Arbres de pierre

Aujourd’hui qu’il est. Mort. Aujourd’hui qu’il est mort je m’apprête à passer la journée avec eux. Les Robertson.

Sur l’Ile de Wight. Voyage en train voyage en train depuis Londres. Aller-retour dans la journée.

Aujourd’hui mort –

Ils y étaient. Aux funérailles. Sans leurs enfants, trop petits. Ils ont été si gentils

avec moi, si gentils. Elle – Anna – elle a beaucoup pleuré. Tom, lui, il me serrait le bras. Fort.

J’aimais ça. Là où il y avait ton cercueil même dans cet endroit-là, j’aimais ça, son bras. Qui me serrait, fort. Jamais comme ça aimé Tom, j’aimais son bras qui me serrait. Fort.

Et puis alors, ils sont restés. Ils ont dormi à la maison, une nuit ou deux. Au téléphone. Ils ont répondu au téléphone. C’est leur grand-mère, ou quelqu’un d’autre je sais plus,qui gardait les enfants. Grâce à Dieu, on n’en avait pas nous, d’enfants. Imagine un peu si Tom/Anna mourraient, ces deux enfants-là orphelins –

Aujourd’hui mort –

C’est très gentil à eux n’est-ce pas n’est-ce pas d’être restés avec moi

aujourd’hui que tu es mort? OK d’accord, c’était prévisible. Ça te surprend pas, toi.

Moi non plus. Il fallait bien qu’ils aillent quelque part, de toute façon. C’est vrai.

À la maison c’est tout propre, à la maison. Bientôt le boulot. Dans pas longtemps, non c’est dans une semaine. Que je reprends, bientôt. Voilà. Oui. Ils ont interrompu leurs deux semaines de vacances pour aller aux funérailles. Vacances Île de Wight, où toi/moi sommes allés un jour. Souviens-toi : ce paysage accidenté, paysage – montagnes russes; escarpement fait de collines qui serpentent le long du rivage, où niche un hôtel – en contrebas, plage longue étendue de sable où viennent se briser des vagues légères...

Sur des arbres de pierre.

Ah... mais c’était il y a longtemps, longtemps, et qu’avaient-ils bien pu être,ces arbres-là de pierre?

Un rêve.

Aujourd’hui mort aujourd’hui –

Vois-tu mon ange aujourd’hui que tu es mort je m’apprête à passer cette journée toute seule avec les Robertson. Donc on se parlera plus tard toi/moi. Aujourd’hui mort aujourd’ –

Il s’en va. Bateau. S’en va vers l’île de Wight; ça y est, il a traversé. Ponts qui s’entrecroisent.

Sur l’eau s’entrecroisent. S’en vont sur l’eau — la mer est belle de ce côté-ci — mais oh là là, regarde ! Ces jolis nuages (aujourd’hui mort) là-haut dans le ciel; et voilà la jetée, là-bas. Une longue, longue jetée qui s’allonge dans la mer cris des mouettes hurlements d’enfants par-ci par-là tenez, mon ticket et ça y est je les vois. Ils sont là, en rang — Tom, Anna, les deux enfants solennellement. Ils sourient à présent — Tom et Anna. On voit qu’ils se forcent à avoir l’air naturel. Tant mieux. Anna qui n’a jamais fait le moindre faux-pas. Bras. Ils ne me tendraient pas les bras comme ça si ç’avait été un jour comme les autres.

Ils font ça parce que tu leur manques. Ils ne me les tendraient pas leurs bras si tu étais là à côté et pas simplement mort. Alors ç’aurait été, Salut vous deux, bonne traversée ? Super.

C’est une belle journée, aujourd’hui, n’est-ce pas ? Allez venez, on va marcher sur la plage. On est si content de vous voir...

Aujourd’hui mort –

On marchait, y a une semaine. Tous les trois.

Tom. Anna. Moi.

Il y avait d’autres personnes autour de nous, des silhouettes sombres visages de marbre à l’extérieur du crématorium qui marchaient en plein soleil, tout en étudiant les tickets bordés de noir qui brillaient sur d’éclatants bouquets de fleur. « Que c’est gentil de la part de Marjorie – cette bonne vieille Marjorie. Je ne savais même pas qu’elle – ». Il y avait cette femme — tu te souviens? cette femme qui a littéralement déboulé hors de la « salle de culte » comme ils disent, les larmes aux yeux. Mais il n’y avait personne vraiment à part toi mon chéri, et moi, et les Robertson, et puis les cartes brillent au soleil et — est-ce que c’est à ce moment-là, dis, qu’ils l’ont fait ? Est-ce qu’ils étaient en train de le faire à ce moment-là, alors qu’on lisait ce qu’il y avait d’écrit sur les cartes avec les fleurs ? Est-ce qu’ils le font aussitôt ou bien est-ce qu’ils t’ont entassé avec d’autres cercueils et est-ce que t’étais toujours à l’intérieur du tien, à attendre, alors que moi je marchais au bras de ce bon gros Tom. Ce bon chrétien de Tom — toutes les fois qu’on s’est moqués de lui, Tom, oh mon chéri tu t’en souviens? aujourd’hui mort —

Cambridge. Il n’a pas beaucoup changé, non pas réellement, depuis Cambridge. Tom. On peut pas dire ça. Il a épaissi, oui. Il est plus costaud. Toujours mal rasé, toujours et — bien sûr, toujours un type génial. Voilà. C’est Anna qui n’a pas du tout changé, par contre. Toujours aussi petite. Mêmes lunettes. Cheveux courts. Collet monté, toujours. Ma chère Anna, qu’est-ce qu’on était bien, ce jour-là, assises côte à côte. À parler et à re-parler. À analyser. Ce jour-là Girton. On a dit: avec combien d’hommes ça reste décent de faire « ça », sans devenir folle ? Quand doit-on commencer, d’habitude ? Ce à quoi, Anna a répondu: jamais de la vie. Pas avant d’être mariée, t’as dit. Encore Anna, dans cette église où Tom était prêtre et puis,
lui a priori insensible, et elle désespérée. Aujourd’hui mort —

Mon chéri, tu me manques. Aujourd’hui que tu —. Mon amour oh mon Dieu !

Ces deux jeunes femmes, ce jour-là, dans le train. (Oui je te remercie Anna, je vais bien. Joli voyage, oui. Première fois que je sors, depuis tu sais quoi. Ça me fait du bien, beaucoup de bien. C’est une belle journée, n’est-ce pas ?) Il y avait ces deux femmes-là qui discutaient de leurs droits. Elles étaient en train de lire des trucs comme ça, les droits des femmes. Dans un magazine.

« Tiens : ça, ce qu’ils disent, c’est normal tu trouves pas?

– Quoi donc?

– Vivre ta vie. Vivre comme tu l’entends.

– Comment ça?

– Ben... tu sais. Les hommes tout ça. Qu’ils n’aient pas tous les droits, et tout ça.

Que c’est à nous, les femmes, de faire notre propre loi et de foutre les hommes dehors. »

On arrive à l’hôtel et bien sûr c’est le nôtre. Celui d’entre les collines, qui jouxte la plage – comment auraient-ils pu savoir? C’est le genre de choses qui arrivent, que veux-tu. On les aimait pas tant que ça, n’est-ce pas mon chéri, qu’on les aimait pas tant que ça après Cambridge? On les voyait pas – perdus de vue, en somme. On les a pas vus pendant deux ans, quasiment. Il arrivait qu’on se demande, à certains moments, ce qu’on avait cru avoir en commun avec eux – mon généreux Tom, ton air tellement sérieux, teint coloré, promenades en montagne vêtu d’un simple short, à siffloter des fragments de Berlioz çà et là, à prier quelquefois. Et toi, tu étais là aussi, mon unique et à jamais imprévisible – alerte, plein de vie, arrogant et éternellement jeune mais aujourd’hui que tu es –

Et puis eux encore, les Robertson. Là-bas, en Californie. Toi et moi à l’Université, pour un semestre. Et puis – revoilà les Robertson, qui nous ouvrent les bras pour l’amour de l’Amérique. Là-bas, dans cette petite maison: des hommes et des femmes – visages lumineux, et mentons fuyants – des conseillers en mariage, des cours de préparation au mariage oh mon Dieu ! Et l’enfant qui grandissait à l’intérieur d’Anna, l’autre qui apprenait tout juste à marcher. C’est quelqu’un de notre entourage qui nous avait conduit à eux, comme ça, juste pour rire, sans qu’on sache qui c’était – et alors on a dit: « Mais c’est Tom et Anna! »

À Sacramento, dans une maison aux jolis balcons en frise, aux murs faits de brique rouge d’Italie – où s’entassaient, autour de nous, tous leurs vieux bouquins de Cambridge, des tas de photographies (qu’on se rappelait à peine avoir vues); là-bas à Sacramento, on a ouvert des bouteilles de vin et on était heureux. Au-dessus de la cheminée – souviens-toi – blanchie par les ans, il y avait ce vieux crucifix que Tom possédait, ainsi que son aviron de Cambridge.

Moi j’étais assise sur le même fauteuil à bascule qu’elle avait eu à Girton, et j’avais l’impression d’être à la maison, en Angleterre; et on les aimait alors, les Robertson, ce jour-là à Sacramento – parce qu’ils étaient avec nous de nouveau. Ce n’est pas une raison, je sais. Mais c’est la vérité.

On a parlé des circonstances où on s’était tous rencontré, la première fois. C’était une soirée d’enfer. Jesus College. Anna y a rencontré Tom et moi, je t’ai rencontré toi, mon chéri. On avait discuté de choses et d’autres – le féminisme, le néo-platonisme, le troisième millénaire – et toi, tu avais des yeux à la fois brillants, grotesques, moqueurs et merveilleux, et de longues et fortes mains, et je t’aimais comme n’importe qui d’autre t’aimait. Les Robertson, de leur côté, discutaient tranquillement entre eux.

À cette époque, ce n’était pas « les Robertson », mais simplement Tom et Anna. On n’est jamais devenus « les quelque-chose », Dieu merci. On n’en avait pas besoin parce que nous, quoi qu’il arrive, on était un ; donc on n’avait pas besoin d’un pluriel et aujourd’hui que tu es –

Mon chéri, tu te rappelles l’odeur de cette maison? Celle de Cambridge? Et puis après, celle de Sacramento?

Ça lui plaisait, tu sais : laisser les plats dans l’évier pendant une semaine, laisser pourrir la bouffe dans le frigo, ou même laisser traîner ses vieilles culottes par-ci par-là. Pareil avec ses collants qu’elle jetait pêle-mêle sur la cheminée.

Elle disait: « Il y a des choses plus importantes dans la vie ». Tu vois, derrière sa morale outrée, il y avait un grand désespoir je crois, chez Anna. Tom ne la voyait pas. Jour après jour, et si j’ose dire, nuit après nuit. Il s’asseyait sur le fauteuil à bascule, et fustigeait Dieu du regard. Puis le jour où on les a revus à Sacramento, dans les mêmes conditions qu’autrefois, tu as regardé le crucifix et l’aviron, et à la fin moi; avec la même flamme dans les yeux qu’au premier jour, où on s’est rencontrés, car ça nous rappelait notre première fois, il y a si longtemps. Ce souvenir-là nous a un peu rendus l’un à l’autre, parce qu’à cette époque-là, en Amérique, je savais que tu ne m’avais jamais appartenu à moi, rien qu’à moi, car où que tu ailles ou aies pu aller, les gens se tournaient vers toi et te souriaient, et t’aimaient. C’est vrai, je l’avais toujours su. Je m’étais voilé la face, au début. Sur le fait qu’une seule femme ne te suffirait jamais, et que si j’emménageais avec toi, toi tu irais bientôt voir ailleurs.

Tout le monde te désirait.

Quand on s’est mariés, tous les gens à la cérémonie ont eu le sentiment à peine voilé d’assister à une farce, et moi j’étais particulièrement consciente du caractère carrément extraordinaire, et très temporaire, de ma chance.

Ce n’est pas bon, et c’est indigne de soi-même, d’aimer quelqu’un à ce point. C’est de l’obsession, ce n’est pas de l’amour. C’est une maladie mentale; non, vraiment, c’est pas une vie. Alors bien sûr, le mariage a apporté son lot de disputes et de souffrance, parce que je savais à propos des autres – de toutes les autres : ces soirs-là, où tu ne rentrais pas à la maison; toi, t’efforçant de m’apaiser ces soirs où tu rentrais, malgré tout; à me dire: « il n’y a que toi »; mais je savais bien que c’était pas vrai à cause de – des trucs anodins comme – son parfum à elle, sur toi. C’était l’horreur jusqu’à ce que les Robertson s’en aillent.

Mais alors – passée la période californienne –

on est venus là, un jour, sur cette plage-là, oh souviens-toi, c’était le mois de septembre comme aujourd’hui; tout en paix, en tranquillité...

Il y avait l’hôtel-dans-les-collines, le sable blanc et les mares d’eau de mer, béantes entre les rochers. Il y avait toi et moi, nous deux. Rien que nous. Tu étais plus calme. Tu n’avais pas apporté de travail avec toi. Tu étais allongé sur la plage, lisant un roman aux pages qui claquaient au vent, couvertes d’un sable insidieux. On se tenait la main, et c’était quelque chose de rare, de précieux. C’était différent des fois où te regardant, je voyais tes yeux qui scrutaient une autre femme, invisible. Mon Dieu, est-ce ça l’amour – cette maladie mortelle? Peut-être... ne jamais commencer – rigoler de l’amour, oui voilà, et « parler droits ». Jamais laisser venir. Sexe sans sentiments. Vivre ma vie avec dignité.

Mais aujourd’hui que tu es mort –

Et puis il y eut ce jour, au cours de nos vacances sur l’Île de Wight, où l’on
a marché sur la grève jusqu’aux arbres de pierre, je m’en souviens à présent.

Il y a dans la mer, nous a-t-on dit à l’hôtel, gisant sur leurs flancs de pierre, et leur écorce de pierre et leurs branches de pierre brisées, des arbres millénaires, d’énormes arbres pétrifiés et brisés en mille morceaux par des siècles et des siècles d’immersion et éparpillés çà et là comme c’eût été par la main du Diable, pareils à des morceaux de rhubarbe ou à des carrés de sucre, ces antiques pierres d’arbre, couleur-sable.

Arbres d’une telle ancienneté qu’on ne les a jamais vus debout. Arbres changés en pierre. J’ai dit: « J’aime les pierres ». Et toi, t’as dit: « J’aime les arbres ». Et d’y mettre un coup de pied. Alors t’as dit: « Qui voudrait d’arbres de pierre? ». Puis on a marché au milieu d’eux, au milieu de cette forêt de pierre, qui s’avançait sur l’eau; alors on s’est assis, les pieds dans les crevasses pleines d’eau où des algues vertes poussaient, et des étoiles-de-mer brillaient.

Là t’as dit – avec ce mépris des arbres de pierre – il n’y a jamais eu que toi – tu te souviens – et moi j’ai su que ta dernière conquête t’avait quitté et elle te manque et toi et moi on n’est plus qu’un, à nouveau. C’était normal que tu aimes tellement qu’on t’aime tellement mais je suis heureuse à présent, heureuse puisqu’aujourd’hui que tu es mort –

Jamais plus je ne te reverrai.

Jamais plus je ne sentirai ta main contre la mienne.

Jamais plus je n’appuierai ma tête contre ton épaule.

Jamais plus je ne verrai tes yeux puisqu’aujourd’hui que tu es –

« Il y a des sandwichs aux oeufs, au fromage, et à l’amour; et il y a du chocolat aussi. On n’a pas fait un festin, à cause de la chaleur.

– C’est très bien comme ça.

– À boire?

– Non merci, je n’aime pas le jus de raisin.

– C’est pas du jus de raisin. C’est du vin. Dans des gobelets. Aujourd’hui on va boire plein de vin dans des très gros gobelets.

(Anna Robertson la toute-sainte, la pondérée, est en train de m’offrir du vin dans des gobelets en plastique. Aujourd’hui que tu es mort.)

– Il est bon, ce vin. Je vais être pompette. »

Et les enfants de dire: « Si tu veux, on peut te donner un peu de notre gâteau. Ou un biscuit, tu veux pas un biscuit? ». On leur a demandé d’être gentils avec moi. Elle, la petite fille, elle fait des châteaux de sable d’un air appliqué, solennel, cheveux tressés, visage grave de Tom. Lui, l’aîné, il mange une part de gâteau, là, couché sur le ventre. Il m’observe. Il sait que mon mari est décédé, et qu’il est allé voir Dieu.

Et tu l’as vu, là-haut, Dieu?

Tu étais avec Dieu et tu étais mon Dieu à moi et

aujourd’hui que tu –

Il a de grandes jambes, le garçon. À sept ans grandes jambes. Il a un air de toi, le garçon, mais il n’a aucun trait de Tom. Il se tourne de mon côté et m’offre un biscuit. Qu’est-ce que je suis heureuse qu’on n’ait pas eu d’enfants. Je n’aurais pas pu te partager avec des enfants. On avait besoin de personne d’autre, à part toi, avec ces filles que tu baisais et que tu jetais aussitôt – rien d’important. Alors, la vie continuait, comme si de rien n’était. Peu importe. Peu m’importe. Mon chagrin s’éclipsait avec le temps peu m’importe et jamais plus ça m’importe aujourd’hui que tu es mort.

Ce garçon, vraiment, il – ou alors je suis folle, ça y est – il te ressemble énormément.

Il s’appelle Peter.

Il dit: « Tu viens sur les rochers avec moi?

– Merci je suis bien là, Peter. Je bois mon vin.

– Bois-le après. Allez, viens... j’veux voir les rochers... »

Vois-les, Anna et Tom, comme ils ont l’air fier de Peter qui fait preuve d’autant de gentillesse avec moi, alors qu’il n’a que sept ans. Ils font semblant de rien, ils bidouillent avec le thermos, avec l’huile solaire.

« C’est un été superbe, dit Anna.

— Oui, vraiment superbe.

— Viens sur les rochers.

— Peter, arrête ça, dit Anna.

— Laisse ton vin et suis-moi, dit Peter. Y a des rochers bizarres, là-bas. »

Alors je suis ce garçon jusqu’aux rochers mon chéri aujourd’hui que tu es mort et je n’ai pas d’enfant et je ne te reverrai plus.

Jamais plus.

Jamais jamais jamais.

Aujourd’hui que tu es —

C’est ridicule sa façon de marcher, à ce garçon.

Qu’est-ce qu’elle a pleuré, Anna.

« Vas-y, prends ma main, dit Peter. Fais attention. On est sur des vieux arbres. Alors, tu dis quoi? Ils étaient tellement vieux qu’ils se sont transformés en pierre. C’est un truc dans l’atm... dans l’atmosphère. Ils sont moches, tu trouves pas ? Moi, j’aime les arbres avec plein de feuilles qui brillent.

— Des feuilles qui brillent ?

— Ouais, on disait qu’y a pas d’pollution. Y a pas de gens. Maintenant, à cause d’eux, y a qu’des cacas de pierres.

— J’aime les pierres.

— J’aime les arbres, dit-il. » Et d’y mettre un coup de pied.

Alors je m’assois sur les rochers mon amour parce que jamais plus je ne te reverrai et jamais plus je ne te prendrai par la main et jamais plus je n’appuierai mon visage sur le tien et ça va passer, le chagrin bien sûr. On m’a raconté que cette sorte de tristesse s’en va, avec le temps.

Mais je n’ai pas envie qu’elle s’en aille, la tristesse. Je n’ai pas envie d’oublier tes mains, ton visage, ni d’oublier tes yeux-là pleins de vie et toi encore en vie et je n’ai pas envie d’arrêter de souffrir.

« T’as vu, hein madame, t’as vu ? » dit Peter, qui a cessé de se balancer. « Ça avance, la marée. » Clapotements d’eau. Ces pierres mortes, autrefois couvertes de trous où respirait la vie, y reviennent brusquement, à la vie. Là où il n’y avait — semblait-il — que des cendres calcinées, grouille à présent tout un monde coloré. On y distingue d’imperceptibles mouvements, venant d’étranges créatures à l’intérieur des algues, qui clapotent à l’envi dans l’eau de mer.

« Vois ça, dit Peter. C’est une étoile de mer. Qu’est-ce qu’elle est rose, dis donc. Attends madame — prends ma main. Faut que tu fasses attention. Y faut pas que tu glisses — Ce garçon a de longues et fortes mains — Ça vient, la marée. »

Qu’est-ce qu’elle a chialé, Anna.

Elle avance, la marée, et elle va recouvrir d’eau les arbres de pierre et puis alors, elle va se retirer à nouveau et seuls les arbres de pierre demeureront, comme toujours, mais déjà on aperçoit dans l’eau de mer davantage de ces animalcules grouillants; qui sont là éternellement, quoiqu’on ne les voit qu’à certains moments.

Et Peter prend ma main dans la tienne et jamais plus je ne te reverrai — Qu’est-ce qu’elle a chialé, Anna — Et il y a des choses qui grouillent dans les espaces entre les pierres. Il rit, le garçon, et il me regarde avec tes yeux familiers. Aujourd’hui que tu es.

Traduit par Joachim Zemmour

So now that he is dead so now that he is dead I am to spend the day with them. The Robertsons.

On the isle of Wight. Train journey train journey from London. There and back in a day.

So now that he is dead –

They were at the funeral. Not their children. Too little. So good

so good they were to me. She – Anna – she cried a lot. Tom held my arm tight. Strong.

I liked it. In the place even the place where your coffin was, I liked it, his strong arm. Never having liked Tom that much, I liked his strong arm.

And they stayed over. Slept at the house a night or two. Did the telephone. Some gran or someone was with their children. Thank God we had no children.
Think of Tom/Anna dying and those two children left –

So now that you are dead –

It’s nice of them isn’t it

now that you are dead? Well, you’d have expected it. You aren’t surprised by it.

I’m not surprised by it. After all there has to be somewhere to go.

All clean all clean at home. Back work soon someday. Very soon now for
it’s a week. They broke their two week holiday for the funeral.
Holiday Isle of Wight where you/I went once. There was a dip,
a big-dipper dip, a wavy line of cliffs along the shore, and in
this dip of the cliffs a hotel – a long beach and the waves
moving in shallow.

Over stone trees.

But it was long ago and what can stone trees have been?

Fantasy.

So now that you are dead so now –

Sweetie love so now that you are dead I am to spend the day
with the Roberstsons alone and we shall talk you/I later. So
now –

The boat crosses. Has crossed. Already.

Criss-cross deck. Criss-cross water. Splashy sea and look –! Lovely clouds flying (now that you are dead) and here’s the pier. A long, long pier
into the sea and gulls shouting and children yelling here and
there and here’s my ticket and there they stand. All in a row –
Tom, Anna, the two children solemn. And smiles now – Tom
and Anna. Tom and Anna look too large to be quite true. Too
good. Anna who never did anything wrong. Arms stretch too
far forward for a simple day.

They stretch because they want. They would not stretch to
me if you were obvious and not just dead. Then it would have
been, hullo, easy crossing? Good.

Wonderful day. Let’s get back and down on the beach. Great to see you both.

So now that you are dead –

We paced last week. Three.

Tom. Anna. I.

And other black figures wood-faced outside the crematorium
in blazing sun, examining shiny black-edged tickets on blazing
bouquets.
’How good of Marjorie – fancy old Marjorie. I didn’t
even know she – ’ There was that woman who ran out of the
so-called service with handkerchief at her eyes.
But who was there except you my darling and I and the Robertsons and the
shiny cards and did they do it then? Were they doing it then as
we read the flowers?
Do they do it at once or stack it up with
other coffins and was it still inside waiting as I paced with
portly Tom? Christian Tom – Tom we laughed at so often and
oh my darling now that you are dead –

Cambridge. You can’t say that Tom has precisely changed
since Cambridge. Thickened. More solid. Unshaken still, quite
unshaken and – well, wonderful of course. Anna hasn’t changed.
Small, specs, curly hair, straight-laced. Dear Anna how we sat
and worked out all. Analysed. Girton. We talked about how
many men it was decent to do it with without being wild and
when you should decide to start and Anna said none and never.
Not before marriage you said. Anna always in that church
Where Tom preached and Tom never looking Anna’s way, and
how she ached. So now that –

Sweet I miss you so. Now that you are –. My darling oh my
God!

In the train two young women. (Yes thanks Anna, I’m fine.
Nice journey. First time out. It’s doing me good. Isn’t it a lovely
day?) There were these two women talking about their rights.
They were reading about all that was due to them. In a magazine.

’Well, it’s only right isn’t it?’

’What?’

’Having your own life. Doing your thing.’

’Well –’

’Not – you know. Men and that. Not letting them have all
the freedom and that.

You have to stand up for yourself and get free of men.’

We come to the hotel and of course it is the one. The one in
the dip of the cliffs almost on the beach, and how were they to
know? It’s typical, though, somehow. We didn’t like them my
darling did we, after Cambridge very much? We didn’t see
them – dropped them in some way. We didn’t see them for
nearly two years. And we wondered, sometimes, whatever it
was we had thought we had had in common – do-good, earnest
Tom, healthy face and shorts, striding out over mountains
singing snatches of Berlioz and stopping now and then to pray.
And you were you and always unexpected – alert, alive,
mocking and forever young and now that you are –

But they were there again. In California. You at the univer-
sity and I at the university, teaching a term; and there –
behold the Roberstsons, holding out their arms to save America.
Little house full of the shiny-faced, the chinless – marriage
counsellors, marriage-enrichment classes oh my God! And one
child in Anna and one just learning to walk. We were taken to
them by somebody just for a lark not knowing who they’d
turn out to be and we said – ’Hey! Tom and Anna.’

And in Sacramento in a house with lacy balconies and little
red Italian brick walls and all their old Cambridge books about
and photographs we half-remembered, we opened wine and
were very happy; and over the old white-washed fireplace
there was Tom’s old crucifix and his Cambridge oar.

And I sat in the rocking chair she’d had at Girton and it felt familiar and we
loved the Robertsons that day in sweaty, wheezing Sacramento
because they were there again. This is no reason. But it is true.

We talked about how we’d all met each other first. Terrible
party. Jesus College. Anna met Tom and I met you my darling
and it was something or other – Feminism, Neo-Platonism,
Third World – and there you were with bright, ridiculous,
marvellous, mocking eyes and long hard hands and I loved you
as everyone else clearly loved you. And the Robertsons talked
sagely to one another.

They were not the Roberstsons then but Tom and Anna.
We never became the anythings, thank God. There was no need
because we were whatever the appearance might be one person
and had no need of a plural term and now that –

Sweetie, do you remember the smell of that house? In
Cambridge? And again in Sacramento?

She liked it you know. She left dishes for a week and food bits and old knickers and tights in rolls on the mantelpiece.

And said, ’There are things more important’. Under the burning ethic there was you know something very desperate about Anna. Tom didn’t notice her.
Day after day and I’d guess night after night. He sat in the rocking chair and glared at God. And meeting them again just the same, in Sacramento, you looked at the crucifix and the oar and at me, your eyes like the first time we met because there we both remembered the first time, long ago. Remembering that was a short return to each other because by then, by
America, I knew that you were one I’d never have to myself
because wherever you were or went folk turned and smiled at
you and loved you. Well, I’d known always. I didn’t face it at
first, that one woman would never be enough for you and that
if I moved in with you you would soon move on.

Everyone wanted you.

When we got married there was a general sense of comedy and the sense of my extraordinary and very temporary luck.

It is not right or dignified to love so much. To let a man
rule so much. It is obsession and not love, a mental illness not
a life. And of course, with marriage came the quarelling and
pain because I knew there were so many others, and you not
coming home, and teasing when you did and saying that there
was only me but of course I knew it was not so because of –
cheap and trite things like – the smell of scent. It was worst
just before the Robertsons went away.

But then – after California –

we came here to this beach once and it was September like now, and a still, gold peace.

And the hotel in the dip, and the sand white and wide and
rock pools. And only I with you. You were quieter. You
brought no work. You lay on the beach with a novel flapping
pages and the sand gathering in them. We held hands and it
was not as so often. It was not as when I looked at you and saw
your eyes looking at someone else invisible. God, love - the
killing sickness. Maybe never let it start - just mock and talk
of Rights. Don’t let it near. Sex without sentiment. Manage
one’s life with dignity.

But now that you are dead –

And one day on that year’s peaceful holiday we walked out
to the stone trees which now I remember.

They told us, at the hotel, that in the sea, lying on their stone sides, on their stone bark and broken stone branches, were great prehistoric trees,petrified and huge and broken into sections by the millennia and chopped here and there as by an infernal knife, like rhubarb chunks or blocks of Edinburgh candy, sand coloured, ancient among the young stones.

Trees so old that no one ever saw them living. Trees
become stone. I said, ’I love stone’, and you said, ’I love trees’,
and kicked them. You said, ’Who wants stone trees?’ And we
walked about on them, a stone stick forest, quite out to sea,
and sat and put our feet in pools where green grasses swayed
and starfish shone.

And you said – despising the stone trees –there is only ever you – you know – and I knew that the last one was gone and the pain of her and you and I were one again. It was quite right that you loved so much being so much loved and I am glad, for know that you are dead –

I shall never see you any more.

I shall never feel your hand over my hand.

I shall never lean my head against you any more.

I shall never see your eyes which now that you are –

’The sandwiches are egg, love, and cheese, and there’s choc-
olate. We didn’t bring a feast. It’s too hot.’

’It’s lovely.’

’Drink?’

’I don’t like Ribena, thanks.’

’It’s not. It’s wine. In tumblers. Today we’re having a lot of
wine in very big tumblers.’

(Anna Robertson of evangelical persuasion, who never acts
extremely, is offering me wine in tumblers. Now that you are
dead.)

’It’s nice wine. I’ll be drunk.’

The children say, ’You can have some of our cake. D’you
want a biscuit?’ They’ve been told to be nice. The little girl pats
sand, absorbed, solemn, straight-haired, grave like Tom. The
older one, the boy, eats cake and lies on his stomach aware of
me and that my husband has died and gone to God.

And you have gone to God?

You were with God and you were my god and

now that you -

The boy has long legs. Seven-year-old long legs. The boy is
a little like you and not at all like Tom. He rolls over and gives
me a biscuit. I’m so glad we had no children. I could not have
shared you with children. We needed nobody else except you
needed other girls to love a bit and leave - nothing important.
You moved on and never mind. I didn’t. I did not mind. The
pain passed and I don’t mind and I shall not mind now that
you are dead.

The boy is really – or am I going mad altogether – very like
you.

The boy is Peter.

Says, ’Are you coming out on the rocks?’

’I’m fine thanks, Peter. I’m drinking my wine.’

’Drink it later and come out on the rocks. Come on over the
rocks.’

See Anna, Tom, proud of Peter being kind to me and only
seven. They pretend not to see, fiddling with coffee flask, sun tan oil.

’Wonderful summer’, says Anna.

’Wonderful.’

’Come on the rocks.’

’Peter – don’t boss’, says Anna.

’Leave your wine and come’, says Peter, ’I’ll show you the
rocks.’

So I go with this boy over the rocks my darling now that
you are dead and I have no child and I will never see you any
more.

Not any more.

Ever again.

Now that you are –

It is ridiculous how this boy walks.

How Anna wept.

’Look, hold my hand’, says Peter, ’and take care. We’re on old
trees. What d’you think of that? They were so old they turned
to stone. It’s something in the atmosphere. They’re awful,
aren’t they? I like trees all leafy and sparkly.’

’ Sparkly trees?’

’Well, there’d be no pollution. No people. Now just rotten
stone.’

’I like stone.’

He kicks them, ’I like trees’.

And I sit down my love because I will not see you any more
or hold your hand or put my face on yours and this will pass of
course. They’ve been told that this sort of grief will pass.

But I don’t want the grief to change. I want not to forget the
feel and look of you and the look of your live eyes and the physical life of you and I do not want to cease to grieve.

’Look, hey, look’, says Peter and stops balancing. ’The tide
is coming in.’ The water slaps. The dead stone which was once
covered with breathing holes for life takes life again, and where
it looked like burned out ashy stone there are colours, and
little movements, and frondy things responding to water,
which laps and laps.

’Look’, says Peter, ’there’s a star-fish. Pink as pink. Hey –
take my hand. Mind out. You mustn’t slip.’ (This boy has
long hard hands.) ’The tide is coming in.’

How Anna cried.

The tide is coming in and it will cover the stone trees and then
it will ebb back again and the stone trees will remain, and
already the water is showing more growing things that are
there all the time, though only now and then seen.

And Peter takes my hand in yours and I will never see you
any more – How Anna cried. And things are growing in the
cracks in the stones. The boy laughs and looks at me with your
known eyes. Now that you are.

(c) 1983 Jane Gardam

Par Jane Gardam

Jane GARDAM est une romancière anglaise contemporaine née à Coatham, dans le
North Yorkshire, le 11 juillet 1928. Son premier livre pour adultes, « Black Faces, White Faces » (1975), un recueil de nouvelles ayant pour thème la Jamaïque, a remporté outre-Manche le « David Higham Prize for Fiction » ainsi que le « Winifred Holtby Memorial Prize ». Son premier roman pour adultes, « God on the rocks » (1978), traduit en français par « Dieu par-dessus bord » (Tierce Deux Temps, 1988), a reçu en France le « Prix Baudelaire » de la traduction.

Jane Gardam est l’un des membres du « PEN » (une association internationale d’écrivains) ainsi que du « Royal Society of Literature » au Royaume-Uni.
C’est l’une des figures de la littérature anglaise contemporaine.

Son recueil de nouvelles « The Pangs of Love and other stories » (Abacus, 1983), dont
« Stone Trees » est extrait, a remporté le « Katherine Mansfield Award » l’année de sa publication.
À ce jour, ce recueil n’a jamais été traduit en français.

Traduction de Joachim Zemmour.

Photographies d’Ismaël Cholley.