JANVIER
Après
la
troisième
chute
même
la
circulation
se
dissipe
dans
la
neige
profondément
épaisse.
LE VENT
De
derrière
l’érable,
le
soleil
secoue
son
plumage
éblouissant
sans
pousser
un
seul
cri !
LA POUSSIÈRE
La
poussière
des
senteurs
poméridiennes
descend
sur
toi :
peau
et
membres
crissent
au
toucher.
LA PLUIE DE SEPTEMBRE
Si
les
érables
pouvaient,
ils
rêveraient
de
la
venue
salvatrice
du
mois
de
mai.
EN DESSOUS DE ZÉRO
Où
se
posent
les
oiseaux
rusés
après
que
minuit
ait
sonné
quand
il
gèle ?
LE RICOCHET
Pars
à
sa
recherche
dans
l’obscurité :
la
neige
se
renvoyant
sa
blancheur,
ricochet
d’illumination.
LE CALENDRIER
Elle
se
réveilla
lundi,
le
calendrier
indiquait
avril,
la
neige
recouvrant
le
sol,
décembre.
ÉCRASÉES
Pour
qui
donc
est
ce
silence
intense
de
glace
et
de
roche
mutuellement
écrasées ?
FANTÔME
Tu
dormis
des
milliers
de
nuits
sans
être
réveillé
par
le
moindre
effleurement
fantomatique.
LE CAFÉ AU LAIT
Quel
goût
tristement
exquis,
ce
café
au
lait
épaissi
par
l’amertume
chocolatée
du
regret.
LE CONCERT
Inquiétants,
ce
concert
de
sons
matinaux
et
le
soleil
silencieux
qui
flotte
vers
l’aube.
LE YIDDISH
Un
écho
de
chuchotements :
d’innombrables
fantômes
lointains
rêvent
que
les
vivants
reprennent
la
parole.
L’ABSENCE
Telle
la
lumière
après
une
longue
absence,
l’esprit
revient
de
l’obscurité,
assoiffé
de
silence.
L’AIL
La
plus
piquante
des
créatures,
tu
réveilles
sur
la
langue
la
célébration
du
goût.
LES PRÉSAGES
Les
oiseaux
tracent
la
calligraphie
prometteuse
du
vol,
ligne
courbe
unissant
ciel
et
terre.
ABUS DE SUBSTANCES TOXIQUES
La
littérature :
l’une
des
toxines
humaines
les
moins
nuisibles ;
goûtez
à
de
la
poésie !
JANUARY
After
the
third
fall
even
the
traffic
trails
away
in
the
thick
sinking
snow.
WIND
From
behind
the
maple
the
sun
flaps
its
blinding
plumage
without
a
waking
cry!
DUST
The
dust
of
afternoon
fragrance
settles
on
your
skin
and
limbs
grainy
with
touch.
SEPTEMBER RAIN
If
the
maple
trees
could,
they
would
dream
of
the
healing
entrance
of
May.
BELOW ZERO
Where
do
the
wily
birds
perch
when
it
is
past
midnight
and
below
zero?
RICOCHET
Go
find
something
in
the
dark:
snow
reflected
off
itself,
a
ricochet
of
illumination.
CALENDAR
She
awoke
Monday,
it
was
April
on
the
calendar,
December
on
the
snowcovered
ground.
GROUND
Who
claims
this
honed
silence
where
ice
and
rock
have
ground
each
other
down?
GHOST
You
have
slept
thousands
of
nights
without
the
tentative
ghost
of
touch
waking
you.
LATTE
What
exquisite
sad
taste,
this
latte
thick
with
the
mixed
bittersweet
chocolate
of
regret.
EARFUL
Eerie,
that
earful
of
early
sound
and
the
sun
silent
floating
up
into
dawn.
YIDDISH
Echo
of
whisper
as
distant
ghosts
in
their
millions
dream
the
living
into
speech.
ABSENCE
The
spirit
returns
like
the
light
after
long
absence,
after
darkness
and
craving
silence.
GARLIC
Pungent
to
all
things
live,
you
revive
the
tongue
to
the
praise
of
taste.
OMENS
Birds
script
the
auspicious
calligraphy
of
flight
as
they
arc,
link
sky
and
earth.
SUBSTANCE ABUSE
Literature
is
one
of
the
least
damaging
human
toxins—
try
some
poetry,
will
you?
Le sonnet d’un mot est une variante assez récente de la forme traditionnelle. Il s’agit essentiellement d’un poème de quatorze vers qui contiennent chacun un mot. Cette version « miniature » du sonnet, concise et produisant généralement un certain effet visuel, peut contenir une phrase ou plus, selon l’articulation du poème.
Chaque sonnet d’un mot de ce recueil se veut piquant et suggestif, spirituel. Un grand nombre d’entre eux s’inspirent des saisons et visent à produire une résonance compacte qui peut pousser le lecteur à vouloir y retourner sans cesse, comme s’il s’agissait de souvenirs lancinants.
Seymour Mayne (introduction au recueil Ricochet, 2004).
Cette forme brève, fulgurante, compacte, pourrait même être qualifiée d’organique, à cause du fait que le poème contienne tout un monde en son sein, comme une pierre le ferait. Chacun de ces sonnets d’un mot est comme une petite pierre qui rebondit allègrement de page en page, chaque poème se reflétant car étant identique de forme et d’essence, mais restant pourtant différent par son contenu et sa résonance. On touche ici à la question fascinante de la répercussion du sens, de sa mise en abyme.
Sabine Huynh
Seymour Mayne a écrit, édité ou traduit plus de cinquante volumes et monographies. Ses écrits ont été traduits en plusieurs langues, dont le français, l’allemand, l’hébreu, le polonais, le russe et l’espagnol. Ses dernières publications comprennent : Light Industry (Mosaic Press, 2000), un choix de poèmes satiriques et humoristiques ; Ricochet : Word Sonnets (Mosaic Press, 2004), un volume qui va de pair avec le précédent ; September Rain (Mosaic Press, 2005) ; et Les pluies de septembre : poèmes choisis, traduits de l’anglais par Pierre DesRuisseaux (Éditions du Noroît, 2008). Il est professeur de littérature, de création littéraire et d’études canadiennes à l’Université d’Ottawa (au département d’anglais et à l’Institut d’études canadiennes).
Sabine Huynh est poète, traductrice et linguiste. Elle fait actuellement un postdoctorat en sociolinguistique à l’université d’Ottawa, où elle a rencontré et s’est liée d’amitié avec le poète Seymour Mayne. Ses poèmes et nouvelles en français et en anglais ont paru dans : The Dudley Review, Le Jérusalem Post, Poetica Magazine, Cyclamens and Swords, Zinc, et Arc. Un poème d’Uri Orlev qu’elle a traduit de l’hébreu vers le français, a été publié dans L’Enfant et le génocide, Robert Laffont, 2007. Sa dernière publication en date est la traduction de l’hébreu vers le vietnamien du livre Savta Soreget (« grand-mère tricote »), d’Uri Orlev, aux éditions Kim Dong, à Hanoi, 2008. Elle travaille actuellement sur la traduction de l’hébreu vers le français du recueil Poèmes de Bergen-Belsen, d’Uri Orlev.