulissante laissait entrer. Sa lente ascension faisait passer les sons du centre commercial pour des gazouillis matinaux. A peine quelques secondes plus tard, alors que je clignais lourdement des yeux, une file de canetons poursuivait toujours une balle sur la pelouse.

« Je passe te chercher plus tard ? », entendis-je.

Je vis Zé Antunes, les poings sur les hanches devant le téléviseur.

« C’est l’heure, mon garçon ».

J’acquiesçai.

Mais, alors qu’elle se douchait, je partis sans lui dire quand.

Nous ouvrîmes le magasin à dix heures. J’avais seulement pu me reposer quinze minutes de plus. Loin de ce que j’aurais pu imaginer, les gens défilaient à l’extérieur avec une continuité inquiétante : c’était un long flot de têtes infinies, de balades pressantes et de nécessités insatisfaites. C’était la vie en mouvement. Dans mon espace, devant l’entrée principale, je m’étais ingénié à ajuster mon déguisement ; le grand abdomen à pois verts ; l’énorme tête sur la petite tête humaine ; la gueule, les deux crocs mous, les deux trous bien dissimulés qui me servaient d’yeux. J’étais à nouveau le grand crocodile qui faisait la promotion des appareils électroménagers des Magasins Mattos en dansant pour les enfants. Tirant profit de mon talent, je ne tardai pas à attirer puis à réunir les petits et leurs parents. Par l’équilibre de mes longues jambes et la force de mes bras, je les entraînai alors jusqu’au rayon des réfrigérateurs Draco où l’habilité de Roberto fit le reste. Je revins à mon espace et continuai à danser. Je ne m’arrêtai pas. Une demi-heure plus tard, je vis sortir un couple, suivi de Zacarías, un énorme téléviseur de 21 pouces et une cafetière-cadeau. Ils souriaient en se serrant fort la main.

« Toninho », sourit Bautista, resplandissant.

Il tenait dans sa main un catalogue des produits Draco, splendidement déployé, comme il se doit quand on est la plus grande entreprise d’électroménager de tout le Brésil. La nouvelle collection de lave-linge et de sèche-linge arriverait bientôt, une véritable avancée dans la technologie qui révolutionnait le marché de la ligne blanche sur tout le continent.

« Nous les aurons ici en premier, dans notre magasin », disait-il en assouplissant le prospectus, tantôt en l’embrassant, tantôt en le secouant légèrement comme s’il s’agissait d’une ampoule et qu’il était sur le point de me faire une injection dans le derrière.

« Toni », il me tapota dans le dos.

Il avait, comme toujours, le sourire parfait.

L’un des avantages de ma profession est que je peux contrôler discrètement toutes les personnes qui entrent et qui sortent du magasin. Je peux faire des grimaces obscènes sans être vu, regarder des décolletés et passer inaperçu. Aussi, lorsque je vis Julia s’approcher, unique dans la foule, elle ne me prit pas vraiment de surprise. Je me sentis perplexe, effrayé, mais finalement protégé derrière cette barrière de coton et de caoutchouc qui me cachait. Je la vis monter, tirée par les escaliers électriques, une vision magnifique s’ouvrant un passage dans la foule. Julia, radiante, le visage ébloui par la vitalité que donne aux femmes le bon sexe, passa devant moi sans me regarder. Je savais qu’elle avait fait tout le chemin depuis Tijuca pour me retrouver.

« Julia Oliveira », entendis-je Bautista s’exclamer.

Je me retournai en sursautant; perdu dans mes réflexions, je n’avais pas prévu la possibilité d’une rencontre entre eux deux mais c’est ce qu’il venait de se produire.

« Quelle surprise de te voir dans notre modeste affaire familiale », continua-t-il.

Habillée avec un décolleté provocateur, Julia s’était arrangée pour survivre à la lumière du jour avec beaucoup plus de succès que toutes les femmes que j’avais connues réunies. Je la regardai : subtilement maquillée, provocante sous l’amertume mais incroyablement belle et digne face au don Juan qu’elle avait devant elle et qui ne la méritait pas. Je sentis que, sous la chaleur du caoutchouc, toute ma sûreté commençait à fondre en voyant comment elle lui faisait face avec un courage dont je ne serais moi-même pas capable.

« Alors ? », disait-elle d’une voix indifférente. « Tu sais où je peux le trouver ? »

« Toni ? », ria Bautista.

Je sentis un frisson parcourir ma longue queue de crocodile.

« Oui, Toni », dit-elle. « Toninho. Ton cousin. Où est-il ? »

Bautista croisa mon regard au milieu de la foule.

« Il doit être au yacht club d’Ipanema », je sentis cette fois une pointe de contrariété. « Comme tout bon carioca, il aime être fouetté par les vagues ».

Mon âme revint au crocodile. Maintenant, nous étions quittes.

« Alors, je vais aller le chercher à Ipanema. Ciao Bautista. »

Elle passa ensuite devant moi, en m’évitant avec élégance, en marchant vite.

Je n’existais plus pour elle.

Je ne fis rien pour prouver le contraire. Je ne dis rien alors qu’elle s’en allait. Je laissai les deux trous de mon déguisement viser excessivement son magnifique derrière, alors qu’elle s’enfonçait dans les escaliers électriques et qu’elle était engloutie dans le rez-de-chaussée.

Peu de temps après, Bautista la suivit. Il avait l’air réellement furieux contre moi, même s’il ne le laissait nullement transparaître de manière superficielle et que je ne voulus pas non plus l’interpréter ainsi. Nous étions bien comme ça. Il ne valait pas la peine de gâcher la journée. En passant à côté de moi, il murmura lentement que je lui devais une explication, et je crois qu’il le disait plus parce que je n’avais pas été Toni toute la nuit que parce que je m’étais tapé sa fiancé cinq ou six fois.

Je continuai à danser, à tourner, à danser jusqu’à ce que Gal Costa me donne un juste répit.

Alors, j’arrêtai les enfants qui sautaient autour de moi et me dirigeai vers l’arrière-boutique sans que rien ni personne ne m’arrête, indifférent aux prières et aux supplications. L’un des enfants réussit malgré tout à s’agripper à ma queue, je l’écartai vivement et le petit fripon termina immobile à côté des machines à laver. Je marchai sans crainte, à travers les potentielles réprimandes de Zé, de Bautista ou de n’importe quel client ou parent conservateur soucieux de donner une éducation correcte à ses enfants. Mais, étonnamment, personne ne me suivit. Personne n’osa rien me dire. Sur mon chemin, je croisai seulement Célia, la promotrice des ventes de téléphonie portable, m’encourageant du même sourire creux qu’elle adressait à tous.

« N’importe quoi. Dis-leur que je devais aller aux toilettes ».

« Je te couvre », dit-elle. « Mais pas plus de cinq minutes ».

Je pensai qu’elle allait ajouter : « ou je viens te chercher », mais la porte,
fermée par les allées et venues, interrompit mes fantaisies.

Cela m’était égal, j’étais en colère.

Une fois dans l’arrière-boutique, je n’allai pas aux toilettes comme je lui avais dit ; je m’enlevai d’abord l’énorme tête et l’abandonnai à côté du robinet. Je désirais de toutes mes forces m’enlever aussi l’autre et cette spirale molle qui s’enfonçait je ne sais où à l’intérieur de mon corps. Je me dirigeai vers mon casier en fouillant dans les poches de mon pantalon jusqu’à trouver la petite enveloppe bleue que j’avais achetée deux heures auparavant sur la route de Tijuca. Je sortis le comprimé, le submergeai dans un verre d’eau et m’assis, observant comment il se désintégrait en des milliers de bulles laiteuses à la superficie. J’observai comment il coulait, comment ce naufragé vaincu par la gravité mincissait jusqu’à la convulsion finale qui le désintégra complètement. Je pensai aux langoustes se reproduisant proportionnellement aux ventes. A Célia me souriant avec un peu plus que de la sympathie avant de disparaître. A Julia me cherchant dans tous les yachts échoués à Ipanema. A Bautista, orgueilleux d’avoir le catalogue complet de Draco, bien avant tous les autres magasins du centre. A Daniela Mercury. Aux loups qui sont des pigeons et aux pigeons qui sont des loups. Aux animaux qui se laissent la vie. Peut-être que mon cou avait été exposé bien avant que je ne sache que j’allais perdre. Ou que je pouvais lancer mes propres balles de ping-pong à la vie, être suivi au moins pendant quelques mètres pour ce qu’il m’en restait. En observant le verre revenu à la tranquillité, je crus trouver la réponse à de nombreux mystères de la vie, mais les mots ne me vinrent pas pour les partager avec le monde. Mais ce n’était pas la peine. Il n’y avait que ce moment et moi. Fort, inspiré par une étrange dignité, j’entendis les plaintes d’un enfant et le cri d’un père indigné - peut-être mon nom- à travers la cloison de l’arrière-boutique. J’entendis les pas qui venaient me chercher, menaçants, et, enfin calme, le mal de tête envolé dans des milliers de bulles d’adrénaline, je remis ma tête de crocodile et les attendis debout, prêt pour la bataille.

Mon nom était Antonio Carlos Pereira. Toninho.

J’étais prêt.

Traduit par Laure Gauzé

Cuando me quitaba el traje en el almacén, sentí su duro aliento a cachaza junto a la oreja. Era Bautista, el administrador. Tenía la cara sudorosa. Pensé, como siempre, que habría estado divirtiéndose mucho por cómo le vi torcer la boca y la forma cómo sus palabras se abalanzaron hacia mí con intensidad, pero descoordinadamente. No era raro que me asaltara entonces un extraño sentimiento de pudor. Un furtivo sentimiento de culpa. Por unos segundos, sentí como si alguien estuviera mirando la cópula de un par de langostas en cámara lenta y yo estuviera a su lado, de pie, delante de veinte televisores que repitieran la misma imagen. Lenta. Lentísima. Zé Antunes dice que la mejor estrategia comercial, para una tienda de electrodomésticos como la nuestra, es dejar que todos los televisores de la tienda estén siempre sincronizados en el Discovery Channel. “Por ejemplo”, decía, “imaginemos que hay un concierto de rock o un partido de fútbol: los padres asocian el televisor con la droga o con el ocio mal aprovechado. Si hay una película, una mujer de cuarenta y tantos, casada y con hijos en la universidad, suele recordar con nostalgia y cierto rencor inconsciente que su marido ya casi nunca la invita al cine”. Zé Antunes dice que los canales educativos aumentan las probabilidades de que una venta se concrete, y debe ser verdad, porque a los padres la educación siempre les parecerá una buena inversión y nunca escatimarán nada. “Ésa es la parte sensible que debemos atacar: la yugular de las ventas”, afirma. Zé Antunes sabe mucho sobre el mundo animal, aunque no tanto como de ventas y marketing. Por eso procuro escucharlo a menudo con atención, para contagiarme de toda esa sabiduría suya. Pero con Bautista es diferente. Mientras miraba sus gestos amplificados, casi seguro de que su tabique adelgazado se había metido una buena farra por la tarde, pensé en su idea de felicidad y en el buen negocio que seguramente habría hecho con el distribuidor de Draco. Una cosa lleva a la otra, ya se sabe. Y él conoce bastante bien el negocio porque es el hijo del dueño, y el dueño es uno de los hombres más importantes y ricos de todo Río de Janeiro.

“Esta noche tengo un nuevo disfraz para ti, Toninho”.

Palmoteándome la espalda con complicidad, Bautista permaneció en actitud alerta sin darse cuenta de que yo no tenía ganas de otra mala noche a su lado. Por eso, aunque insistió, no levanté la cabeza afirmando ni negando nada. Continué con mi caprichoso strip tease hasta que recuperé mi forma humana.

Al final se dio por vencido, tal vez cohibido por mi exceso de confianza. Me apuntó con una pistola hecha por sus dedos, y un gatillo presionado en sus ojos disparó:

“Te espero en el auto”.

Me esperaba en el corredor, no en el auto.

“¿Cerraste bien la llave?”, preguntó Zé.

Yo le dije que sí, pero el cara, desconfiado como siempre, quiso comprobarlo por sí mismo. Al rato vino secándose las manos.

“Hombre prevenido, vale por veinte”.

A esas alturas, la puerta corrediza ya clausuraba la entrada principal. Solamente quedábamos los tres adentro, enlatados entre losetas blancas y monitores de televisor encendidos en el mismo canal. Un león de melenas rojas se alejaba con el último pedazo de entrepierna en la boca, meneaba el trasero y unas hienas se disputaban los restos de lo que antes fuera una cebra. Comían con ardor, con un apetito africano. Bautista y Zé Antunes, sin prestarme atención, seguían charlando animadamente junto a la caja.

“En el maletero tienes un saco y una buena loción”, dijo Bautista, interrumpiéndose por un momento. Movió las manos, como si su cabeza fuera la bola de una pitonisa:

“Póntelo y te metes al auto”.

Me tiró la llave.

Antes de salir miré que conversaba con Zé y que éste le tendía un pequeño sobre amarillo. Era el sobre que empleaban en la contabilidad los fines de mes. Pese a su edad, Zé Antunes es el empleado más antiguo de la tienda, se ocupa cada noche de ponerle el candado a la puerta, de apagar los equipos y desconectar la electricidad. Es el último en marcharse y el primero en llegar, salvo los días martes, cuando se toma las mañanas libres. En los cuatro años que llevo trabajando aquí, nunca le he visto faltar ni tomarse vacaciones. Y nunca lo he escuchado quejarse, ni maldecir, ni incordiar a nadie que no lo merezca.

Es en verdad un tipo al que todo el mundo debería imitar.

Cuando cerré la puerta del maletero me sentía más alerta y animado que antes. Me puse el saco recién lavado al seco, terminé de echarme la loción al pelo y me monté en el asiento del copiloto con un salto ágil. Me miré en el espejo retrovisor y la idea no me disgustó tanto. Prendí la radio. La voz de Daniela Mercury gruñía en los parlantes, con la misma sensualidad que su cuerpo: Vem ai un baile movido a nova fontes de energía. Chacina, política e mídia. Bem perto da casa que eu vivia... eletrodoméstico... eletro-brazil...

Camisa abierta, tweed marrón, cabellos húmedos. Al cabo de algunos minutos me había convertido en un Bautista apenas diferente, más pequeño, menos elegante. El pecho, un tanto al descubierto, disfrutaba el aire que se metía a patadas, partido en ráfagas, por la ventana de su Audi. Me caía bien el papel de hombre despreocupado que sale un viernes por la noche para librarse del estrés de una negociación incierta. Tenía ese mismo aspecto de tensión a punto de estallar que atrae tanto a las mujeres. Me observé con disimulo en el espejo lateral. Una y otra vez me miré. Sí, concordaba: en verdad me sentía apuesto, sofisticado. Fuera de mi maltrecho y abaratado atuendo cotidiano era un seductor innato: el instinto seductor bullía, silenciosamente, bregando por saltar de mi interior. Aún así, la entereza se conservó tanto como un chispazo de luz. Bautista es un niño rico que hace deporte por competencia, pocas veces por diversión, y viste trapos onerosos que yo nunca podré comprar, ni con el sueldo de cinco meses. Sabe comportarse en sociedad y no le cuesta esfuerzo que las cosas le calcen bien en el cuerpo y en la vida. Tiene los ojos verdes como dos luciérnagas en la noche y una buena osamenta que transpira testosteronas, con un suave aroma de Gucci. Ojalá tuviera yo su habilidad para engatusar con las palabras, esa determinación conductual (diría Zé), cuando quiere llevarse a una chica bonita a la cama.

“¿Entradas?”, dice el negrazo, atento en la puerta.

Me mira con cierta desfachatez, de arriba abajo.

“Déjalo ahí, Ciro. Viene conmigo”.

Bautista sabe cómo desautorizar sin más poder que su sonrisa rotunda. Después de eso, el par de entradas personales y su tarjeta de socio, terminan por abrirnos todas las puertas. Atento a la cara dulcificada de los dos gorilas, yo me atieso en el tweed y camino sin miedo hacia adelante. Los atravieso. Siento, con impaciencia, la energía palpitante que proporcionan los placeres y las jerarquías. Dentro hay un pasillo de paredes cromadas; una explosión que se intuye y, finalmente, la sorpresa que nos engulle a esa enorme fábula con miles de vidas en movimiento. De súbito, las luces nos atraen como a dos astronautas perdidos en mitad del universo. Me digo en voz baja que esto es la riqueza de los seres humanos; el centro del poder en reposo. Aunque vistos así, en la oscuridad, nada los diferencia de los que se quedaron afuera, hombres y mujeres son apenas sombras y destellos de sí mismos; caras y sellos de una moneda, eso sí, de muy diferente valor.

“Estos tipos son como los perros antidrogas”, dice casi gritando Bautista, mientras avanza a mí lado: “pueden oler a los pobres a más de doscientos metros de distancia”.

“Estarán acostumbrados”, respondo, la rabia contenida aún. “A este negro lo veo yo subiendo todos los días a vender droga a São Clemente”.

Apenas acabamos de abrirnos paso cuando alguien nos aborda.

“Bautista”, dice un hombre.

Los veo abrazarse, darse un beso en la mejilla. Es un hombre flaco, de lentes. Circunstancial.

“No me digas que vamos a seguir negociando aquí”.

“Siempre que tengamos la misma química”, se ríe cogiéndose el hocico.

Es el distribuidor de Draco.

“Evaristo Rangel”, me extiende una mano.

“Toninho”, digo yo.

“Mi primo Toni”, corrige Bautista, y, disimuladamente, me mira con odio.

“Ajá... así que eres tú, el famoso Toni”, dice Rangel.

Me mira con curiosidad a su vez.

“El famoso Toni”, repite ahora, mirando a Bautista.

Me siento un poco idiota, riéndome sin entenderlos.

Buena parte de la noche nos la pasaremos hablando sobre anécdotas vacías e intrascendentes, cuentos de los que nadie se enterará, ni recordará luego. De cuando en cuando harán tres hileras de coca y yo me meteré una para no malograr el maquillaje que me ha elegido Bautista. Bueno, me meteré más de una. A este ritmo mentir no se hará difícil. Llegará un instante en que nada será verdad, y ellos no se enterarán de lo que dicen que yo he dicho que ellos han dicho. De pronto seré el tipo más divertido sobre la tierra solo porque ellos han decidido que así lo sea. Diré que el sexo de las serpientes es lento, casi como su digestión, y que las palomas tiran de un modo horrible, se despluman casi literalmente, que son los animales más sádicos y refinados para el dolor, sobre todo entre ellos mismos. Les hablaré de cosas poco comprometedoras. Me reiré de mí mismo, fingiendo que es otro el idiota que baila vestido de cocodrilo para los críos. Se reirán. Nos reiremos. Podría decirles, sin asomo de sarcasmos, que son un par de idiotas y aún así reirían con ganas. En el caos, el momento de cambiar de diversión llegará sin palabras. Dos morenas como nunca antes he visto se unirán a la fiesta, escotes, muslos, pantorrillas oliendo todo ellas a sexo. Cuando me saludan, la suave textura de sus pantalones me lame la pierna, y siento que necesito otro tiro, pero éstos ya se terminaron para Toninho. Quizá para Toni haya uno más, le digo a Bautista. Y él se ríe. Y yo me meto. El distribuidor de Draco nos abastece de caipirinhas y cervezas. Y el negro de la puerta, en efecto, es el que nos traerá la coca. Las morenas me miran con lujuria. Sin arrestos, casi me imaginaré una orgía sobre la mesa, y cuando voy a tocarle el muslo a una de ellas, Bautista me lleva a un lado de los sofás y dice que tiene que llevarse a Evaristo Rangel. “Eres fenomenal, Toninho. Recuérdame que te mereces un aumento el próximo mes”. El próximo mes nunca llegará. Pero en ese momento lo abrazo, y él me aparta suavemente porque una de las morenas lo atrapa a su vez, desde atrás, como si fuera un osito de felpa. Tiene un par de ojazos que todo lo petrifican. Mi palo, para empezar. Mi boca. Mi autoestima. Regreso a la mesa solo. Evaristo me abraza y me besa la mejilla. “El famoso Toni”, se ríe. Y yo me río también, me río observando cómo se alejan Bautista y Rangel del brazo de dos colosales reinas. Uno de los camareros me toca el hombro, señor, me alcanza el sobre amarillo que ha dejado Bautista antes de irse. Me lo llevo al bolsillo después de mirarlo con cautela. Si fuera un hombre juicioso, siendo pobre como soy, debería esperar un poco, beberme una última cerveza y marcharme a casa con un sueldo extra en los pantalones. Si fuera un hombre atinado secaría mi vaso sin mirar a ninguna parte. Pero la primera cerveza se multiplica milagrosamente en mis manos, y, sentado aún en la misma mesa, el vaso lleno de una renovada y luminosa magia, reconozco a Julia, ah, la bella Julia Oliveira.

“¿Has visto a Bautista?”, inicia nuestra conversación por primera vez.

Levanto los hombros.

“Se fue”, le digo.

Veo cómo sus pupilas de gata herida se dilatan en la oscuridad. Adivino que su cabello echado hacia atrás procura ser un gesto de dignidad frente al abandono.

“Hijo de puta”, murmura, pensando en Bautista

Y, sin más explicación, me enseña su espalda.

La segunda vez la veo rondando inútilmente alrededor de la mesa.

Me causa pena. Le miro las tetas.

“¿Y tú quién eres?”, dice ella, atraída por mi curiosidad.

“Toni”, le miento: “El primo del hijo de puta”.

Se ríe, coquetamente ahora.

“Supongo que no sabrás a dónde se ha ido, ¿no?”.

No voy a traicionar a mi amigo.

Le digo que no.

“Claro”, continúa ella, tomando asiento. “Ustedes los hombres siempre se cubren el culo unos a otros cuando se ven en aprietos. Es una cuestión de género, me imagino. Un instinto animal, simple conservación. En cambio nosotras aprovechamos el primer descuido para destruirnos. ¿Por qué será? Debe ser que evolucionamos más deprisa que ustedes”. Su voz se suaviza, creo que se pondrá a llorar: “No me importa que se vaya con otras, siempre y cuando me lo diga, ¿sabes?”.

Pero no se lo creo. Es una forma de soltarme la lengua.

Al rato de mirar a la gente bailar en la pista, siento que sus ojos se arriman.

“Sabes bailar, ¿no?”.

Esta vez no le miento cuando respondo que sí. Durante cinco años lo había hecho para la escuela de samba de Mangueira, hasta que me hice viejo para seguir viviendo de la renta de un mes al año y los trotes entre lentejuelas no me dieron lo suficiente para alimentarme. Antes me había servido para encontrar un trabajo legal, y ahora me serviría para acostarme con una linda chica. ¿Quién me había dicho que bailar no me llevaría a ninguna parte? Qué importaba, me decía: uno es lo que vive. Me sentí afortunado por mi agilidad, por mis fuertes y flexibles brazos. No me costó trabajo acomodar mi cuerpo a la curiosa sensualidad que Julia irradiaba; no me costó trabajo atacar sus fuertes ancas con las mías. La clavé con una mirada profesional, dejando en claro que solo éramos un hombre y una mujer haciendo lo que querían en una pista de baile. Nada más nos comprometía. Nos meneamos un buen rato hasta que las piernas nos pidieron una tregua: las suyas antes que las mías, y nos devolvimos a los sofás, exhaustos. Éramos dos langostas observadas por una cámara oculta, pensé: miles de televisores nos miraban de cerca, la complicidad de una buena venta, la felicidad de un par de respetables padres de familia. Sentí que las luces rojas y amarillas de la siguiente canción, la voz grave de Tim Maia arrastrándose como un comando camuflado en la oscuridad, nos calentaba de nuevo.

“Bailas bien”, dejó caer en mi oído.

En realidad quería decir: “bailas muy bien, formidablemente”, pero la dominaba esa continencia femenina que me había enseñado a comprender, incluso a valorar, en mí mismo, leyendo las revistas del corazón en la peluquería.

“No tanto como tú”, le mentí.

“Ya ni siquiera me apetece que venga tu primo, Toninho”.

Recordaba mi nombre.

Bailamos el resto de la noche. Nos besamos. Di buena cuenta de lo que sobraba en el sobre. Luego, con alguna excusa, me llevó a su casa. Quería saber si era verdad lo que decían: que uno baila como tira.

Al día siguiente, con el palo adolorido, desperté pensando que había sido el mejor sexo de mi vida.

“Cuando dos lobos se encuentran fuera de un territorio neutral es inevitable que peleen entre sí hasta que uno de los dos venza. En estas circunstancias, antes de morir, el lobo más débil se encoge y pone su carótida a voluntad del vencedor. Es una señal de sumisión que sabe, instintivamente, el otro acatará de inmediato. No importa que a éste la sangre le borbotee en calor, y sus colmillos no hayan terminado de asimilar que esa noche no disfrutará represalias. El vencedor lo dejará ir, pues incluso entonces su impronta los fuerza a su propia subsistencia colectiva. A este fenómeno, los etólogos lo denominan ‘mecanismo de inhibición’. Una clave genética que evita que los animales de una misma especie se eliminen unos a otros, cuando hay, por ejemplo, tantas otras especies por eliminar, conejos o venados...”.

Miraba la televisión, cuando se acercó Zé Antunes.

“Llegas tarde”, me dijo.

Supongo que Bautista se lo habría advertido anoche porque no me regañó más de la cuenta. En algún momento incluso se mostró aprensivo:

“Tienes mala cara, Toninho. Debes haberte quedado despierto hasta muy tarde”.

La verdad es que no me quejaba. Encontré enseguida el camino de regreso desde los bajos de Tijuca, me duché en el almacén y ahora intentaba recuperar un poco de energías, dormitando sobre el sofá los pocos minutos que tenía libres. Aún cuando recurría al buen recuerdo de la noche, a las caricias de Julia Oliveira, la cabeza no dejaba de dolerme. La molestia se había intensificado, convirtiéndose en un aguijón implacable. Frente a los televisores veía ese ballet de luz, la sincronía perfecta de sus imágenes.

Escuché que Zé Antunes saludaba a los guardias, a Roberto, a Célia, a Clarice, a Zacarías.

Todos ellos caminaban en fila, cada vez más lejos.

“Suponga usted que dejamos correr reiteradamente la misma pelota de ping pong frente a un grupo de patitos recién nacidos. En ese momento, sin darnos cuenta, furtivamente, quizá habremos fijado la impronta que los hará asociar el movimiento rotativo con la identidad de la madre, y en adelante no será extraño ver a las cinco crías ir detrás de la pelota como lo hubieran hecho con una pata adulta; imitar esa reacción delante de cualquier esfera que despierte instintivamente su necesidad de protección; correr y morir aplastados por la llanta de un coche irresponsable que cruzó la carretera demasiado aprisa...”.

Para entonces, ya reducido por la voz susurrante del televisor, Julia conducía su cochazo azul deportivo y yo, a su lado, miraba a través de la ventanilla la hilera continua de la carretera, los postes de luz y los extensos campos a oscuras, como si todo conformara una sola e inseparable identidad. Pero, sobre todo, yo la miraba a ella. Miraba el reflejo de su perfil azul. El lunar que tenía en el cuello, junto a la yugular. De cuando en cuando ella volteaba y yo veía en sus ojos una promesa firme, fuera de mi alcance.

Tal vez por eso sonreí: porque me sentía inseguro mientras me miraba.

“Solo los hombres cazan por deporte o matan por diversión. Los demás animales lo hacen porque tienen miedo a ser devorados, porque sienten hambre o por simple competencia territorial. Si creemos en las jerarquías evolutivas, entonces tendríamos que aceptar que la agresividad humana, desarrollada hasta niveles en exceso, ha alcanzado su máxima perfección en la crueldad y que nuestros instintos de nada sirven contra la cultura cuando enfrentamos situaciones básicas como son la amenaza frente al territorio o el miedo al que es diferente”.

Julia sonreía desnuda sobre la cama.

“¿Por qué a veces hablas de cosas que no entiendo, Toninho?”

Dejé de hablarle entonces sobre los televisores que suelen parecernos más caros de lo que son, de las palomas, de las serpientes.

“Estás loco”, dijo.

Sentí que interrumpía mi papel, que el mal aliento de la mañana y la resaca que empezaba a despertarse quizá le pertenecían mucho más a quien realmente era.

“Porque haces que me ponga nervioso, de lo linda que eres”, dijo Toni.

“Oh, eres tan dulce, tontinho”.

Volví a mirar su perfil en el vidrio.

Esta vez su cabellera formaba ondas perfectas sobre un campo verde, cada vez más iluminado por el brillo que la puerta corrediza dejaba pasar. Su lento ascenso metía el sonido del centro comercial como gorjeos matinales. Solo algunos segundos después, parpadeando pesadamente, una hilera de patitos seguía persiguiendo una pelota sobre el césped.

“¿Puedo ir a buscarte luego?”, escuché.

Miré a Ze Antunes con los brazos en jarra estorbando el televisor.

“Ya es hora, chico”.

Asentí.

Pero, mientras ella se duchaba, me marché sin responderle cuándo.

Abrimos la tienda hacia la diez. Solo había conseguido descansar quince minutos extras. Lejos de lo que hubiera podido pensar, la gente fluía afuera con una continuidad inquietante: era un largo caudal de infinitas cabezas, caminatas apremiantes y necesidades insatisfechas. Era la vida en movimiento. En mi esquina, delante de la entrada principal, me las había ingeniado para tener ya el disfraz ajustado; el gran abdomen con lunares verdes; la cabeza enorme sobre la pequeña cabeza humana; el hocico, los dos colmillos blandos, el par de bien disimulados agujeros que me servían de ojos. Era nuevamente el gran cocodrilo que promocionaba los electrodomésticos de Almacenes Mattos bailando para los niños. Trabajando mi talento, no tardé en atraer y luego en reunir en seguida a los pequeños y sus padres. Con el equilibrio de mis piernas largas, con la fuerza de mis brazos, los llevé hasta la sección de refrigeradoras Draco y ahí la habilidad de Roberto hizo el resto. Regresé a mi esquina y continué bailando. No me detuve en ningún momento. Media hora después vi salir a una pareja de esposos, seguidos por Zacarías y un enorme televisor de 21 pulgadas, y una cafetera de regalo. Sonreían, tomados fuertemente de la mano.

“Toninho”, sonrió Bautista, reluciente.

Traía en la mano un catálogo de los productos Draco, desplegado y espléndido, como corresponde a la empresa de electrodomésticos más importante de todo Brasil. Pronto llegaría la nueva colección de lavadoras y secadoras, un verdadero adelanto en tecnología que revolucionaba el mercado de la línea blanca en todo el continente.

“Y los tendremos primero aquí, en nuestra tienda”, decía, blandiendo el folleto, a ratos besándolo y golpeándolo ligeramente, como si se tratara de una ampolleta y estuviera a punto de ensartarme una inyección en el trasero.

“Toni”, me palmeó la espalda.

Tenía, como siempre, la sonrisa perfecta.

Una de las ventajas que tiene mi profesión es que puedo controlar, discretamente, a todas las personas que entran y salen de la tienda. Puedo hacer gestos obscenos sin ser descubierto, mirar escotes y pasar inadvertido. Por eso, cuando vi acercarse a Julia, única entre la multitud, no me tomó realmente por sorpresa. Me sentí perplejo, asustado, pero protegido al fin bajo toda esa barrera de goma y algodón que me escondía. La vi ascendiendo, empujada por las escaleras eléctricas, una visión magnífica que se abría paso entre la multitud. Julia, radiante, el rostro encendido con la vitalidad que le da el buen sexo a las mujeres, pasó junto a mí sin mirarme. Sabía que había hecho todo el camino desde Tijuca solo para encontrarme.

“Julia Oliveira”, escuché que decía Bautista.

Me volví sobresaltado, pues, en mi ensimismamiento, no había previsto la posibilidad de un encuentro entre ambos, pero eso era lo que sucedía.

“Qué sorpresa tenerte en nuestro humilde negocio familiar”, continuó.

Vestida con un escote provocador, Julia se las había arreglado para sobrevivir a la luz del día con mucho más éxito que todas las mujeres que había conocido juntas. La miré, sutilmente maquillada, desafiante bajo el despecho, pero incomparablemente hermosa y digna frente al casanova que tenía delante y que no la merecía. Sentí que, bajo el calor de la goma, empezaba a fundirse toda mi seguridad, viendo cómo lo encaraba con un valor que yo nunca hubiera reconocido en mí mismo.

“¿Y bien?”, decía ella, con voz indiferente. “¿Sabes dónde puedo encontrarlo?”.

“¿Toni?”, se rió Bautista.

Sentí un escalofrío deslizándose por mi larga cola de cocodrilo.

“Sí, Toni”, dijo ella. “Toninho. Tu primo. ¿Dónde está?”.

Bautista encontró mis ojos en mitad de la gente.

“Debe estar en el club de yates, en Ipanema”, noté cierto grado de molestia esta vez. “Como a todo buen carioca, le gusta darse de golpes contra las olas”.

Mi alma regresó al cocodrilo. Ahora estábamos a mano.

“Iré a buscarlo entonces a Ipanema. Ciao Bautista”.

Luego pasó a mi lado, evitándome con elegancia, caminando de prisa.

Yo no existía más para ella.

No hice nada por demostrar lo contrario. No le dije nada mientras se iba. Dejé que los dos agujeros de mi disfraz apuntaran excesivamente su magnífico trasero, mientras ella se hundía en las escaleras eléctricas y el primer piso no tardaba en engullírsela.

Poco después, Bautista la siguió. Se le veía realmente furioso conmigo, aunque no lo reveló de ninguna forma superficial, ni quise yo interpretarlo de esa manera. Estábamos bien como estábamos. No valía la pena malograr el día. Al cruzar junto a mí, susurró lentamente que le debía una explicación, y creo yo que lo decía más por no haber sido Toni la noche entera, que por haberme tirado a su novia, cinco o seis veces.

Seguí bailando, girando, bailando hasta que Gal Costa me dio una tregua prudencial.

Entonces detuve a los niños que brincaban alrededor y caminé hacia la tienda, sin que nadie ni nada me detuviera, inmune a súplicas y reclamos. Pese a ello, uno de los niños alcanzó a colgarse de mi cola; pero yo lo aparté con fuerza, y el pequeño tunante fue a parar junto a las lavadoras. Caminé sin miedo, atravesando las palabras de amonestación que pudieran tener Zé, Bautista o cualquier cliente, padres de familia conservadores, interesados en una correcta educación de sus hijos. Pero, admirablemente, nadie me siguió. Nadie se atrevió a decirme nada. En el camino solo me encontré con Célia, la promotora de tecnología celular, animándome con la sonrisa hueca que les entregaba a todos.

“Lo que sea, diles que necesitaba ir al baño”.

“Te cubro” dijo. “Pero no esperes que lo haga más de cinco minutos”.

Pensé que iba a añadir “o iré a buscarte”; pero la puerta, cerrada por el vaivén, interrumpió mi fantasía.

Como fuera, me sentía enfadado.

Una vez dentro no fui directamente al baño como le había dicho; antes me quité la enorme cabeza y la abandoné junto al grifo. Deseaba con todas mis fuerzas poder sacarme también la otra, ese blando espiral que se hundía hacia ninguna parte al interior de mi cuerpo. Caminé hacia el casillero, y rebusqué en los bolsillos del pantalón hasta que di con el sobrecito celeste que había comprado dos horas antes en el camino a Tijuca. Saqué la pastilla, la sumergí en un vaso de agua y me senté a esperar, observando cómo se desintegraba en miles de burbujas lechosas en la superficie. Miré cómo se hundía, cómo el náufrago vencido por la gravedad se adelgazaba hasta llegar a esa convulsión final que lo desintegró por completo. Pensé en las langostas reproduciéndose en proporción a las buenas ventas. En Célia sonriéndome con algo más que simpatía antes de desaparecer. En Julia buscándome en todos los yates encallados de Ipanema. En Bautista orgulloso de tener el catálogo completo de Draco, mucho antes que en cualquier otra tienda del centro. En Daniela Mercury, pensé. En los lobos que son palomas y las palomas que son lobos. En los animales que se perdonan la vida. Quizá mi cuello había sido expuesto mucho antes de saber que iba a perder. O podía lanzar mis propias bolas de ping pong a la vida; conseguir que alguien me siguiera, al menos un par de metros en lo que quedaba de ella. Mirando el vaso en paz, creí encontrar la respuesta a muchos misterios de la vida, pero no tuve palabras para compartirlas con el mundo. Tampoco hizo falta. Solo éramos ese momento y yo. Vigoroso, inspirado por una extraña dignidad, escuché los quejidos de un niño y el grito de un padre indignado, quizá mi nombre dicho atravesando el tabique del almacén. Escuché los pasos que venían a buscarme, amenazadores, y, quieto por fin, también el dolor de cabeza deshecho en miles de burbujas de adrenalina, me calcé la cabeza de cocodrilo y los esperé de pie, dispuesto a darles batalla.

Mi nombre era Antonio Carlos Pereira. Toninho.

Estaba listo.

Par Carlos Yushimito

Carlos Yushimito del Valle (Lima, Pérou, 1977).

Après une maîtrise en littérature à l’Université de San Marcos, il entame une carrière dans le monde de l’édition et du journalisme jusqu’à son déménagement en Pennsylvanie, aux États-Unis, où il termine actuellement un master en Etudes hispaniques à l’Université de Villanova.

Il a publié les recueils de nouvellesEl mago (Le Magicien), 2004, Las islas (Les îles), (2006) et Equis (X), (2009). Avec Gabriela Falconi il a compilé et préfacé l’anthologie Cuentos. Ecuador—Perú (1998-2008) (Nouvelles. Equateur—Pérou) (1998-2008).

Ses nouvelles sont parues dans plusieurs anthologies, notamment Disidentes. Muestra de la nueva narrativa peruana (Dissidents. Échantillon de la nouvelle narrative péruvienne), Selección peruana (1990-2007) (Sélection péruvienne 1990-2007), La estirpe del ensueño. Narrativa peruana de orientación fantástica (La lignée de la rêverie. Narrative Péruvienne d’orientation fantastique) (2008), et El futuro no es nuestro (L’avenir ne nous appartient pas), version électronique, 2008.

Ses travaux de critique ont été publiés dans des magazines et des suppléments au Pérou, au Mexique, en Espagne et aux États-Unis.

Seltz a d’abord été publié dans Las islas ([sic]-livres. Lima, 2006), ensuite dans l’anthologie Disidentes. Muestra de la nueva narrativa peruana (Revuelta, Lima, 2007) et enfin dans la publication électronique d’El futuro no es nuestro (2008)

Page personnelle

Laure Gauzé (Pau, 1981) Traductrice diplômée en traduction littéraire à l’Institut Supérieur des Traducteurs et Interprètes de Bruxelles. Elle a traduit en français un extrait du roman El testigo de Juan Villoro pour la revue littéraire Spirale (2006) ainsi que des livres sur l’archéologie et la gastronomie pour les maison d’édition Azabache et Quai Rouge. Elle vit actuellement à Mexico où elle travaille en tant que traductrice et professeur de français.

Les illustrations de l’atelier Hispanophonie sont de Jerónimo López Ramírez, dit “Dr. Lakra”, Mexico, 1972. Il vit et travaille entre Mexico et la ville d’Oaxaca, au Mexique.

Performance en ligne, septembre 2008

Il est représenté par la Galerie Mexicaine Kurimanzutto