Cours du soir

LE RÊVE

Il n’a jamais réussi à comprendre pourquoi du fait d’être pris pour un Chinois personne ne lui avait jamais demandé ses papiers, il pense que le fait de ne pas être contrôlés est un privilège réservé aux Chinois, il ne le sait pas, mais c’est grâce à ces traits somatiques qu’il a réussi à rester en Italie et à travailler sans permis de séjour pendant quatre ans, jusqu’à la promulgation d’une loi le lui permettant si quelqu’un l’employait comme salarié. Il l’avait demandé à tous ceux chez qui il faisait quelques heures de ménage, deux ou trois fois par semaine, personne n’avait eu le courage d’assumer une telle responsabilité. Ainura, sa petite amie, a été embauchée par la dame chez qui elle travaille depuis deux ans, elle aussi quelques heures par jour, mais s’il était expulsé, elle serait contrainte de partir, de le suivre, ils rentreraient ensemble dans leur pays et ce serait un désastre financier. Ainura travaille beaucoup, elle fait plus d’heures que lui, dans des familles qui habitent heureusement le même quartier, toutes concentrées dans le même coin de la ville, ce qui lui épargne de longs déplacements, elle fait vite, passe d’une maison à une autre, travaillant presque toute la journée. Tout le monde aime bien cette fille, si menue, qui travaille en silence et a une conception de l’ordre qui constitue un modèle auquel toutes les familles devraient se référer ; tout le monde l’aime tellement qu’à sa demande désespérée et mesurée – avec cette retenue dont seule Ainura sait faire preuve et que les dames attribuent à sa culture orientale – d’aider Mirlan à obtenir lui aussi le permis de séjour pour pouvoir rester ensemble en Italie – pourquoi devraient-ils se séparer ?– l’une de ces dames a fini par dire oui.

Maintenant, Mirlan devrait réussir à obtenir son permis de séjour, il devrait recevoir un appel de la préfecture qui n’est cependant pas encore arrivé, alors que ses amis ont déjà reçu il y a un mois une convocation pour contrôler tous les documents et la véracité des déclarations faites dans le formulaire. C’est au professeur de droit que Mirlan demande pourquoi lui n’a pas encore été convoqué, s’il va avoir des problèmes, s’il doit aller demander quelque chose, le professeur lui dit de rester tranquille et d’attendre, que l’administration fonctionne comme ça, que cela demande du temps. Puis, le professeur dit qu’il faut se mettre rapidement au travail et que ceux qui veulent des conseils pourront les lui demander tout-à-l’ heure, à la sortie, il leur dit de prendre le chapitre sur le droit de la famille, regarde la classe qui se réorganise, certains rassemblent les papiers utilisés au cours précédent et cherchent dans leurs sacs les documents pour le cours de droit, quelqu’un se plaint que les caractères des photocopies sont trop petits, le professeur suggère de photocopier à nouveau les documents, tout le monde se plaint du manque de temps, du manque d’argent, d’avoir des photocopies au lieu des livres qu’ils n’arrivent jamais à se procurer, puis ensemble, au même moment, comme guidés par un ordre, ils se concentrent sur la lecture des codes.

Mirlan ne peut pas rester jusqu’à neuf heures, à huit heure et demie il doit s’en aller, Ainura sort à neuf heures du cours d’italien pour les étrangers, il ne la laisse par rentrer toute seule le soir, jamais, ce n’est pas une ville où cela est possible, la ruelle où ils habitent est dangereuse, surtout à cause des gamins qui se moquent d’elle et lui lancent parfois des pétards, ou la poursuivent en la bousculant, en lui criant des choses qu’elle ne comprend pas. Mirlan s’interdit de laisser Ainura avoir peur, pas après toute une journée de travail ; elle veut rentrer à la maison pour se reposer, enfin, sur le canapé, sans chaussures, le chat qui la rejoint sur le canapé et frotte sa tête contre la sienne et ses ronronnements qui retentissent dans toute la pièce, même si la télé est allumée.

Ils sont nombreux ceux qui, comme Mirlan, se lèvent à huit heures et demie et quittent le cours, le professeur secoue la tête en signe de désaccord impuissant et les laisse partir, d’ailleurs quelle autorité aurait-il sur ces personnes pour les convaincre de rester jusqu’à neuf heures. Alors qu’ils sortent, il leur dit néanmoins qu’ils devraient parfois s’organiser pour rester jusqu’à neuf heures, qu’ils ne pourront pas sortir tous les jours une demi-heure avant la fin. Dans la classe, des murmures s’élèvent, ils voudraient tous sortir plus tôt, ils sont fatigués et quand ils rentrent ils n’arrivent même pas à voir leurs enfants qui dorment déjà, ni même à regarder un film à la télé du début à la fin, ce n’est pas un horaire adapté pour eux, officiellement ils devraient tous sortir à huit heures et demie, ou mieux encore à huit heures, ce serait parfait. Le professeur les laisse parler, puis ajoute : c’est ainsi que l’école meurt, vous ne comprenez pas qu’il faut respecter les horaires pour la faire vivre ?

Lorsqu’il prononce le mot meurt le silence tombe, ils le regardent tous d’un air résigné, ils recommencent à lire, le professeur suggère qu’ils apprennent par cœur ces articles de loi, d’abord qu’ils les comprennent, puis qu’ils les mémorisent jusqu’au jour de l’examen, ils devront s’en souvenir encore pendant deux ans.

Ainura l’a conduit chez la dame pour le lui présenter, ils devaient au moins se rencontrer, comment l’embaucher sans l’avoir vu, pas même une fois ? Mirlan avait le cœur qui battait fort comme quand, petit garçon, il avait commencé à aller à l’école, sa mère l’avait accompagné, lui avait mis le chapeau doublé de fourrure, il avait pleuré et les larmes glacées lui brûlaient la peau des joues, sa bouche était devenue toute rouge à cause de ces larmes qui ruisselaient et de ce froid, sa grand-mère lui avait dit qu’il était courageux d’aller à l’école avec sa maman, comme un grand, qu’il ne pouvait plus rester avec elle à battre la laine maintenant qu’il était grand. Devant sa maîtresse il était resté silencieux, le regard figé, la main agrippée au manteau de sa mère, les larmes ravalées et séchées. Quel petit enfant il avait été à vouloir rester toute la journée avec sa grand-mère, devant ces écheveaux de laine, au milieu de ces mouvements rythmés en silence, les baguettes de fer qui frappent la laine, comme si l’on jouait d’un instrument de musique à la fois simple et complexe, le samovar toujours sur le feu, dans la pénombre d’un faible éclairage. Jusqu’au jour où il est entré à la faculté de sociologie en langue russe pour s’inscrire en première année, jusqu’à ce jour il avait regretté la maison de sa grand-mère, la chaleur du poêle à pétrole, la soupe chaude rien que pour lui assis à la table basse du salon devant le poêle, enveloppé dans ces tapis qu’il fabriquait lui-même avec sa grand-mère, sauf quand il s’agissait d’y verser de l’eau bouillante, alors sa grand-mère l’éloignait et il restait à regarder, quelques mètres plus loin, la fumée qui montait des écheveaux et imprégnait l’air de la pièce de l’odeur de brebis vivante. Il a arrêté de regretter la maison de sa grand-mère cette année-là, lorsqu’il a commencé à fréquenter Ainura qui lui a été présentée par l’une de ses amies étudiantes.

C’est ainsi qu’il se sentait en allant faire la connaissance de cette femme, arraché de la maison de sa grand-mère, contraint au froid du dehors, obligé d’affronter tous ceux qui n’étaient pas de sa famille, oui c’est ainsi mais il n’a rien dit à Ainura, lui demandant seulement s’il pouvait mettre sa casquette à visière et Ainura de lui répondre en riant qu’il pouvait mettre ce qu’il voulait, que la dame ne regarderait pas quel chapeau il portait pour l’embaucher.

La femme a la peau mate, tachée par le soleil, comme la plupart des personnes qui vivent ici, elle a les yeux d’un beau vert, les cheveux attachés et porte aux oreilles deux perles à peine visibles, elle est gentille, c’est l’impression qu’elle lui donne, elle est économe en témoignages de sympathie, lui dit qu’elle est contente de le rencontrer, que c’est à lui toutefois de se renseigner sur tout, car elle n’a pas le temps. Il sait déjà ce qui l’attend, quels formulaires remplir, les dépenses auxquelles il faudra faire face, il lui assure qu’il sait le faire mais il ne se sent pas de commencer si elle n’accepte pas quelque chose en échange. Il travaillerait pour elle sans rémunération, pour la remercier, il le ferait pour de vrai, l’après-midi par exemple, quand il aurait fini de s’occuper d’un jardin situé dans les parages. La femme sourit, regarde sa bouche et pense que c’est une bouche d’enfant, d’une générosité enfantine n’appelant pas de suites, entretemps elle est déjà fatiguée de ces paroles qui se sont invitées chez elle comme une musique qu’elle n’a pas envie d’écouter à ce moment-là, lui dit qu’elle ne veut rien, que c’est très bien comme ça, alors Mirlan regarde vers le plafond de la cuisine comme s’il regardait vers le ciel en quête d’arguments pour prendre congé dignement, la fissure est exactement là où il pose les yeux. Je vais la combler cette fissure, c’est l’idée qui lui vient à l’esprit, je lui repeins sa cuisine en blanc et il n’a même pas le temps de le penser qu’il le lui annonce déjà avec l’enthousiasme de celui qui court après le regard des faucons survolant les hauts plateaux, c’est ce que pense la femme tandis que Mirlan lui demande si elle peut au moins lui permettre de peindre la cuisine en blanc, en deux jours il aurait terminé et la pièce aurait une autre allure ; la femme, surprise d’avoir survolé les steppes avec lui, derrière les ailes du faucon, lui dit que elle va peut-être accepter, car c’est comme s’il avait deviné ce dont elle avait besoin. Elle ne se rappelait plus pourquoi cette fissure n’avait pas pu se refermer et pourquoi la cuisine n’était pas redevenue blanche et propre [...].

FLEURS DE SERRE

Les arums ont fleuris, ils ne sont pas très grands, ils ne se tiennent pas vraiment droits sur leur tige, mais ils sont là et c’est beau de les voir tous ensembles, blancs, alignés et épanouis, presque comme quand la serre fonctionnait et que les fleurs étaient parfaites. Ils ne sont pas complètement abîmés, c’est cela l’important, elle les regarde dans cette floraison précoce de début février et le fait qu’ils soient là la réconforte. Elle n’a pas la force de piocher la terre autour d’eux, ni celle de réparer la serre ; elle parvient cependant à les arroser, à les cueillir, à en faire de petits bouquets, mais les vendre au marché toute seule, non, elle n’arrive pas encore à le faire sans son père.

Elle récolte le persil, les arums, parfois aussi les citrons, le samedi matin, ils chargent les cageots dans le coffre de la voiture et s’en vont. Elle conduit, se gare, aide son père à descendre de la voiture, ses mouvements sont lents mais la vigilance reste intacte, cinquante centimes la petite botte, les arums deux euros, si la vente ne marche pas, on rentre à la maison avec vingt euros, on doit arrondir, dit son père chaque fois qu’il compte l’argent de sa retraite.

L’après-midi Giorgia va à l’école depuis trois ans, elle réussit à y aller presque tous les jours depuis trois ans, depuis que la pharmacie a fermé et qu’elle a dû rentrer à la maison, pour s’occuper de ses parents, pour ne faire que ça, s’occuper de ses parents, maintenant qu’ils sont âgés. Elle leur répète qu’ils peuvent tout lui demander, ils peuvent la priver de chaque moment de sa journée, sauf de l’école, qui lui est nécessaire, il ne faut pas y toucher, à l’école elle n’y renoncera pas.

Comment sa sœur a-t-elle fait pour se marier, pour s’en aller ? S’en aller où du reste ? À deux cents mètres plus loin, même terre, même rivière à proximité, même humidité jusqu’aux os, même invasion de moustiques dans l’air poisseux. Comme elle, sa sœur cuisine, elle cuisine pour ses enfants et fait les courses tous les jours, et sort tous les jours pour les emmener à l’école. Le simple fait que l’atelier de couture venait d’ouvrir et cherchait de la main d’œuvre, en face du terrain, dans l’immeuble voisin, construit depuis peu, cela a suffi pour que sa sœur s’en aille alors qu’elle, encore mineure, continuait à s’occuper de la serre, quand les fleurs étaient belles et les frésias embaumaient au point de vous prendre aux tripes et son père, si fort, ne lui laissait rien faire, juste l’aider un tout petit peu pendant qu’il travaillait.

Est-il possible que le monde ne se réduise qu’au champ et à la serre ? Lorsque sa cousine est allée la voir cet après-midi mouillé de janvier, les fêtes de Noël se terminent à peine, elle vient de fêter ses quarante ans, sa sœur lui annonce qu’elle pourra travailler au dépôt de la grande pharmacie du pays. A cette époque, elle avait déjà appris à conduire, c’était utile pour ses parents qui entretemps avaient vieilli. Tout s’était passé, tout s’était accéléré sous ses yeux et elle avait juste eu le temps de s’arrêter, de ne pas se laisser précipiter par les évènements, elle s’était arrêtée au bord de ce précipice creusé par le temps et ce n’est qu’après, alors qu’elle l’observait tout en haut, à une certaine distance, qu’elle en avait eu peur.

C’est ainsi qu’elle avait commencé à travailler à la pharmacie, se tenant loin de ce gouffre, chaque jour elle se rendait au village et avait commencé à s’habituer à la circulation, à la foule, c’était comme s‘habituer à vivre dans un pays étranger, par étape, sans se presser, à ce stade, il était inutile de se presser. Une fois par semaine, elle pouvait aller chez le coiffeur, mettait de côté sa timidité, s’habituait au contact des étrangers, oubliait cette petite fille qu’on amenait rendre visite à la famille qu’elle connaissait à peine et qui refusait les bonbons qu’on lui offrait, avec une détermination que seule sa timidité impressionnante arrivait à faire naître, outre cette sensation de malaise que déclenchait l’envie gourmande de bonbons. Au village elle avait réussi à avoir à sa disposition ses rues et ses magasins, ainsi qu’une place pour garer sa voiture, son allure était devenue plus rapide, elle se rendait à la pharmacie d’un pas alerte, sa chevelure cuivrée s’accordait très bien à sa peau claire. Elle avait mis des lunettes pour ranger les produits au dépôt, appris rapidement les noms des médicaments et ceux des cosmétiques, elle classait, rangeait, remettait les marchandises dans les rayons sans jamais se tromper. Depuis qu’elle était là, le dépôt marchait comme personne auparavant n’avait réussi à le faire tourner, la pharmacienne lui faisait totalement confiance. Giorgia est toujours émue au souvenir de la pharmacienne lui proposant de passer au service administratif.

Elle avait prouvé qu’elle pouvait apprendre vite la comptabilité aussi. Cette période lui avait apporté de grandes joies, à Noël les employés des rayons produits de beauté et herboristerie confectionnaient les paquets-cadeau, la pharmacie était pleine. Ils participaient tous à la confection des paquets, à leur qualité esthétique, ils travaillaient beaucoup, tous ensemble, la pharmacie semblait marcher parfaitement, même si du service comptabilité elle prévenait qu’il fallait réduire les offres : les prix ne pouvaient pas être trop compétitifs, la quantité de ventes ne compensait pas celle des sorties. C’est ce dont elle les prévenait, les comptes ne revenaient plus, grisée par l’enthousiasme de voir sa pharmacie toujours pleine, la pharmacienne ne faisait pas trop attention aux avertissements de Giorgia, jusqu’au jour où elle a dû fermer car elle ne rentrait plus dans ses frais.

Du seuil de sa maison donnant sur le terrain elle voit la serre de côté encore debout, les ouvertures béantes sur le toit ne sont pas visibles, elle est opaque, laisse transparaître de l’intérieur les formes des mauvaises herbes qui ont poussé là où il n’y a plus de fleurs, son enfance est restée accrochée au milieu de ces feuilles, se dit-elle, alors que la pluie tombe légère et drue comme la vapeur, ses parents regardent la télé à l’intérieur, ne voient pas que, sur le pas de la porte, l’eau l’éclabousse en fines gouttelettes. Le bruit de la pluie sur les plastiques des serres est le bruit de son enfance, le plastique le répercute et elle, de l’intérieur, se trouve dans l’eau sans se mouiller, elle voit la pluie tomber de tous les côtés et rayer l’air en glissant sur les cloisons transparentes, se transformer en boue, elle reste au sec, assise sur un seau renversé, les arums autour n’ont pas de parfum mais ils répandent une blancheur nuageuse, son royaume de papillon échappé à la pluie est au ciel, dans ce ciel de fleurs personne n’est venu la prévenir qu’elle était devenue adulte, un ciel sans humanité ni miroirs, d’une blancheur confuse de plastiques et de pétales, d’eau et de nuages.

Son père la rappelle à l’intérieur, il fait froid dehors, il lui demande de fermer la porte et d’allume le poêle, sa mère est assise à côté de son père, les fauteuils sont tournés vers la télé, elle a les mains noueuses, elle détache les feuilles des tiges dures des brocolis, les met dans la bassine, attend que Giorgia les lave. Ces gestes, répétés chaque jour, ont privé sa vie d’ouverture, c’est un seul moment renouvelé à l’infini sur les visages de ses parents livrés au temps comme le bois à la pluie.

Ils ont vieilli, pense Giorgia en lavant les brocolis, et personne ne l’a prévenue que cela allait arriver, cela n’aurait peut-être jamais eu lieu si elle n’était pas allée pendant quelques années travailler à la pharmacie, tout serait peut-être resté inchangé, leurs visages, leurs mains. Les journaliers auraient continué à travailler dans la serre, dirigés par son père, et elle, avec son chapeau de paille de la même couleur que ses cheveux, à qui on avait dit que l’école pour les filles se terminait là où elle l’avait quittée, aurait été incapable de penser autre chose que ce qu’on lui avait dit, son imagination ne l’orientait pas vers la construction du temps, ce qui serait arrivé après l’école - son lieu, ses journées - était déjà là où son père se trouvait, au milieu des fleurs de la serre. D’ailleurs, qu’aurait-il dû y avoir en dehors de sa famille, de sa maison, de son champ, pour une fillette de treize ans à qui on avait inexorablement interdit de sortir toute seule ? Elle ne pouvait même pas aller au café pour acheter une glace à l’eau comme sa cousine ni même aller en ville le dimanche avec les filles de sa classe. Assise entre son père, qui conduisait, et sa mère, elle regardait la route derrière les vitres de leur Apecar, le brouhaha du centre-ville était couvert par le bruit assourdissant du moteur. Par la vitre, elle regardait le moindre détail, les jeunes filles en minijupe, les chiens en laisse, les chaises jaunes en formica aux pieds chromés à l’extérieur du café, les cheveux teints en roux et les cheveux crêpés, les foulards et les lunettes de soleil, le soleil sur les balcons, les garçons sur les mobylettes et le marché avec ses bâches et ses bancs ; une fois arrivés on descendait de l’Apecar, on baissait la plage arrière et on exposait les fleurs. Ce sont les femmes qui les achètent, elles les regardent, subjuguées, vont et viennent, puis rebroussent chemin et sourient, achètent des fleurs toujours en souriant, même celles qu’elles apportent au cimetière.

Le marché est inondé de voix éloignées de celles du centre. Enfant, Giorgia parvenait rarement à entendre le bruit du village au-delà de celui de l’Apecar, elle voyait tous les visages des femmes autour des fleurs qu’elles achetaient parfois en couple, mais que les hommes rarement achetaient seuls.

Demain, il y aura le contrôle d’histoire, elle doit se rappeler les événements, les dates, les guerres, les armistices, elle doit s’en souvenir dans l’ordre, y parvenir avec cette mémoire si peu exercée, laissée au repos, endormie parmi les fleurs de la serre. Elle n’aura jamais de bons résultats à l’école si elle n’arrive pas à exercer sa mémoire, alors chaque soir elle révise, avant d’aller se coucher, c’est ainsi qu’il faut faire pour la stimuler, lui a-t-on dit. Et puis, elle le sait, demain, comme chaque fois avant le contrôle, elle sera écrasée par l’amnésie, par un état de confusion qui provoque une incapacité totale de se rappeler, l’entraîne comme en dehors de la continuité temporelle, de cet enchaînement des événements dans le temps qui lui a manqué. Comment réussir à dire que sa vie a été un seul instant identique, sans événements, interrompu seulement par l’Histoire qu’elle doit maintenant apprendre, par cœur, sans pouvoir la répéter à l’enseignant qui se trouve devant elle et attend un mot de sa part ?

Traduit par Jean-François Gauvry, Mariacristina Bonini

IL SOGNO

Non è mai riuscito a capire perché per il fatto di essere scambiato per cinese nessuno gli abbia mai chiesto i documenti, pensa sia un privilegio dei cinesi quello di non essere controllati, non lo sa, ma grazie a quei suoi caratteri somatici è riuscito a restare in Italia e a lavorare senza permesso di soggiorno per quattro anni, fino al momento in cui è uscita una legge che glielo avrebbe concesso se solo qualcuno l’avesse assunto come suo dipendente. L’aveva chiesto a tutti quelli per i quali faceva le pulizie in casa per poche ore, due o tre volte la settimana, nessuno aveva avuto il coraggio di prendersi una tale responsabilità. Ainura, la sua ragazza, è stata assunta dalla signora per la quale lavora da due anni, anche lei solo poche ore al giorno, ma se lui venisse espulso, lei sarebbe costretta a partire, a seguirlo, tornerebbero insieme nel loro paese, e sarebbe il disastro economico. Ainura lavora molto, più ore di lui, in casa di alcune famiglie di un unico quartiere, per fortuna, tutte concentrate in quel punto della città, così almeno le vengono risparmiati gli spostamenti lunghi, fa presto, passa da una casa all’altra, lavorando quasi per l’intera giornata. È voluta bene lei, così esile, che lavora in silenzio e ha un’idea di ordine che è un’idea modello alla quale tutte le famiglie dovrebbero riferirsi, è voluta così bene che alla sua richiesta disperata e allo stesso tempo composta – di quella compostezza che solo Ainura sa mantenere e che le signore attribuiscono alla sua cultura orientale – di aiutare Mirlan ad avere anche lui il permesso di soggiorno per poter restare insieme in Italia – perché mai si sarebbero separati – una delle signore ha accettato.

Mirlan ora dovrebbe riuscire a ottenere il permesso di soggiorno, dovrebbe ricevere una chiamata dalla prefettura che però ancora non gli è arrivata, mentre ai suoi amici è già arrivata da un mese, una convocazione per controllare tutti i documenti e la veridicità delle dichiarazioni fatte nella domanda. È al professore di diritto che Mirlan domanda come mai non è stato convocato, se ci saranno dei problemi, se deve andare a chiedere qualcosa, il professore gli dice che deve restare tranquillo e aspettare, che queste cose burocratiche vanno così, sono lente. Poi il professore dice che bisogna cominciare in fretta e che chi vuole dei consigli glieli può chiedere dopo, all’uscita, dice di prendere il capitolo sul diritto di famiglia, guarda la classe che si riorganizza, alcuni raccolgono i fogli usati nell’ora precedente e cercano nelle borse quelli di diritto, qualcuno si lamenta dei caratteri venuti troppo piccoli in fotocopia, il professore suggerisce di rifotocopiarli, tutti si lamentano del tempo che manca, dei soldi che mancano, delle fotocopie al posto dei libri che non riescono mai ad avere, poi insieme, in un unico momento, come guidati da un comando, cominciano a concentrarsi sulla lettura dei codici.

Mirlan non può restare fino alle nove, alle otto e mezza deve andare, alle nove esce Ainura dal corso di italiano per stranieri, non la lascia tornare sola di sera, mai, non è una città nella quale può farlo, il vicolo dove abitano è pericoloso, soprattutto per i ragazzini che la prendono in giro e a volte le lanciano i petardi, o la inseguono strattonandola, gridandole cose che lei non capisce, Mirlan non può permettere che Ainura abbia paura, non dopo un’intera giornata di lavoro e lei vuole tornare a casa e riposare, finalmente sul divano, senza scarpe, il gatto che la raggiunge dallo schienale e struscia la testa sulla sua e le fusa si sentono in tutta la stanza, anche con il televisore acceso.

Sono parecchi ad alzarsi alle otto e mezza e ad andare via come Mirlan, il professore scuote la testa in un dissenso disarmato e li lascia andare, d’altra parte che potere avrebbe lui su quelle persone per farle restare fino alle nove, mentre escono dice che però qualche volta devono organizzarsi per restare fino alle nove, che tutti i giorni non sarebbe ammesso di uscire mezz’ora prima. Nella classe sale un borbottio, tutti vorrebbero uscire prima, che sono stanchi e quando tornano a casa non riescono neppure a vedere i figli che già dormono, oppure a guardare un film in televisione per intero, non è un orario giusto per loro, ufficialmente tutti dovrebbero uscire alle otto e mezza, anzi alle otto andrebbe veramente bene. Il professore li lascia parlare, poi aggiunge: così la scuola muore, volete capire che bisogna rispettare gli orari per farla vivere?

Alla parola muore si fa il silenzio, tutti guardano il professore con un’ansia rassegnata, ritornano alla lettura, il professore suggerisce di impararli a memoria quegli articoli di legge, di capirli prima e poi di memorizzarli fino al giorno dell’esame, per altri due anni, dovranno ricordarli.

Ainura lo condusse dalla signora per presentarglielo, almeno si dovevano conoscere, come assumerlo senza averlo mai neppure visto? Mirlan aveva il batticuore come quando da bambino cominciò ad andare a scuola, lo accompagnò sua madre, gli mise il cappello foderato di pelliccia, aveva pianto e le lacrime gelavano bruciando la pelle delle guance, la bocca gli era diventata rossa per quelle lacrime che vi scorrevano sopra e quel freddo, la nonna gli aveva detto che era bravo ad andare via con la mamma, a scuola, come un bambino grande, che non poteva restare con lei a battere la lana ora che era grande. Davanti alla maestra rimase in silenzio, lo sguardo fisso, la mano attaccata al cappotto di sua madre, le lacrime ingoiate e asciutte. Che bambino piccolo che è stato, a voler restare tutto il giorno con la nonna, davanti a quelle matasse di lana, tra quei movimenti ritmati in silenzio, le bacchette di ferro che colpiscono la lana, come suonare uno strumento musicale semplice e allo stesso tempo completo, il samovar sempre sul fornello, la penombra della lampadina di pochi watt. Fino al giorno in cui entrò nella facoltà di sociologia in lingua russa per iscriversi al primo anno di università, fino a quel giorno aveva rimpianto la casa di sua nonna, il calore della stufa a petrolio, il brodo caldo solo per lui seduto al tavolino del salotto di fronte alla stufa, avvolto da quei tappeti che lui stesso faceva insieme alla nonna, tranne quando si trattava di versarvi sopra l’acqua bollente, allora la nonna lo allontanava e lui restava a guardare, scostato di qualche metro, il fumo che saliva dai rotoli di lana che sapeva di pecora viva e impregnava l’aria della rimessa. Smise di rimpiangere la casa di sua nonna quell’anno, quando cominciò a frequentare Ainura che gli fu presentata da una sua compagna di corso.

Così si sentiva mentre andava a conoscere la signora, strappato dalla casa di sua nonna, costretto al freddo dell’esterno, alla necessità del confronto con gli altri che non fossero la sua famiglia, così si sentiva senza dire nulla a Ainura, solo chiedendole se poteva mettere il cappello con la visiera, e Ainura ridendo gli aveva risposto di mettere quello che voleva, che non avrebbe guardato che cappello aveva per assumerlo.

La donna ha la pelle bruna, macchiata di sole, come quella di gran parte delle persone quaggiù, il verde degli occhi è bello, ha i capelli raccolti e alle orecchie due perle appena percettibili, è gentile, così gli sembra, non eccede in manifestazioni di simpatia, gli dice che è contenta di conoscerlo, che però bisogna che lui si informi di tutto, che lei non ha tempo. Lui sa già cosa fare, quali moduli compilare, quali sono le spese da affrontare, lui le assicura di saperlo fare ma non si sente di cominciare a farlo se lei non accetta qualcosa in cambio. Lavorerebbe per lei senza compenso, per ricambiarla, lo farebbe davvero, il pomeriggio per esempio, quando finisce di curare il giardino non molto distante da lì, la donna sorride e gli guarda la bocca e pensa che sia una bocca infantile, di una generosità da bambini che non prevede conseguenze, intanto è già stanca di quel discutere che le è entrato in casa come una musica che in quel momento non ha voglia di ascoltare, gli dice che non vuole qualcosa in cambio, che va bene così, allora Mirlan guarda verso il soffitto in cucina come verso il cielo in cerca di idee per congedarsi in maniera dignitosa, e la crepa è là esattamente dove posa gli occhi. Le chiudo questa crepa, è l’idea che arriva, le pitturo la cucina tutta di bianco, e neppure fa in tempo a pensarlo che già glielo dice con l’entusiasmo di chi corre dietro lo sguardo dei falchi che sorvolano gli altipiani, questo pensa la donna mentre Mirlan le chiede di potergli almeno permettere di tinteggiare la cucina di bianco, in due giorni lo farebbe e la stanza acquisterebbe un altro aspetto, e la donna che ha inaspettatamente sorvolato le steppe con lui, dietro le ali del falco, gli dice che forse questo glielo permette, che è come avesse indovinato la cosa di cui aveva bisogno e che non ricorda più perchè sia stato impossibile che quella crepa si chiudesse e la cucina le ritornasse bianca e pulita. [...]

FIORI DI SERRA

Le calle sono fiorite, non sono venute fuori di grandi dimensioni, neppure veramente dritte sul gambo, ma ci sono, ed è bello vederle tutte insieme, bianche, fiorite in riga, quasi come quando la serra funzionava e i fiori venivano perfetti. Non sono del tutto perduti, questo è importante, li guarda ancora in questa fioritura precoce di primo febbraio e il fatto che ci siano la consola. La forza di zapparne il terreno intorno le manca, anche quella di riparare la serra, a dare l’acqua ci riesce, a raccoglierle, farne dei mazzetti, ma venderle al mercato da sola no, ancora non riesce a farlo senza suo padre.

Raccoglie il prezzemolo, le calle, a volte anche i limoni, il sabato mattina, caricano le cassette nel bagagliaio e vanno. Lei guida, parcheggia, aiuta suo padre a scendere dall’automobile, i movimenti sono lenti ma resta la vigilanza, cinquanta centesimi al fascetto, due euro per quello di calle, se va male si torna a casa con venti euro, si deve arrotondare, dice suo padre ogni volta che conta i soldi della pensione.

Il pomeriggio Giorgia va a scuola da tre anni, riesce ad andare quasi ogni giorno da tre anni, da quando la farmacia ha chiuso e lei ha dovuto tornare a casa, a occuparsi dei genitori, a fare solo quello, occuparsi dei genitori, ora che sono vecchi. Ai suoi ripete che tutto le possono chiedere, le possono togliere ogni momento della giornata tranne la scuola, quella è necessaria, intoccabile, alla scuola non rinuncerà.

Come ha fatto sua sorella a sposarsi, ad andare via? Via dove poi, duecento metri di distanza, stesso terreno, stesso fiume nelle prossimità, stessa umidità fino alle ossa, stesso riversarsi di zanzare nell’aria appiccicosa. Come lei sua sorella cucina, cucina per i bambini, e fa la spesa ogni giorno, e esce ogni giorno per portarli a scuola. Solo perché la sartoria aveva aperto da poco e cercava manodopera, di fronte la terra, nella palazzina confinante, da poco costruita, solo questo è bastato perché sua sorella andasse via mentre lei, che era ancora minorenne, continuava ad occuparsi della serra, quando i fiori erano belli e le fresie profumavano da prendere lo stomaco e suo padre era forte da non farle fare niente, solo una piccola assistenza mentre lui lavorava.

Possibile che il mondo si risolvesse nel campo e nella serra? Quando sua cugina andò a trovarla in quel pomeriggio bagnato di gennaio, erano appena trascorsi i giorni del Natale, lei aveva appena compiuto quarant’anni, le annunciò che avrebbe potuto lavorare, nel magazzino della grande farmacia in paese. Allora aveva già imparato a guidare, serviva per i genitori che erano diventati anziani. Tutto era accaduto come precipitato davanti a sé e lei aveva fatto appena in tempo a fermarsi, a non precipitare insieme agli accadimenti, si era fermata su quel precipizio profondo scavato dal tempo e solo dopo, mentre l’osservava dall’alto, da una certa distanza, ne aveva avuto paura.

Era così che aveva cominciato a lavorare in farmacia, tenendosi lontana da quel precipizio, ogni giorno si recava in paese e aveva cominciato ad abituarsi al traffico, alla folla, come abituarsi a vivere in un paese straniero, per gradi, senza fretta, era inutile a quel punto avere fretta. Una volta la settimana poteva andare dal parrucchiere, metteva da parte la timidezza, si abituava al contatto con gli estranei, dimenticava quella bambina che veniva portata in visita ai parenti che a stento conosceva e rifiutava le caramelle che le venivano offerte, con una determinazione che solo la sua sbalorditiva timidezza riusciva a produrre oltre quella sensazione di mancamento che l’acquolina in bocca al desiderio di caramelle scatenava. In paese era riuscita ad avere a disposizione le sue strade, i suoi negozi, anche un posto per parcheggiare l’automobile, la sua andatura aveva acquistato velocità, a passi svelti si recava in farmacia, i capelli ramati erano giusti per la sua pelle chiara. Aveva messo gli occhiali per poter sistemare i prodotti in magazzino, aveva imparato velocemente i nomi dei farmaci e quelli dei cosmetici, catalogava, ordinava, riponeva la merce negli scaffali senza mai sbagliare. Da quando c’era lei il magazzino funzionava come mai erano riusciti a farlo funzionare prima, la farmacista aveva riposto in lei una fiducia totale. Giorgia si emoziona sempre al ricordo della farmacista che le propone di passare all’amministrazione.

Anche con la contabilità aveva mostrato di imparare in fretta. Erano stati anni di grande soddisfazione, a Natale il reparto cosmesi ed erboristeria confezionava i pacchi regalo, la farmacia sempre piena, tutti collaboravano alla realizzazione dei pacchi, alla loro riuscita estetica, si lavorava molto, tutti insieme, nei tempi stabiliti dai giorni di vacanza che sopraggiungevano, sembrava che la farmacia funzionasse perfettamente, anche se lei dalla contabilità avvisava che le offerte andavano ridotte, che i prezzi non potevano essere troppo competitivi, che la quantità delle vendite non bilanciava le uscite, avvisava di questo, i conti non le tornavano, la farmacista, presa dall’euforia della sua farmacia sempre piena, non faceva molta attenzione agli avvertimenti di Giorgia, fino al giorno in cui dovette chiudere per bloccare le uscite che non venivano compensate.

Dalla soglia di casa che affaccia sul terreno vede la serra di lato, è ancora in piedi, gli squarci in alto non si vedono, è opaca, lascia trasparire dall’interno le sagome delle erbacce spuntate dove non ci sono più i fiori, la propria infanzia è rimasta impigliata tra quelle foglie là dentro, dice a se stessa, mentre la pioggia cade fitta e leggera come vapore, i genitori in casa guardano la televisione, non vedono che lei dalla soglia prende il rimbalzare dell’acqua in minuscole gocce. Il rumore della pioggia sulle plastiche della serra è il rumore della sua infanzia, la plastica lo ripercuote e lei, da dentro, è in acqua senza bagnarsi, vede la pioggia scendere da tutti i lati, rigare l’aria lungo le pareti trasparenti, farsi fango, resta asciutta, seduta sul secchio capovolto, le calle intorno non profumano ma emanano un biancore di nuvola, è in cielo il suo regno di farfalla scampata alla pioggia, in quel cielo di fiori nessuno è venuto ad avvisarla che era diventata adulta, un cielo senza umanità e senza specchi, bianco confuso di plastiche e petali, di acqua e di nuvole.

Il padre la richiama in casa, è freddo fuori, se chiude la porta gli accende la stufa, la madre è seduta accanto al padre, le poltrone sono rivolte al televisore, ha le mani nodose, stacca le foglie dai gambi duri dei broccoli, le ripone nel bacile, aspetta che Giorgia le lavi. Quei gesti, ogni giorno, hanno privato la sua vita di estensione, è un unico momento ripetuto all’infinito sui volti dei genitori offerti al tempo come il legno alla pioggia.

Sono diventati vecchi, pensa Giorgia mentre lava i broccoli, e nessuno l’ha avvisata che sarebbe accaduto, forse non sarebbe neppure accaduto se non fosse andata per qualche anno in farmacia, forse sarebbe rimasto tutto identico, i loro volti, le loro mani. I braccianti avrebbero continuato a lavorare nella serra, guidati da suo padre, e lei con il cappello di paglia dello stesso colore dei capelli a cui era stato detto che la scuola per le femmine finiva là dove lei l’aveva lasciata, non sarebbe riuscita a pensare qualcos’altro da quello che le era stato detto, l’immaginazione non la indirizzava verso la costruzione del tempo, quello che sarebbe venuto dopo la scuola era già dove suo padre si trovava, tra i fiori della serra, il suo luogo, le sue giornate. Cosa ci sarebbe dovuto essere oltre la propria famiglia, la propria casa, il proprio campo, per una ragazzina di tredici anni a cui era stato vietato in maniera inesorabile di uscire da sola? Neppure al bar in bicicletta a comprare il ghiacciolo come sua cugina, neppure la domenica in villa con le compagne di classe. Seduta tra il padre, che guidava, e la madre, guardava la strada dai vetri dell’ape, il rumore del centro veniva coperto da quello assordante del motore. Guardava ogni cosa, oltre i vetri, le ragazze in minigonna, i cani al guinzaglio, le sedie gialle di formica dai piedi cromati fuori al bar, i capelli tinti di rosso e quelli cotonati, i foulards e gli occhiali da sole, il sole posato sui balconi, i ragazzi sui motorini e il mercato con i tendoni e i banchi, a quel punto si scendeva dall’ape, si tirava giù la sponda posteriore e si mostravano i fiori. Sono le donne a comprarli, guardano rapite, procedono, poi indietreggiano e sorridono, comprano fiori con il sorriso, sempre, anche quelli da portare ai morti.

Il mercato è ubriaco di voci lontane da quelle del centro, Giorgia raramente da bambina è riuscita a sentire il rumore del paese al di là di quello dell’ape, ha visto tutti i volti di donna intorno ai fiori, a volte li hanno comprati in coppia, raramente gli uomini da soli.

Domani ci sarà la verifica di storia, deve ricordare gli avvenimenti, le date, le guerre, gli armistizi, deve ricordare in sequenza, riuscirci con quella sua memoria così poco esercitata, tenuta a riposo, messa a dormire tra i fiori nella serra. Non andrà mai veramente bene a scuola se non riesce ad allenare la memoria, allora ripete ogni sera, prima di andare a letto, così bisogna fare per allenarla le hanno detto. Poi lo sa che domani, come ogni volta davanti a una verifica, verrà sopraffatta dall’amnesia, da uno stato di confusione che la conduce alla completa incapacità di ricordare, la conduce come fuori dalla continuità temporale, da quel dispiegarsi degli eventi nel tempo che le sono mancati. Come riuscire a dire che la sua vita è stato un unico identico istante, senza avvenimenti, rotto solo dalla storia che ora si è trovata a dover imparare, a memoria, per poterla ripetere al professore che le sta davanti e aspetta una sua parola? [...]

Par Anna Correale

Corso Serale (Cours du soir) d’Anna Correale est un recueil d’histoires mettant en scène plusieurs tranches de vies, toutes morcelées par des événements survenus brutalement, ou bien interrompues par des circonstances inévitables, que les personnages n’ont pas choisies : deuil prématuré, déracinement, rupture violente, mariage raté, absence de structure familiale.

La problématique à la base de ce recueil réside dans le rapport de l’homme au temps, et particulièrement au temps social. Chacun des événements vécus place les personnages en situation d’attente et d’incertitude, les faisant basculer dans un présent qui ne leur convient pas, les déstabilise, voire leur échappe, du fait même que la peur de l’échec et la déception les guettent. Tous semblent évoluer comme suspendus physiquement, matériellement et psychologiquement au fil d’un temps précaire.

Réunis autour de « cours du soir », animés par la volonté de reprendre le fil de leurs existences là où le chemin s’est interrompu, les personnages constituent une galerie humaine attachante et émouvante : un couple de jeunes émigrés brillants qui, renouant avec les études, cherchent à améliorer leurs conditions de vie, tout en gardant une relation très forte avec leur pays natal dont le souvenir les envahit lors de rêveries furtives ; une femme d’âge mûr qui a renoncé à vivre sa propre vie pour aider ses parents, désormais âgés, dans leur travail, et dont l’existence semble se faner progressivement comme les fleurs qui peuplaient autrefois la serre ; une mère de famille, qui a consacré sa vie à ses enfants après le décès brutal de son époux dans un accident de voiture ; un jeune toxicomane, déjà père, aux prises avec les affres de la drogue et ses tentatives de s’en sortir ; un jeune militaire, rentré dans l’armée pour subvenir aux besoins de sa famille, tiraillé entre la reprise de ses études, un nouvel amour non déclaré et un probable départ pour une mission en zone de guerre ; la relation entre une mère et sa fille, vécue à travers le souvenir filial, la réappropriation de sa propre féminité, la purification de son corps par rapport au regard et au désir masculin à travers de longues immersions dans la mer d’un pays lointain ; le lien entre une mère-artiste et son fils, génie de la mécanique, représenté symboliquement par la construction d’une mobylette dotée d’ailes blanches et d’une tête de cheval comme celles du carrousel de Montmartre, prête à voler pour réunir l’histoire d’une famille divisée entre Naples et Paris ; une femme, mariée à un homme violent, qui met toutes ses énergies dans la reconstruction de son existence.

Aucun ne maîtrise véritablement les rênes de son destin, mais au lieu de subir le cours des événements, chaque personnage essaie à sa manière de composer avec sa propre histoire et d’agir sur son quotidien avec les cartes dont il dispose. Leurs points de convergence : la prise de conscience d’une réalité peu réjouissante, un questionnement sur un second souffle à donner à leur existence, la volonté de se battre pour s’en sortir, la nécessité de reprendre un tant soit peu en main le cours de leur vie à travers les « cours du soir ». Cette parenthèse scolaire constitue le seul véritable moment qui leur appartient, qui leur permet de redevenir ponctuellement maîtres d’un temps qu’ils ne peuvent contrôler et représente un recours indispensable pour pouvoir se (re)construire une identité et se créer une place au sein d’un groupe.
Autre problématique au cœur de ces parcours de vie : comment décrire et exprimer par des silences ce que l’on ne parvient pas à expliquer par les mots ? Cette question trouve des réponses possibles dans la construction du recueil proprement dit et dans l’approche chronologique, psychologique, sociologique et naturaliste que propose l’auteure : plusieurs va-et-vient entre le flot de pensées des personnages et ce qui les entoure (lieux, paysages, éléments naturels comme la mer) ; des descriptions précises de lieux physiques, internes et externes, qui contribuent à ancrer ces histoires dans le temps et dans l’espace, tout en ouvrant le récit à une dimension universelle grâce à leur pouvoir évocateur ; des allers et retours entre temporalités complémentaires : le passé, à travers l’évocation d’une enfance heureuse, de souvenirs intacts, toujours vivaces, qui vient compenser un présent peu satisfaisant et des perspectives incertaines ; des moments de prière, de recueillement et de rêverie, favorisant des respirations et permettant la création d’espaces intérieurs bien à soi, indissociables de ceux où la parole se libère dans un flot souvent incontrôlé, au contact des professeurs et des autres élèves participant aux cours du soir, qui représentent un sas de décompression salutaire, bien que provisoire.

Ce recueil ne peut qu’indéniablement toucher le lecteur par les thématiques à la fois actuelles et intemporelles qu’il aborde : quête d’identité, de reconnaissance et d’affirmation de soi au sein d’un groupe, d’une société ; construction d’une place, d’un équilibre relativement durables dans un monde en perpétuel mouvement ; prise de conscience et acceptation de sa propre finitude dans un monde qui tend à refouler, voire à occulter l’existence de la mort.

La vision de l’auteure révèle une positivité de fond, offre un constat évident qui parle en faveur d’une volonté de vivre, malgré tout et en dépit de tout, nous renvoie à cette énergie vitale que chacun possède au fond de soi et à laquelle la vie nous invite à faire appel dans la construction de notre « temps », de notre « histoire », de notre « chemin ».

Mariacristina Bonini et Jean-François Gauvry

Anna Correale vit depuis toujours entre Naples, la campagne d’Ostuni, dans les Pouilles, et Paris.
Après des études de philosophie à l’université de Naples, elle continue ses recherches en philosophie française contemporaine - Gilles Deleuze, Jacques Derrida, Maurice Blanchot – appliquée à l’analyse littéraire à l’Istituto italiano per gli Studi Filosofici.
Marguerite Duras fera l’objet d’un essai intitulé "La scrittura dell’erranza dell’amore", in Passaggi di confine, Editions C.P.E., Naples, 1990.
Suivront les traductions de l’essai de Françoise Collin, "La paura- E. Levinas e M. Blanchot", in Il Vivente, (éditions Filema, Naples, 1994) et du roman de Marguerite Duras, L’estate 80, paru chez le même éditeur.
Un doctorat en philosophie viendra compléter en 2002 son parcours de recherche avec une thèse intitulée L’écriture du silence, À travers l’œuvre littéraire de Marguerite Duras et d’Ingeborg Bachmann, l’auteur analyse l’écriture en tant qu’affirmation de mots corporels, interruption de l’écoulement ordinaire du temps par une temporalité verticale qui est l’événement des mots eux-mêmes. 
L’auteur poursuit son voyage dans l’écriture entre l’Italie et la France avec Dove noi siamo, (éd. Dante & Descartes, Naples, 2007), un recueil de quatre nouvelles.
Perché io non spero più di ritornare (éd. Palomar, Bari, 2011) raconte l’histoire d’une femme qui tente de survivre à la maladie et à la disparition de sa mère.
Dans Supplément d’amour (éd. La Barque, Paris, 2013) le texte accompagne les tableaux de Massimo Latte. Conçu comme un dialogue entre un homme et une femme, entre l’écriture et la peinture, ce chant moderne prend source dans L’Odyssée d’Homère.

Mariacristina Bonini : formée à l’ESLMIT de Trieste et à l’INALCO, elle traduit de l’italien, de l’espagnol, du portugais et de l’anglais. Particulièrement intéressée par la linguistique et l’histoire de l’art, elle participe à des ateliers de traduction en France (ETL) et en Italie (Traduttori in movimento). Elle a notamment traduit :

Le modernisme, Éditions Mengès – Place des Victoires, Paris, 2011.

Francesco Tiradritti, [La Peinture murale égyptienne-http://www.librairielorguaise.fr/livre/737028-peintures-murales-egyptiennes-francesco-tiradritti-citadelles-mazenod], Citadelles et Mazenod, Paris, 2007.

Paolo Pieraccini, "Le Saint-Sépulcre au temps de la domination ottomane", Religions et Histoire, Édition Faton, Dijon, 2013.

Mini Dictionnaire Larousse, français-italien, édition 1995.

Jean-François Gauvry arrive à la traduction par le biais des Arts décoratifs, en traduisant du français vers l’anglais des guides du visiteur. Il intègre ensuite le Master 2 de traduction littéraire dispensé à l’Institut Charles V (Paris 7) et il poursuit son activité de traducteur de l’anglais et de l’italien dans le domaine d’urbanisme. Il travaille également pour plusieurs galeries d’art. Il a notamment traduit :

Cristiana Mazzoni, Yannis Tsiomis, Paris, métropoles en miroir, Éditions La Découverte, Paris, 2012.

Ernest J. Gaines, Le nom du fils, Éditions Liana Levi, Paris, 2013.

Des textes sur l’architecte d’intérieur Pierre Chareau inclus dans Buying Antique and Modern Furniture in Paris de Thérèse et Louise Bonney, Éditions Norma, Paris, 2014.

Ensemble, ils traduisent actuellement trois auteurs italiens contemporains : Marco Mazzoli, Anna Correale et Marco Innocenti.