La TZIGANE apparaît. Elle chante une berceuse à FATEH.
TZIGANE
La lune sur les flots chante la chanson de l’enfant
Le roulis du boutre dans le ciel sans vent
chante la chanson de l’enfant…
LA TZIGANE disparaît.
FATEH (dans son sommeil)
Mes premiers pas sur le sol bourbeux du village de Phulean
Ont tracé le dessin de mon voyage
A présent je suis en âge
de tracer le dessin sur la poussière du monde.
La chanson de la Tzigane résonnera à mon oreille
mais je dois mémoriser les dessins
de mes propres pas…
Mariage de FATEH & de VIRA.
VIRA
Ek thi Rani [Je suis ta reine]…
FATEH
Ek tha Rajah [Je suis ton roi]…
VIRA
Il avait 12 ans…
FATEH
Elle en avait 10.
VIRA
Il est venu sur un cheval blanc…
FATEH
Par-delà la rivière Chenab .
VIRA
Elle n’avait jamais vu le garçon…
FATEH
Il n’avait jamais vu la fille.
VIRA
Sa mère a dit, c’est ton mari…
FATEH
Son père a dit, Voici ta femme.
VIRA
Elle m’a assise derrière un purdah [rideau]…
FATEH
On m’a fait asseoir devant le rideau.
VIRA
Le prêtre a dit ses prières…
FATEH
Elle a pris place dans mon doli [palanquin]…
VIRA
Et ma mère et ses amies se sont mises à pleurer, tandis que le doli m’emmenait loin de mon foyer… Je ne cessais de regarder derrière moi, jusqu’à ce que mon village ait disparu à ma vue…
FATEH
Père a dit qu’elle n’était ma femme que de nom - que le mariage ne serait consommé que lorsque des poils commenceraient à pousser sur mon visage. Alors j’ai fait…
VIRA
581 pas…
FATEH
Avec ma Vira, vers mon village par-delà la Chenab.
VIRA
Ek thi Rani…
FATEH
Ek tha Rajah.
Retour dans le boutre.
MEHTA
Non, je refuse de manger de la nourriture cuisinée par ses (fait allusion à ALLAUDIN) mains!
FATEH
Arey bhai, il ne débite pas de la viande ici ! Ce n’est que de la noix de coco avec du riz !
MEHTA
Mlech [impur] ! Toute sa vie, il l’a passée avec de la viande sur les mains !
ALLAUDDIN
La-hu Akbar ! J’ai passé une vie entière à Bhuj et jamais un Brahmane, jamais un sahid n’a refusé de la nourriture de mes mains !
LE CAPITAINE
Mehta, à quoi riment toutes ces reet-rivaaz [coutumes] ? Tu es en route pour l’Afrique, là-bas nous devrons tous vivre et manger ensemble !
MEHTA
Et toi tu es un mlech pour l’avoir laissé monter sur ton bateau !
AMAR
Pourquoi nous disputer ?
MEHTA
Tais-toi !
LE CAPITAINE
Vous n’avez qu’à payer mon second - il vous fera la cuisine.
ALLAUDDIN
Pourquoi payer bon argent quand je peux cuisiner gratis ?
MEHTA
C’est vrai.
ALLAUDDIN
Donc tu es d’accord avec moi finalement ?
MEHTA
Non - son second, là - c’est un Cutchi [caste inférieure de Goudjaratis] !
LE CAPITAINE
Hé les gars, vous entendez ?
LE CHŒUR
Quoi ?
LE CAPITAINE
Le vent dans la voile !
Écoutez-le gonfler la voile,
prendre mon bébé dans le creux de sa main
et le propulser vers l’Afrique !
Le boutre prend de la vitesse.
LE CAPITAINE
Et voici l’Afrique !
Les hommes quittent le boutre tandis qu’un coolie leur passe un "guirlande" autour du cou.
LE CHŒUR
Qu’est-ce que c’est ?
COOLIE
Ton numéro.
LE CHŒUR
Mais mon nom, c’est -
COOLIE
Ton numéro. Chull-chull [allez, file] !
FATEH
Mehta-ji, où vas-tu ?
MEHTA
Voir la ville dans mes yeux !
LE CHŒUR
Qu’est-ce que c’est ?
COOLIE
Ton numéro.
LE CHŒUR
Mais mon nom, c’est -
COOLIE
Ton numéro. Chull-chull [allez, vite] !
FATEH
Qu’est-ce que c’est ?
COOLIE
Ton numéro.
FATEH
Mais mon nom, c’est -
COOLIE
Ton numéro. Chull-chull [allez, vite] !
Soudain apparaît PATTERSON.
PATTERSON
À vos pangas [machettes]
Sabrez la jungle
Et ouvrez une voie
Pour nos rails !
Forcez l’allure, nous avons une
Course à gagner, un but à atteindre
hisser le drapeau au lac Victoria avant
les Allemands, nos rivaux de toujours !
Vous les coolies formerez l’équipe de tête de ligne – travaillez bien, et vous serez les premiers à voir le lac Victoria !
Les hommes se mettent au travail, sabrant à travers la brousse.
LE CHŒUR
Mile 32, Majia Chumvi ! /
À Majia Chumvi nous sommes arrivés /
Trente deux miles depuis la mer. /
Fendant des rideaux de pluie, /
Attelés à la tâche, les boyaux affaiblis par la dysenterie. /
Les Mazrui nous ont ralentis - /
Oh, les Mazrui ! /
Ouvriers de la côte - /
Qui n’ont pas voulu venir - /
A Majia Chumvi. /
De l’eau salée ! ont-ils crié /
Un lieu hanté /
Où nulle plante ne pousse /
Nul homme ne vit. /
Tous les difficultées
Nous les avons surmontées yaaro -
L’eau salée va-t-elle nous arrêter ? /
Non ! /Alors apportez les pangas
Sabrez la jungle /
Ouvrez une voie
Pour nos rails !
Les coolies se reposent. MEHTA a apporté des vivres.
GYPSY appears singing a lullaby to FATEH
GYPSY
The moon on the water sings the song of the chills
The roll of the dhow in the windless sky
Sings the song of the child…
GYPSY disappears.
FATEH in his sleep
My first steps on the mud floor of village Phulean
Traced the pattern of my journey
Now I am of age
to trace the pattern on the dust of the world.
The gypsy’s song will ring in my ear
but I must memorise the patterns
of my own steps…
Fateh’s & Vira’s wedding.
VIRA
Ek thi Rani [There was a Queen]…
FATEH
Ek tha Rajah [There was a King]…
VIRA
He was 12 years old…
FATEH
And she was 10.
VIRA
He came riding on a white horse…
FATEH
Across the river Chenab.
VIRA
She had never seen the boy…
FATEH
He had never seen the girl.
VIRA
Her mother said, There is your husband…
FATEH
His father said, There is your wife.
VIRA
She sat me behind a purdah [curtain]…
FATEH
I was made to sit before the curtain.
VIRA
The Priest did his prayers…
FATEH
She sat in my doli [palanquin]…
VIRA
And my mother and her friends began to cry, as the doli took me away from my home… I kept looking back, until I could see my village no more…
FATEH
Father said she was my wife in name only – the suhaag-raat [consummation night] would come when hair began to grow on my face. So I walked…
VIRA
581 steps…
FATEH
With my Vira, to my village across the Chenab.
VIRA
Ek thi Rani…
FATEH
Ek tha Rajah.
Scene returns to the dhow.
MEHTA
No, I willnot eat food cooked by his [referring to ALLAUDDIN] hands!
FATEH
Arey bhai, he is not butchering meat here! It is only coconut and rice!
MEHTA
Mlech [unclean; infidel]! His whole life has been spent with meat on his hands!
ALLAUDDIN
La-hu Akbar! A life-time I have spent in Bhuj and no Brahmin, no Sayyid has ever refused food from my hands!
CAPTAIN
Mehta, why all this reet-rivaaz [customs]? You’re bound for Africa, there we must all live and eat together!
MEHTA
And you’re a mlech for letting him set food on your boat!
AMAR
Why are we fighting?
MEHTA
Shut up!
CAPTAIN
Why don’t you all pay my mate there – he will cook for you.
ALLAUDDIN
Why pay good money when I cook here free?
MEHTA
That’s right.
ALLAUDDIN
So you finally agree with me?
MEHTA
No – that mate of his – he is a Cutchhi [a particular, low-class, community of Gujaratis]
CAPTAIN
Can you hear it, men?
CHORUS
What?
CAPTAIN
The wind in the sail!
Listen to it billow the sail,
pick my baby in the cup of his hand
and send it shooting onward to Africa!
The dhow begins to move rapidly onward.
CAPTAIN
Here is Africa!
The men file out the dhow. As they file, they are “garlanded” by a coolie.
CHORUS
What is this?
COOLIE
Your number.
CHORUS
But my name is –
COOLIE
Your number. Chull-chull [get on]!
FATEH
Mehta-ji – where are you going?
MEHTA
To see the city in my eyes!
CHORUS
What is this?
COOLIE
Your number.
CHORUS
But my name is –
COOLIE
Your number. Chull-chull [get on]!
FATEH
What is this?
COOLIE
Your number.
FATEH
But my name is –
COOLIE
Your number. Chull-chull [get on]!
Suddenly, PATTERSON appears.
PATTERSON
Pick up your pangas [machete]
Slash the jungle
And clear a path
For our rails!
Hurry now, there is a
race on, an end is sight
to raise the flag at Lake Victoria before our
Rivals always, the Germans!
You collies will form the rail-head gang – work well, and you will be the first to see Lake Victoria!
The men begin to work, slashing through the bush.
CHORUS
Mile 32, Majia Chumvi!/
To Majia Chumvi we have come/
Thirty-and-two miles from the sea. /
Cutting through sheets of rain, /
Building with dysentery-weakened bowels. /
The Mazuri held us up –
Oh, the Mazuri! /
Workers from the coast - /
Who would not come - /
To Majia Chumvi. /
Salt water! They cried /
A place of ghosts /
Where no plant can grow /`
No man have a home. /
Through all this`
We have come yaaro –
Shall the salt water stop us? /
No! / So bring on the pangas
Slash the jungle /
And clear a path
for our rails! /
The COOLIES rest. MEHTA has brought supplies.
Pendant une longue traversée en bateau, Fateh fait connaissance d’Allauddin, Mehta, Amar et Sahid. Ils voyagent tous vers l’Afrique, avec leur histoire et leurs espérances.
CONTEXTE HISTORIQUE
En 1886, les puissances européennes se réunissent à Berlin pour se partager l’Afrique. La Grande Bretagne s’octroie le Kenya et l’Ouganda, l’Allemagne la Tanzanie.
En 1895 aux Indes, famine et peste dévastent le Pendjab et le Goudjerate.
En 1896 débute la construction du chemin de fer d’Afrique-Orientale britannique, utilisant une main d’œuvre indienne, les « coolies ». Attirés par la perspective d’un salaire mensuel et la promesse de 5 hectares de terre à la fin des travaux, ils sont des milliers à s’engager. La ligne fera finalement 1 000 kilomètres de long et, sur les
30 000 ouvriers indiens, un dixième mourra durant les travaux.
Genèse retrace, à partir de quelques personnages, l’histoire de l’immigration de ces
30 000 indiens qui, fuyant la famine et la pauvreté, ont quitté leur pays pour l’Afrique à la fin du dix-neuvième siècle après avoir été recrutés par les colons britanniques en vue de la construction du chemin de fer devant relier la côte est de l’Afrique au Lac Victoria.
RESUME
Quand Fateh, jeune indien du Pendjab, quitte l’Inde pour aller travailler en Afrique, il laisse derrière lui sa femme Vira et son ami Ishwar qui part à l’armée pour pouvoir nourrir les siens. Comme ses compagnons de voyage, Allaudin le boucher musulman, Mehta, marchand opportuniste du Goudjerate, Amar, enfant du Pendjab vendu par ses parents à un agent recruteur, et le Sahid, un « saint homme » originaire du Pendjab, Fateh part avec l’espoir d’une vie nouvelle, une vie meilleure. Le bateau les emporte avec leurs rêves mais aussi leurs interrogations : « Y a-t-il des villes en Afrique ? » ; « Mange-t-on halal en Afrique ? ».
Arrivés sur le continent africain, ils se voient attribuer un numéro. Commence alors pour eux l’enfer de la construction du chemin de fer avec la peste, la mouche tsé-tsé, la chaleur, les moustiques, la malaria, les vers qui creusent des trous dans les pieds, mais la promesse des 15 roupies mensuelles et des 5 hectares de terre une fois le travail terminé leur donne la force et le courage de continuer.
Cependant, en Inde, Ishwar, pris en flagrant délit en train de passer ses rations à sa famille, est renvoyé de l’armée après avoir été condamné à dix coups de fouets. Il décide alors de partir en Afrique à la recherche de Fateh.
Peu après Vira, à son tour, part à la recherche de son mari, déguisée en homme.
Tandis que les coolies progressent en direction du lac Victoria, en butte à de nouveaux obstacles - ils sont attaqués par des lions puis par des tribus Massaï dans la région de Nairobi - Ishwar et Vira poursuivent leur destin : Ishwar rencontrera la mort sur son chemin et Vira finira par retrouver son mari.
Fateh et Vira réunis élèveront ensemble l’enfant nouveau-né d’une femme Massaï qui s’était attachée à Fateh après la disparition de son mari tué par les Britanniques, morte étranglée par Ishwar devenu fou.
PHOTOGRAPHIES : Agnès Varraine Leca.
Née en 1984. Voyage et photographie. Photographie et voyage.
Reportage "L’Inde, Humanité intouchable" en 2005, récompensé au Grand Prix Paris Match du Photoreportage Etudiant.
Expositions d’Octobre à Décembre 2005 aux "Quatre Jeudis" & "Le Petit Chicago", Canada.
Reportage "September 11th, five years later" pour Nazca Pictures, agence internationale de photojournalisme, Mars 2006, New York.
Reportage "100th anniversary of New York City’s taxis", Mai 2007, New York.
Commandes photographiques pour la SAGEP (Eaux de Paris), de Mars à Octobre 2007.
http://www.flickr.com/photos/mydria...
http://www.agnesvarraineleca.com
http://www.nazcapictures.com/featur...