I’m from Albania

Seule à la table, je prends mon verre et je commence à rechercher de vieux amis. Je fais deux pas, et je me rends compte que le protocole est dépassé. Au centre du restaurant, il y a un paquet d’inconnus qui discutent dans cette belle langue qu’est le russe. Je comprends seulement quelques mots du genre « spasiba, pazhallusta, zdrasvujtje ». Ils sont tous réunis : Russes, Estoniens, Lituaniens, Lettons, Ukrainiens, Géorgiens, Moldaves, Azéris, Kazakhs, Krghizes, Uzbeks, Tadjiks, Turkmènes, et quelques autres Fuckistaniens. Oh mon dieu!

J’échappe à cet illustre groupe et me mets de nouveau à la recherche de ma frêle amie, comme ça au hasard, je me retrouve au milieu de quelques autres inconnus, sauf que cette fois c’est un groupe plus petit que le premier. Ici on entend du serbo-croate. Quelques Serbes, Monténégrins, Croates, Slovènes, Macédoniens, Bosniaques, mais aussi quelques Bulgares détachés du grand groupe de russisants, se sont regroupés. « Kako si ti, dobro vece, izvolite, ne mnogo » et d’autres mots comme ça qui étaient utilisés pendant la période communiste sur les chaînes télévisées yougoslaves que je regardais en secret, et je ressens comme une sorte de nostalgie. Mais…

C’est mon deuxième échec. Je continue mon chemin, un troisième verre à la main. J’essaie de me rapprocher des vieux Européens. Les Allemands se sont rassemblés non seulement autour des Autrichiens, des Suisses et des Luxembourgeois, mais aussi des Tchèques, des Slovaques, des Polonais et des Hongrois.

Je marche, je prends un quatrième verre et je m’approche d’un autre groupe de vieux Européens. Leur français brille tant qu’il m’aveugle, et cela me met en colère car jamais je n’ai pu apprendre cette langue.

Enfin, ne pouvant pas être plus déçue que ça, je me verse un cinquième verre et m’apprête à crier « eurêka », lorsqu’à l’autre bout de la salle j’aperçois une femme à la peau mate. Je me rue comme un faucon sur sa proie en espérant qu’elle soit grecque, et que l’on puisse au moins boire et parler anglais.

Je sers un verre à l’inconnue, m’approche et le lui tends d’un geste amical, tout en maugréant le seul mot que je connais en grec « Kalispera ». Mais elle me tourne le dos aussitôt. Je ne désespère pas, puisque de toutes les manières, c’est la seule expression qui me soit venue, et, tel un joueur de poker je sors le joker de ma manche « Cheers ».

Alors elle me sourit gentiment et me dit en anglais :

— Thank you. I do not drink. I am from Turkey.

— Imbécile, me dis-je en souriant.

— Where are you from? me demande-t-elle ensuite.

— Quelle importance, lui dis-je en albanais puis j’explique : I’m from Albania.

— From Albania?!!! Oh very nice to meet you, Albania.

— My name is Diella, lui dis-je.

— Oh Albania ! continue-t-elle et me demande avec un air étonné : Do you drink ?

— A little, lui dis-je alors que ma vue se brouille.

— Oh, Albania ! continue-t-elle de nouveau.

— Diella, lui dis-je.

— Yes, yes, Diela, dit-elle. I know Albania very well. I know our common hero George Castriota-skanderberg, but I have heard also for Mother Tereza, Enver Hoxha, the Kosovars. Kukëshi. Tous sont fantastiques, me dit-elle.

— Oui surtout ce dernier, lui chuchoté-je en albanais.

— What are you saying ? demande-t-elle et je comprends qu’elle a l’intention de discuter de notre glorieuse histoire et surtout de celle que nous avons en commun, et cela sans même prendre un verre de vin. Je l’interromps :

— Excusmi, do you know where is the toilet?

— Oh, right the head, dit-elle, me libérant enfin de cette angoisse historique.

Traduit par Emma Meadows

E vetme në tavolinë, rrëmbej gotën e mbushur dhe nisem në kërkim të miqve të vjetër. Sa bëj dy hapa, e shikoj se protokolli është çatrafiluar. Mesin e restorantit e kanë zënë një tufë të panjohurish duke ligjëruar në gjuhën e bukur ruse. Marr vesh vetëm ca fjalë të tipit “spasiba, pazhallusta, zdrasvujtje”. Janë mbledhur të gjithë bashkë: rusë, rusë të bardhë, estonas, lituan, letonë, ukrahinas, gjeorgjianë, moldovë, azerbaxhanas, kazakistanas, kirgistanas, uzbekistanas, taxhikistanas, turkmenistanas e ca fuckistanas të tjerë. O Zot!

I rrëshqas atij grupi të madh e vihem sërish në kërkim të mikeshës hollake dhe, ashtu kuturu, gjendem në mes të ca të panjohurve të tjerë, veçse kësaj here në një grup më të vogël se i pari. Aty ka plasur fort serbokroatishtja. Ca serb, malazezë, kroatë, sllovenë, maqedonas, boshnjakë, por edhe ndonjë bullgar i shkëputur nga grupi i madh i rusishtfolësve, u është bashkangjitur. “Kako si ti, dobro vjecer, izvolitje, nje mnogo”, e fjalë të tjera si këto më kujtojnë kohën e komunizmit, kur shikoja fshehtas në televizion kanalet jugosllave, dhe ndiej njëlloj nostalgjie. Por…

Ky është edhe dështimi im i dytë. Vazhdoj rrugën me gotën e tretë në dorë. Provoj t’u afrohem europianëve të vjetër. Gjermanët kanë grumbulluar rreth vetes jo vetëm austriakët, zviceranët dhe luksemburgasit, por edhe çekët, sllovakët, polakët e hungarezët.

Eci, rrëmbej gotën e katërt dhe afrohem te grupi tjetër i europianëve të vjetër. Frëngjishtja e tyre shkëlqen aq shumë sa më lëbyrë sytë, duke më inatosur që nuk munda kurrë ta mësoj atë gjuhë.

Më në fund, e zhgënjyer sa s’bëhet, mbush gotën e pestë dhe jam gati të thërras “eureka”, kur vë re një zonjë të zeshkët e të vetmuar në cepin tjetër të sallës. Lëshohem si skifteri me shpresën se është greke dhe se me të mund t’ia nis anglishtes dhe pijes nga fillimi.

Mbush edhe një gotë për të panjohurën në shenjë miqësie e dashamirësie dhe i afrohem duke i zgjatur gotën e duke artikuluar të vetmen shprehje që di në greqisht “Kalispera”. Por ajo menjëherë më kthen kurrizin. Nuk merzitem, sepse, gjithsesi, është e vetmja shpresë e mbetur, dhe si një lojtar pokeri nxjerr nga mënga fjalën magjike “Cheers”.

Atëhere ajo më buzëqesh gjithë mirësi e më thotë po në anglisht:

— Thank you. I do not drink. I am from Turkey.

— Të dhjefsha surratin, them me vete, duke i buzëqeshur.

— Where are you from? - më pyet pastaj ajo.

— E ç’rëndësi ka - them në shqip e mandej shpejtoj: “I’m from Albania.”

— From Albania?!!! Oh, very nice to meet you, Albania.

— My name is Diella - i them.

— Oh, Albania - vazhdon ajo dhe më pyet e çuditur sa s’bëhet: - Do you drink?

— A little - i them dhe ndiej sesi po më errësohet pamja nga vera.

— Oh, Albania! - vazhdon prapë ajo.

— Diella - i them unë.

— Yes, yes, Diela - thotë ajo. I know Albania very well. I know our common hero George Castriota-Skanderbeg, but I have heard also for Mother Tereza, Enver Hoxa, the Kosovars. Kukëshi - janë fantastike, më thotë.

— Po sidomos ky i fundit - i pëshpëris unë në shqip.

— What are you saying? - pyet ajo dhe e kuptoj se mesa duket ka ndër mend të shtrohet në muhabet rreth historisë sonë të lavdishme, e sidomos asaj të përbashkët, pa vëne pikë vere në gojë, ndaj edhe e ndërpres:

— Exscusmi, do you know where is the toilette?

— Oh, right the head - flet ajo dhe më çliron përfundimisht nga ky ankth historik.

Par Stefan Çapaliku

L’Albanie communiste de Hoxha fut l’une des dictatures les plus dures des pays de l’Est.
Après avoir rompu successivement ses relations avec la Yougoslavie, l’URSS et la Chine, elle s’enferme dans l’isolement.

Il faut attendre les années 90 - Hoxha meurt en 85 - pour que la Révolution de Velours instaure le multipartisme.

Si aujourd’hui l’Europe se tourne vers la culture des Balkans, la diffusion de la littérature albanaise, peu traduite, reste difficile. Nous n’en connaissons que quelques incontournables, tel Ismaël Kadaré. Le destin de la littérature albanaise a toujours été intimement lié à celui de la nation ; elle naît d’une tradition orale ancestrale, imprégnée de mythes et folklores régionaux. Le mouvement de la Renaissance Nationale (XIXe-XXe siècles), que l’on peut considérer comme un âge d’or, puise son inspiration dans les racines de la Patrie.
Dans un style souvent épique, poètes et écrivains forment le peuple à une conscience nationale.

Comme le montre l’extrait, Stefan Çapaliku coupe le lien ombilical qui le relie à l’appartenance culturelle : son personnage se détache des références historiques et de l’idée d’une conscience nationale, si chère aux héritiers de la Renaissance.

Cette prise de recul n’est pas le fruit du hasard, elle est l’affirmation d’une poétique nouvelle : "être écrivain aujourd’hui à Tirana signifie écrire des oeuvres plus universelles que celles des générations précédentes qui s’intéressaient seulement à la réalité albanaise. Nous aimerions créer une littérature plus ouverte qui puisse devenir universelle. Nous avons besoin de nouveaux codes universels pour atteindre notre principal objectif : comparer et échanger avec d’autres afin de créer un dialogue. La culture albanaise est en train de passer du monologue au dialogue." Stefan Çapaliku sur babelmed.net

Stefan Çapaliku

1965-

Source : transcript-review.org

Professeur d’Esthétique à l’université de Shkodra dès l’année 1990, il est passé depuis 1996 à l’Institut des Beaux-Arts à Tirana.

Auteur d’essais et d’études littéraires, ainsi que du roman Un homme de passage (1996), paru en français aux éditions Albiana-CCU (Corse 2002), mais surtout dramaturge plusieurs fois primé, Çapaliku s’est déjà affirmé comme une personnalité de la culture et des lettres albanaises.

Révélé comme poète avec les volumes "Ceci et rien d’autre n’est arrivé" (1993) et "Temps suspendu" (1994), il revisite la poésie avec autant de franchise et de sérieux dans "Mot pour mot" (2000) et "Ad usum delphini" (2006). Privilégiant les tons brusques et le contrepoint, sa poésie va droit à l’essentiel, sachant se cristalliser dans une émotion finale sensibilisatrice.

K.Samardzija