Shanté (suite)

5

Six mois devront s’écouler pour qu’Elena prenne l’aspect de malade tant redouté par Beatriz. Elle se réveillera à peine quelques minutes par jour pour manger et bouger un peu. Beatriz passera la plupart de son temps à lire : souvent elle tombera sur des statistiques, à quelle vitesse se répand l’usage de l’escoto, combien de femmes prennent la même décision. Elle trouvera aussi cette idée quelque part :

— Ce n’est pas vrai que les personnes, lira-t-elle à haute voix, deviennent prévisibles avec le temps. Chacun peut, n’importe quel jour, se rendre compte qu’il est habité par une idée nouvelle, même la plus improbable ou éloignée de sa pensée…

— Nous avons besoin de parler, dit Shanté aujourd’hui. Cela va de soi. Elena a aussi envie que nous le fassions. Doucement. Je comprends que tout ceci soit très violent pour vous, mais croyez-moi que je n’ai pas envie de vous faire du mal, ni à Elena… Moi, je… … c’est, c’est fini.

Beatriz ne répond pas parce qu’elle continue à pleurer, entre les bras de la fille, avec des gémissements graves et profonds.

Au milieu de son désarroi, avec une douleur grandissante dans la gorge, Beatriz s’aperçoit que la fille est plus grande qu’elle, et que son visage se trouve au milieu de ses seins, menus et tièdes. Elle sent l’odeur du tee-shirt, et plus fort encore, celui de la peau. Ses mains constatent la force et l’élasticité des jeunes bras, cependant, elle n’arrive pas à faire un geste.

— Ça va, dit Shanté, ça va aller.

Beatriz voudrait ajouter quelque chose, mais en est incapable. Elle continue à pleurer. Plus tard elle comprendra qu’elle pleure pour Elena, parce qu’elle ne sait pas quoi faire avec ce qui est en train de se passer, et aussi parce que, sans savoir comment, Shanté la tenant entre ses bras et se balançant toutes les deux lentement, il lui est venu à l’esprit qu’elle-même doit être seule, très seule.

Quand elle finit par se tranquilliser, c’est d’abord Shanté qui s’éloigne. Beatriz regarde la tache qu’elle a laissée de ses larmes sur le tissu rouge. Shanté sourit :

— Ce n’est pas grave.

Les gens passent à côté d’elles. Très peu les regardent, mais ceux qui le font écartent les yeux rapidement.

— Vous aimez beaucoup Elena, n’est-ce pas ? dit Shanté, tandis qu’elle caresse de la main la joue de Beatriz, son oreille, frôle ses cheveux et s’arrête sur la nuque.

— Si, répond Beatriz. Le sourire de Shanté, persistant, est franc et ample, et bien plus beau grâce à la lueur que la fausse dent lui donne. Ensuite elle se demande pourquoi elle remarqua en premier ce subtil éclat — presque invisible.

— Elle aussi vous aime autant, dit Shanté, qui retire sa main tout en approchant ses lèvres des lèvres de Beatriz. Elles se touchent.
Pendant des années, Beatriz pensera souvent à ce contact, mais maintenant ses pensées vont à Elena, dans son appartement, l’escoto à la main, et elle recule.

— Non. S’il te plaît, dit-elle et se tourne pour tomber sur un jeune en patinette, figé la bouche ouverte.

— On peut t’aider ? dit Shanté derrière. Tu cherches quelque chose ?

Shanté s’avance vers le garçon, mais il accélère déjà sur sa patinette. — Au moins il pourra dire que je n’ai pas été grossière…

Beatriz rougit et se remet à marcher, sans tourner la tête ni répondre aux appels de Shanté.

— Beatriz, vous êtes fâchée ? Beatriz ? Excusez-moi… s’il vous plaît. Je ne sais pas ce qui m’a pris. Beatriz ?

Seulement quand Shanté se tait et, obstinée, la suit, Beatriz se rend compte qu’elle pourrait à tout moment apparaître en face d’elle, et alors s’arrête.

— Voyons, dit-elle.

Shanté la rattrape à pied.

— Cela vous a dérangée… ? Bety ? Beatriz ? Je ne sais vraiment pas ce qui m’a pris, je vous l’assure, impossible de me retenir.

— Ne t’en fais pas.

— Vous devriez raconter ça à Elena, dit Shanté.

— Quoi ?

— Ce qui s’est passé.

— Je l’aime beaucoup, dit Beatriz. Je l’ai dit assez de fois, n’est-ce pas ?

— Pas à moi, dit Shanté en souriant, mais Beatriz croit distinguer sur les lèvres plus de tristesse qu’auparavant. Voilà pourquoi je vous le dis. Moi, vous comprenez, à cause de notre situation, je n’ai jamais pu parler avec elle. Je ne crois pas que ce soit possible par ailleurs. Je ne connais personne qui l’ait fait, c’est-à-dire… — Beatriz fronce les sourcils. C’est très rare. Si elles ne… nous appellent pas, c’est comme si nous restions endormies, et quand elles dorment elles nous réveillent. Mais, j’insiste, vous devriez lui raconter.

— Pourquoi ?

Maintenant, les deux marchent ensemble et tombent sur l’avenue. Beatriz ne la reconnaît pas. À cette heure, songe-t-elle, il n’y aura plus de transport pour rentrer.

— Peut-être qu’elle sera contente d’apprendre que… — Shanté soupire ; quand elle se retourne pour la voir, Beatriz se rend compte que c’est elle désormais qui regarde le sol —, j’ai tenté de vous embrasser et vous avez reculé. Je ne sais pas. Je ne connais pas si bien Elena, mais il paraît que quand on est intéressé par les gens de son propre sexe…

— Tais-toi ! dit Beatriz.

— Excusez-moi.

— Mais arrête de t’excuser tout le temps ! crie-t-elle.

Shanté se fige et la laisse continuer toute seule.

— Je veux dire, ajoute-elle, de plus en plus bas, qu’il s’agit plutôt d’une question d’affect, comme vous le pensez.

En face de Beatriz il y a une explosion de lumière, soudaine et silencieuse. Elle s’arrête net et découvre, de l’autre côté de la rue, le bord d‘un parc ; derrière quelques arbustes, de longs jets d’eau émergent d’une fontaine, illuminés par en-dessous. La vue est surprenante, et Beatriz reste un moment sur place pour la contempler. Malgré la distance, elle sent une brise invisible et fraîche sur son visage. Les passants et les voitures deviennent d’un coup des silhouettes floues, presque transparentes.

Alors, bien que le temps nécessaire pour que l’état d’Elena se dégrade ne soit pas passé ; bien que Beatriz ne l’ait pas encore vue s’amincir, se consumer véritablement, elle ne sera pas capable, malgré tout, de la convaincre.

— Je me suis sentie…

— Harassée ?

— Mes genoux ont failli me lâcher, avouera-t-elle plus tard à Shanté. J’ai eu à nouveau un désir énorme de pleurer, je voulais, j’ai eu envie de crier ou je ne sais quoi d’autre. C’était horrible.

— On dirait, lui dira Shanté, la mine préoccupée.

— Et puis, comme ça, quelque temps après, peut-être long, je ne sais pas combien exactement, j’ai réalisé que j’étais, non, calme ce n’est pas le mot, plutôt…

— Plutôt ?

Mais maintenant, lorsque Beatriz découvre cet état d’esprit qui commence à la combler, elle n’est pas non plus capable de le comprendre. Elle sait qu’elle peut contempler le futur prévisible avec sérénité, de la même façon qu’elle contemple encore les lumières de la fontaine. Et ce n’est pas difficile d’imaginer ce qui va se passer. Elena ne cherchera pas d’autre travail, ne mangera plus ; refusera de marcher, de se lever, même de lâcher l’escoto quand elle sera éveillée.

— Et si elle ne fait plus rien, si elle dépend juste de sa propre force — Beatriz insistera le soir même une fois rentrées à l’appartement —, tu vois ce qui va se passer après, quand elle sera toute seule, n’est-ce pas ?

— Shanté, lui dit-elle maintenant très doucement ; elle soupire et dit ensuite plus fort : Shanté, approche-toi.

Elle ferme les yeux, attend un moment et pense revenir là où elle était mais ne le fait pas. Elle écoute des pas s’approchant. La lumière de derrière ses paupières s’amenuise quelque peu, et elle entend sa voix :

— Écoutez, je ne voudrais pas vous dire…

— Ne me dis pas alors, la coupe Beatriz. Elle ferme les yeux une seconde, puis les ouvre. Shanté l’observe, la tête légèrement penchée. La lumière de derrière l’empêche de bien voir ses traits. Comment tu fais pour aller d’un endroit à l’autre ?

— Je n’en ai pas la moindre idée, répond-elle, soulagée. Je me suis souvent dit qu’on était capable de le faire en guise de compensation… de dépendre d’une autre personne pour exister.

— Pardon ? demande Beatriz, et rigole. Elle-même pense que son propre rire sonne faux, mais Shanté ne dit pas un mot.

Toutes les deux traversent la rue, et découvrent qu’en réalité, il ne s’agit pas d’un parc, mais d’un centre commercial, avec de nombreux magasins et un cinéma, où Beatriz s’était rendue plusieurs fois. Soudain, elle songe que le fait de penser à la mort, et puis d’avoir eu cet étrange moment de clarté, l’a vraiment tranquillisée. Tout ce temps, elle a marché dans des endroits connus, et elle s’en rend à peine compte.

— Écoute, moi je comprends, je sais bien plus que ce que j’avouais à Elena, ou ce que je lui disais. Sur tout ceci, sur l’escoto….

— Le niez-vous ? demande Shanté.

— Non, dit Beatriz. Mais bien sûr que je le niais. Parce que, tu sais, Elena est depuis je ne sais pas combien de temps dans cette histoire.

— Ça fait à peu près un an et demi.

— Même avant qu’on se rencontre ? demande Beatriz à l’instant où elles entrent dans le centre et commencent à marcher entre les magasins, les vêtements, les disques et les appareils domestiques. Tout autour, les gens les regardent de biais, spécialement Shanté, dont les vêtements, s’aperçoit Beatriz, sont assez bon marché, et qui plus est, farfelus. Par-ci par-là, elle observe plusieurs femmes d’âges divers qui vont en chaise roulante ; elles ont toutes les yeux clos. Quelques-unes sont emmenées par des femmes ; d’autres, par des hommes ; un enfant, avec difficulté, pousse la chaise d’une femme très âgée.
Parfois, une fine couverture leur couvre, en sus des jambes, les mains, malgré ça, on voit distinctement les escotos en deux ou trois d’entre elles. Tous les autres feignent ne pas les regarder.

— Je peux, commence Shanté, vous avouer autre chose dont on est capable ? Nous, nous nous reconnaissons. Nous avons une… affinité… C’est ainsi que nous découvrons des choses intéressantes. Par exemple, certaines des nôtres ne s’occupent pas du tout de celles qui les appellent, et donc…

Beatriz ne l’écoute pas. Elles sont arrivées à un espace ouvert, entouré par des commerces de fast-food. Elles s’arrêtent et Beatriz hoche la tête.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— L’homme qui est là travaille avec moi, il s’appelle Mendiola, tu le connais?

— Oui, affirme Shanté. Et il est vrai: de l’autre côté, sur une petite extension remplie de tables, Mendiola fait la queue devant le cinéma. Il est en train de parler au téléphone. — Qu’est-ce qu’il y a ?

— Je suppose qu’il n’est pas coupable de tout.

— Mais ?

Beatriz croise les bras et fait une grimace. Puis soupire.

— Mais je voudrais, je ne sais pas, lui dire, à ce salaud…

Soudain, elle se tait, parce que Shanté n’est plus là, et Beatriz ne sait plus ce qui la surprend davantage : la disparition de la jeune fille, qu’elle conçoit à peine, ou le fait de voir Shanté déjà de l’autre côté des tables, en train de marcher à grands pas lourds en direction de Mendiola.

Face à face, elle commence à lui parler ; Mendiola fait un geste de dégoût, et puis elle le prend par les épaules, le tire vers elle et lui donne un coup de genoux dans l’entrejambe. Pris au dépourvu, personne n’a le temps de réagir : Mendiola tombe par terre, se recroqueville, le visage empourpré. Shanté est à nouveau à côté d’elle, et lui dit :

— Allons-nous-en.

Ensuite, elle s’éloigne en rigolant. Beatriz reste encore un peu, regarde Mendiola par terre, en se tortillant, et c’est alors qu’elle se rend compte que les gens autour ne se sont aperçus de rien, ils pensent qu’il est tombé tout seul. Seulement une rousse, habillée en tailleur, qui était juste derrière Mendiola sur la file, voit Shanté qui part et la salue de la main.




6

Shanté n’a pas arrêté de rire lorsque, déjà assez loin du centre commercial, elle lui montre un arrêt de bus où elles arrêtent leur marche. Puis, elles s’assoient sur un banc métallique. Shanté soupire et frotte ses bras.

— J’aurais dû prendre un pull-over, dit-elle. Il se fait tard.

Beatriz répond :

— Oui, et elle pense à son appartement où (elle s’en aperçoit) elle ne pourra plus aller ce soir.

À nouveau, elles restent silencieuses.

— Donc … ajoute Shanté.

Un autobus passe, mais Beatriz ne fait plus l’effort de regarder la destination qu’il affiche. Elle le regarde s’éloigner, et lorsqu’il disparaît au moment de tourner sur l’avenue, elle profère un :

— Pardon ?

— Il y a… quelque chose dont je me souviens. Elena vous avait demandé d’en parler avec moi, n’est-ce pas ?

— Ce n’était pas correct.

— Quoi, ce petit moment avec Mierdola ?

— Ne l’appelle pas comme ça.

— Elena l’appelait comme ça.

— Moi-même je l’appelais comme ça.

— Ne me dites pas que vous ne l’avez pas apprécié.

Beatriz est sur le point de rigoler mais ne le fait pas.

— Qu’est-ce qui se passe si Elena se réveille ?

L’une des dernières conversations entre Elena et Beatriz aura lieu un soir dans une autre ville, sur un mirador face à la mer. Beatriz, sachant combien de temps il leur reste ensemble, aura demandé (comme Elena auparavant) tous ses mois de vacances cumulés. Autour d’elles il y aura une grande quantité d’hommes et de femmes, des vacanciers pour la plupart qui feront tout leur possible pour ne pas les regarder, ne pas les approcher. Elena sera sur une chaise roulante, comme les autres femmes à la place centrale. Mais pour cette occasion, elle lâchera l’escoto et consentira même à ce que Beatriz le range dans son sac. Elena lui demandera si elle n’a jamais eu la curiosité de le faire.

— Ce ne sera pas bien pour toi que j’aie envie maintenant, n’est-ce pas ? lui répondra Beatriz. Vu l’état des choses…

Puis Elena (si fine et frêle que Beatriz n’a pas eu besoin d’aide pour la porter, comme s’il s’agissait d’une poupée), lui demandera si elle n’avait pas honte.

— Tout ce dévouement, ajoutera-t-elle. Comme s’il s’agissait de garder un bébé, ou pire encore, parce que, bon, je suis plus âgée, n’est-ce pas ?
Et Beatriz, la vue fixe sur la mer, les épaules et les bras brûlés du trop de soleil, aura envie, pour un instant, de pleurer comme le jour où elle l’a fait entre les bras de Shanté dans la rue.

Mais Elena continuera :

— Non… attends. Ecoute, Bety. En réalité je devrais te dire autre chose.

— Quoi donc ?

— Je ne trouve pas les mots.

— Ce n’est pas de l’abnégation, répondra Beatriz.

— Je sais, mais, non, ce n’est pas possible.

C’était quoi cette histoire sur l’escoto, n’était-il pas devenu un problème de santé publique ou de sécurité nationale, c’était comment cette histoire ?

— Si Elena se réveille moi je disparais, dit Shanté. Je ne peux être ici que quand elle utilise l’escoto. C’est assez curieux, puisque je vous ai dit ce qui arrive lorsqu’elle est éveillée. Je ne vois pas ce qu’elle fait. J’ai de vagues souvenirs au moment de revenir, quand elle m’appelle, voilà pourquoi je sais un peu de ce qu’elle sait, mais pas tout. Cela nous arrive à toutes.

— Qui toutes ? C’est-à-dire, à toutes ?

Beatriz pense à Fernández sans savoir très bien pourquoi. Dans deux semaines il lui dira :

— Moi je ne comprends franchement pas qu’une personne puisse faire ça de sa vie, en plus, avec un bon travail dans une bonne entreprise.

— Pardon ? demandera Beatriz, qui pensera ensuite : ose ajouter quelque chose, espèce d’imbécile.

Fernández apercevra quelque chose sur son visage, parce qu’il essayera de se corriger :

— Bon, je sais que toi, euh, mais l’ingé Beatriz ne pensait qu’à son truc, et perdait son temps avec… avec son amie, là…, non ?

Vas-y, pensera Beatriz.

— Tu ne l’as plus vue ? s’enquerra Fernández, et comme Beatriz ne dira rien : — C’est comme avoir… peur du succès, n’est-ce pas ? Ca arrive à tout le monde, avoir peur des responsabilités, n’est-ce pas ? Je sais qu’on l’a virée, Bety, mais tu vas la justifier et me dire que c’est la faute de l’ingénieur Mendiola…

— L’amie de l’ingé, la grosse-là à laquelle tu penses, a écrasé d’un coup de pied les couilles de Mendiola, dira Beatriz.

Elle ne saura jamais si Mendiola lui-même a parlé de cette affaire.

Fernández sera si éberlué par la réponse que Beatriz s’apitoiera sur lui. L’homme bégayera un moment, inutilement, sans pouvoir formuler une seule phrase.

— Nous toutes, affirmera Shanté. Nous ne nous réunissons pas, du tout, mais parfois quand nous nous croisons par là nous parlons un peu…

— Vous vous entendez toutes ?

— Non, non, bien sûr… Avez-vous vu celles qui jettent des confettis, et qui habitent près d’ici.

— Je pense, oui.

— Je ne les supporte pas, ni vice-versa, les hypocrites… Mais, comme je vous disais : c’est nous qui devrions parler. Comme Elena le désirait.

Soudain, Beatriz se sent embarrassée puisqu’elle s’est rendu compte à quel point Shanté peut être assez insistante : à chaque fois qu’elle aura besoin de lui dire quelque chose, si elle ne tente pas de la forcer ni de la harceler, elle ne se laissera pas vaincre facilement.

— Bon, d’accord, dit Beatriz, parlons.

Quelques jours après la discussion sur le mirador avec Elena, elle et Shanté parleront une nouvelle fois dans la petite chambre d’hôtel devant la mer. Aucune des deux ne tournera la tête pour voir Elena couchée sur un des lits. Les deux se sentiront lassées : elles venaient juste de nettoyer la pièce, comme si elles avaient été chez elles.

— C’est bizarre cette histoire de manque de femmes de chambre, dira Beatriz (L’administration de l’hôtel leur aura parlé d’un problème de manque de femmes).

— Pas tout à fait, dira Shanté et puis, pour changer de sujet, suggérera que ce qui était vraiment bizarre était leur propre cas, à elles trois.

— Comment ça ?

— Parce que la plupart des femmes qui utilisent l’escoto finissent toutes seules. Celles qui apparaissent, disons-le ainsi, disparaissent. Elles n’ont aucun intérêt à prendre soin de…

— Celles qui les entretiennent, ou tu voulais dire autre chose ?

— Non, c’est juste. Parfois elles cherchent où habiter ailleurs. Parfois, et cela est déjà arrivé au moins deux fois, elles se marient. Chacune avec un homme, je veux dire.

— Sérieusement ?

— C’est pour ça que les auberges ou des lieux pareils existent.

— Écoute, ajoute Beatriz, je ne sais pas de quoi Elena voulait qu’on parle.

— Bon, répond Shanté, il faudrait se connaître, n’est-ce pas ? J’imagine qu’elle aurait voulu…

Shanté touche un bras de Beatriz, près du coude, mais enlève sa main tout de suite. Une fois de plus, toutes les deux restent silencieuses.
Beatriz sent que le baiser de toute à l’heure n’était pas un caprice. Et la première chose qui lui vient à l’esprit, c’est que Shanté ne lui plaît pas.

— Explique-moi quelque chose, l’interpelle-t-elle.

— Oui ?

— C’est quoi cette histoire sur la tante ? Tu la connais par hasard ?

— La tante ? Ah oui, ça, bien sûr. Mierdola avait dit une fois qu’il ne comprenait pas pourquoi les gens souffraient autant quand ils n’avaient plus de travail, s’il y avait toujours une tante riche à qui demander de l’argent et survivre jusqu’à ce qu’on ait trouvé un nouvel emploi.

— Quel attardé.

— Elena pense, explique Shanté, que cet exemple de la tante n’est adressé qu’à ceux qui n’ont pas de tante, car ils auront peur de perdre le peu qu’ils possèdent.

— Ah d’accord…

— Il est attardé.

— J’aurais besoin de ton aide, répond Beatriz.

À l’entreprise, et pendant le temps qu’elle continuera à y travailler, tout le monde pensera qu’elle a changé d’attitude : elle sera toujours à l’heure, mais s’en ira juste à l’heure de sortie. Elle ne discutera plus jamais avec Mendiola ni ses amis, même, des fois, elle se mettra de leur côté lors des disputes et des intrigues de bureau. Cependant, elle n’aura pas à leur égard le moindre affect. Elle encaissera ponctuellement le chèque de son traitement pour dépenser l’argent avec frugalité. Après six mois, elle commencera de temps en temps à avoir peur.

— Je n’ai rien à t’expliquer.

— Sur quoi ?

— Je vais prendre en charge Elena, dit Beatriz. Cela veut dire que nous allons, toi et moi, gérer l’appartement. Au moins tout le temps qu’on pourra le garder. Il nous faudra faire la cuisine, nettoyer, avoir tout dans un ordre impeccable, tout. Je ne sais pas très bien comment je vais faire pour, pour la convaincre.

Après toutes ces corvées il faudra faire aussi l’achat des seringues, du sérum, du coton, du désinfectant, des couches ; tourner Elena de temps à autre, la déplacer. Désormais elle devra faire attention à elle-même, pensera Beatriz. Cette nuit elle dormira, surveillée par Shanté, sur le canapé de l’appartement d’Elena. Le lendemain elle prendra une douche, le petit-déjeuner, remettra les vêtements de la veille (ceux de son amie seront trop petits pour elle) et puis partira pour le bureau. Après les excès de la journée précédente, les gens seront surpris par son calme.

— Que je sache, Elena n’a personne, dit Shanté. Et elle ne pourra pas s’occuper d’elle-même.

— Elena ne veut pas, dit Shanté, qu’on s’occupe d’elle.

— Je sais que, je sais ce qu’elle veut. C’est-à-dire, ce qu’elle désire en réalité, enchaîne Beatriz, mais Shanté ne répond pas.

Toutes les deux iront un jour au cinéma, voir un film sans queue ni tête : il y aura de nombreux personnages très bizarres : un diable ou quelque chose comme ça habillé en cow-boy, un fantôme assassin, une femme capable de voir le futur, une vieille femme cachée dans une boîte… Beatriz sera touchée malgré tout par les scènes d’amour entre les deux protagonistes (dont elle n’a jamais su le nom). En train de regarder un spectacle dans un théâtre, elles pleureront devant la chanteuse, serrées l’une contre l’autre. Au même instant, elle jettera un rapide coup d’œil à Shanté et la découvrira avec les mains sur les cuisses, les bras serrés contre le corps, les yeux humides.

— Voilà pourquoi je vais avoir du mal, poursuit Beatriz.

— Ce que vous voulez, c’est mon aide, réplique Shanté.

Plusieurs fois, au bureau, entre dix-huit et vingt-et-une heures, quand tous les autres sont déjà partis, que ce soit devant le clavier, se préparant un café, ou en allant et revenant de la fenêtre, l’image d’Elena revenait sans cesse à l’esprit de Beatriz. Shanté ne la regardait jamais pendant ces heures-là, même si elle levait le regard et cherchait le sien, Beatriz feignait de travailler, ou baissait la tête, ou se mettait debout. Rarement elle revenait sur ses fantaisies préférées, réservées précieusement pour les moments de solitude. Néanmoins, elle se satisfaisait avec une fantaisie très simple, lumineuse, sans urgence ni crainte : le visage d’Elena, face à face, de plus en plus proche.

— Qu’est-ce que je viens de dire ? demande-t-elle.

Le fond variait : le bureau, sa maison à elle ou la maison d’Elena, la rue, la forêt, la cité en pénombre. Elena était assez proche mais elle ne parlait pas, c’était inutile. Elle avait une main sur la joue de Beatriz, et la main dansait, se baladait sur son oreille, frôlait les cheveux, se reposait sur la nuque. Puis la main s’éloignait pendant que ses lèvres s’approchaient des lèvres de Beatriz.

Troublée, fascinée, Beatriz la laissait faire à chaque fois. D’abord elle fermait les yeux. Ensuite, les autres lèvres, fermées, la touchaient à peine. Ensuite Beatriz se rendait compte (toujours avec étonnement, comme si elle n’avait pas imaginé cette scène plusieurs fois) qu’elle ouvrait aussi les siennes. L’autre langue caressait sa langue. Elle était chaude et docile; la langue dansait, mais sans hâte ni trop de force. Deux mains se posaient sur son dos. Ses bras enlaçaient Beatriz, démunis de violence et sans aucun type d’urgence.

Passé quelque temps, Beatriz lèvera les bras et caressera aussi le dos d’Elena. Plus tard, elle ne se rendra compte d’avoir fermé les yeux qu’au moment de les rouvrir. Elle rencontrera alors un sourire, une présomption de lumière si dans sa rêverie elles sont enlacées dans la pénombre. A la lumière du jour, le ciel couronnera le visage observé qui, lui, contemplera un paysage d’arbres et d’étoiles.

— Par hasard, dit Shanté, vous n’avez pas imaginé que j’aurai peut-être envie de voir le monde, je ne sais pas, trouver une pièce, m’en aller ?

— Quoi ?

Shanté ne sourit, Beatriz ne la suit pas.

— Écoute, je t’ai déjà dit que je sais bien plus de choses sur tout ceci que, que je ne l’ai avoué à Elena. Tu sais bien que plus elle durera, plus tu pourras durer aussi, et que le jour où elle…

Shanté s’arrête d’un coup.

— Je sais, c’était une blague.

— Ne me dis plus jamais une connerie pareille.

— Je veux vous aider, Beatriz, dit Shanté, en détournant le regard. Moi aussi ça m’arrange. Excusez-moi.

— Ce serait peut-être une bonne idée que tu te mettes à chercher un travail, même à mi-temps.

— J’ai froid, dit Shanté, qui se frotte les avant-bras avec les mains.

Elles continuent à parler, à se mettre d’accord sur la façon de partager les tâches qu’elles devront accomplir. Elena, même si elle ne peut pas la voir, écoute à travers ses ouïs. Comme il lui arrive de plus en plus souvent, elle a oublié son nom, l’escoto, sa vie passée : elle est convaincue d’être une jeune fille, et ne songe plus à son poids, son visage ni ses vêtements. Elle a arrêté aussi de se dire, comme elle le faisait les nuits passées au bureau, tandis que Beatriz l’attendait, combien sa prétention était triste. Elle l’attendait, toujours, avec une attitude de lutte permanente, en total refus de se voir vaincue, même si elle n’osait jamais rien lui dire ni faire.

Comme si c’était juste un rêve, Elena est sûre d’être Shanté. Pendant qu’elle essaie de se réchauffer, elle songe aux yeux de Beatriz, ses joues, ses mains. Elle se demande aussi si elle n’est pas allée trop loin avec son geste si emporté. Elle voudrait croire que ce n’est pas le cas, bien que Beatriz ait l’air pensif. Elle se dit que si elle était Elena, elle laisserait tomber les préjugés, les appréhensions et les conséquences.




7

— Je vais voir Elena, dit Shanté, quand elles seront de retour dans l’appartement. Je crois qu’elle va se réveiller bientôt.

— Déjà ? Comment tu le sais ?

— On le sait.

Shanté la regarde, sans dire un mot. Elle cligne des yeux et Beatriz voit (même si, en réalité, il n’y a aucun signe sur le visage ample, ni sur la bouche), qu’elle va sourire.

— Ah, répond-elle. Est-ce, est-ce vraiment, comment dire, sûr qu’elle va se… ?

— Vous êtes sûre que vous allez parler avec elle?

C’est maintenant Beatriz qui garde le silence. Elle acquiesce, nerveuse, et Shanté comprend qu’elle doit s’écarter. Elle le fait et entre dans l’habitation d’Elena, qui serre fortement l’escoto, les yeux fermés.

Quelques mois auparavant, Elena l’a appelée par téléphone pour la première fois depuis le bureau. Quand elle est arrivée, et remise du malaise qu’elle subit à chaque fois qu’elle arrive quelque part, Shanté a vérifié qu’Elena était bien. Elles étaient aux toilettes, et ensuite elle s’est aventurée à sortir.

Elle n’avait jamais mis les pieds au bureau, mais reconnut quelques détails, le reflet de la lumière, des sons. La porte fermée du bureau de Mendiola, les bureaux des comptables, la porte battante qui conduisait au bureau des Ressources Humaines ; des affiches collées partout parlant d’une qualité absolue, la mission de l’entreprise… À côté des toilettes d’hommes, elle entendit nettement une bruyante aspiration se produire derrière la porte, ce qui la mit en colère : puis elle aperçut Fernández qui sortait.

Un obsessif frappement de touches lui fit tourner la tête vers un bureau. Beatriz était là, assise devant l’ordinateur, les mains sur le clavier. De temps en temps, elle jetait quelques coups d’œil furtifs vers les toilettes. Quand elle se rendit compte de la présence de Shanté, elle tourna la tête et toutes les deux s’observèrent. Pourtant, et après quelques instants, Beatriz remit le regard sur son écran. Shanté resta là où elle était sans parler.

Ainsi, des jours et des mois s’ensuivirent. Shanté apparaissait à l’imprévu et en silence la regardait de loin. Alors, elle commença à créer une fantaisie : elle imaginait Beatriz toute nue, couchée dans la pénombre avec les yeux fermés. Elle se la figurait dans l’attente, incapable de savoir qu’elle-même était déjà là. Mais cela n’était pas important, puisqu’elle pouvait toujours avancer, s’approcher de Beatriz et la frôler soudain : tout doucement, sans prévenir.



Traduit par Iván Salinas

5

Elena, en poco más de medio año, tendrá el aspecto de enferma que Beatriz tanto teme llegar a verle. Apenas se despertará unos minutos al día, para comer y poco más. Beatriz pasará buena parte de su tiempo leyendo: cada tanto, dará con estadísticas: cuán rápido se extiende el uso del escoto, cuántas mujeres toman la misma decisión. También hallará, en alguna parte, esta idea:

—No es verdad que la gente —leerá en alta voz— se vuelva predecible con los años. Cualquiera puede, cualquier día, hallarse al menos pensando una idea nueva, de la que nunca se hubiera creído capaz…

—Es que necesitamos platicar —dice hoy Shanté—. Eso lo tengo claro. También Elena quiere que lo hagamos. Con calma. Entiendo que esto debe ser muy violento para usted, pero créame que no quiero hacerle nada, ni tampoco a ella… Yo…, este…, ya…, ya pasó.

Beatriz no responde porque sigue llorando, entre los brazos de la muchacha, con gemidos graves y profundos.

Entre uno y otro, además de un dolor que crece en su garganta, Beatriz puede percibir que la muchacha es más alta que ella, y que su propia cara casi está sobre los senos menudos y cálidos. Puede oler la tela de la playera, y también, bajo ella, la piel. No media nada entre ambas. Siente bajo sus manos la carne joven y elástica, pesada, de los brazos. Pero otra vez no puede moverse.

—Está bien— dice Shanté—. Está bien.

Beatriz quiere decir algo pero no puede. Sigue llorando: más tarde entenderá que llora por Elena, por no saber qué hacer con lo que está pasando, y también porque, mientras Shanté la estrecha y ambas se mecen, lentamente, se le ha ocurrido, sin que pueda explicarse por qué, que ella misma debe estar muy sola.

Cuando al fin consigue serenarse, Shanté misma la aparta. Beatriz observa la mancha que ha dejado con sus lágrimas en la tela roja. Shanté la mira y sonríe.

—No importa.

Pasa gente a su alrededor. Muy pocos las miran, pero quienes lo hacen apartan la mirada con rapidez.

—Usted quiere mucho a Elena, ¿verdad? —dice Shanté, y tiene una mano en la mejilla de Beatriz, y la mano se mueve, pasa sobre su oreja, roza su pelo, descansa en su nuca.

—Sí —responde Beatriz. La sonrisa de Shanté, que persiste, es grande y franca, y en realidad es más hermosa por el diente, que la hace brillar de manera levísima. Luego se preguntará por qué, primero, se fijó en ese resplandor, discreto, casi invisible.

—Ella también la quiere mucho —dice Shanté, y quita la mano, pero acerca sus labios a los labios de Beatriz. Se tocan. Beatriz pensará en ese contacto, muchas veces, durante muchos años, pero ahora piensa en Elena, que sigue en su departamento, con el escoto en una mano, y se aparta.

—No. Por favor —dice, y da media vuelta para ver, frente a ella, a un muchacho con una patineta, que no se mueve y las mira con la boca abierta.

—¿Qué se te ofrece? —dice Shanté a sus espaldas— ¿Qué quieres?

Shanté rebasa a Beatriz y da un paso hacia el muchacho, pero éste ya está sobre su patineta, acelerando. —Al menos no dirá que fui grosera…

Beatriz se ruboriza y de nuevo empieza a caminar. De nuevo no mira atrás ni responde a las llamadas de Shanté:

—Beatriz… ¿Beatriz? ¿Se molestó, Beatriz? Perdóneme… Por favor. No sé qué me pasó. ¿Beatriz?

Sólo cuando calla, y se empeña en seguirla, y Beatriz se da cuenta de que podría ponérsele delante en cualquier momento, se detiene.

—A ver —dice.

Shanté la alcanza caminando.

—¿Le molestó…? , Bety…? ¿Beatriz? No sé qué me pasó, le digo, no pude contenerme.

—No te preocupes.

—Debería decirle a Elena —dice Shanté.

—¿Qué?

—Esto que ha pasado.

—Yo la quiero mucho —dice Beatriz—. Ya lo he dicho varias veces, ¿no?

—A mí no —Shanté vuelve a sonreír, y a Beatriz le da la impresión de que la sonrisa es más triste que antes—. Pero por eso se lo digo. Yo, por nuestra situación, usted entiende…, nunca he hablado con ella. No creo que se pueda. No sé de nadie que lo haya hecho, es decir… —Beatriz enarca las cejas— Es muy raro. Si no nos… llaman, así decimos, es como si estuviéramos dormidas, y cuando ellas se duermen nos despiertan. Pero le digo, debería decirle.

—¿Por qué?

Ahora las dos caminan juntas y llegan a una avenida. Beatriz no la reconoce. No va a encontrar a tiempo, piensa, un transporte para volver a casa.

—A lo mejor le gusta enterarse de que¬… —Shanté suspira; cuando Beatriz voltea a verla se da cuenta de que es ella, ahora, quien tiene la vista en el suelo—, de que yo quise besarla y usted no quiso. No sé. No conozco tan bien a Elena, pero hay gente que cree que cuando una está interesada en la gente de su propio…

—Cállate —dice Beatriz.

—Perdón.

—¡Ya deja de pedir perdón! —grita Beatriz.

Shanté se detiene y la deja seguir adelante, sola.

—Quiero decir —agrega solamente, cada vez más lejos— que, como usted misma dice, es más bien cuestión de cariño.

Delante de Beatriz hay un estallido de luz, repentino, silencioso. Ella se detiene y descubre, en la esquina opuesta a la que acaba de alcanzar, el borde de un parque; tras unos arbustos, una fuente cercana arroja al aire largos chorros de agua, iluminados desde abajo. Es una vista hermosa y Beatriz se queda un momento allí, mirando. A pesar de la distancia, siente en la cara un rocío impalpable y fresco. Los pocos transeúntes y coches que se atraviesan entre ella y la luz le parecen siluetas imprecisas, casi transparentes…

Entonces, aunque no ha pasado aún el largo tiempo que tomará el deterioro de Elena: aunque no la ha visto aún comenzar a agostarse, a consumirse de veras, a pesar de todo Beatriz sabe que no va a ser capaz de convencerla.

—Me sentí…

—¿Abrumada?

—Me temblaron las rodillas —dirá, más tarde, a Shanté—. Tuve otra vez ganas de llorar, quería, tuve ganas de ponerme a gritar o no sé de qué, fue horrible.

—Se oye —le dirá Shanté, y su cara se verá preocupada.

—Y luego, así nomás, después de un rato, no sé, largo, no sé cuanto, descubrí que estaba, no sé, no tranquila, más bien como…

—¿Cómo?

Pero ahora, cuando Beatriz descubre este ánimo que empieza a llenarla, tampoco es capaz de comprenderlo. Sabe que puede contemplar el futuro previsible con serenidad, del mismo modo en el que observa, aún, las luces de la fuente. Y no es difícil ver lo que va a ocurrir. Elena no buscará otra trabajo, dejará de comer, se negará a caminar, a levantarse y hasta a soltar el escoto aunque esté despierta.

—Y si se queda, si está nada más librada a sus propias fuerzas —le repetirá a Shanté, esta misma noche, cuando regresen al departamento—, sí entiendes lo que va a pasar si, cuando se quede sola, ¿verdad?

—Shanté —le dice ahora, en voz baja; suspira; vuelve a decir, más alto: —Shanté. Ven acá.

Cierra los ojos. Espera un momento. Piensa en regresar a donde estaba, pero no lo hace. Escucha unos pasos que se acercan. La luz tras sus párpados se apaga un tanto, y escucha la voz:

—Mire, no le quiero decir…

—No me digas —dice Beatriz. Por un momento mantiene los ojos cerrados. Luego los abre. Shanté la mira con la cabeza levemente inclinada. La luz tras ella le impide ver bien sus rasgos—. ¿Cómo haces eso de ir de un lado a otro?

—No tengo idea —responde Shanté; se ve aliviada—. Siempre he pensado que lo podemos hacer, digamos, para compensar… Por depender de otra persona para nuestra subsistencia.

—¿Qué? —pregunta Beatriz, y se ríe. Su propia risa le parece falsa, pero Shanté no dice nada.

Las dos cruzan la calle y descubren que, en realidad, no es un parque, sino una plaza comercial, compuesta de muchas tiendas y un cine, que Beatriz ha visitado muchas veces. Se le ocurre que, después de haber pensado en la muerte y de haber tenido ese momento extraño de claridad, realmente se encuentra más tranquila. Todo el tiempo ha estado caminando por lugares conocidos, y apenas ahora se da cuenta.

—Mira, yo entiendo, yo sé, sé bastante más de lo que le decía a Elena, de lo que le decía que sabía. ¿Me entiendes? Sobre esto, el escoto…

—¿Lo estaba negando? —pregunta Shanté.

—No —dice Beatriz—. Claro que lo estaba negando. Porque, qué quieres, Elena lleva no sé cuánto tiempo lleva metida…

—Lleva como año y medio.

—¿Desde antes de que yo la conociera? —pregunta Beatriz, mientras las dos se internan en la plaza y siguen caminando entre tiendas de ropa, discos, aparatos electrónicos. Se mezclan con la gente, que las mira de reojo y en especial a Shanté, cuyas ropas (comprueba Beatriz) son, además de baratas, muy estrafalarias. Beatriz observa que algunas mujeres, de edades diversas, son llevadas en sillas de ruedas; todas tienen los ojos cerrados. A algunas las llevan otras mujeres; a algunas, hombres; un niño empuja con dificultad la silla de una mujer muy vieja.
En algunos casos, una manta les cubre, además de las piernas, las manos, pero los escotos de dos o tres son bien visibles. El resto de la gente finge no mirarlos.

—¿Le digo —empieza Shanté— otra cosa que sí sabemos hacer? Nos…, nos reconocemos. Tenemos una… afinidad… Así se descubren cosas interesantes. Por ejemplo, que algunas de nosotras no se ocupan para nada de quienes las llaman, y…

Beatriz no le hace caso. Han llegado a un espacio abierto, cercado por negocios de comida rápida, y Beatriz, detenida, mira hacia delante y menea la cabeza.

—¿Qué pasa?

—¿Ese de ahí es Mendiola, el de mi trabajo, lo conoces?

—Sí —dice Shanté. Es cierto: al otro lado de una pequeña extensión cubierta de mesas, Mendiola está de pie, en una fila, ante la taquilla del cine. Habla por un teléfono celular—. ¿Qué pasa?

—Supongo que no es sólo su culpa.

—¿Pero?

Beatriz cruza los brazos y hace una mueca. Suspira.

—Pero, que quisiera, no sé, quisiera agarrarlo, al perro…

Calla, porque Shanté ya no está allí, y Beatriz no sabe qué la sorprende más: si la propia desaparición, que apenas ahora comienza a percibir, o el hecho de que ahora Shanté está del otro lado de la zona de mesas, caminando con sus pasos largos y pesados hacia Mendiola.

Le habla; Mendiola pone cara de desagrado; Shanté lo toma por los hombros, lo acerca hacia ella y le da un rodillazo en la entrepierna. Nadie alrededor es capaz de reaccionar antes de que Mendiola caiga al suelo, hecho un ovillo y con la cara congestionada. Shanté está de nuevo con Beatriz, y le dice:

—Vámonos.

Se aleja, riendo. Beatriz se demora un momento. Observa a Mendiola en el suelo, retorciéndose, y se da cuenta de que quienes lo rodean no alcanzaron a ver qué pasó y suponen que se cayó solo. Sólo una pelirroja, vestida con un traje sastre, justo tras Mendiola en la fila, ve partir a Shanté y la saluda con la mano.




6

Shanté no ha dejado de reír cuando, ya lejos del centro comercial, le señala una parada de autobuses. Las dos caminan hasta ella y se sientan en la banca metálica. Shanté suspira y se frota los brazos.

—Debí haber traído un suéter —dice—. Se hace tarde.

Beatriz responde:

—Sí —y piensa en su departamento, al que (se da cuenta) ya no podrá llegar.

Otra vez las dos se quedan calladas.

—Bueno —empieza Shanté.

Pasa un camión, pero Beatriz no se molesta en leer el cartel de la ruta. Lo mira alejarse y, cuando ha desaparecido al doblar una esquina, dice:

—¿Qué?

—Algo…, algo de lo que sí me acuerdo es que Elena le había dicho que habláramos. ¿No?

—Eso no estuvo bien.

—¿Qué, lo del Mierdola?

—No le digas así.

—Así le decía Elena.

—Así le decía yo también.

—No me diga que no le gustó.

Beatriz va a reír, pero se contiene.

—¿Qué pasa si Elena se despierta?

Una de las últimas conversaciones de Elena y Beatriz será una tarde, en un mirador frente al mar, en otra ciudad. Beatriz, consciente del tiempo transcurrido y de cuánto resta, habrá pedido (como antes Elena en alguna ocasión) varios meses de vacaciones pendientes. A un lado y otro de ellas habrá muchos hombres y mujeres, vacacionistas en su mayoría, y todos procurarán no mirarlas y apartárseles. Elena estará, como las mujeres en la plaza comercial, en una silla de ruedas, pero por una vez soltará el escoto y permitirá que Beatriz lo guarde. Le preguntará si nunca ha sentido curiosidad.

—No te conviene que me dé curiosidad, ¿no? —le contestará Beatriz—. A estas alturas…

Luego, Elena (quien le parecerá tan delgada y frágil como una muñeca, y a la que podrá levantar sin ayuda) le preguntará si no siente vergüenza.

—Tanta abnegación —dirá—. Debe ser como cuidar a un bebé, o peor, porque…, bueno, porque tengo más edad. ¿No? Y Beatriz, con la vista fija en el mar, con los hombros y los brazos quemados por demasiado sol, sentirá, por un instante, ganas de llorar como en la calle, cuando estuvo en brazos de Shanté.

Pero Elena le dirá:

—No… Espera. Mira, Bety… En realidad tendría que decirte otra cosa.

—¿Qué cosa?

—No sé cómo decirlo.

—No es abnegación —responderá Beatriz.

—Ya sé —dirá Elena—. Es que… No, no se puede.

¿Cómo era eso de que lo del escoto ya es problema de salud pública, o de seguridad nacional, o…, cómo era?

—Si Elena se despierta yo desaparezco —dice Shanté—. Nada más puedo estar aquí mientras ella usa el escoto. Es muy curioso, porque ya ve lo que le decía de lo que pasa cuando ella está despierta… Yo no veo lo que hace ella. Algo recuerdo cuando regreso, cuando ella me vuelve a llamar, y por eso sé algo de lo que sabe, pero no todo… Así nos pasa a todas.

—¿Quiénes todas? ¿Es decir, a todas?

Beatriz piensa, sin saber por qué, en Fernández. En un par de semanas, él le dirá:

—Yo la verdad no entiendo a quién se le puede ocurrir hacer una cosa así con su vida, y más teniendo un buen trabajo en una buena empresa.

—¿Qué? —preguntará Beatriz. Pensará: Atrévete a decir cualquier otra cosa, imbécil.

Y Fernández verá algo en su cara, porque tratará de corregir:

— Ya sé que a ti, este… Pero la inge ya nada más estaba pensando en su…, perdiendo el tiempo con…, con su amiga la… ¿No?

Síguele, pensará Beatriz.

—¿Ya no la has visto? —le dirá Fernández, y luego, como Beatriz no dirá nada: —Es como… ¿Miedo al éxito? ¿No? Miedo a… A cualquiera le pasa, miedo a tener responsabilidades… Ya sé que la corrieron, Bety…, y me vas a decir que el ingeniero Mendiola…

—Su amiga de la inge, la gorda esa en la que estás pensando, le dio una patada en los huevos al ingeniero Mendiola —dirá Beatriz.

No sabrá nunca de Mendiola refiriendo el incidente.

Fernández quedará tan sorprendido por la respuesta que a Beatriz le dará lástima. El hombre pasará, todavía, un rato tartamudeando, con la intención de decir algo.

—Todas nosotras —dice Shanté—. No es que nos reunamos ni nada parecido, pero algunas veces, cuando nos hallamos por ahí, conversamos…

—Todas se llevan.

—No, no, claro que no… ¿Ha visto a unas que tiran papelitos de colores, que viven por aquí?

—Creo que sí.

—No las soporto, ni ellas a mí, las muy hipócritas… Pero le decía: las que deberíamos platicar somos nosotras. Como quería Elena.

De pronto, Beatriz se preocupa, porque se da cuenta de que Shanté puede llegar a ser muy insistente: siempre que quiera decirle algo, no intentará forzarla, ni atosigarla, pero tampoco se dará por vencida.

—A ver —dice—, vamos a hablar.

Algunos días después de la conversación en el mirador, Shanté y ella hablarán sentadas en la terraza diminuta del cuarto del hotel, de nuevo ante el mar. Ninguna de las dos se volverá a ver a Elena, de espaldas en una de las camas. Las dos se sentirán fastidiadas: apenas habrán terminado de hacer limpieza, casi como en casa.

—Qué raro eso de la escasez —dirá Beatriz. (La administración del hotel les habrá hablado de una escasez de recamareras.)

—En realidad no —dirá Shanté, y luego, para cambiar de tema, agregará que lo raro es, de hecho, el caso de las tres.

—¿Cómo?

—Porque la mayoría de de las personas que usan el escoto se quedan solas… Las que aparecen, digámoslo así, se van. No tienen ningún interés en cuidar a…

—¿A la que las mantiene, o cómo era que decías?

—Pues sí. A veces hasta se buscan su propio lugar donde vivir, o… Yo he sabido de un par que se han casado… Cada una con un hombre, es decir.

—¿De veras?

—Por eso existen los albergues y lugares así.

—Mira —dice ahora Beatriz—, no sé, no sé bien como de qué quería Elena que habláramos.

—Bueno —responde Shanté—, hay que…, conocernos, ¿no? Me imagino que ella querría que…

Shanté toca un brazo de Beatriz, cerca del codo, pero retira la mano casi de inmediato. Una vez más, las dos se quedan en silencio.
Beatriz entiende que el beso de poco antes no fue un capricho. Y lo primero que se le ocurre es que Shanté, en realidad, no le gusta.

—Dime una cosa —le pide.

—¿Qué?

—¿Qué es eso de la tía? ¿Sabes, de casualidad?

—¿La tía…? Ah, eso. Sí, claro. El Mierdola dijo una vez que no veía por qué la gente sufría tanto cuando se quedaba sin trabajo, si siempre hay una tía rica a la que le puede pedir dinero y así sobrevivir hasta dar con el próximo empleo.

—Qué imbécil.

—Elena piensa —explica Shanté— que ese ejemplo de la tía sólo sirve para que quienes no tienen tía tengan más miedo de perder lo poco que tienen.

—Ah…

—Es un imbécil.

—Voy a necesitar que me ayudes —responde Beatriz.

Mientras permanezca en su trabajo, todos dirán que su actitud ha cambiado: seguirá llegando temprano, pero se marchará justo a la hora de salida. Nunca peleará con Mendiola, ni con sus amigos, e incluso, de vez en cuando, se pondrá de su parte en las peleas e intrigas de la oficina; pero no les demostrará el menor afecto. Cobrará su cheque puntualmente y lo gastará con frugalidad. Una vez que haya pasado medio año, comenzará a pensar, ocasionalmente, que debería sentir miedo.

—A ti no te tengo que explicar nada…

—¿De qué?

—Me voy a encargar —dice Beatriz— de cuidar a Elena. Eso quiere decir que entre las dos vamos a tener que hacer todo lo de su departamento. Mientras lo podamos conservar. Vamos a tener que cocinar, limpiar, tenerlo en orden, todo. Yo no sé cómo le voy a hacer para, para convencerla, pero…

Después, a esas tareas se agregará comprar jeringas, suero, algodón, desinfectante, pañales; voltear a Elena cada cierto tiempo, moverla. A partir de ahora, piensa Beatriz, tendrá que cuidarse. Esta noche dormirá en un sillón del departamento de Elena, vigilada por Shanté. Por la mañana desayunará, se bañará, se pondrá su misma ropa (la de su amiga le quedará pequeña) y se irá a la oficina. La gente se extrañará de su serenidad, tras los exabruptos del día anterior.

—Pero, que yo sepa, Elena no tiene a nadie. Y tampoco va a poder cuidarse sola.

—Ella no quiere —dice Shanté— que la cuide nadie.

—Ya sé que, ya sé lo que quiere, es decir, lo que quiere en el fondo.
Shanté no responde.

Un día, las dos irán al cine, a ver una película sin pies ni cabeza: saldrán muchos personajes extraños, desde un diablo o algo semejante vestido de vaquero hasta un fantasma asesino, una mujer capaz de ver el futuro, una anciana guardada en una caja… Beatriz se conmoverá, sin embargo, con las escenas de amor entre las dos protagonistas (no reconocerá sus nombres). Muy juntas, observando un espectáculo en un teatro, las verá llorar ante una cantante; en ese momento mirará brevemente a Shanté, y la descubrirá con las manos sobre los muslos, los brazos apretados contra el cuerpo, y los ojos húmedos.

—Por eso digo que me va a costar trabajo —continúa Beatriz.

—Usted quiere que yo la ayude —dice Shanté.

Muchas veces, en la oficina, entre las seis y las nueve, cuando todos los demás se habían marchado; mientras estaba sentada en su escritorio abriendo y cerrando archivos, o se paraba para ir y volver a la ventana, o se preparaba un café, Beatriz se entretenía imaginando a Elena. Nunca la miraba, en esas horas, y si ella levantaba la vista y la buscaba, Beatriz fingía trabajar, o se agachaba, o se ponía de pie. Rara vez, incluso, llegaba a repasar sus fantasías favoritas, las que se reservaba para cuando estaba sola. En cambio se conformaba con una muy simple, luminosa, sin nada de vaguedad ni de espera: la cara de Elena, frente a ella, cada vez más cerca.

—¿Qué acabo de decir? —pregunta ella.

El fondo era cambiante: la oficina, la casa de alguna de las dos, la calle, un bosque, la ciudad en penumbra. Elena estaba cerca y no hablaba porque no hacía falta. Tenía una mano en la mejilla de Beatriz, y la mano se movía, pasaba sobre su oreja, rozaba su pelo, descansaba en su nuca. Luego se alejaba, pero acerca sus labios a los labios de Beatriz.

Siempre, aturdida o fascinada, Beatriz se dejaba besar. Primero cerraba los ojos. Luego, los otros labios, cerrados, la tocaban apenas. Luego Beatriz se descubría (como si hubiera asombro en todo aquello, como si no lo hubiera imaginado muchas veces) entreabriendo los suyos. La otra lengua acariciaba su lengua. Era cálida, mansa, y no se movía con prisa ni con demasiada fuerza. Un par de manos se movían sobre su espalda. Sin brusquedad ni violencia, los brazos atraían a Beatriz, y la estrechaban.

Después de un tiempo, Beatriz levantaba sus brazos y tocaba la espalda de Elena. Sólo más tarde, al volver a abrir los ojos, se daba cuenta de que los había cerrado; si en el ensueño estaban en penumbras, entonces su sonrisa era un discreto asomo de luz que se extendía hacia el cielo entre árboles y estrellas.

—¿Y qué tal —pregunta Shanté— si me quiero ir a ver mundo, no sé, conseguirme un cuarto o algo así?

—¿Qué?

Shanté sonríe. Beatriz no la imita.

—Mira, ya te dije que sé más de esto que, que lo que siempre le he dicho a Elena. No sé si tú sabes que mientras más dure ella, más vas a durar tú, y que cuando…

Shanté deja de sonreír.

—Era una broma —dice.

—No me vuelvas a salir con una pendejada así.

—La quiero ayudar, Beatriz —dice Shanté, apartando la vista—. A mí también me conviene. Perdón.

—A lo mejor sería buena idea que te buscaras un trabajo, aunque fuese de medio tiempo…

—Tengo frío —dice Shanté, y se frota los antebrazos con las manos.

Siguen hablando. Empiezan a planear cómo se dividirán el trabajo. Elena, aunque no pueden verla, está con ellas. Ve todo por los ojos de Shanté, escucha por sus oídos. Como le ocurre cada vez con mayor frecuencia, ha olvidado lo que le ocurre, el escoto, su otra vida: cree ser la muchacha, y ya no presta atención a su peso, a su cara ni a su ropa. Tampoco piensa, como lo hacía en las noches de la oficina, mientras Beatriz la esperaba, en lo triste de la pretensión de su amiga, que aguardaba, siempre, en actitud de no querer darse por vencida, aunque nunca se atreviera, en realidad, a decir ni hacer nada más.

Como si fuera un sueño, cree ser Shanté. Mientras intenta calentarse, se imagina los ojos de Beatriz, sus mejillas, sus manos. También se pregunta si ese intento de hace poco, tan impulsivo, no fue demasiado. Desea que no, aunque Beatriz se ve pensativa. Se dice que, si ella fuese Elena, se olvidaría de prejuicios, de aprensiones y consecuencias.




7

—Voy a ver a Elena —dice Shanté, más tarde, cuando ya están de vuelta en el departamento—. Creo que ya va a despertar.

—¿Ya? ¿Cómo sabes?

—Se sabe.

Shanté se queda mirándola, sin hablar. Parpadea y Beatriz percibe (aunque, en realidad, no hay ningún signo en el rostro ancho, ni en la boca) que va a sonreír.

—Ah —dice—. Y, ¿estás segura?

— ¿Sí va a hablar con ella?

Ahora es Beatriz quien se queda en silencio. Asiente, nerviosa, y Shanté se da cuenta de que debe apartarse. Lo hace y entra en la habitación de Elena, quien sigue aferrando el escoto, con los ojos cerrados.

Meses atrás, Elena la llamó por primera vez desde de la oficina. Cuando abrió los ojos y se repuso del malestar que siente cada vez que llega a algún lugar, Shanté quiso asegurarse de que Elena se encontrara bien. Las dos estaban en un baño.

Shanté se aventuró a salir. De inmediato, aunque nunca antes había estado allí, reconoció, si no el sitio, detalles pequeños, reflejos de la luz, sonidos. La puerta cerrada de la oficina de Mendiola, los cubículos de los contadores, la puerta cancel que conducía a Recursos Humanos; carteles en cada espacio libre que hablaban de calidad total, la misión de la empresa… Una inhalación muy ruidosa, tras la puerta del baño de hombres, la hizo sentir rabia: poco después vio salir a Fernández.

Un golpeteo obsesivo la hizo voltear hacia una oficina. Ahí estaba Beatriz, sentada ante su computadora, con las manos sobre el teclado. Cada tanto, volvía apenas la cabeza para mirar de reojo hacia la puerta del baño de mujeres. Cuando advirtió la presencia de Shanté, se volvió y las dos quedaron mirándose. Sin embargo, y después de un momento, Beatriz fijó la vista en su pantalla. Shanté se quedó donde estaba y no habló.

Así pasaron días y meses. Shanté aparecía de improviso y la miraba desde lejos sin decir palabra. Iba construyendo, poco a poco, una fantasía: imaginaba a Beatriz desnuda, tendida en la penumbra y con los ojos cerrados. Se la figuraba esperando, incapaz de saber que ya se encontraba ahí; pero no importaba, pues ella siempre podía avanzar, acercarse sin ser vista y tocarla de pronto: sin aviso, muy suavemente.



Par Alberto Chimal

Alberto CHIMAL (Toluca, Mexique, 1970), auteur d’une œuvre dont la thématique est aussi large que les genres qu’il travaille, a publié plus de dix livres de récits, essais et théâtre. Dans ses textes, Chimal va du fantastique au réaliste, explorant également le registre dramatique, ce qu’illustre assez bien la nouvelle traduite ici. "Shanté" (2004) apparaît dans le livre Éstos son los días, qui reçut le prix national San Luis Potosí en 2002, la distinction la plus importante décernée au Mexique pour le genre bref : le conte et la nouvelle.

Parmi ses ouvrages les plus importantes, on peut citer le plus récent Grey (2006), ainsi que le recueil d’essais et articles La cámara de maravillas (2003) ; le livre de fictions brèves Gente del mundo (1998, réédité en 2001) et El país de los hablistas (2001). Cette année il publiera son premier roman.
On peut avoir accès à son site personnel à l’adresse suivante : http://www.lashistorias.com.mx/ac

Ivan SALINAS est traducteur, photographe, éditeur, co-coordinateur de l’atelier d’écriture en espagnol du « Taller de París » et membre de la revue Trans—, il réalise actuellement un doctorat en littérature comparée à la Sorbonne nouvelle - Paris 3.
Les photographies qui accompagnent le texte sont de lui.

Texte traduit avec la collaboration de D.BEUNZA et P.HACHETTE