« L’écuyer Roland s’en vint à la Tour Sombre » (Voir la chanson d’Edgar dans Le Roi Lear)

I

Je pensai tout de suite, il ment à chaque mot,

Ce vieil estropié à l’œil si sournois,

Guettant dans mes prunelles l’œuvre de sa duperie,

Sa bouche non sans peine dissimulant une joie

Qui en pinçait et plissait les contours,

Alléchée par la vue d’une victime nouvelle.

II

Qu’attendrait-il d’autre, son bâton à la main ?

Qu’attendrait-il ? sinon d’accoster et de tromper

Le voyageur qui le découvrirait en cet endroit posté,

Et lui demanderait sa route ? J’imaginais alors le rire

De ce crâne grimaçant, et voyais sa béquille désœuvrée

Tracer mon épitaphe dans la poussière du chemin,

III

Si d’aventure, sur son conseil, je m’engageais

Sur la sente sinistre qui, aux dires de chacun,

Cache la Tour Sombre. Malgré tout, j’obéis

Et suivis la route indiquée par son doigt : la gloire,

Ni l’espoir rallumé par la vision de l’arrivée ne me poussaient,

Mais la simple joie d’entrevoir la fin du voyage.

IV

Pour avoir tant erré par le vaste monde,

Pour avoir tant d’années à ma quête voué,

Mon espoir n’est plus qu’un fantôme qui chancelle

Devant la joie tonitruante qu’eût donné le succès,

C’est à peine si j’essayai de retenir le bond

Que fit mon cœur devant le spectacle de ma défaite.

V

Semblable au malade qui sur son lit de mort

A tout l’air d’un défunt, qui voit poindre et tarir

Les pleurs de ses amis, qui reçoit leurs adieux,

Entend l’un inviter l’autre à se retirer, à prendre

L’air frais dehors (« Puisque tout est fini, dit-on,

Et qu’aucune plainte ne peut réparer le coup du sort ») ;

VI

Pendant que l’on s‘inquiète de savoir si sa tombe

Trouvera une place à côté des autres, du jour

Le plus approprié pour emporter la dépouille,

Du choix des bannières, des hampes et du linceul,

L’homme entend tout cela et désire ardemment

Ne pas démériter, en tardant à passer, ce tendre attachement.

VII

J’endurai de telles souffrances au cours de la quête,

J’entendis si souvent de funestes augures, on me compta

Tant de fois parmi les rangs de « La Troupe » – celle

Des chevaliers qui à la quête de la Tour Sombre vouèrent

Leurs pas – que je n’aspirais qu’à partager leur défaite, –

La seule question était désormais : serai-je à la hauteur ?

VIII

Alors, calme comme le désespoir, je me détournai

De l’odieux éclopé, quittai la grand route

Pour m’engager sur la sente indiquée. Mornes

Furent les heures les plus claires, désormais l’obscurité

Tombait sur le jour finissant qui lançait son œil rouge

Et torve sur l’ouaille prisonnier de la plaine.

IX

Écoutez-moi! Je ne m’étais pas plus tôt

Engagé par la plaine que je fis halte

Après un pas ou deux, pour jeter un dernier regard

Sur la grand route : le néant ; autour de moi une grise plaine:

Rien qu’une étendue grise, à perte de vue.

Autant aller de l’avant ; n’ayant guère d’autre choix.

X

J’allai donc. Jamais je ne vis, je crois,

Nature si chétive et si vile ; ici, point de luxuriance.

Des fleurs ? – autant chercher un bosquet de cèdres !

Seules l’ivraie et l’épurge, suivant la loi de leur espèce,

Pouvaient proliférer tout à leur guise,

Semblait-il. Une pousse de bardane eût été merveille.

XI

Hélas ! Disette, Apathie et Disgrâce

Par étrange malheur échurent à cette terre.

« Ouvre les yeux, disait Nature rétive, ou tiens-les clos,

En somme, peu me chaut car je n’attends rien

Que le feu du Jugement Dernier par lequel ce lieu sera guéri,

Ses glèbes calcinées, ses prisonniers libérés. »

XII

Si la tige dégarnie d’un chardon venait à pousser

Plus haut que ses voisines, on la décapitait,

Sans quoi le chiendent l’aurait jalousée. Qui perce et déchire

Les feuilles brunes et épaisses de l’oseille, si bien meurtries

Que vain est l’espoir de reverdie ? Brute

Celui qui les foula, leur ôtant la vie, d’un cœur brutal.

XIII

L’herbe poussait en des touffes aussi rares que des cheveux

Sur un crâne lépreux – de minces brins desséchés perçaient

Un sol boueux dont les entrailles semblaient mêlées de sang.

Roide, aveugle, un cheval, les os saillants,

Se tenait là, abruti – dieu seul sait comment il se trouva ici

Mis au ban de l’écurie du diable après de longs services !

XIV

Était-il vivant ? non, bien mort, pour autant que je sache,

Avec son cou pendant, rouge, hâve, couvert de plis

Et ses yeux clos cachés sous un vieux crin rouillé,

Rarement vis-je grotesque et malice ainsi mariés,

Jamais je ne croisai une bête éveillant en moi tant de haine ;

Il devait être bien méchant pour recevoir si dur châtiment.

XV

Je fermai les yeux et les tournai vers mon cœur.

Comme un homme réclame du vin avant le combat,

Je demandai une gorgée d’images de mon bonheur passé,

Avant de prétendre endosser dignement mon rôle.

Songe d’abord, frappe ensuite – tel est l’art du soldat :

Une rasade de bon vieux temps et le voilà paré.

XVI

Non ! J’invoquai le visage rougi de Cuthbert

Qui parut, encadré de torsades dorées,

Le cher ami, et je finis presque par sentir son bras

Glissé sous le mien pour arrêter mon élan

Comme il avait coutume de le faire. Hélas, nuit d’infortune,

La flamme qui réchauffait mon cœur s’éteignit et le laissa glacé.

XVII

Puis ce fut Gilles ! L’honneur incarné – Il se tenait là

Aussi droit qu’il y a dix ans lors de son adoubement.

Ce que l’honnête homme se devait d’oser (disait-il), il l’osait.

Bien – mais la vision change – fi ! quelles mains de bourreau

Ont épinglé sur sa poitrine un parchemin? Ses hommes le lisent.

Malheureux traître, que l’on couvre de crachats et d’imprécations !

XVIII

Le présent vaut mieux qu’un tel passé ;

Retournons donc sur la sente assombrie !

Pas un bruit, et l’on n’y voit goutte aussi loin que porte le regard.

La nuit enverra-t-elle une chouette ou une chauve-souris ?

Songeais-je, quand une vision sur la plaine maussade

Arrêta mes pensées et en changea le cours.

XIX

Un maigre ruisseau avait soudain surgi devant mes pas

Aussi preste qu’un serpent qui croise votre chemin.

Ce n’était point une eau stagnante, amie des ténèbres,

Mais une onde écumante qui aurait pu baigner

Le sabot étincelant d’un démon – à voir la furie

De ses noirs remous et le bouillon crépitant de son écume.

XX

Chétif mais non moins redoutable ! Le long de sa rive

Des aulnes bas et rabougris mettaient genoux à terre,

Des saules détrempés se jetaient à l’eau tête baissée,

Dans un élan de désespoir muet, cortège de suicidés :

Le ruisseau qui les avait abreuvés de malheur,

Quel qu’il fût, roulait ses eaux sans le moindre trouble.

XXI

Comme je le passai à gué, je craignais à chaque pas

De poser le pied, ô ciel, sur la joue

D’un noyé, et de sentir la lance que j’enfonçais

Dans les profondeurs du lit, prise dans ses cheveux et sa barbe !

— Je dus percer un rat d’eau de ma pointe

Mais, pouah ! son cri rappelait le pleur du nourrisson.

XXII

Je gagnai content l’autre rive,

Enfin une terre plus hospitalière ! Vaine espérance

Quels soldats avaient pu faire campagne en ce lieu

Quel piétinement sauvage avait changé la terre glacée

En bourbe ? Des crapauds dans une eau pestilentielle ?

Ou des chats sauvages dans une cage de fer chauffé à blanc ? –

XXIII

L’assaut avait été donné dans ce cirque cruel.

Pourquoi choisir ce lieu dans une plaine si vaste ?

Nulle trace ne conduisait à cette enceinte sinistre,

Nulle n’en sortait. Assurément un terrible breuvage avait enflammé

Les esprits, comme ceux des galériens que le Turc s’amusait

À lancer l’un contre l’autre, Chrétiens contre Juifs.

XXIV

Et pire encore – à quelques pas – pourquoi ?

Quel terrible usage réservait-on à cette machine, cette roue,

Non, ce chevalet – cette herse à dévider

Les entrailles des hommes comme des fils de soie,

Engin d’enfer abandonné sur terre par mégarde,

Ou apporté là pour affûter ses dents d’acier rouillées.

XXV

Puis ce fut un champ de souches, jadis un bois,

Qui devint marécage et n’est plus qu’une terre

Mise à nu, épuisée ; (tel l’idiot qui, hilare,

Fait une chose pour ensuite la ruiner, change d’humeur

Puis s’en va !) ; sur quelques enjambées, tout n’était que

Tourbe, glaise, rocaille, désert désolé de sable noir.

XXVI

Çà et là, la surface bariolée des plaies suppurantes,

Un maigre sol dont les lambeaux

S’abîment en plaques de mousse purulente ;

Puis un chêne paralytique barré d’une crevasse,

Bouche distordue à la lèvre fendue,

Qui bée et se rétracte devant la mort.

XXVII

Et j’étais toujours aussi loin de toucher la fin !

Rien à l’horizon que le soleil couchant,

Rien d’autre pour conduire mon chemin !

Alors un grand oiseau noir, ami d’Abaddôn,

Passa ; en planant, sa grande aile de dragon,

Effleura mon heaume – la chance m’envoyait-elle un guide ?

XXVIII

Levant les yeux, je perçai peu à peu le crépuscule :

Autour de moi la plaine avait laissé place

À des montagnes – si un tel nom peut convenir

Aux laides éminences qui s’offrirent soudain à ma vue.

Par quel mystère m’étaient-elles apparues ? – à vous de le lever !

Par quelle voie leur échapper, rien n’était moins clair.

XXIX

À peine semblai-je déceler quelque mauvais tour

Du sort qui m’avait frappé, Dieu sait quand –

Dans un cauchemar, qui sait ? Là s’arrêtait

Mon cheminement. Comme j’étais sur le point

De renoncer, un bruit sec retentit

Comme un piège refermé – te voici captif !

XXX

Sur moi tomba le feu de la révélation:

J’y étais ! à droite les deux collines ramassées

Comme deux taureaux corne contre corne,

À gauche, un haut mont chauve… insensé,

Stupide, toi qui, en cet instant crucial, trouves à t’assoupir

Toi qui, toute ta vie, t’es préparé à cette vision.

XXXI

Que voyait-on au beau milieu, sinon la Tour, elle-même !

Ronde et trapue, aveugle comme un cœur privé de raison

Bâtie de pierres brunes, sans rien qui lui ressemble

Sur toute la terre. Ainsi le génie de la tempête, dans sa malice,

Pointe du doigt au marin l’écueil ignoré,

Au moment où la coque commence à céder.

XXXII

Rien ne frappe votre œil ? la nuit sans doute ? –

Mais le jour reparut bientôt et avant de tomber,

Le rayon mourant du couchant embrasa une crevasse,

Les collines, tels des géants à l’affût, s’étaient allongées

Le menton dans les mains, épiant le gibier pris en chasse,

« Frappez-le, – jusqu’à la garde – achevez-le ! »

XXXIII

Rien ne frappe votre ouïe ? avec tout ce bruit ! Le tintement du glas

S’enflait comme celui d’une cloche. À mes oreilles

Le nom de ceux perdus dans l’aventure, mes pairs –

Ô la force de l’un, la bravoure de l’autre, la fortune du troisième,

Mais chacun depuis a passé, oui, passé !

L’instant sonna le glas d’années endeuillées.

XXXIV

Ils se tenaient là, sur les flancs de la colline alignés,

Contemplant mes instants derniers, cadre vivant

D’un nouveau tableau ! Devant le rideau de flammes,

Je les vis tous et reconnus chacun, cependant que

Sur mes lèvres impavides je posai l’oliphant

Et soufflai : « L’écuyer Roland s’en vint à la Tour Sombre. »

Traduit par Charlotte Michaux

I

My first thought was, he lied in every word,

That hoary cripple, with malicious eye

Askance to watch the working of his lie

On mine, and mouth scarce able to afford

Suppression of the glee, that pursed and scored

Its edge, at one more victim gained thereby.

II

What else should he be set for, with his staff?

What, save to waylay with his lies, ensnare

All travellers who might find him posted there,

And ask the road? I guessed what skull-like laugh

Would break, what crutch ’gin write my epitaph

For pastime in the dusty thoroughfare,

III

If at his council I should turn aside

Into that ominous tract which, all agree,

Hides the Dark Tower. Yet acquiescingly

I did turn as he pointed: neither pride

Nor hope rekindling at the end descried,

So much as gladness that some end might be.

IV

For, what with my whole world-wide wandering,

What with my search drawn out through years, my hope

Dwindled into a ghost not fit to cope

With that obstreperous joy success would bring, -

I hardly tried now to rebuke the spring

My heart made, finding failure in its scope.

V

As when a sick man very near to death

Seems dead indeed, and feels begin and end

The tears and takes the farewell of each friend,

And hears one bid the other go, draw breath

Freelier outside, (’since all is o’er,’ he saith,

’And the blow fallen no grieving can amend’;)

VI

While some discuss if near the other graves

Be room enough for this, and when a day

Suits best for carrying the corpse away,

With care about the banners, scarves and staves:

And still the man hears all, and only craves

He may not shame such tender love and stay.

VII

Thus, I had so long suffered in this quest,

Heard failure prophesied so oft, been writ

So many times among ’The Band’ - to wit,

The knights who to the Dark Tower’s search addressed

Their steps - that just to fail as they, seemed best,

And all the doubt was now - should I be fit?

VIII

So, quiet as despair, I turned from him,

That hateful cripple, out of his highway

Into the path he pointed. All the day

Had been a dreary one at best, and dim

Was settling to its close, yet shot one grim

Red leer to see the plain catch its estray.

IX

For mark! no sooner was I fairly found

Pledged to the plain, after a pace or two,

Than, pausing to throw backward a last view

O’er the safe road, ’twas gone; grey plain all round:

Nothing but plain to the horizon’s bound.

I might go on; naught else remained to do.

X

So, on I went. I think I never saw

Such starved ignoble nature; nothing throve:

For flowers - as well expect a cedar grove!

But cockle, spurge, according to their law

Might propagate their kind, with none to awe,

You’d think: a burr had been a treasure-trove.

XI

No! penury, inertness and grimace,

In some strange sort, were the land’s portion. ’See

Or shut your eyes,’ said Nature peevishly,

’It nothing skills: I cannot help my case:

’Tis the Last Judgement’s fire must cure this place,

Calcine its clods and set my prisoners free.’

XII

If there pushed any ragged thistle-stalk

Above its mates, the head was chopped; the bents

Were jealous else. What made those holes and rents

In the dock’s harsh swarth leaves, bruised as to balk

All hope of greeness? ’tis a brute must walk

Pushing their life out, with a brute’s intents.

XIII

As for the grass, it grew as scant as hair

In leprosy; thin dry blades pricked the mud

Which underneath looked kneaded up with blood.

One stiff blind horse, his every bone a-stare,

Stood stupefied, however he came there:

Thrust out past service from the devil’s stud!

XIV

Alive? he might be dead for aught I know,

With that red gaunt and colloped neck a-strain,

And shut eyes underneath the rusty mane;

Seldom went such grotesqueness with such woe;

I never saw a brute I hated so;

He must be wicked to deserve such pain.

XV

I shut my eyes and turned them on my heart.

As a man calls for wine before he fights,

I asked one draught of earlier, happier sights,

Ere fitly I could hope to play my part.

Think first, fight afterwards - this soldier’s art:

One taste of the old time sets all to rights.

XVI

Not it! I fancied Cuthbert’s reddening face

Beneath its garniture of curly gold,

Dear fellow, till I almost felt him fold

An arm in mine to fix me to the place,

That way he used. Alas, one night’s disgrace!

Out went my heart’s new fire and left it cold.

XVII

Giles then, the soul of honour - there he stands

Frank as ten years ago when knighted first.

What honest man should dare (he said) he durst.

Good - but the scene shifts - faugh! what hangman-hands

Pin to his breast a parchment? His own bands

Read it. Poor traitor, spit upon and curst!

XVIII

Better this present than a past like that;

Back therefore to my darkening path again!

No sound, no sight as far as eye could strain.

Will the night send a howlet or a bat?

I asked: when something on the dismal flat

Came to arrest my thoughts and change their train.

XIX

A sudden little river crossed my path

As unexpected as a serpent comes.

No sluggish tide congenial to the glooms;

This, as it frothed by, might have been a bath

For the fiend’s glowing hoof - to see the wrath

Of its black eddy bespate with flakes and spumes.

XX

So petty yet so spiteful! All along,

Low scrubby alders kneeled down over it;

Drenched willows flung them headlong in a fit

Of mute despair, a suicidal throng:

The river which had done them all the wrong,

Whate’er that was, rolled by, deterred no whit.

XXI

Which, while I forded, - good saints, how I feared

To set my foot upon a dead man’s cheek,

Each step, or feel the spear I thrust to seek

For hollows, tangled in his hair or beard!

— It may have been a water-rat I speared,

But, ugh! it sounded like a baby’s shriek.

XXII

Glad was I when I reached the other bank.

Now for a better country. Vain presage!

Who were the strugglers, what war did they wage,

Whose savage trample thus could pad the dank

Soil to a plash? Toads in a poisoned tank,

Or wild cats in a red-hot iron cage -

XXIII

The fight must so have seemed in that fell cirque.

What penned them there, with all the plain to choose?

No foot-print leading to that horrid mews,

None out of it. Mad brewage set to work

Their brains, no doubt, like galley-slaves the Turk

Pits for his pastime, Christians against Jews.

XXIV

And more than that - a furlong on - why, there!

What bad use was that engine for, that wheel,

Or brake, not wheel - that harrow fit to reel

Men’s bodies out like silk? with all the air

Of Tophet’s tool, on earth left unaware,

Or brought to sharpen its rusty teeth of steel.

XXV

Then came a bit of stubbed ground, once a wood,

Next a marsh, it would seem, and now mere earth

Desperate and done with; (so a fool finds mirth,

Makes a thing and then mars it, till his mood

Changes and off he goes!) within a rood -

Bog, clay and rubble, sand and stark black dearth.

XXVI

Now blotches rankling, coloured gay and grim,

Now patches where some leanness of the soil’s

Broke into moss or substances like boils;

Then came some palsied oak, a cleft in him

Like a distorted mouth that splits its rim

Gaping at death, and dies while it recoils.

XXVII

And just as far as ever from the end!

Naught in the distance but the evening, naught

To point my footstep further! At the thought,

A great black bird, Apollyon’s bosom-friend,

Sailed past, not beat his wide wing dragon-penned

That brushed my cap - perchance the guide I sought.

XXVIII

For, looking up, aware I somehow grew,

’Spite of the dusk, the plain had given place

All round to mountains - with such name to grace

Mere ugly heights and heaps now stolen in view.

How thus they had surprised me, - solve it, you!

How to get from then was no clearer case.

XXIX

Yet half I seemed to recognise some trick

Of mischief happened to me, God knows when -

In a bad dream perhaps. Here ended, the,

Progress this way. When, in the very nick

Of giving up, one time more, came a click

As when a trap shuts - you’re inside the den!

XXX

Burningly it came on me all at once,

This was the place! those two hills on the right,

Crouched like two bulls locked horn in horn in fight;

While to the left, a tall scalped mountain...Dunce,

Dotard, a-dozing at the very nonce,

After a life spent training for the sight!

XXXI

What in the midst lay but the Tower itself?

The round squat turret, blind as the fool’s heart,

Built of brown stone, without a counterpart

In the whole world. The tempest’s mocking elf

Points to the shipman thus the unseen shelf

He strikes on, only when the timbers start.

XXXII

Not see? because of night perhaps? - why, day

Came back again for that! before it left,

The dying sunset kindled through a cleft:

The hills, like giants at a hunting, lay,

Chin upon hand, to see the game at bay,

’Now stab and end the creature - to the heft!’

XXXIII

Not hear? when noise was everywhere! it tolled

Increasing like a bell. Names in my ears

Of all the lost adventurers my peers, -

How such a one was strong, and such was bold,

And such was fortunate, yet each of old

Lost, lost! one moment knelled the woe of years.

XXXIV

There they stood, ranged along the hill-sides, met

To view the last of me, a living frame

For one more picture! in a sheet of flame

I saw them and I knew them all. And yet

Dauntless the slug-horn to my lips I set,

And blew. ’Childe Roland to the Dark Tower came.’

Par Robert Browning

Robert Browning
Poète de l’Angleterre victorienne, Robert Browning (1812-1889) doit beaucoup aux modèles romantiques de la génération précédente, en particulier Percy Bysshe Shelley dont il partage les préoccupations philosophiques et à qui il emprunte la forme dialogique. Browning compose le plus souvent de longs poèmes historiques et philosophiques. Sa puissante érudition prend corps dans le poème par l’entremise d’une imagination visuelle des plus vives et dans le genre du monologue dramatique. Son grand œuvre, The Ring and the Book (Le Livre et l’Anneau), sorte de roman polyphonique en vers, fait ainsi revivre la Florence du XVIIe siècle. Traduit pendant la seconde guerre par Georges Connes, il a fait l’objet d’une réédition récente aux éditions Le Bruit du Temps.

L’écuyer Roland s’en vint à la Tour Sombre
L’œuvre est composée en 1852, alors que Browning s’est mis en tête d’écrire un poème par jour – résolution tenue pendant une quinzaine de jours -. Sa relative brièveté, son dépouillement, son caractère elliptique en font l’une des plus énigmatiques de son auteur.
Le titre du poème est la citation d’une chanson entonnée par Edgar, personnage du Roi Lear de William Shakespeare. Devant le roi, Kent et Gloucester, il surgit sous le masque du pauvre Tom puis s’éclipse, cette ballade aux lèvres : « Child Roland to the Dark Tower came. / His word was still ‘fi, foh and fum, / I smell the blood of a British Man’ » : « Jeune Roland s’en vint à la Noire Tour / Et son cri de guerre c’était toujours / Flou, flan, flon, ! Je flaire le sang d’un soldat breton » (traduction Yves Bonnefoy).
De l’aveu même de Browning, la dimension allégorique du poème est indéniable, mais il ne l’aurait pas composé dans cette intention, pas plus qu’il n’y aurait délibérément placé un sens second : « Childe Roland m’a visité comme une sorte de rêve. Il fallait que je l’écrive, sur place, à l’instant même, et je l’ai fini le jour même, je crois. Mais je n’avais tout simplement pas le choix. J’ignorais tout alors du sens de ce que je disais, et, assurément, je l’ignore toujours. Mais j’aime beaucoup cette œuvre. »