Partie III

La TZIGANE apparaît. Elle chante une berceuse à FATEH.

TZIGANE

La lune sur les flots chante la chanson de l’enfant

Le roulis du boutre dans le ciel sans vent

chante la chanson de l’enfant…

LA TZIGANE disparaît.

FATEH (dans son sommeil)

Mes premiers pas sur le sol bourbeux du village de Phulean

Ont tracé le dessin de mon voyage

A présent je suis en âge

de tracer le dessin sur la poussière du monde.

La chanson de la Tzigane résonnera à mon oreille

mais je dois mémoriser les dessins

de mes propres pas…

Mariage de FATEH & de VIRA.

VIRA

Ek thi Rani [Je suis ta reine]…

FATEH

Ek tha Rajah [Je suis ton roi]…

VIRA

Il avait 12 ans…

FATEH

Elle en avait 10.

VIRA

Il est venu sur un cheval blanc…

FATEH

Par-delà la rivière Chenab .

VIRA

Elle n’avait jamais vu le garçon…

FATEH

Il n’avait jamais vu la fille.

VIRA

Sa mère a dit, c’est ton mari…

FATEH

Son père a dit, Voici ta femme.

VIRA

Elle m’a assise derrière un purdah [rideau]…

FATEH

On m’a fait asseoir devant le rideau.

VIRA

Le prêtre a dit ses prières…

FATEH

Elle a pris place dans mon doli [palanquin]…

VIRA

Et ma mère et ses amies se sont mises à pleurer, tandis que le doli m’emmenait loin de mon foyer… Je ne cessais de regarder derrière moi, jusqu’à ce que mon village ait disparu à ma vue…

FATEH

Père a dit qu’elle n’était ma femme que de nom - que le mariage ne serait consommé que lorsque des poils commenceraient à pousser sur mon visage. Alors j’ai fait…

VIRA

581 pas…

FATEH

Avec ma Vira, vers mon village par-delà la Chenab.

VIRA

Ek thi Rani…

FATEH

Ek tha Rajah.

Retour dans le boutre.

MEHTA

Non, je refuse de manger de la nourriture cuisinée par ses (fait allusion à ALLAUDIN) mains!

FATEH

Arey bhai, il ne débite pas de la viande ici ! Ce n’est que de la noix de coco avec du riz !

MEHTA

Mlech [impur] ! Toute sa vie, il l’a passée avec de la viande sur les mains !

ALLAUDDIN

La-hu Akbar ! J’ai passé une vie entière à Bhuj et jamais un Brahmane, jamais un sahid n’a refusé de la nourriture de mes mains !

LE CAPITAINE

Mehta, à quoi riment toutes ces reet-rivaaz [coutumes] ? Tu es en route pour l’Afrique, là-bas nous devrons tous vivre et manger ensemble !

MEHTA

Et toi tu es un mlech pour l’avoir laissé monter sur ton bateau !

AMAR

Pourquoi nous disputer ?

MEHTA

Tais-toi !

LE CAPITAINE

Vous n’avez qu’à payer mon second - il vous fera la cuisine.

ALLAUDDIN

Pourquoi payer bon argent quand je peux cuisiner gratis ?

MEHTA

C’est vrai.

ALLAUDDIN

Donc tu es d’accord avec moi finalement ?

MEHTA

Non - son second, là - c’est un Cutchi [caste inférieure de Goudjaratis] !

LE CAPITAINE

Hé les gars, vous entendez ?

LE CHŒUR

Quoi ?

LE CAPITAINE

Le vent dans la voile !

Écoutez-le gonfler la voile,

prendre mon bébé dans le creux de sa main

et le propulser vers l’Afrique !

Le boutre prend de la vitesse.

LE CAPITAINE

Et voici l’Afrique !

Les hommes quittent le boutre tandis qu’un coolie leur passe un "guirlande" autour du cou.

LE CHŒUR

Qu’est-ce que c’est ?

COOLIE

Ton numéro.

LE CHŒUR

Mais mon nom, c’est -

COOLIE

Ton numéro. Chull-chull [allez, file] !

FATEH

Mehta-ji, où vas-tu ?

MEHTA

Voir la ville dans mes yeux !

LE CHŒUR

Qu’est-ce que c’est ?

COOLIE

Ton numéro.

LE CHŒUR

Mais mon nom, c’est -

COOLIE

Ton numéro. Chull-chull [allez, vite] !

FATEH

Qu’est-ce que c’est ?

COOLIE

Ton numéro.

FATEH

Mais mon nom, c’est -

COOLIE

Ton numéro. Chull-chull [allez, vite] !

Soudain apparaît PATTERSON.

PATTERSON

À vos pangas [machettes]

Sabrez la jungle

Et ouvrez une voie

Pour nos rails !

Forcez l’allure, nous avons une

Course à gagner, un but à atteindre

hisser le drapeau au lac Victoria avant

les Allemands, nos rivaux de toujours !

Vous les coolies formerez l’équipe de tête de ligne – travaillez bien, et vous serez les premiers à voir le lac Victoria !

Les hommes se mettent au travail, sabrant à travers la brousse.

LE CHŒUR

Mile 32, Majia Chumvi ! /

À Majia Chumvi nous sommes arrivés /

Trente deux miles depuis la mer. /

Fendant des rideaux de pluie, /

Attelés à la tâche, les boyaux affaiblis par la dysenterie. /

Les Mazrui nous ont ralentis - /

Oh, les Mazrui ! /

Ouvriers de la côte - /

Qui n’ont pas voulu venir - /

A Majia Chumvi. /

De l’eau salée ! ont-ils crié /

Un lieu hanté /

Où nulle plante ne pousse /

Nul homme ne vit. /

Tous les difficultées

Nous les avons surmontées yaaro -

L’eau salée va-t-elle nous arrêter ? /

Non ! /Alors apportez les pangas

Sabrez la jungle /

Ouvrez une voie

Pour nos rails !

Les coolies se reposent. MEHTA a apporté des vivres.

Traduit par Elishéva Zonabend Marciano

GYPSY appears singing a lullaby to FATEH

GYPSY

The moon on the water sings the song of the chills

The roll of the dhow in the windless sky

Sings the song of the child…

GYPSY disappears.

FATEH in his sleep

My first steps on the mud floor of village Phulean

Traced the pattern of my journey

Now I am of age

to trace the pattern on the dust of the world.

The gypsy’s song will ring in my ear

but I must memorise the patterns

of my own steps…

Fateh’s & Vira’s wedding.

VIRA

Ek thi Rani [There was a Queen]…

FATEH

Ek tha Rajah [There was a King]…

VIRA

He was 12 years old…

FATEH

And she was 10.

VIRA

He came riding on a white horse…

FATEH

Across the river Chenab.

VIRA

She had never seen the boy…

FATEH

He had never seen the girl.

VIRA

Her mother said, There is your husband…

FATEH

His father said, There is your wife.

VIRA

She sat me behind a purdah [curtain]…

FATEH

I was made to sit before the curtain.

VIRA

The Priest did his prayers…

FATEH

She sat in my doli [palanquin]…

VIRA

And my mother and her friends began to cry, as the doli took me away from my home… I kept looking back, until I could see my village no more…

FATEH

Father said she was my wife in name only – the suhaag-raat [consummation night] would come when hair began to grow on my face. So I walked…

VIRA

581 steps…

FATEH

With my Vira, to my village across the Chenab.

VIRA

Ek thi Rani…

FATEH

Ek tha Rajah.

Scene returns to the dhow.

MEHTA

No, I willnot eat food cooked by his [referring to ALLAUDDIN] hands!

FATEH

Arey bhai, he is not butchering meat here! It is only coconut and rice!

MEHTA

Mlech [unclean; infidel]! His whole life has been spent with meat on his hands!

ALLAUDDIN

La-hu Akbar! A life-time I have spent in Bhuj and no Brahmin, no Sayyid has ever refused food from my hands!

CAPTAIN

Mehta, why all this reet-rivaaz [customs]? You’re bound for Africa, there we must all live and eat together!

MEHTA

And you’re a mlech for letting him set food on your boat!

AMAR

Why are we fighting?

MEHTA

Shut up!

CAPTAIN

Why don’t you all pay my mate there – he will cook for you.

ALLAUDDIN

Why pay good money when I cook here free?

MEHTA

That’s right.

ALLAUDDIN

So you finally agree with me?

MEHTA

No – that mate of his – he is a Cutchhi [a particular, low-class, community of Gujaratis]

CAPTAIN

Can you hear it, men?

CHORUS

What?

CAPTAIN

The wind in the sail!

Listen to it billow the sail,

pick my baby in the cup of his hand

and send it shooting onward to Africa!

The dhow begins to move rapidly onward.

CAPTAIN

Here is Africa!

The men file out the dhow. As they file, they are “garlanded” by a coolie.

CHORUS

What is this?

COOLIE

Your number.

CHORUS

But my name is –

COOLIE

Your number. Chull-chull [get on]!

FATEH

Mehta-ji – where are you going?

MEHTA

To see the city in my eyes!

CHORUS

What is this?

COOLIE

Your number.

CHORUS

But my name is –

COOLIE

Your number. Chull-chull [get on]!

FATEH

What is this?

COOLIE

Your number.

FATEH

But my name is –

COOLIE

Your number. Chull-chull [get on]!

Suddenly, PATTERSON appears.

PATTERSON

Pick up your pangas [machete]

Slash the jungle

And clear a path

For our rails!

Hurry now, there is a

race on, an end is sight

to raise the flag at Lake Victoria before our

Rivals always, the Germans!

You collies will form the rail-head gang – work well, and you will be the first to see Lake Victoria!

The men begin to work, slashing through the bush.

CHORUS

Mile 32, Majia Chumvi!/

To Majia Chumvi we have come/

Thirty-and-two miles from the sea. /

Cutting through sheets of rain, /

Building with dysentery-weakened bowels. /

The Mazuri held us up –

Oh, the Mazuri! /

Workers from the coast - /

Who would not come - /

To Majia Chumvi. /

Salt water! They cried /

A place of ghosts /

Where no plant can grow /`

No man have a home. /

Through all this`

We have come yaaro –

Shall the salt water stop us? /

No! / So bring on the pangas

Slash the jungle /

And clear a path

for our rails! /

The COOLIES rest. MEHTA has brought supplies.

Par Jatinder VERMA

Pendant une longue traversée en bateau, Fateh fait connaissance d’Allauddin, Mehta, Amar et Sahid. Ils voyagent tous vers l’Afrique, avec leur histoire et leurs espérances.

CONTEXTE HISTORIQUE

En 1886, les puissances européennes se réunissent à Berlin pour se partager l’Afrique. La Grande Bretagne s’octroie le Kenya et l’Ouganda, l’Allemagne la Tanzanie.
En 1895 aux Indes, famine et peste dévastent le Pendjab et le Goudjerate.
En 1896 débute la construction du chemin de fer d’Afrique-Orientale britannique, utilisant une main d’œuvre indienne, les « coolies ». Attirés par la perspective d’un salaire mensuel et la promesse de 5 hectares de terre à la fin des travaux, ils sont des milliers à s’engager. La ligne fera finalement 1 000 kilomètres de long et, sur les
30 000 ouvriers indiens, un dixième mourra durant les travaux.
Genèse retrace, à partir de quelques personnages, l’histoire de l’immigration de ces
30 000 indiens qui, fuyant la famine et la pauvreté, ont quitté leur pays pour l’Afrique à la fin du dix-neuvième siècle après avoir été recrutés par les colons britanniques en vue de la construction du chemin de fer devant relier la côte est de l’Afrique au Lac Victoria.

RESUME

Quand Fateh, jeune indien du Pendjab, quitte l’Inde pour aller travailler en Afrique, il laisse derrière lui sa femme Vira et son ami Ishwar qui part à l’armée pour pouvoir nourrir les siens. Comme ses compagnons de voyage, Allaudin le boucher musulman, Mehta, marchand opportuniste du Goudjerate, Amar, enfant du Pendjab vendu par ses parents à un agent recruteur, et le Sahid, un « saint homme » originaire du Pendjab, Fateh part avec l’espoir d’une vie nouvelle, une vie meilleure. Le bateau les emporte avec leurs rêves mais aussi leurs interrogations : « Y a-t-il des villes en Afrique ? » ; « Mange-t-on halal en Afrique ? ».
Arrivés sur le continent africain, ils se voient attribuer un numéro. Commence alors pour eux l’enfer de la construction du chemin de fer avec la peste, la mouche tsé-tsé, la chaleur, les moustiques, la malaria, les vers qui creusent des trous dans les pieds, mais la promesse des 15 roupies mensuelles et des 5 hectares de terre une fois le travail terminé leur donne la force et le courage de continuer.
Cependant, en Inde, Ishwar, pris en flagrant délit en train de passer ses rations à sa famille, est renvoyé de l’armée après avoir été condamné à dix coups de fouets. Il décide alors de partir en Afrique à la recherche de Fateh.
Peu après Vira, à son tour, part à la recherche de son mari, déguisée en homme.
Tandis que les coolies progressent en direction du lac Victoria, en butte à de nouveaux obstacles - ils sont attaqués par des lions puis par des tribus Massaï dans la région de Nairobi - Ishwar et Vira poursuivent leur destin : Ishwar rencontrera la mort sur son chemin et Vira finira par retrouver son mari.
Fateh et Vira réunis élèveront ensemble l’enfant nouveau-né d’une femme Massaï qui s’était attachée à Fateh après la disparition de son mari tué par les Britanniques, morte étranglée par Ishwar devenu fou.

PHOTOGRAPHIES : Agnès Varraine Leca.
Née en 1984. Voyage et photographie. Photographie et voyage.
Reportage "L’Inde, Humanité intouchable" en 2005, récompensé au Grand Prix Paris Match du Photoreportage Etudiant.
Expositions d’Octobre à Décembre 2005 aux "Quatre Jeudis" & "Le Petit Chicago", Canada.
Reportage "September 11th, five years later" pour Nazca Pictures, agence internationale de photojournalisme, Mars 2006, New York.
Reportage "100th anniversary of New York City’s taxis", Mai 2007, New York.
Commandes photographiques pour la SAGEP (Eaux de Paris), de Mars à Octobre 2007.

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http://www.agnesvarraineleca.com
http://www.nazcapictures.com/featur...