le premier jour
de ta mort. tout est calme tout est paisible comme un paillasson
pas-un-pied ne piétine sa bienvenue. sa poussière sur le sol
n’est pas troublée non plus que les esprits dormants de cette maison
je suis assis ici dans ce fauteuil j’essaie de dénouer le Temps pour qu’il ne vienne pas s’emmêler encore
le deuxième jour
de ta mort. je romps un petit
pain
je peux encore sentir l’odeur de farine sucrée de ta chair de premier-né
le troisième jour
de ta mort. l’eau dans mon urine devient sang
je couvre d’un linge bleu le front de mer du miroir où ton visage était
le quatrième jour
tu devrais te relever. frapper à la porte du sombre. revenir à moi. revenir à moi
je n’entends pas ton appel
le cinquième jour
après ta mort. un jeune coq blanc. blanc blanc blanc tout en plumes & panache éclatant & grand
voisin sonore à cent lieues d’ici depuis le village là-bas
se tient dans la cour & de sa crête rutilante chante & chante & ne veut pas s’en aller
se pavane comme ça jusqu’à la cahute
son seul œil qui cligne cligne cligne comme il chante
& vient jusqu’au miroitement de ma fenêtre & chante
fort comme la voix débordante de ma cascade Trelawny
où il n’y a pas de larmes
oh mère… margrit… margrit
co-co-coc…
oh congo…
congo…
yérri… yérri…
congo…
le sixième jour
après ta mort. il y a ce silence de fleurs
les pétales disent leur soif éclatante
soif d’eau douce
soif d’averses suave
suave pluie des cieux
*
je les vois une fois encore à l’intérieur de la chapelle de mes funérailles
le septième jour
après ta mort. la farine jaune
des petits gâteaux dans la cuisine a viré aigre
il y a un œil de rance au milieu de leur repas
je suis malheureux comme le vent & les vagues sont des rivières inapaisées
je ne te trouve pas. je ne te trouve pas. je ne peux pas ne peux pas ne peux pas me consoler de rêves
les chiens enragés des pâturages tuent le coq et le ravagent.
la femme-vent enragée éparpille des plumes’pétales’pédales d’un blanc hurlant à travers toute
l’ardente et pesante terre d’ocre
le houitième jour
après ta mort
moi fais pu rien. pu rien. pu rien. pu rien. peux même pas dire correc ton « houit » anglè
le neuf /dt nuit
tu te relèves d’entre les morts
*
je te vois maintenant & à l’heure de ta oh pas dou’ pas douce mort
c’est ma douleur c’est mon privilège. c’est ma propre chair déchirée fraîche déchirée
oh laisse-moi réconforter nous mon enfant. c’est pas ton cœur a cassé
*
le dixième jour
de ta mort.
mon amour. mon soleil. mon éclat
oh yarri… yarri…
yarri congo….
oh yarri yarri yarri…
congooooo….
*
[…]
on the first day
of yr death it is quiet it is dormant like a doormat
no one-foot touch its welcome. its dust on the floor
is not disturb nor are the sleeping spirits of this house
i sit here in this chair trying to unravel Time so that it wouldn’t happen twine
on the second day
of yr death. i break a small
bread
i can still smell the sweet flour of yr firstborn flesh
on the third day
of yr death. the water in my urine turn to blood
i cover the waterfront of the mirror w/a blue cloth where yr face stood
on the fourth day
yu shd be rising. knocking at the door of darkness. coming back to me
i do not hear yr call
on the fifth day
after yr death. a young white rooster. white white white feathery & shining tail & tall
neigbour of sound from miles away in the next village
stands in the yard & from his red crown crows & crows & will not go away
he struts round to the back-a-wall
his one eye clicking clicking as he crows
comes to the glissen of my window & he crows
loud like the overflowing voice of my Trelawny waterfall
where there are no tears
oh mother… margrit… margrit
co-co-coc…
oh congo…
congo…
yérri… yérri…
congo…
on the sixth day
after yr death. there is this silence of flowers
their petals say their shining needs
soft water needs
sweet showers needs
sweet rain from heaven
*
i see them once again inside the chapel of my funeral
on the seventh day
after yr death. the yellow flour
in the cup-cakes in the kitchen have gone sour
there is an eye of rancid in the middle of their meal
i am unhappy like the wind & tides are restless rivers
i can’t find you. i can’t find you. i cannot cannot cannot be console to dreams
the mad dogs of the pasture kill the cock & pillage
it. madwoman wind is scattering white screaming feathers’ petals’ pedals over all
the brunt & burnin ochre-colour land
on the eiate day
after yr death
me do nothin. nothin. nothin . i cdn’t even get yr inglish ‘eighth’ spelt streight
on the nine/ff night
yu rise again from off the dead
*
i see you now & at the hour of yr o not soff not soffly dead
it is my pain it is my privilege. it is my own torn flesh torn fresh
o let me comfort us my chile. is not yr heart is broken
*
on the tenth day
of your death.
my love. my sun. my shining
oh yarri… yarri…
yarri congo….
oh yarri yarri yarri…
congooooo….
*
[…]
Ces 10 jours de Kumina sont une version abrégée, lue par Kamau Brathwaite, extraite du poème original qui compte 21 jours.
Kumina est un rite traditionel de la Barbade, une mélopée avec danses et tambours, transes aussi, souvent associée aux veillées mortuaires, aux enterrements, mais qui peut intervenir dans différentes cérémonies et célébrations — naissances, morts, invocations des divinités ou des esprits...
Kamau Brathwaite est né en 1930 à Bridgetown, à la Barbade. Il est l’une des voix majeures de la littérature caribéenne. Il quitte la Caraïbe pour aller étudier l’histoire à l’Université de Cambridge, obtiendra son doctorat à l’Université du Sussex en 1968. Les premiers poèmes paraissent dans les années 1950, en Angleterre et à la Barbade, influencés par le jazz et T. S. Elliott, mais aussi « le parler, les rythmes, les cadences, les lieux » de la Caraïbe, « l’âpreté » de cet environnement. Les recueils Rights of Passage (1967), Masks (1968) et Islands (1969) lui apportent une reconnaissance internationale. Rassemblés par la suite sous le titre The Arrivants (1973), ils témoignent de la quête d’une identité culturelle caribéenne et tentent de réaffirmer la place de l’Afrique dans la Caraïbe.
En 1955, Brathwaite part travailler au Ghana, alors nation nouvelle, et s’investit notamment dans le domaine de l’éducation. Il cofonde en 1966 le Caribbean Artists Movement (CAM). La période ghanéenne est celle de l’affirmation de l’héritage africain dans son écriture, sa pensée, son imaginaire, celle de la quête d’une langue et d’une poésie imprégnées par les mythes fondateurs et le rythme des vers traditionnels de l’Afrique précoloniale.
Après son retour dans les Antilles en 1962, Kamau Brathwaite partage son temps entre son activité d’enseignant-chercheur et la poésie. À cette époque, il enseigne notamment à l’Université de Kingston, en Jamaïque, fonde la revue littéraire Savacou. Son œuvre critique compte de multiples études culturelles, historiques et littéraires, dont Folk Culture of the Slaves in Jamaica (1970, révisé en 1981), The Development of Creole Society in Jamaica 1770–1820 (1971), History of the Voice : The Development of Nation Language in Anglophone and Caribbean Poetry (1984) et Roots (1986). Une seconde trilogie de recueils poétiques paraît dans cette même période, Mother Poem (1977), Sun Poem (1982) et X/Self (1987), dans laquelle il revient sur les questions identitaires.
Dans les années 1990, après une période d’épreuves, en particulier la disparition tragique de sa compagne en 1986, il fait paraître plusieurs autres recueils : Zea Mexican Diaries (1993), Barabajan Poems (1994), DreamStories (1994). Dix ans plus tard, il publie Born to Slow Horses (2005), qui sera suivi de Elegguas (2010), dernier recueil publié à ce jour, une série de poèmes travaillés par le double motif de l’« élégie » et de « Elegua », la divinité yorouba des chemins, des carrefours, des passages, le guetteur au seuil des foyers.
Kamau Brathwaite est professeur de littérature comparée à l’Université de New York et a reçu de nombreuses distinctions, dont le Griffin Poetry Prize 2006 pour Born to Slow Horses , le prix Casa de las Americas, le prix Neustadt, le prix Bussa, et bien d’autres.
L’œuvre considérable de Kamau Brathwaite est hantée par la catastrophe humaine que représente la traite négrière transatlantique. Sa poésie invente ce qu’il appelle une « langue nation », travaillée par le vernaculaire, mais aussi par le spoken word, les rythmes du jazz et du folk, les innovations linguistiques et typographiques : une langue qui, selon ses mots, n’est ni du créole ni du dialecte, mais « cet anglais parlé par les gens qui ont été transportés jusque dans la Caraïbe […] la langue des esclaves, des travailleurs de la terre et des domestiques dont on a fait là-bas ces hommes et ces femmes ».
Sika Fakambi
Sika Fakambi est née au Bénin en 1976. Elle a grandi entre Ouidah et Cotonou — a vécu à Paris, Dublin, Sydney, Toronto, Montréal — et réside maintenant à Nantes.