Quinze sonnets d’un mot par vers

JANVIER

Après

la

troisième

chute

même

la

circulation

se

dissipe

dans

la

neige

profondément

épaisse.


LE VENT

De

derrière

l’érable,

le

soleil

secoue

son

plumage

éblouissant

sans

pousser

un

seul

cri !


LA POUSSIÈRE

La

poussière

des

senteurs

poméridiennes

descend

sur

toi :

peau

et

membres

crissent

au

toucher.


LA PLUIE DE SEPTEMBRE

Si

les

érables

pouvaient,

ils

rêveraient

de

la

venue

salvatrice

du

mois

de

mai.


EN DESSOUS DE ZÉRO

se

posent

les

oiseaux

rusés

après

que

minuit

ait

sonné

quand

il

gèle ?


LE RICOCHET

Pars

à

sa

recherche

dans

l’obscurité :

la

neige

se

renvoyant

sa

blancheur,

ricochet

d’illumination.


LE CALENDRIER

Elle

se

réveilla

lundi,

le

calendrier

indiquait

avril,

la

neige

recouvrant

le

sol,

décembre.


ÉCRASÉES

Pour

qui

donc

est

ce

silence

intense

de

glace

et

de

roche

mutuellement

écrasées ?


FANTÔME

Tu

dormis

des

milliers

de

nuits

sans

être

réveillé

par

le

moindre

effleurement

fantomatique.


LE CAFÉ AU LAIT

Quel

goût

tristement

exquis,

ce

café

au

lait

épaissi

par

l’amertume

chocolatée

du

regret.


LE CONCERT

Inquiétants,

ce

concert

de

sons

matinaux

et

le

soleil

silencieux

qui

flotte

vers

l’aube.


LE YIDDISH

Un

écho

de

chuchotements :

d’innombrables

fantômes

lointains

rêvent

que

les

vivants

reprennent

la

parole.


L’ABSENCE

Telle

la

lumière

après

une

longue

absence,

l’esprit

revient

de

l’obscurité,

assoiffé

de

silence.


L’AIL

La

plus

piquante

des

créatures,

tu

réveilles

sur

la

langue

la

célébration

du

goût.


LES PRÉSAGES

Les

oiseaux

tracent

la

calligraphie

prometteuse

du

vol,

ligne

courbe

unissant

ciel

et

terre.


ABUS DE SUBSTANCES TOXIQUES

La

littérature :

l’une

des

toxines

humaines

les

moins

nuisibles ;

goûtez

à

de

la

poésie !

Traduit par Sabine Huynh

JANUARY

After

the

third

fall

even

the

traffic

trails

away

in

the

thick

sinking

snow.


WIND

From

behind

the

maple

the

sun

flaps

its

blinding

plumage

without

a

waking

cry!


DUST

The

dust

of

afternoon

fragrance

settles

on

your

skin

and

limbs

grainy

with

touch.


SEPTEMBER RAIN

If

the

maple

trees

could,

they

would

dream

of

the

healing

entrance

of

May.


BELOW ZERO

Where

do

the

wily

birds

perch

when

it

is

past

midnight

and

below

zero?


RICOCHET

Go

find

something

in

the

dark:

snow

reflected

off

itself,

a

ricochet

of

illumination.


CALENDAR

She

awoke

Monday,

it

was

April

on

the

calendar,

December

on

the

snowcovered

ground.


GROUND

Who

claims

this

honed

silence

where

ice

and

rock

have

ground

each

other

down?


GHOST

You

have

slept

thousands

of

nights

without

the

tentative

ghost

of

touch

waking

you.


LATTE

What

exquisite

sad

taste,

this

latte

thick

with

the

mixed

bittersweet

chocolate

of

regret.


EARFUL

Eerie,

that

earful

of

early

sound

and

the

sun

silent

floating

up

into

dawn.


YIDDISH

Echo

of

whisper

as

distant

ghosts

in

their

millions

dream

the

living

into

speech.


ABSENCE

The

spirit

returns

like

the

light

after

long

absence,

after

darkness

and

craving

silence.


GARLIC

Pungent

to

all

things

live,

you

revive

the

tongue

to

the

praise

of

taste.


OMENS

Birds

script

the

auspicious

calligraphy

of

flight

as

they

arc,

link

sky

and

earth.


SUBSTANCE ABUSE

Literature

is

one

of

the

least

damaging

human

toxins—

try

some

poetry,

will

you?

Par Seymour Mayne

Le sonnet d’un mot est une variante assez récente de la forme traditionnelle. Il s’agit essentiellement d’un poème de quatorze vers qui contiennent chacun un mot. Cette version « miniature » du sonnet, concise et produisant généralement un certain effet visuel, peut contenir une phrase ou plus, selon l’articulation du poème.
Chaque sonnet d’un mot de ce recueil se veut piquant et suggestif, spirituel. Un grand nombre d’entre eux s’inspirent des saisons et visent à produire une résonance compacte qui peut pousser le lecteur à vouloir y retourner sans cesse, comme s’il s’agissait de souvenirs lancinants.
Seymour Mayne (introduction au recueil Ricochet, 2004).

Cette forme brève, fulgurante, compacte, pourrait même être qualifiée d’organique, à cause du fait que le poème contienne tout un monde en son sein, comme une pierre le ferait. Chacun de ces sonnets d’un mot est comme une petite pierre qui rebondit allègrement de page en page, chaque poème se reflétant car étant identique de forme et d’essence, mais restant pourtant différent par son contenu et sa résonance. On touche ici à la question fascinante de la répercussion du sens, de sa mise en abyme.
Sabine Huynh

Seymour Mayne a écrit, édité ou traduit plus de cinquante volumes et monographies. Ses écrits ont été traduits en plusieurs langues, dont le français, l’allemand, l’hébreu, le polonais, le russe et l’espagnol. Ses dernières publications comprennent : Light Industry (Mosaic Press, 2000), un choix de poèmes satiriques et humoristiques ; Ricochet : Word Sonnets (Mosaic Press, 2004), un volume qui va de pair avec le précédent ; September Rain (Mosaic Press, 2005) ; et Les pluies de septembre : poèmes choisis, traduits de l’anglais par Pierre DesRuisseaux (Éditions du Noroît, 2008). Il est professeur de littérature, de création littéraire et d’études canadiennes à l’Université d’Ottawa (au département d’anglais et à l’Institut d’études canadiennes).

Sabine Huynh est poète, traductrice et linguiste. Elle fait actuellement un postdoctorat en sociolinguistique à l’université d’Ottawa, où elle a rencontré et s’est liée d’amitié avec le poète Seymour Mayne. Ses poèmes et nouvelles en français et en anglais ont paru dans : The Dudley Review, Le Jérusalem Post, Poetica Magazine, Cyclamens and Swords, Zinc, et Arc. Un poème d’Uri Orlev qu’elle a traduit de l’hébreu vers le français, a été publié dans L’Enfant et le génocide, Robert Laffont, 2007. Sa dernière publication en date est la traduction de l’hébreu vers le vietnamien du livre Savta Soreget (« grand-mère tricote »), d’Uri Orlev, aux éditions Kim Dong, à Hanoi, 2008. Elle travaille actuellement sur la traduction de l’hébreu vers le français du recueil Poèmes de Bergen-Belsen, d’Uri Orlev.