Sang doux

L’appareil photo cligna deux fois. Son éclat me fit fermer les yeux. Dans ma tête, le flash continuait à darder ses éclairs, si je serrais bien fort les paupières je pouvais même voir des soleils et des spirales. Silvia souriait. Silvia était une chauve-souris heureuse, sa canine gauche brillait dans sa bouche comme un minuscule poignard. On voyait sa langue sortir par la lucarne que formaient la canine et l’absence de dents de devant.

— Quand on aura onze ans, on aura honte de zette foto. Ma maman dit touzours que les fotos des zept ans zont honteuzes – dit Silvia.
Avec les zèdes elle crachait de la bave.

— Elle a dit ça ta mère ?, ta mère est folle – dit le père de Silvia.

Son père venait une fois par an d’un endroit éloigné d’Afrique du Sud, où il travaillait comme ingénieur des mines. En fait, ce n’était pas vraiment un père, un père au sens total du terme. Quand je pense à mon propre père, je me dis que lui ne nous aurait jamais pris en photo juste parce qu’on jouait dans le jardin, en culotte, à hacher des vers de terre avec la lame qu’on avait enlevée à un taille-crayon. Pour le père de Silvia tout était paysage, peut-être parce qu’il venait d’Afrique du Sud et qu’il s’étonnait de voir à quel point Silvia avait grandi. En secret, moi je l’appelais Mr. Orange.

— Allez, allez, une autre photo - dit Mr. Orange. Il mit en place l’œil de l’appareil et s’apprêta à nous cribler d’éclairs.

On se releva ensemble, raides comme deux soldats, les épaules en arrière, fières d’être amies ; le nombril était encore une tripe délatrice au centre de ces ventres asexués.

— Rapprochez-vous un peu plus - ordonna Mr. Orange. Souriez !

L’œil cuirassé vomit une avalanche de flashs pendant un bon moment. J’avais mal aux joues à force de sourire. On s’enlaçait, on se fixait, en faisant des batailles de regards profonds, on se faisait des cornes avec les doigts, on tirait la langue, on se mettait de dos, on se baissait pour passer la tête entre les jambes, dans une acrobatie qui n’est possible que lorsque la colonne vertébrale n’a pas encore consolidé ses cartilages.

— C’est quand que tu rentres ? - demanda Silvia. La pellicule était finie, et l’appareil crachait de déclics, d’aveugles bruits stomacaux.

— Mais enfin, je suis là. Est-ce que je ne suis pas revenu ? Je reviens tous les ans. Pas vrai ? - Mr. Orange manipulait l’intérieur de l’appareil photo dans un sac épais, en aveugle, habitué à ne rien voir de ses propres actions.

— Non - dit Silvia - moi je veux dire rentrer, rentrer à la maison. Rentrer, papa, rentrer, rentrer. - Silvia aurait voulu rajouter « rentrer, pas revenir », mais à cette époque, les termes nous échappaient, on ne possédait que des mots lisses, sans intention cachée.

— Je ne sais pas. Tiens, observe cette clarté, celles-ci je les ai prises en lumière naturelle. La lentille était russe, une fortune – dit Mr. Orange.

Il avait sorti un album pliable de son gilet, un gilet ayant une grande poche sur le côté du cœur, décorée d’une pièce bordée qui disait O. M. British Company. Il remua l’album et comme par magie, une longue enfilade de photographies se déploya devant nos yeux.

— Celle-là je l’ai prise à quelques miles d’Orange, quand je venais juste d’arriver. Regarde tout cet or – dit le père de Silvia, caressant du pouce une image avec des pierres et des minéraux qui ne ressemblaient en rien à de l’or-. Tu pourrais te noyer là… mourir…ressusciter… Tu ne voudrais pas venir avec moi ?

— Si, si! Bien sûr que si! Bien sûr que si! - dit Silvia.

Malgré les efforts de Silvia pour oublier son père, personne n’arrivait à prendre sa place. Pas même moi. Dans ce sens, Silvia était plus impénétrable que la Grande Muraille de Chine. Je suis une bâtarde, disait Silvia, quand elle se rendait compte qu’au fond, elle haïssait Mr. Orange. « Bâtarde » était un mot qui n’avait alors aucun sens, elle voulait dire « terrible », elle voulait dire « méchante », « canaille », elle voulait dire « quand est-ce que tout cela va s’arrêter? »

— Quand tu auras onze ans, je t’y amènerai - dit-il.

Silvia figea son sourire quelques secondes. Je suis sûre qu’elle pensait à l’imbécillité de son père, à son père si profondément imbécile, à l’imbécillité si infinie, si incurable, qui pouvait s’emparer de son père. Notre haine était une haine siamoise. Et pourtant elle dit :

— C’est dans longtemps et je ne vais plus vouloir.

— Tu vas vouloir, bien sûr que si.

Mr. Orange aimait la contredire, affirmer et modifier ses réponses. Je le voyais déjà s’exaspérer, parce qu’il finissait toujours par s’exaspérer. Sa vie d’ingénieur des mines, selon ce qu’il racontait, était très difficile, il entendait des dynamites et transpirait des fièvres inexplicables -. Tiens regarde, ici j’ai d’autres photographies. C’est un enfant zoulou.

— Il a l’air en charbon – dit Silvia.

L’enfant était tout nu, mais les parties qui font de toi un être nu ne se voyaient pas à cause de l’angle de la photo : de haut en bas. L’enfant avait la tête relevée et nous regardait avec des yeux aux orbites très blanches et aux iris noirs à mourir. Il souriait et lui non plus n’avait pas ses dents de devant, mais il n’en avait pas honte comme nous, il n’avait pas l’air d’être un enfant faible ni d’avoir besoin de son père. Même s’il nous regardait fixement, il regardait au-delà de la photo, ou du moins c’est ce dont j’avais l’impression.

— Ces niggers – souffla Mr. Orange sans vouloir trop s’expliquer – sont des enfants de charbon -.

Mr Orange se redressa et pris l’appareil photo par la corde qu’il y avait nouée avec une petite étiquette qui disait, elle aussi, O. M. British Company. Je parie qu’à l’âme de Mr. Orange, pendouillait un blason brodé, qui disait O. M. British Company. Mr. Orange pouvait vraiment être imbécile.

— Viens - dit-il soudainement comme une malédiction, - je vais faire d’autres photos de toi, de toi toute seule.

Silvia posa avec ses bras mous ; sa frange était toute humide de sueur et collait à son front. À cette époque on nous faisait une coupe à la jésuite, même si les lentes remportaient toujours la bataille. Nous avions le sang doux.

— Mais si j’ai encore envie - dit Silvia avec un air sérieux que je confondais toujours avec de la désillusion – tu m’amèneras avec toi au tropique du crapicrone.

— Capricorne. Le tropique du Capricorne - corrigea-t-il, embêté par le fait que Silvia n’était grande qu’en taille puisque qu’elle ne faisait aucun effort pour bien prononcer les mots.

Elle disait « cocholat » au lieu de chocolat, « arappeil » au lieu d’appareil, et « bâtard » au lieu de « canaille ». Et cela exaspérait Mr. Orange.

— Souris. T’es une fillette heureuse.

— Je ne suis pas une fillette heureuse.

— Bien sûr que si. Je parie que ta mère te dit que tu n’es pas heureuse et toi tu le crois. Ta mère est complètement folle - dit Mr. Orange, en criant ensuite quelque chose dans une langue incompréhensible.

Chaque année, il ramenait avec lui ces exclamations et les sortait de sa valise quand il était sur le point de se fâcher. Silvia faisait pipi au lit tous les Noël, quand son père lui rendait visite.

— Je ne veux pas sourire - dit Silvia en se mettant les mains dans la bouche, frémissante.

— Tu es en train de sourire - dit Mr. Orange qui s’acharnait avec ses éclairs. – Pourquoi tu ne t’enlèves pas tous ces cheveux de ton visage ? Allez, petite, regarde-moi fixement.

Silvia, elle, me regarda et me fit signe de la main. Moi je ne voulais plus contracter mes joues pour montrer mes propres canines. La lumière du soleil me gênait. Mais l’imbécile de Mr. Orange, n’était-il pas au courant que d’un moment à l’autre, le temps d’un soupir, notre haine siamoise pouvait nous transformer en de dangereux vampires ? Vraiment, Mr. Orange savait bien peu de choses sur nous. Ce qu’il était bête, Mr. Orange.

— Non, attends. Juste toi. Deux petites photos pour ton papa.

— Moi j’ai peur des enfants Zoulous – dit Silvia pour dire quelque chose.

— N’aie pas peur, je vais t’acheter un tambour. Tu veux un tambour ? Les enfants Zoulous en fabriquent d’incroyables-. Mr. Orange déclenchait le flash sans compassion. Pour Silvia, chaque éclat était une blessure.

— Allez, ne te mets pas la main dans la bouche. Enlève cette main. Souris. Regarde-moi.

Silvia baissa la main. Elle sourit, elle avait la gencive ensanglantée. Moi je savais que quand Silvia s’énervait, elle s’enfonçait l’ongle dans la chair tendre jusqu’à avoir mal. C était un passe-temps. Une douleur agréable.

— Quoi ? Tu vas te mettre à pleurer ? - dit Mr. Orange, qui ne changeait pas, même s’il avait l’air chaque année un peu plus vieux.

Ce qui changeait, c’était la peur. Mr. Orange disait que ça c’était du «respect». Moi je me disais que c’était le plus méchant des bandits que je connaissais, et il y en avait beaucoup, car dans toutes les bédés, il y en avait un.

— Non, dit Silvia – et je vis trembler sa lèvre inférieure, et elle retint le tremblement en la mordant avec force.

Elle planta l’ongle dans la paume de sa main. Moi j’étais attentive, je connaissais chacun de ses mouvements. Nous étions amies.

— Ben alors souris – dit son père, et pendant qu’avec une main, il tenait l’appareil photo et déclenchait l’obturateur, avec l’autre il retenait la frange de Silvia en arrière et restait comme ça, avec les doigts fermés sur ce petit bout de chevelure.

D’un coup sec, il aurait pu lui arracher la frange, et il aurait fallu que Silvia mette une perruque comme les grandes, ou comme Tina Turner, qui nous plaisait tant. La nuque de Silvia céda et elle resta là, à regarder le ciel, comme l’enfant Zoulou. Son père approcha l’œil métallique et lui prit une photo, de très près, on pouvait certainement y voir les cicatrices laissées par les racines des dents, de tendres cicatrices.

Comment ce serait, d’être à la place de Silvia ? Croire en son père et l’aimer. L’aimer et vouloir voyager au Topique du Capricorne. Dire les mots qu’il faut. Silvia voulut sourire, mais ce sont des petites rides sur l’arête du nez, sur les pommettes, qui apparurent. Mr. Orange s’approcha de la bouche blessée de sa fille et aspira son haleine, en disant quelque chose d’incompréhensible dans la langue qu’il rapportait des mines. Silvia se retenait pour ne pas pleurer. Moi je savais ce que ça voulait dire se retenir, ce n’est pas comme avoir envie de faire pipi et supporter cette brûlure ou avoir peur du noir et fermer les yeux pour ne pas voir. Dedans aussi il fait très noir, dedans tu veux pleurer. Je me mis à penser que lorsque le père de Silvia serait revenu aux mines d’Orange, on pourrait sortir les perruques de sa mère et se promener sur la place, avec les touffes colorées de ces cheveux artificiels tombant jusqu’à la taille. On se dandinerait comme Tina Turner. Petite, Tina Turner avait dû être, elle aussi, Zoulou. La folle de la place nous demanderait nos noms, et nous on lui répondrait «kiki kiki» et vos noms ? « crapaud rétréci». Et la folle, nerveuse, se mettrait à se frapper les genoux, en disant « crapaud rétréci, crapaud rétréci » en pointant du doigt cette partie du corps qu’il nous était défendu de signaler, puis elle se serrerait le ventre pour rire à souhait. La folle avait des molaires en or pur, un or orange et opaque. De l’or véritable. Tout cela allait arriver quand le père de Silvia aurait enfin déguerpi. Mais cet instant n’en finissait pas, et Silvia restait là, avec les sourcils froncés et son père reniflant sa respiration. Les trois, y compris lui et son exotique stupidité, nous étions là, au centre même d’un temps qui palpitait avec des battements furieux. Pourquoi tout était comme ça ?

— Prenez une photo de moi - dis-je.

Mr. Orange se retourna, la frange de sa fille encore dans les serres. De toi ?, les yeux bleus s’électrisèrent comme le flash. De toi, petite truie ? dit-il. De toi ? De toi ?, il répéta « de toi ? » un million de fois, toutes les fois qu’il déclencha l’appareil photo, et toutes les fois que sonna le clic-clac dévorant la pellicule.

Quand son père aurait fichu le camp, avec son gilet écru qui sentait le tabac, on se mettrait les perruques, et on s’appellerait par d’autres noms. Silvia ne serait pas Silvia. Elle aimait s’appeler Susana. Cela arriverait, j’en étais sûre, il suffisait de fermer les yeux pour que l’instant s’en aille d’un seul coup. Fermer les yeux et imaginer des soleils et des spirales phosphorescentes, comme dans les bédés, quand le héros hurle.

De toi, petite truie ? De toi ?

Silvia se mit à pleurer en s’enfonçant l’ongle dans la gencive. Son père lui tournait le dos. Je voulus rassembler de la salive pour lui cracher à la figure comme le faisait la folle, qui propulsait sa haine par la pointe de la langue. Des flots de rage, comme dans les bédés. De la haine pure et simple. De la haine véritable. Mais la salive se défilait.

— Ben alors souris, petite truie – dit Mr. Orange, agacé.

La veine qui longeait son cou commença à gonfler, si on y glissait la lame du taille-crayon, ce ver invisible exploserait comme explosaient tous les vers du jardin. Je fermai bien fort les yeux et je souris et l’appareil photo continua de m’illuminer, traversant mes paupières, devenues aussi minces qu’une toile d’araignée, ou que ces membranes dégoûtantes que l’on voit dans les tranches d’embryons. Clic, clac, clac, l’appareil photo jusqu’au crépuscule et même après. Moi, sous mes paupières, je pus voir la lune qui ne cillait pas, sûrement pleine. Un loup borgne. Je pus voir aussi Silvia faisant saigner ses gencives et je pus me voir moi-même, comme si moi, ma pensée, mon désir, étions un appareil photo et mon visage celui d’un garçon Zoulou. Et je me sentis aussi forte qu’un garçon Zoulou et je pensai, qu’avec toute cette force, avec ma haine énorme et véritable, avec mon invincible haine, j’allais pouvoir, enfin et pour toujours, tuer l’incurable, l’imbécile Mr. Orange.

Traduit par Alba Marina Escalón

La cámara pestañeó dos veces. Su luminiscencia me hizo cerrar los ojos. En mi mente, el flash seguía arrojando relámpagos, si apretaba fuerte los párpados también podía ver soles y espirales. Silvia sonreía. Silvia era un murciélago feliz, el colmillo izquierdo le brillaba en la boca como un puñal diminuto. Su lengua asomaba por la ventanita que se formaba gracias al colmillo y a la ausencia de dientes delanteros.

—Cuando cumplamos onze, ezta foto noz va a dar vergüenza. Mi mamá ziempre dice que las fotos de loz ziete añoz dan vergüenza -dijo Silvia. Junto con las zetas escupía baba.

—¿Eso dijo tu mamá? Tu mamá está loca —dijo el padre de Silvia.

Su padre venía una vez al año de algún lejano lugar de Sudáfrica, donde trabajaba como ingeniero de minas. No era, en verdad, un padre, un padre en el sentido total de la palabra. Pienso en mi propio padre y creo que jamás nos hubiera sacado fotos por el hecho de estar jugando en el patio, en calzones, picando gusanos con la navaja que le habíamos sacado a un tajador. Para el padre de Silvia todo era un paisaje, quizás porque venía de Sudáfrica y se asombraba de lo crecida que estaba Silvia. En secreto, yo me refería a él como Mr. Orange.

—Vamos, vamos, otra foto -dijo Mr. Orange. Acomodó el ojo de la cámara y se dispuso a arrojar tormentas sobre nosotras.

Nos paramos juntas y tiesas como dos soldados, con los hombros echados hacia atrás, orgullosas de ser amigas; el ombligo era todavía una tripa delatora en el centro de los vientres asexuados.

—Apéguense un poco más -ordenó Mr. Orange-. ¡Sonrían!

El ojo acorazado vomitó las tormentas de flash durante largo rato. Me dolían los cachetes de sonreír. Nos abrazábamos, nos mirábamos haciendo guerras de mirada profunda, nos poníamos cuernitos con los dedos, sacábamos la lengua, nos poníamos de espalda, nos agachábamos para asomar la cabeza por entre las rodillas en una acrobacia que sólo es posible cuando la columna vertebral no ha consolidado sus cartílagos.

—¿Cuándo vas a volver? —preguntó Silvia. El rollo se había acabado y la cámara hacía chasquidos, ciegos sonidos estomacales.

—Pero si estoy aquí, ¿acaso no he regresado? Yo regreso todos los años. ¿O no?-. Mr. Orange manipulaba el interior de la máquina dentro de un saco grueso, a ciegas, estaba acostumbrado a no ver sus propias acciones.

—No -dijo Silvia- yo quiero decir volver, de volver a vivir aquí. Volver, papi, volver, volver-. Silvia hubiera querido aclarar “volver, no regresar”, pero en ese tiempo los términos nos huían, sólo poseíamos palabras lisas, sin segundas intenciones.

—No lo sé. Mirá, fijate bien en el resplandor, éstas las tomé con luz natural. El lente era ruso, una fortuna-dijo Mr. Orange.

Había sacado un álbum plegable de su chaleco, un chaleco con un bolsillo grande en el lado del corazón, con un sello bordado que decía O. M. British Company. Sacudió el álbum y, como por arte de magia, una larga cola de fotografías se desenroscó frente a nuestros ojos.

—Esta la saqué a unas millas de Orange, cuando recién llegué. Mirá todo este oro -dijo el padre de Silvia, acariciando con el pulgar una imagen de piedras y minerales que para nada parecía oro-. Podrías ahogarte allí… morir… resucitar… ¿No te gustaría ir conmigo?

—¡Sí, sí! ¡Mil veces sí! ¡Mil veces sí! -dijo Silvia.

Aunque la misma Silvia hacía esfuerzos por olvidar a su padre, su lugar no conseguía ser ocupado por nadie más. Ni siquiera por mí. En ese sentido Silvia era más impenetrable que la Gran Muralla China. Soy una bastarda, decía Silvia, cuando se daba cuenta que en el fondo odiaba a Mr. Orange. “Bastarda” era una palabra que entonces no tenía ningún significado, quería decir “bárbara”, quería decir “mala”, “canalla”, quería decir “¿cuándo pasará todo esto?”.

—Cuando cumplas once te voy a llevar -dijo él.

Silvia sostuvo la sonrisa por unos segundos. Estoy segura que pensaba en lo imbécil que era su padre, en lo rematadamente imbécil que era, en lo infinita e irremediablemente imbécil que podía ser. Nuestro odio era un odio siamés. Pero en cambio dijo:

—Falta mucho y ya no voy a querer.

—Vas a querer, claro que sí.

A Mr. Orange le gustaba contradecirla, asegurar, modificar sus respuestas. Yo estaba atenta al momento en que él se exasperaría, porque él siempre terminaba exasperándose. Su vida como ingeniero de minas, según contaba, era muy dura, escuchaba dinamitas y sudaba con fiebres inexplicables-. Pero mirá, aquí tengo otras fotografías. Es un niño zulú.

—Parece de carbón -dijo Silvia.

El niño estaba desnudo, pero las partes que te convierten en un ser desnudo no se veían debido al ángulo de la foto: de arriba hacia abajo. El niño tenía la cabeza levantada y nos miraba con ojos de órbita muy blanca y de un iris negro a morir. Sonreía y también le faltaban los dientes delanteros, pero no se avergonzaba como nosotras, no parecía que fuera un niño débil o que necesitara a su padre. A pesar de que nos estaba viendo fijo, miraba más allá de la foto, o al menos eso me parecía.

—Estos niggers - resopló Mr. Orange sin ganas de explicar mucho - son niños de carbón -

Mr. Orange se incorporó y jaló la máquina de la soga que le había anudado con una etiquetita que también decía O.M. British Company. Seguramente del alma de Mr. Orange colgaba un escudo bordado que decía O.M. British Company. Mr. Orange podía ser muy imbécil.

—Vení -dijo de pronto, como una maldición, -voy a sacarte otras fotos, a vos solita.

Silvia se paró con los brazos laxos, el flequillo estaba húmedo de sudor y se le pegaba en la frente. En ese tiempo nos hacían un corte estilo jesuita, aunque las liendres siempre ganaban la batalla. Teníamos la sangre dulce.

—Pero si todavía quiero -dijo Silvia, con una seriedad que yo siempre confundía con desilusión - me vas a llevar contigo al trópico de crapiconior.

—Capricornio. El trópico de Capricornio -corrigió él, molesto de que Silvia sólo fuera grande en tamaño pues no se esforzaba por pronunciar nada bien.

Decía “cocholate” en vez de chocolate, y “mánica” en vez de máquina, y “bastardo” en vez de “canalla”. Y eso exasperaba a Mr. Orange.

—Sonreí. Vos sos una niña feliz.

—No soy una niña feliz.

—Claro que sí. Seguro tu madre te dice que no sos feliz y vos te lo creés. Tu madre está loca de remate -dijo Mr. Orange y exclamó algo en un idioma incomprensible.

Cada año traía consigo esas exclamaciones y las sacaba de su maleta cuando estaba a punto de enojarse. Siempre estaba a punto de enojarse. Silvia se hacía pis en la cama todas las navidades, que era cuando su padre la visitaba.

—No quiero sonreír -dijo Silvia, llevándose las manos a la boca, estremeciéndose.

—Estás sonriendo -dijo Mr. Orange y arremetió con sus relámpagos-. ¿Por qué no te apartás el pelo de la cara? Vamos, chiquita, mirame fijo.

Silvia en cambio me miró y me llamó con la mano. Yo ya no quería contraer mis cachetes para mostrar mis propios colmillos. La luz del sol me molestaba. ¿O acaso el imbécil de Mr. Orange no sabía que de un momento a otro, en lo que dura un suspiro, nuestro odio siamés podía convertirnos en vampiros peligrosos? Qué poco sabía Mr. Orange de nosotras. Qué tonto era Mr. Orange.

—No, esperá, a vos solita. Un par de fotos para tu papi.

—A mí me dan miedo los niños zulú -dijo Silvia por decir algo.

—No tengas miedo, voy a comprarte un tambor, ¿querés un tambor? Los niños zulú fabrican unos tambores increíbles-. Mr. Orange apretaba el flash sin compasión. Cada centelleo era una herida sobre Silvia.

—Vamos, no te pongás la mano en la boca. Sacá esa mano. Sonreí, mirame.

Silvia bajó la mano. Sonrió, tenía la encía ensangrentada. Yo sabía que cuando Silvia se ponía nerviosa, hincaba la uña en la carne blandita hasta lastimarse. Era un entretenimiento, un dolor placentero.

—¿Qué? ¿Vas a ponerte a llorar? -dijo Mr. Orange, que aunque venía cada año un poco más viejo, en el fondo no cambiaba.

Sólo cambiaba el miedo. Mr. Orange decía que eso era “respeto”. Yo pensaba que era más malo que todos los villanos que yo conocía, y que eran muchos, pues no había cómic que no los tuviera.

—No, dijo Silvia -Y le vi temblar el labio inferior, y ella contuvo el temblor mordiéndoselo fuerte.

Hundió la uña en la palma de la mano. Yo estaba atenta, yo le conocía todos los movimientos. Éramos amigas.

—Pues, entonces sonreí -dijo su padre, y mientras con una sola mano sostenía la cámara y oprimía el obturador, con la otra llevaba hacia atrás el flequillo de Silvia y permanecía así, con los dedos cerrados sobre el pedacito de pelo.

De un solo jalón podría arrancarle el flequillo y Silvia tendría que usar pelucas igual que las grandes, o que Tina Turner, que tanto nos gustaba.
La nuca de Silvia cedió y ella quedó mirando hacia el cielo, como el chico zulú. Su padre acercó el ojo metálico y le tomó una foto, muy cerca, seguramente podían verse las cicatrices que las raíces de los dientes habían dejado, tiernas cicatrices.

¿Cómo sería estar en el lugar de Silvia? Creer en su padre y amarlo. Amarlo y desear viajar al Trópico de Capricornio. Decir las palabras correctas. Silvia quiso sonreír pero en cambio se le formaron arruguitas en el puente de la nariz, en los pequeños pómulos. Mr. Orange se acercó a la boca lastimada de su hija y aspiró su aliento, dijo algo en el idioma extraño que traía de las minas. Silvia estaba aguantándose para no llorar. Yo sabía lo que significaba aguantarse, no es como tener ganas de hacer pis y soportar el ardor o tener miedo a la oscuridad y apretar los ojos para no verla. Adentro también se está muy oscuro, adentro querés llorar. Pensé que cuando el padre de Silvia viajara otra vez a las minas de Orange, podríamos sacar las pelucas de su madre y pasear por la plaza, con las hebras coloradas de ese pelo artificial rozándonos la cintura. Nos menearíamos como Tina Tuner. De chica, Tina Turner debió ser también zulú. La loca de la plaza nos preguntaría por nuestros nombres, diríamos “llama, llama”, “¿y su apellido?”, “sapo encogido”. Y la loca se pondría a golpear sus rodillas, nerviosa, y diría “sapo encogido, sapo encogido” señalándose esa parte del cuerpo que se nos estaba prohibido señalar y luego se apretaría el estómago para reír a gusto. La loca tenía muelas de oro puro, un oro anaranjado y opaco. Oro de verdad. Todo esto iría a ocurrir cuando el padre de Silvia por fin se largara. Pero ese instante no acababa, y Silvia continuaba con el entrecejo fruncido y el padre oliéndole la respiración. Los tres, incluso él y su exótica estupidez, estábamos en el centro mismo de un tiempo que palpitaba con latidos furiosos. ¿Por qué todo tenía que ser de esta manera?

—Tómeme la foto a mí -dije.

Mr. Orange se volvió, todavía con el flequillo de su hija en la garra, ¿a vos?, los ojos azules se electrizaron, como el flash. ¿A vos, cerdita?, dijo. ¿A vos?, ¿a vos?, repitió “¿a vos?” un millón de veces, todas las veces que apretó el botón de la cámara y las veces que esa máquina cascabeleó devorando las películas.

Cuando su padre se largara con su chaleco crudo que olía a tabaco, nos pondríamos las pelucas rojas, nos llamaríamos con otros nombres. Silvia no sería Silvia. Le gustaba llamarse Susana. Esto iría a ocurrir, yo estaba segura, sólo había que cerrar los ojos para que el instante pasara de una vez. Cerrar los ojos e imaginar soles y espirales fosforescentes, como en los cómics cuando el héroe ruge.

¿A vos, cerdita? ¿A vos?

Silvia se echó a llorar hincándose la uña en la encía. Su padre le daba la espalda. Quise juntar saliva para escupirle la cara como hacía la loca, que propulsaba odio con la punta de la lengua. Chorros de furia, como en los cómics. Odio puro y simple. Odio verdadero. Pero la saliva pasaba de largo.

—Pues entonces sonreí, cerdita -dijo Mr. Orange, fastidiado.

La vena que le cruzaba el cuello empezó a hinchársele, si le pasábamos la navajita del tajador por encima, ese gusano invisible explotaría como explotaban todos los gusanos del patio. Apreté los ojos y sonreí y la cámara siguió iluminándome, atravesando mis párpados que se habían vuelto tan delgados como una tela de araña, o como esas membranas asquerosas que se ven en las láminas de embriones. Chac, chac, chac, la cámara, hasta que el sol se fue completamente y después. Yo, por debajo de mis párpados, pude ver la luna que no pestañeaba, seguro era llena. Un lobo tuerto. También pude ver a Silvia sacándose sangre de las encías y pude verme a mí misma, como si yo, mi mente, mi deseo, fuera una cámara y mi cara la de un chico zulú. Y me sentí tan fuerte como un chico zulú y pensé que, con toda esa fuerza, con mi odio verdadero y enorme, con mi invencible odio, ahora sí y para siempre podría matar al irremediablemente imbécil de Mr. Orange.

Par Giovanna Rivero

Giovanna Rivero (Bolivie, 1972) a publié les livres de nouvelles Seltz Contraluna, Sangre dulce (Sang doux), Las bestias (Les bêtes), La dueña de nuestros sueños, cuentos para niños (La propriétaire de nos rêves, contes pour enfants), ainsi que les romans Las Camaleonas (Les caméléones) Tukzon, historias colaterales (Tukzon, histoires colatérales).

Son livre Niñas y detectives (Fillettes et détectives) a été édité récemment chez Bartleby Editores en Espagne. Ses nouvelles ont été publiées dans des anthologies telles qu’El futuro no es nuestro (L’avenir ne nous appartient pas) et Barcos de fuego (Des bateaux de feu), anthologie en allemand pour la parution à venir.

Elle prépare actuellement un doctorat en littérature latino-américaine à l’Université de Floride, aux Etats-Unis, et nourrit de façon disciplinée le blog Dark Paranoid Park

Alba Escalón (Mexico, 1980)

Traductrice diplômée en traduction littéraire à l’Institut Supérieur des Traducteurs et Interprètes de Bruxelles, elle a traduit en français Los Días de la Selva de Mario Payeras et Síncopes du poète guatémaltèque Alan Mills (en cours de publication chez Rouge Inside). Elle a également traduit Inquietud teórica y estrategia proyectual en la obra de ocho arquitectos contemporáneos de Rafael Moneo pour les Éditions Parenthèses.

Actuellement, elle vit à Mexico, où elle travaille comme traductrice à l’Institut de Recherche pour le Développement.

Les illustrations de l’atelier Hispanophonie sont de Jerónimo López Ramírez, dit “Dr. Lakra”, Mexico, 1972. Il vit et travaille entre Mexico et la ville d’Oaxaca, au Mexique.

Performance en ligne, septembre 2008

Il est représenté par la Galerie Mexicaine Kurimanzutto