Ça
ça
ça
ça n’est pas
ça
ça
ça
ça n’est pas
ça n’est pas
ça n’est pas
ça n’est pas assez
ça n’est pas assez d’être affranchi
du rouge du blanc et du bleu
du drag, du dragon
ça n’est pas
ça n’est pas
ça n’est pas assez
ça n’est pas assez d’être affranchi
du fouet, des principautés et des potentats
où est ton royaume du Mot ?
Ça
ça
ça
ça n’est pas
ça
ça
ça
ça n’est pas
ça n’est pas
ça n’est pas
ça n’est pas assez
ça n’est pas assez d’être affranchi
des fièvres paludéennes, peur de l’ouragan,
peur des invasions, sécheresse sur les récoltes, cloques
de feu sur la canne
Ça n’est pas assez
de tinter de trimer sur un carillon de bicyclette
quand l’enfer
crépite et crame sur l’écran quatorze pouces du très jap
du très jap du très japonais poste de télé-
vision importé United-Fruit-Company
à vente forcée, à force verve, rhinocé-
rocement noueux, cancéreusement tubulaire
Ça n’est pas
ça n’est pas
ça n’est pas assez
de pouvoir s’envoler vers Miami,
édifier des gratte-ciel, excaver le pays-
age lunaire des plages de sable pour bâtir hôtels, casinos, sépulcres
Ça n’est pas
ça n’est pas
ça n’est pas assez
ça n’est pas assez d’être affranchi
de bouter les squatters de dieu hors de leurs litanies
hors de leurs reliques, hors de leurs tombeaux de tambours
Ça n’est pas assez
d’implorer les banquiers de la Barclays au téléphone
Jésus Christ par la radio à ondes courtes
les marines états-uniens en secouant tes hanches
osseuses
Je
dois recevoir le don des mots pour modeler mon nom
sur les syllabes des arbres
Je
dois recevoir le don des mots pour refaçonner les avenirs
comme une main de guérisseur
Je
dois recevoir le don des mots afin que les abeilles
dans le sang de mon cerveau vrombissant de mémoire
fassent les fleurs, fassent les volées d’oiseaux,
fassent le ciel, fassent les cieux,
les cieux ouverts au tonnerre au volcan à la terre qui se dé-
ploie.
Ça n’est pas
ça n’est pas
ça n’est pas assez
d’être arrêt, d’être béance
d’être vide, d’être coi
d’être point-virgule, d’être semi-colon, semi-colonie ;
lance-moi la pierre
qui confondra le vide
trouve-moi la rage
et je raserai la colonie
comble-moi de mots
et j’aveuglerai ton Dieu.
Att
Att
Attibon
Attibon Legba
Attibon Legba
Ouvri bayi pou’ moi
Ouvri bayi pou’ moi…
It
It
it
It is not
it
it
it
it is not
it is not
it is not
it is not enough
it is not enough to be free
of the red white and blue
of the drag, of the dragon
it is not
it is not
it is not enough
it is not enough to be free
of the whips, principalities and powers
where is your kingdom of the Word?
It
it
it
it is not
it
it
it
it is not
it is not
it is not
it is not enough
it is not enough to be free
of malaria fevers, fear of the hurricane,
fear of invasions, crops’ drought, fire’s
blisters upon the cane
It is not enough
to tinkle to work on a bicycle bell
when hell
crackles and burns in the fourteen-inch screen of the Jap
of the Jap of the Japanese-constructed
United-Fruit-Company-imported
hard sell, tell tale tele-
vision set, rhinocerous knobbed, cancerously tubed
It is not
it is not
it is not enough
to be able to fly to Miami,
structure skyscrapers, excavate the moon-
scaped seashore sands to build
hotels, casinos, sepulchres.
It is not
it is not
it is not enough
it is not enough to be free
to bulldoze god’s squatters from their tunes,
from their relics,
their tombs of drums.
It is not enough
to pray to Barclays’ bankers on the telephone
to Jesus Christ by shortwave radio
to the United States marines by rattling your hip-
bones
I
must be given words to shape my name
to the syllable of trees
I
must be given words to refashion futures
like a healer’s hand
I
must be given words so that the bees
in my blood’s buzzing brain of memory
will make flowers, will make flocks of birds
will make sky, will make heaven
the heaven open to the thunderstorm and the volcano and the un-
folding land
It is not
it is not
it is not enough
to be pause, to be hole
to be void, to be silent,
to be semi-colon, semi-colony;
fling me the stone
that will confound the void
find me the rage
and I will raze the colony
fill me with words
and I will blind your God.
Att
Att
Attibon
Attibon Legba
Attibon Legba
Ouvri bayi pou’ moi
Ouvri bayi pou’ moi…
Lectures : Kamau Brathwaite / Sika Fakambi
Mixage voix : Célio Paillard
Kamau Brathwaite est né en 1930 à Bridgetown, à la Barbade. Il est l’une des voix majeures de la littérature caribéenne. Il quitte la Caraïbe pour aller étudier l’histoire à l’Université de Cambridge, obtiendra son doctorat à l’Université du Sussex en 1968. Les premiers poèmes paraissent dans les années 1950, en Angleterre et à la Barbade, influencés par le jazz et T. S. Elliott, mais aussi « le parler, les rythmes, les cadences, les lieux » de la Caraïbe, « l’âpreté » de cet environnement. Les recueils Rights of Passage (1967), Masks (1968) et Islands (1969) lui apportent une reconnaissance internationale. Rassemblés par la suite sous le titre The Arrivants (1973), ils témoignent de la quête d’une identité culturelle caribéenne et tentent de réaffirmer la place de l’Afrique dans la Caraïbe.
En 1955, Brathwaite part travailler au Ghana, alors nation nouvelle, et s’investit notamment dans le domaine de l’éducation. Il cofonde en 1966 le Caribbean Artists Movement (CAM). La période ghanéenne est celle de l’affirmation de l’héritage africain dans son écriture, sa pensée, son imaginaire, celle de la quête d’une langue et d’une poésie imprégnées par les mythes fondateurs et le rythme des vers traditionnels de l’Afrique précoloniale.
Après son retour dans les Antilles en 1962, Kamau Brathwaite partage son temps entre son activité d’enseignant-chercheur et la poésie. À cette époque, il enseigne notamment à l’Université de Kingston, en Jamaïque, fonde la revue littéraire Savacou. Son œuvre critique compte de multiples études culturelles, historiques et littéraires, dont Folk Culture of the Slaves in Jamaica (1970, révisé en 1981), The Development of Creole Society in Jamaica 1770–1820 (1971), History of the Voice : The Development of Nation Language in Anglophone and Caribbean Poetry (1984) et Roots (1986). Une seconde trilogie de recueils poétiques paraît dans cette même période, Mother Poem (1977), Sun Poem (1982) et X/Self (1987), dans laquelle il revient sur les questions identitaires.
Dans les années 1990, après une période d’épreuves, en particulier la disparition tragique de sa compagne en 1986, il fait paraître plusieurs autres recueils : Zea Mexican Diaries (1993), Barabajan Poems (1994), DreamStories (1994). Dix ans plus tard, il publie Born to Slow Horses (2005), qui sera suivi de Elegguas (2010), dernier recueil publié à ce jour, une série de poèmes travaillés par le double motif de l’« élégie » et de « Elegua », la divinité yorouba des chemins, des carrefours, des passages, le guetteur au seuil des foyers.
Kamau Brathwaite est professeur de littérature comparée à l’Université de New York et a reçu de nombreuses distinctions, dont le Griffin Poetry Prize 2006 pour Born to Slow Horses , le prix Casa de las Americas, le prix Neustadt, le prix Bussa, et bien d’autres.
L’œuvre considérable de Kamau Brathwaite est hantée par la catastrophe humaine que représente la traite négrière transatlantique. Sa poésie invente ce qu’il appelle une « langue nation », travaillée par le vernaculaire, mais aussi par le spoken word, les rythmes du jazz et du folk, les innovations linguistiques et typographiques : une langue qui, selon ses mots, n’est ni du créole ni du dialecte, mais « cet anglais parlé par les gens qui ont été transportés jusque dans la Caraïbe […] la langue des esclaves, des travailleurs de la terre et des domestiques dont on a fait là-bas ces hommes et ces femmes ».
Sika Fakambi
Sika Fakambi est née au Bénin en 1976. Elle a grandi entre Ouidah et Cotonou — a vécu à Paris, Dublin, Sydney, Toronto, Montréal — et réside maintenant à Nantes.